22 novembre 2024 |

Ecrit par le 22 novembre 2024

Le greffier du tribunal de commerce à l’ère du ‘RNE’

De récentes dispositions réglementaires complètent le cadre légal instituant le Registre national des entreprises, dit ‘RNE’, qui doit entrer en application le 1er janvier 2023. Elles donnent un aperçu des diligences nouvelles attendues du greffier du tribunal de commerce.

Restée dans l’ombre de ses deux sœurs du même jour portant réforme des sûretés et modifiant le livre VI du code de commerce (V. BAG 156, « Livre VI du code de commerce : petit panorama d’une grande réforme », p. 5 et BAG 158, « Incidences de la réforme des sûretés sur la pratique des greffiers », p. 1), l’ordonnance n° 2021-1189 du 15 septembre 2021 portant création du Registre national des entreprises (RNE) bouleversera pourtant le quotidien des entreprises à compter du 1er janvier 2023 (Ord. n° 2021-1189, 15 sept. 2021, art. 45). Elle a été complétée par deux décrets du 19 juillet 2022. Le premier est relatif au RNE et porte adaptation d’autres registres des entreprises (D. n° 2022-1014, 19 juill. 2022 : JO, 20 juill.), le second traite plus particulièrement des droits dus au titre du RNE (D. n° 2022-1015, 19 juill. 2022 : JO, 20 juill.).

Incidences de la réforme au 1er janvier 2023

  • En aval : centralisation des informations sur toutes les entreprises

La réforme est ici structurelle et le futur article L. 123-36, alinéa 1er du code de commerce permet d’en saisir l’ampleur : « Il est tenu un registre national des entreprises, auquel s’immatriculent les entreprises exerçant sur le territoire français une activité de nature commerciale, artisanale, agricole ou indépendante ».

La disposition consacre ainsi la fusion au sein d’un registre unique des informations sur toutes les entreprises, informations jusqu’ici dispersées dans différents registres selon la nature de leur activité. La constitution du RNE, réalisée sous format numérique (C. com., art. L. 123-51), prendra la forme d’un service informatique « dénommé guichet unique électronique des formalités d’entreprises » (C. com., art. R. 123-2, I). D’un tel format naît une légitime angoisse que tentera de conjurer un arrêté du Premier ministre précisant les modalités de nature à assurer la continuité du service en cas de difficulté grave de fonctionnement du service informatique (C. com., art. R. 123- 15). Une autre angoisse devrait étreindre le gouvernement : la « fracture numérique », car la France n’est une « start-up nation » que dans l’esprit de ses dirigeants. Sous certaines restrictions dont sont exemptes des catégories d’utilisateurs strictement définies (C. com., art. R. 123-318), l’intégralité des informations inscrites et pièces annexées au RNE fait l’objet d’une mise à la disposition du public gratuite et sous forme électronique, à des fins de consultation ou de réutilisation (C. com., art. L. 123-52, al. 1er).

Unification, transparence et gratuité : l’institution du RNE signe une véritable révolution que rend possible la généralisation du numérique. Le choix a été fait de confier la tenue de ce registre unique à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) (C. com., art. L. 123-50, al. 1er). Ne nous y trompons cependant pas : le rôle de l’INPI est la tenue du registre, non la validation et le contrôle des informations qui alimenteront ce dernier.

  • En amont : traitement des informations par le greffier et les autres autorités

Cette tâche en amont incombera en effet toujours aux autorités désignées (C. com., art. L. 123-39 et s.), selon la nature de l’activité de l’entreprise : greffiers des tribunaux de commerce ou des tribunaux judiciaires statuant en matière commerciale (C. com., art. L. 123-41 et s.), présidents des chambres de métiers et d’artisanat (C. com., art. L. 123-43 et s.), caisses départementales ou pluridépartementales de mutualité sociale agricole (C. com., art. L. 123-48 et s.). La tâche de ces autorités est précisément définie (C. com., art. L. 123-40) : contrôler que les entreprises relevant de leur champ de compétence satisfont aux conditions nécessaires à l’accès à leur activité ou à l’exercice de celle-ci. Outre les modalités de ce contrôle, il convenait également de préciser les informations à déclarer et les pièces à transmettre auxdites autorités pour qu’elles puissent exercer ce contrôle. Un décret en Conseil d’État était attendu (C. com., art. L. 123-39) ; en date du 19 juillet 2022, ce décret est extrêmement dense (46 articles) en ce que ses dispositions précisent l’ensemble du cadre légal applicable au RNE (D. n° 2022-1014, 19 juill. 2022). Un décret du même jour (D. n° 2022-1015, 19 juill. 2022) traite plus particulièrement des droits dus au titre du RNE. Le dispositif est désormais complet et le RNE juridiquement opérationnel pour le 1er janvier 2023.

  • Cadre normatif des greffiers au 1er janvier 2023

Les greffiers des tribunaux de commerce évolueront au 1er janvier 2023 dans le cadre légal que posent les articles L. 123-41 et L. 123-42 du code de commerce. Le premier texte fixe leur domaine d’attribution. Rappelons en effet que les greffiers contrôlent que les entreprises relevant de leur champ de compétence satisfont aux conditions nécessaires à l’accès à leur activité ou à l’exercice de celle-ci (C. com., art. L. 123-140). Ils valident ainsi les inscriptions d’informations et les dépôts de pièces au RNE concernant les personnes physiques et morales mentionnées à l’article L. 123-36, 1° et 2° du même code et les personnes physiques mentionnées aux 4° et 5° de cet article ayant choisi d’exercer leur activité sous le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Conséquence de l’institution du RNE, l’article L. 123-42 précité énonce que la décision d’inscription d’une information ou le constat du dépôt d’une pièce au Registre du commerce et des sociétés (RCS), au Registre spécial des agents commerciaux (RSAC) ou au Registre spécial des entreprises individuelles à responsabilité limitée (RSEIRL) par le greffier du tribunal de commerce, après réalisation des contrôles qui lui incombent en ces matières, emporte validation de l’inscription de cette information ou du dépôt de cette pièce auprès du RNE. C’est affirmer en creux que l’INPI ne procède à aucun contrôle des informations qui lui sont communiquées.

A la réflexion, la mission de contrôle du greffier demeure classique : hormis les textes, rien ne change. Une lecture plus attentive du décret n° 2022-1014 du 19 juillet 2022 témoigne d’une préoccupation, au vrai plus inquiétante : la lutte contre la fraude documentaire. Le greffier est pleinement impliqué, depuis le 21 juillet 2022, dans cette lutte, complément nécessaire de sa mission de validation des données commerciales qui lui sont communiquées.

Lutter contre la fraude documentaire
La présentation du décret n° 2022-1014 du 19 juillet 2022 est claire : « A compter du lendemain de sa parution (soit le 21 juillet 2022), le décret accroît les pouvoirs de contrôle des greffiers des tribunaux de commerce (…) à l’occasion des inscriptions réalisées au sein du Registre du commerce et des sociétés, dans le but de renforcer la lutte contre la fraude documentaire ». L’article 2 du décret témoigne de cet accroissement des diligences du greffier en amont, mais également en aval s’il est informé d’un cas potentiel de fraude.

  • Diligences du greffier en amont

Le greffier devra-t-il développer un « devoir de suspicion » ? Les dispositions nouvelles montrent ce que doit être son attitude en présence d’une communication de pièces douteuses, d’une part, et concernant le contrôle de l’identité du déclarant, d’autre part. Le nouvel article R. 123-84-1 du code de commerce dispose ainsi que « des justificatifs complémentaires peuvent être demandés au déclarant lorsqu’il existe un doute sur l’authenticité de la pièce produite ou lorsque sa valeur probante est insuffisante ». Par ailleurs, lorsque pour justifier d’une identité, le déclarant produit une carte nationale d’identité, un passeport ou un titre de séjour, émis par les autorités françaises, le greffier vérifie qu’il est valide au sens de l’article 3 de l’arrêté du 10 août 2016 autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DOCVERIF » (C. com., art. R. 123-95-1, al. 1er). Lorsque cette vérification révèle que le document n’est pas valide, le greffier réclame dans le délai d’un jour franc la production d’un document d’identité figurant dans la liste des pièces justificatives fixée par l’arrêté prévu à l’article R. 123-166 du code de commerce, à fournir dans un délai de 15 jours à compter de cette réclamation (C. com., art. R. 123- 95-1, al. 2). A la réception de cette pièce et après une nouvelle vérification de sa validité, le greffier procède à l’immatriculation dans le délai d’un jour franc après réception de la demande (C. com., art. R. 123-95-1, al. 3).

Ces dispositions techniques illustrent en creux le phénomène inquiétant auquel font face les greffes des tribunaux de commerce : les technologies numériques permettent aisément la création de faux documents et la possibilité d’usurper l’identité d’autrui. Le décret n° 2022-1014 du 19 juillet 2022 en prend acte et arme en conséquence les greffiers.

  • Diligences du greffier en aval

Ledit décret envisage évidemment la possibilité que le greffier apprenne a posteriori l’existence d’une suspicion tant sur la documentation que sur l’identité de la personne immatriculée. Dès lors que le greffier est informé que l’immatriculation d’une personne ou l’inscription modificative la concernant aurait été réalisée par la production d’une pièce justificative ou d’un acte irrégulier et qu’il constate que cette information revêt un caractère sérieux, il en informe par lettre recommandée avec demande d’avis de réception la personne immatriculée et l’invite à produire des justificatifs complémentaires dans un délai de 15 jours. S’il n’est pas déféré à cette invitation, le greffier porte au registre mention de la demande de régularisation du dossier ainsi que la date d’inscription de cette mention (C. com., art. R. 123-125-1). La règle conforte le « devoir de suspicion » précédemment évoqué. Comment sera-t-il « informé » d’une suspicion d’irrégularité ? On imagine que le ministère public, les auxiliaires de justice, voire des clients ou des fournisseurs pourraient l’alerter. Au greffier d’apprécier le caractère « sérieux » de l’information et d’en tirer les conséquences. Le dispositif réglementaire énonce du reste une issue ferme : lorsque le greffier a porté au registre une mention de demande de régularisation du dossier, il radie d’office la personne qui n’a pas régularisé sa situation, à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de l’inscription de cette mention (C. com., art. R. 123-136-1). La radiation d’office est la sanction évidente, l’inertie de la personne confirmant la suspicion d’irrégularité. Évidente et suffisante ? La radiation n’empêche pas l’entrepreneur de fait d’exercer avec les risques que pareille situation fait peser sur les clients, fournisseur et consommateurs.

Valider les données commerciales
Le second aspect du décret n° 2022-1014 du 19 juillet 2022 est plus classique. Ce dernier précise les informations et pièces qui, inscrites ou déposées au sein du RNE, devront faire l’objet d’une validation préalable par les greffiers des tribunaux de commerce. Le décret y consacre sa sous-section 2, laquelle se compose de dispositions communes visant à organiser la transmission des données aux autorités compétentes et des dispositions particulières au greffier déterminant les modalités de son contrôle et de la validation desdites données.

  • Transmission des données au greffier par l’organisme unique

Les articles R. 123-267 et suivants du code de commerce comprennent les dispositions communes à toutes les autorités chargées de la validation préalable des données. Elles organisent en premier lieu la circulation de ces données. C’est ainsi l’« organisme unique » (C. com., art. L. 123-33) auquel sont adressées toutes les demandes d’immatriculation et celles complémentaires, qui transmet au greffier du tribunal de commerce les données qu’il doit valider, soit le « dossier unique » de l’article R. 123-7 du code de commerce. Le greffier communique sans délai sa décision au teneur du RNE par l’intermédiaire de l’organisme unique, étant ici précisé que les inscriptions d’informations et les dépôts de pièces validés sont identifiés au sein du RNE par une mention comprenant l’identité du greffier ayant procédé à la validation et la date de celle-ci (C. com., art. R. 123-267, al. 2). Sont cependant exclues de cette validation les informations relatives au numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques ainsi que les coordonnées téléphoniques et électroniques (C. com., art. R. 123-267, al. 3).

Les dispositions communes règlent, en second lieu, les éventuels conflits de compétence entre les autorités chargées de la validation des données (C. com., art. R. 123-268). Dans un tel cas, l’« organisme unique » saisit les autorités en suivant une forme de hiérarchie :

– par principe, le greffier du tribunal de commerce s’il figure parmi les autorités concernées ;

– à défaut, le président de la chambre de métiers et de l’artisanat de région ou, par délégation, le président de la chambre de métiers et de l’artisanat de niveau départemental compétente, ou si la validation porte sur des données relatives à une activité du secteur des métiers et de l’artisanat, « sur une déclaration d’affectation de patrimoine relative à une activité du secteur des métiers et de l’artisanat » (ce dernier point étant partiellement obsolète avant même d’être entré en vigueur du fait de l’abrogation de l’EIRL par la loi du 14 février 2022) ;

– la caisse de mutualité sociale agricole lorsque la validation porte sur des données relatives à une activité principale ou secondaire agricole au sens de l’article L. 311-2, 1° du code rural et de la pêche maritime.

  • Contrôle des données par le greffier

Un soin particulier est apporté pour déterminer le greffier compétent pour contrôler les données (C. com., art. R. 123- 270) en fonction du registre concerné : RCS évidemment, mais également Registre spécial des agents commerciaux (RSAC) et Registre spécial des entreprises individuelles à responsabilité limitée (RSEIRL). Validation et contrôle par le greffier sont à effectuer dans les mêmes délais que ceux aujourd’hui applicables (C. com., art. R. 123-271). Il restait à déterminer le périmètre matériel des diligences du greffier : c’est chose faite avec l’article R. 123-272 du code de commerce qui procède par renvoi aux dispositions intéressant les personnes physiques, d’une part (C. com., art. R. 123-243 à R. 123-245, R. 123-246, 1° et 3° et R. 123-247 à R. 123-251), les personnes morales d’autre part (C. com., art. R. 123-252 à R. 123-258, R. 123-259, 1°, 3° et 4°, R. 123-260 à R. 123-266), pour identifier les pièces et informations objet de la validation. Quant au contenu des diligences, de manière laconique, l’article R. 123-274 du code de commerce se borne à énoncer que « les contrôles des conditions nécessaires à l’accès à son activité et à l’exercice de celle-ci auxquels procède le greffier du tribunal de commerce (…) sont ceux prévus par les dispositions relatives au Registre du commerce et des sociétés, au Registre spécial des agents commerciaux ou au Registre spécial des entreprises individuelles à responsabilité limitée ». La pratique des greffiers devrait donc demeurer inchangée sur ce point. La validation d’une inscription ou d’un dépôt par le greffier entraîne la mention, au RNE, du registre tenu par le greffier auprès duquel la personne est inscrite (C. com., art. R. 123- 273, al. 2) ; réciproquement, le refus d’immatriculation d’une personne morale au RCS emporte refus d’immatriculation au RNE (C. com., art. R. 123-275, al. 1er). Le résultat des contrôles opérés est porté sans délai à la connaissance du teneur du RNE par l’intermédiaire de l’« organisme unique » (C. com., art. R. 123-269).

En conclusion, l’institution du RNE constitue sans doute une révolution qui bouleversera le paysage économique français : un registre unique, une information accessible, la révolution par la rationalisation. Cette révolution appellera sans doute quelques évolutions dans les pratiques des greffiers des tribunaux de commerce ; moins en réalité s’agissant de la densité des diligences, sous la réserve de l’attention accrue portée sur le risque de fraude documentaire, que concernant la circulation des informations et la nécessaire coopération avec l’INPI, chargé de tenir le RNE. Mais, tout change pour qu’au final, rien ne change : le greffier du tribunal de commerce continuera à être un des principaux piliers de la sécurisation de la vie des affaires.

  • D. n° 2022-1014, 19 juill. 2022 : JO, 20 juill.
  • D. n° 2022-1015, 19 juill. 2022 : JO, 20 juill.

Thierry Favario, Maître de conférences Université Jean Moulin Lyon 3

Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 167, octobre 2022 : www.cngtc.fr

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