Avec les français, il y a deux choses avec lesquelles il ne faut pas plaisanter : la bagnole et les retraites. Pour ces dernières, et depuis 30 ans, nombres de gouvernements en ont fait les frais. 1995, 2003, 2010 et 2019 auront été marqués par d’importants mouvements sociaux refusant des réformes de notre système retraite. La forte mobilisation du 19 janvier dernier s’inscrit dans le même mouvement. Alors, pourquoi un tel entêtement de l’exécutif ? N’y-a-t-il pas d’autres dossiers plus urgents à traiter, qui de surcroit répondent d’avantage aux vraies attentes des français ? La liste est malheureusement longue…
Cela n’étonnera personne si on affirme qu’une part importante (pour ne pas dire majoritaire) des français ont un travail qui ne les intéresse pas ou peu. Ils « s’y collent » d’abord pour avoir les moyens de vivre et pour pouvoir ensuite profiter d’une future deuxième vie.
Le travail n’a plus, aujourd’hui, la même valeur qu’auparavant. En 1990, 60% des français considéraient le travail comme très important, ce taux est tombé, en 2022, à 24% (source Fondation Jean Jaurès). De la même manière, une majorité de nos citoyens souhaite avoir plus de temps pour eux plutôt que de gagner plus d’argent. Les crises successives, que nous traversons maintenant depuis 3 ans, ne peuvent que conforter l’idée « qu’il faut profiter aujourd’hui de la vie, car on ne sait pas ce que demain nous réserve ».
Alors, comment voulez-vous que les seniors acceptent de travailler plus longtemps alors qu’une part importante des actifs souhaitent travailler moins ? On nage totalement à contre-courant.
La colère des français va bien au-delà d’un désaccord sur le report de l’âge de la retraite.
Il faut être sourd ou atteint de cécité pour ne pas comprendre que la colère des français va bien au-delà d’un « simple » désaccord sur le report de l’âge de la retraite. Les difficultés, les incertitudes, les mécontentements, ont été jusqu’alors contenus, hier par la crise sanitaire, aujourd’hui par les incidences économiques de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Pas certain que la lassitude et la résignation soient éternelles. Cette colère silencieuse est également nourrie par un sentiment d’injustice sociale ressenti par un nombre croissant de nos concitoyens. « La crise, ce n’est pas pour tout le monde ! ».
Peut-on réellement imposer une réforme refusée par 70 % des français ?
Face à cela, la volonté présidentielle est sourde et inflexible, sûre de son fait et de ses arguments (purement comptables). Elle est aujourd’hui prisonnière de son propre orgueil. Reculer reviendrait à démissionner et mettrai en péril son autorité. Le risque politique est trop important. Mais peut-on réellement imposer une réforme refusée par 70 % des français ? Peut-on gouverner longtemps dans un pays où la colère est la seule chose qui puisse unir ses concitoyens ?
En 1930, le très influent économiste anglais Keynes, imaginait le monde en 2030. Et il voyait un temps d’abondance, de richesse, et de travail automatisé. Un temps où l’on ne travaillerait que 15 heures par semaine. Mais il ajoutait : « Il n’est point de pays ni de nation qui puisse, je pense, voir venir l’âge de l’abondance et de l’oisiveté sans craindre. Car nous avons été entraînés pendant trop longtemps à faire effort et non à jouir. »
Ce bon vieux Keynes – qui en matière économique était loin de toujours faire l’unanimité- oubliait qu’après l’effort doit nécessairement venir le réconfort. Trois siècles plus tôt Montaigne disait déjà
du repos (on ne parlait pas à l’époque de retraite) : « c’est assez vécu pour autrui, vivons pour nous au moins ce bout de vie ».