22 novembre 2024 |

Ecrit par le 22 novembre 2024

Le soutien de Jean Viard aux forçats de la Terre

En pleine crise agricole, le sociologue vauclusien Jean Viard défend les forçats de la terre. Depuis près d’un demi-siècle, cet observateur éclairé de nos vies décrypte, décode le milieu paysan. Avec « La campagne inventée » publiée en 1997, « L’archipel paysan, fin de la république agricole » en 2001, « Le sacre de la terre » en 2020, inlassablement, il met ses pas dans le sillon des cultivateurs.

« Aujourd’hui, le monde paysan a l’impression d’être en voie de disparition » précise Jean Viard. « Il ne voit pas son avenir clairement. Il se sent rejeté, déconsidéré, dénigré. Certains ironisent sur les culs-terreux. Or, depuis l’après-guerre, on a gagné 25 ans d’espérance de vie grâce à leur travail, grâce à l’amélioration de l’alimentation. C’est l’époque où le Général de Gaulle a demandé à son ministre de l’agriculture, Edgard Pisani, de faire entrer l’agriculture française dans la modernité pour atteindre la souveraineté alimentaire » ajoute Jean Viard.

Mécanisation de la production et produits phytosanitaires
« C’est aussi l’époque où on a commencé à utiliser des produits chimiques, où on a mécanisé la production, mis en place des organisations professionnelles et des coopératives pour fédérer toute cette main d’œuvre. » Mais ces investissements ont un coût, les paysans se sont endettés en achetant des parcelles toujours plus grandes, des tracteurs toujours plus puissants, climatisés, une moissonneuse-batteuse high-tech, une machine à vendanger qui enjambe les rangées de vignes et trie les grains de raisin, tout cela sous les conseils cyniques et mortifères de certains techniciens et banquiers. Et c’est à eux, les cultivateurs, de rembourser des prêts faramineux qui les étranglent quand ils n’arrivent pas à vivre dignement de leur travail. Certains ont travaillé dur plus de 40 ans pour toucher une retraite de 900€. On recense un suicide de paysan tous les deux jours, c’est dire leur degré d’abandon, dépression et de désespoir. »

Les exclus du progrès social
« Pendant que tous les autres travailleurs ont droit aux congés payés et aux 35h, eux sont exclus du progrès social, s’occupent de leurs vaches, chèvres, brebis et volailles 365 jours par an. Des labels et des normes ont été inventés pour que soient reconnues les appellations d’origine contrôlée ce qui est positif pour la mise en marché de produits du terroir de qualité, pour nos vins AOC, comme le rosé de Provence et le rouge des Côtes du Rhône. En revanche, le marché européen n’impose pas les mêmes mesures drastiques à tous. La preuve avec un seul exemple, la cerise. Nos arboriculteurs de Venasque et du Barroux ne peuvent pas utiliser de diméthoate pour lutter contre la « drosophila suzukii » quand nous importons à tire larigot des milliers de tonnes cerises turques imbibées de diméthoate. On nage en pleine absurdité. »

« On boit plus de bière que de vin »
« Côté viticulture, il faut bien voir que nos habitudes de consommation aussi ont changé. L’an dernier, on a plus bu de bière que de vin en France et les stocks de rouge craquent au point qu’on a autorisé la distillation à grande échelle. Quand on parle de ‘consom’acteurs’, on voit des citoyens aller faire leurs courses dans les fermes, acheter aux producteurs de la ceinture verte d’Avignon ou de Velleron, sur les petits marchés de village plutôt qu’au supermarché. Mais quand on lit le prix des fruits et légumes de nos paysans, face aux tomates importées d’Espagne et du Maroc en plein hiver, là où le prix de la main d’œuvre et des charges est ridiculement bas, les mères de familles monoparentales qui sont au Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) achètent ce qui est moins cher pour nourrir leurs enfants, au détriment de la qualité gustative et nutritionnelle. Mais c’est leur porte-monnaie qui leur impose ce choix. »

Rareté et cherté du foncier
« Pour revenir aux racines de cette crise agricole, il faut aussi évoquer la rareté et la cherté du foncier. Comme Jean Viard l’écrit dans « Le sacre de la terre » : « On a construit 63 000 ronds-points, des lotissements, des supermarchés et on a grignoté 20% de nos terres aux dépens de l’agriculture. Il faut arrêter de défigurer la France ». En 30 ans, le prix de la terre a été multiplié par deux, il faut compter un million d’euro pour une petite exploitation. Et on ne parle pas ici des vignes de Châteauneuf-du-Pape. Quel enfant de paysans a les moyens de dédommager ses frères et soeurs qui n’ont pas choisi d’hériter du domaine familial?  Le sociologue insiste : « Il faut former les jeunes, les inciter à s’installer, cultiver leur jardin, développer des start-up à la campagne ».

Vous avez dit agri-bashing ?
« Autre forme d’agri-bashing, les bobos néo-ruraux, ces ayatollahs de l’écologie. « Ils ont quitté la ville, se sont installés en pleine nature, à côté d’une ferme et ils ont intenté 1 200 procès aux paysans parce que le cri du coq les réveille, l’âne qui brait les dérange, le fumier pue, l’épandage pollue ou le tracteur fait du bruit ». Le défenseur des paysans martèle : « L’agriculture est un métier d’avenir. Elle nous nourrit, nous habille, capte le carbone. Avons-nous déjà oublié les Gilets jaunes qui se sont levés pour l’urgence climatique. Nous avons besoin de retrouver nos racines sur le champ. Le sol est le lieu de ressources, de culture, de mémoire, de territoire de la patrie. Il faut passer de l’agriculture-problème à l’agriculture-solution. Elle est un métier du futur, un lien entre la santé des hommes et le soin de la terre ».

Quelle sera l’ambiance au prochain Salon de l’agriculture ?
Il ajoute, ironique : « Dans un mois, les politiques vont faire les marioles au Salon d’l’Agriculture, se pavaner dans les allées du Parc des Expositions, Porte de Versailles, caresser les paysans et leurs bêtes dans le sens du poil, partager l’apéro et le saucisson, les mêmes qui ont signé subrepticement en novembre un accord avec la Nouvelle Zélande qui prévoit la suppression des droits de douane sur les kiwis, pommes, oignons, viandes, le beurre, le miel, le lait en poudre. 18 000km nous séparent de ce territoire aux antipodes de la France, dans le Pacifique Sud. Et ils prétendent favoriser les circuits courts au Ministère de l’Agriculture ? Interroge Jean Viard. Il ne faudrait pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Stop à l’hypocrisie, à l’enfumage, au double discours. »
« La  campagne inventée » – L’archipel paysan, la fin de la république agricole » – L’Aube Le sacre de la Terre » – L’Aube www.editionsdelaube.com     

 L’Agriculture en Vaucluse
115 000 hectares de surface agricole  : 31% du territoire (dont 22 761ha en bio).
12 700 emplois : 4 300 dirigeants, 2 800 permanents, 5 600 CDD (Contrats à durée déterminée, occasionnels et saisonniers.
Chiffre d’affaires : 1,106 milliard d’euros.

La production en Vaucluse
N° 1 cerise, raisin de table, ail, courge.
N°2 poire Guyot, pomme Golden & Granny.
N°3 fraise, pastèque , vins AOC.

Viticulture :
50 000 emplois.
2 millions d’hectolitres produits par an.

         

   


Le soutien de Jean Viard aux forçats de la Terre

Mardi 16 mars, les étudiants de la Licence 3 AES (administration économique et sociale) ont organisé la restitution collective de leur enquête sociologique sur le thème de la fracture numérique.

Ils sont 70 étudiants à avoir travaillé sur cette enquête, réalisée dans le cadre de leur formation. Durant plusieurs mois, ils ont effectué une série d’entretiens semi-directifs auprès d’individus en fracture numérique, c’est-à-dire auprès de celles et ceux qui n’ont pas accès aux technologies numériques ou qui rencontrent des difficultés d’utilisation. Au total, 130 enquêtés ont répondu à leurs questions. Hier, les étudiants en dernière année de Licence ont présenté durant plus d’une heure les résultats de leur enquête, devant leurs camarades et professeurs encadrants.

Une illusion d’opportunité pour tous

Le premier résultat obtenu par les étudiants concerne l’impact du numérique sur l’intégration sociale. Selon eux, les personnes loin des technologies numériques ou rencontrant des difficultés d’utilisation sont des personnes en difficulté sociale. Ainsi, au lieu de créer une nouvelle opportunité, le numérique représente pour eux une nouvelle barrière qui renforce les inégalités sociales : incapacité à effectuer certaines démarches administratives, à créer un cv, à garder le contact, etc.

« Le numérique partout ça me stresse, c’est trop de choses à penser, même pour les choses qui étaient simples avant »

Clémentine, 59 ans.

« Je me suis renseigné un peu au début pour savoir ce que c’était et puis je me suis dit : Oula c’est trop compliqué, je n’en ai pas besoin et je n’en ai pas eu envie »

Bernadette, 96 ans.

Les étudiants ont observé que les parmi leurs enquêtés, plus de 50% de celles et ceux en fracture sociale n’ont pas de diplôme ou ont un niveau bac. Outre le niveau d’étude et la catégorie socio-professionnelle, la langue, l’âge et le niveau de revenu sont également des barrières à l’utilisation des nouvelles technologies.

« J’aurais aimé avoir les moyens de pouvoir donner la possibilité à mes enfants de faire comme les copains en ayant des téléphones récents et de pouvoir moi aussi avoir la possibilité d’en avoir, pour parler avec eux »

Nour, 37 ans.

Des stratégies d’adaptation

Face à leurs difficultés, les « exclus du numérique » s’adaptent notamment en demandant de l’aide, ce qui crée pour eux une dépendance aux autres, mais peut également faire ressentir un sentiment de honte, de peur ou de gêne. Ils peuvent demander de l’aide à un tiers de confiance informel, comme un membre de leur famille, un ami, un proche ou à des structures formelles publiques et privées, comme France Service, lieu très fréquenté par les personnes en fracture numérique.

« Le seul truc qui me dérange avec le numérique c’est de devoir embêter mes filles pour me le faire »

Michel, 73 ans.

« Je vais chercher les renseignements dans les organismes concernés [en parlant de la CAF] »

Lina, 55 ans.

« J’ai fait appel à un formateur pour apprendre à utiliser mon ordinateur. C’était une formation une fois par semaine pendant plusieurs semaines, il y a une dizaine d’années, c’est lui qui venait chez moi »

Suzanne, 77 ans

Face à ces résultats, les étudiants de l’université d’Avignon concluent qu’il faut promouvoir l’inclusion numérique en mettant en place des mesures forte pour réduire la fracture numérique. Fracture qui crée un sentiment de peur chez beaucoup d’interviewés et qui exclut « ceux qui étaient déjà exclus ».

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J.R.

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