22 novembre 2024 |

Ecrit par le 22 novembre 2024

Festival Off, Théâtre des 3 soleils, L’Espèce Humaine

Robert Antelme (1917-1990), poète, écrivain et résistant a été déporté aux camps de Buchenwald et de Dachau. Il a relaté son expérience en camps de concentration dans un ouvrage, L’Espèce Humaine, paru en 1947 aux éditions de la Cité universelle et dédié à sa sœur Marie-Louise, morte en déportation. Il fut l’époux de Marguerite Duras. Le récit de sa détention est portée au Théâtre des 3 soleils par la très talentueuse Anne Coutureau sur une mise-en scène très habitée de Patrice Le cadre.

Un ange blond dans le noir sidéral. Une femme, formidable Anne Coutureau, pour porter la voix d’un homme, Robert Antelme, en détention dans les camps de la mort. L’Allemagne nazie veut choisir la race qui dominera le monde et exterminer celles qui n’en sont pas dignes. Mais il n’y a qu’une race humaine et détruire les autres revient à se détruire soi-même.

Voilà, je crois,
la pensée farouchement chevillée au corps de ce rescapé des camps de la mort, Robert Antelme, qui évoque, le plus souvent avec des mots simples et plutôt pudiques, des instants de vie dans l’enfer le plus noir que la terre est capable de porter encore et toujours.

Copyright Marasco

Anne Coutureau porte haut,
cette voix incroyablement posée, réfléchie, humaine et parfois tendre d’un homme qui vit, avec d’autres, l’indicible. Et pourtant il faut faire l’effort, surhumain, de justement rester humain, alors que le corps hurle de douleur, que la tête veut s’enfuir, mais ne le peut pas et que remplir son estomac obsède chaque instant.

J’ai énormément aimé cette pièce pour ce dont elle témoigne :
l’appel dans la cour qui dure des heures dans un froid mordant, les poux, le typhus, les droits communs transformés en kapos avec le droit de vie et de mort sur leurs compagnons d’infortune, juste pour manger mieux. Car oui, ils étaient tous détenus. Mais la perversité était de leur faire croire qu’ils avaient le pouvoir. Et ils en usèrent et abusèrent nourrissant leur propre sadisme et celui de nombre de gradés nazis.

Et surtout les éclairs de vie,
les gestes d’amitiés, le partage d’un mégot de cigarette, les amis à qui l’ont dit au revoir, en fuyant déjà, parce que le masque de la mort flotte au-dessus d’eux. Le pire ? C’est de ne pas les reconnaître, sur leur triste paillasse, alors que le coude relevé pour supporter leur maigre buste, leurs fixes regards vous appellent silencieusement. Juste pour se dire que l’on a existé ? L’attention même fugace, que vous leur portez, est alors le plus beau cadeau du monde, même si vous ne pouvez que prononcer, un presque et tout bas, ‘au revoir mon vieux’.

Anne Coutureau DR

La force de la vie envers et contre tout
Des survivants, souvent incompris lorsqu’ils revinrent chez eux, parce que non, tout cela ne pouvait avoir existé puisqu’on n’en n’avait pas entendu parler. Que faire de ces cadavres ambulants ? Alors que Paris avait été libéré depuis plusieurs mois et que tout le monde voulait oublier. Il n’y avait plus de place pour l’horreur et encore moins pour le témoignage. Trop tôt, les gens ne voulaient qu’oublier.

Le silence se faisait malgré eux.
Et puis il y avait la culpabilité : avait-on le droit de s’en sortir quand ses propres camarades étaient morts dans les circonstances les plus effroyables ? Circonstances que tous avaient partagées ? Et qu’ils portèrent comme un fardeau tout au long de leur vie. C’est pourquoi L’Espèce Humaine nous interpelle.

Anne Coutureau est magnifique de justesse, d’émotion, de force.
Le récit est poignant, prenant de la hauteur là où réside la bassesse et pire, la négation de l’homme. On en sort admiratif, pas forcément graves, mais empreints de ce qu’un chouya de vote peut faire basculer la démocratie… Parce qu’Hitler a été élu démocratiquement, faisant basculer le monde dans le chaos.

Les infos pratiques
L’espèce humaine. 17h35. Relâche le mardi. Jusqu’au 29 juillet. 4, rue Buffon à Avignon. Durée 1h15. De Robert Antelme. Avec Anne Coutureau. Mise en scène de Patrice le Cadre et son de Jean-Noël Yven. Théâtre les 3 Soleils. Réservation 04 90 88 27 33.

Anne Coutureau Copyright MH

Festival Off, Théâtre des 3 soleils, L’Espèce Humaine

Le premier ouvrage de Delphine de ViganJours sans faim’ a été adapté en pièce de théâtre par Violaine Brébion et mis en scène par Xavier Clion. La pièce actuellement jouée au Festival off d’Avignon est sensible, intelligente, truffée d’humour et merveilleusement rendue au public. Une gageüre tant le sujet, l’anorexie mentale, plonge dans l’horreur. Et pourtant c’est bien, ici, un cheminement au cœur de l’être qui propose de nous grandir tous. Jours sans faim c’est actuellement au Théâtre des trois soleils à 14h50, relâche le 26 juillet, à Avignon.

On se rappelle l’incroyable roman ‘Rien ne s’oppose à la nuit’ de Delphine de Vigan qui aura accompagné la vie de plus d’un million de lecteurs. Pourtant, avant, il y eut «Jours sans faim» publié en 2001 sous le pseudonyme de Lou Delvig relatant le combat mi-fiction-mi-autobiographie d’une jeune-fille de 20 ans se battant contre l’anorexie. C’est justement le sujet dont s’est emparé Violaine Brébion, interprétant Laure, cette jeune-fille fragile qui ne pèse plus que 36 kilos frappant ainsi aux portes de la mort tandis que Xavier Clion, le médecin de l’hôpital, lui demande, inlassablement, de choisir la vie plutôt que la mort.

«L’anorexie mentale est une maladie très complexe. Une maladie de l’hypersensibilité et de l’appétit de vivre, un appétit si encombrant qu’il se retourne contre soi», explique l’écrivain Delphine de Vigan qui en a souffert de 17 ans à 20 ans et qui fut hospitalisée durant 6 mois, à 20 ans, à l’hôpital Bichat à Paris.

Delphine de Vigan, Violaine Brébion et Xavier Clion

L’interview

Delphine de Vigan
«J’ai porté ce texte très longtemps en moi, écrivant beaucoup à l’hôpital. Le médecin, qui me voyait rédiger sur mes petits carnets, me disait : ‘Alors, à quand le roman paru chez Stock ?’ C’était un peu comme un caillou resté dans ma chaussure.» A 35 ans, soit 15 ans après l’événement, jaillira ce texte.  «Je ne voulais pas que ce soit seulement un témoignage sur l’anorexie mais un matériel littéraire au même titre que l’amour, le deuil, la séparation. Le temps de l’écriture puis l’usage de la 3e personne du singulier m’ont permis de travailler l’humour, les personnages secondaires, la dramaturgie. Je voulais qu’il y ait une vraie sobriété, une tenue, dans ce texte.»   

Une pièce de théâtre pour aider les jeunes, les adolescents ?
«C’est plus un texte sur l’entrée dans l’âge adulte, presque un roman d’apprentissage, que seulement un roman sur l’anorexie, précise Delphine de Vigan. La maladie étant un symptôme à un moment de cette souffrance. Cela pourra, peut-être, éclairer quelque chose en eux. De nombreuses jeunes-filles m’écrivent me disant avoir lu le livre et en avoir été aidées. Certaines me disent avoir arrêté, le livre leur ayant fait peur, d’autres expliquent avoir été accompagnées par l’ouvrage lors de moments de guérison ou de reconstruction.»

L’écriture
«L’écriture de Delphine de Vigan m’a happée immédiatement, se remémore Violaine Brébion qui a rencontré Delphine de Vigan lors d’une signature dans une librairie. J’ai commencé par lire un livre, puis deux, puis trois, après je me suis dit qu’il fallait tous les lire parce qu’il y avait quelque chose. Je les ai lus dans l’ordre. Jours sans faim était donc le premier. L’évidence ? En le lisant, je me voyais déjà le dire, parler comme cela assez naturellement. Je voulais évoquer l’adolescence, ce difficile passage à l’âge adulte, ces moments compliqués que l’on vit à 15 ans. Ce texte m’est aussi personnel. Le porter avec Xavier Clion, avec qui je travaille régulièrement dans une immense confiance, en a fait cette pièce. Je désirais présenter ce travail aux scolaires, à des jeunes-gens à partir de la 3e, pour partager cette parole avec les premiers concernés. Au départ ? Ils ont longuement travaillé le texte de Delphine de Vigan avec leur professeur avant de le voir théâtralisé. J’ai ressenti de leur part de la distance, de l’assentiment ou parfois du rejet, avant qu’ils n’avouent connaître eux aussi des difficultés… Il y a comme un besoin de maturation chez eux, puis de libération de la parole.»

Le symptôme
«L’anorexie ? Elle a commencé pour moi lorsque j’ai eu le sentiment d’être trop tôt projetée dans le monde adulte, de ne pas avoir le matériel pour affronter cette période, se remémore Delphine de Vigan. Il y a des raisons, des faisceaux de cause qui s’additionnent pour provoquer ce symptôme. L’anorexie est avant tout une maladie de l’appétit de vivre, qui rend prisonnier de sa vie. Elle rend insensible, au sens physiologique premier du terme, au fond, on ne ressent plus grand-chose de ce qui se passe à l’extérieur. C’est d’ailleurs une manière de se protéger qui va se retourner contre soi. Le retour à la vie ? C’est retrouver l’autre. C’est lorsque Laure éprouve une passion. Et c’est ce que raconte le spectacle.»

Violaine Brébion interprète Laure et de multiples personnages dans Jours sans faim

Ce que j’aimerais dire
«Si le sujet peut faire un petit peu peur, à juste titre d’ailleurs, c’est surtout l’histoire d’une guérison, souligne Delphine de Vigan à propos de ‘Jours sans faim’, Violaine et Xavier se sont emparés du texte qui va vers la lumière, emmenés par les personnages secondaires au gré d’une adaptation fidèle au roman.»

Mon avis
Le texte de Delphine de Vigan, bien qu’adapté pour le théâtre, reste une fantastique ode à la vie. Celle de Laure malmenée par les circonstances qui aimerait bien vivre mais n’arrive plus à se nourrir. Pour autant, la pièce n’est ni triste, ni lente, au contraire, elle est puissamment rythmée, truffée de sourires, de rires, d’humour et d’impertinence. Cette jeune-fille bienveillante fait naître autour d’elle de nombreux personnages : des membres de sa famille, des amis, des compagnes d’infortunes qui libèrent çà et là les indices précieux de leur mal être. On est frappé par la bonté discrète, la retenue du personnel soignant, le texte écornant au passage les jugements à l’emporte-pièce d’une société livrée au 1er degré.
Ce que l’on a aimé ? La délicatesse et l’élégance du texte, le travail et la lumière de chaque saynète, tableau, apportant un éclairage différent sur les situations explorées, suggérées en filigrane, la richesse des liens qui se tissent entre les personnages et notamment avec le médecin qui, précautionneusement, amène Laure à préférer la vie plutôt que la mort. Dans la vraie vie, ce médecin deviendra d’ailleurs le plus grand spécialiste de l’anorexie mentale en France. Le jeu des acteurs dynamique, subtil et la mise en scène, pleine de trouvailles, sont d’une magnifique précision et vérité. Alors que le plateau plonge dans la pénombre et que l’aura des personnages s’évanouit, nous voici plus armés et éclairés sur le sujet. Jours sans faim nous pousse à être plus délicat avec l’autre et c’est déjà miraculeux.

Les infos pratiques
Jours sans faim. 14h50. Jusqu’au 30 juillet. Théâtre des 3 soleils. 4,rue Buffon à Avignon. 04 90 88 27 33. Réservation ici.

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