Etude : « Il y a un réel élan de solidarité dans les Quartiers de la ville »
70 étudiants en 3e année de licence Administration, économique et sociale (AES) de l’université d’Avignon ont réalisé une étude sur les Quartiers politique de la ville (QPV) de Vaucluse. Ces travaux, intitulés « Derrière les clichés des quartiers prioritaires : Des formes d’attachements construites entre économies informelles et sentiments d’exclusion » viennent d’être présentés ce mardi 7 mai 2024 lors d’une restitution orale au sein de la faculté.
Les élèves de la promotion 2023-2024 de 3e année de la licence AES (Administration, économique et sociale) de l’Université d’Avignon ont effectué lors de leur 6e semestre une large étude autour des Quartiers politique de la ville (QPV) de Vaucluse constituée d’entretiens, d’études ethnographiques et de données quantitatives. Ce travail a été présenté ce mardi 7 mai lors d’une restitution orale menée par les principaux acteurs de cette étude, à savoir les étudiants qui ont présenté l’ensemble de leurs recherches lors d’une conférence à la faculté qui a réuni une centaine de personnes « notre premier travail c’était l’observation et la connaissance. Nous voulions savoir l’histoire de ces lieux populaires, l’histoire de ses habitants, puis nous avons noté lors de nos journées là-bas le déroulement des journées, les habitudes de chacun, les lieux fréquentés, la mémorisation des mots tout en jugeant positivement », annonce en introduction Shaima, une des étudiantes qui a élaboré cette étude.
« Nous voulions savoir l’histoire de ces lieux populaires, l’histoire de ses habitants. »
Shaima, étudiante en licence AES
Au final ce sont plus de 140 entretiens, qui ont été réalisés par les étudiants sur le terrain, dans les zones de Monclar, Champfleury, Saint-Chamand et la Rocade Sud à Avignon, les Amandiers-Eléphants à Carpentras, Générat/Establet à Sorgues ainsi qu’à l’Isle-sur-la-Sorgue. 70 femmes et 70 hommes ont accepté de répondre aux interrogations des étudiants lors de ce travail de fond afin de respecter une parité totale « on était par groupe de 7 ou 8 pour mener nos enquêtes, on s’est réparti les différents quartiers afin d’organiser au mieux nos visites et observations qui nous ont servi à nos notes ethnographiques et on a mis tout en commun lors du dernier mois » explique Elisa, 21 ans, étudiante en 3e année de licence AES.
L’attachement et l’enracinement aux Quartiers de la ville Ce projet avait pour but de mettre en avant les conditions des habitants de ces quartiers et de leur politisation. Il a été mené en collaboration avec Stéphanie Abrial, Christophe Parnet et Pierre Chiron, chercheurs scientifiques du laboratoire Pacte dans le cadre d’un projet financé par l’Agence Nationale de Recherche. Les deux premiers cités sont intervenus par visioconférence à la fin de la conférence pour appuyer les points principaux soulignés par les jeunes chercheurs avignonnais.
Pour structurer ce travail de ‘fourmi’, qui s’est déroulé sur 4 mois, les 70 étudiants ont choisi de construire leur travail méthodologique autour de trois parties définies après la mise en commun de tous les entretiens réalisés sur le terrain. Le premier axe s’est concentré sur le lien fort qui existe entre les habitants et les quartiers de la ville qui a permis de faire ressortir un profond attachement voir un enracinement ressenti par les résidents mais aussi la solidarité importante qui existe entre eux « nous avons effectué une grille d’entretien à partir de nos observations et des premières interactions que nous avons eu avec les habitants, on a parlé avec les associations, les acteurs sociaux et enfin les habitants, il en est ressorti en premier lieu un sentiment d’attachement au quartier où les individus tissent des liens propres avec leurs environnements et les leurs. Cela peut s’expliquer par une volonté de se réclamer d’un territoire repensé ou identifié négativement dans lequel le chômage prédomine sans possibilité d’issue ou d’échappatoire » constate Lorenzo, un étudiant de la licence.
« On est loin des clichés de violence véhiculés par les médias, il y a un réel élan de solidarité. »
Alexandre
Cette partie de l’étude a permis aux apprentis sociologues de relier ce sentiment à une sensation d’exclusion ou d’abandon qui résulte du regard des autres et des politiques municipales, c’est par ce prisme que l’attachement et le sentiment d’appartenance au quartier se construit selon les résultats de leurs entretiens.
Au fur et à mesure de l’avancée de l’étude, les élèves d’AES d’Avignon ont pu constater que ce sentiment d’appartenance s’accompagnait par une solidarité importante entre chaque individu vivant dans les Quartiers de la Ville. Une donnée importante dans un milieu souvent décrit comme propice aux règlements de comptes et à l’insécurité « on a pu remarquer au cours de nos semaines d’observations que plusieurs évènements comme des barbecues étaient organisés, ouverts à tous, sans distinctions d’âge ou d’origine ethnique. On a pu également noter que plusieurs dispositifs étaient mis en place par les jeunes du quartier pour aider les mères de famille à porter les courses ou les emmener à certains endroits, ce sont des faits caractéristiques selon nous car c’est révélateur de l’ambiance générale et des règles caractéristiques, on est loin des clichés de violence véhiculés par les médias, il y a un réel élan de solidarité » assure Alexandre, un des étudiants ayant participé à l’étude.
Des quartiers biens plus structurés qu’on ne le pensait La portée immersive de l’étude menée par les étudiants au sein des quartiers prioritaires les à mener à s’intéresser de plus près à la vie et à l’organisation socio-économique qui s’est crée et qui perdure au sein de ces zones qualifiées de prioritaires par les politiques publiques « nous avons constatés que les QPV sur le Vaucluse sont bien plus structurées et éparpillées qu’on pouvait l’imaginer, il était donc essentiel pour nous d’établir des notes ethnographiques et d’en faire plusieurs synthèses, ce qui nous a permis à partir de ce travail de récolter des datas. Ainsi, nous avons pu définir précisément des valeurs extrêmes sur la part des jeunes dans la population, le taux de diplômés du supérieur, le taux de chômage et le taux d’abstention, à partir de ces résultats nous avons pu faire des corrélations entre ces caractéristiques » détaille Alexandre.
Le quartier de Monclar détient le record de pauvreté en Vaucluse 75,5% de taux de pauvreté dans le quartier de Monclar avec une population majoritairement jeune à 51,4%, c’est le record sur le département du Vaucluse. Ce sont les chiffres récoltés par les étudiants de la licence AES d’Avignon, ils y ont noté également un taux d’abstention de 43,6%. Deux données mis en évidence et face à face car selon les auteurs de l’étude on peut noter une corrélation entre les difficultés économiques de la jeunesse des quartiers et la non-participation à la vie politique nationale. Le travail de fond effectué à permis de définir précisément le revenu médian au sein de ces 8 QPV vauclusiens, il s’élève à 950€ par mois, ce qui veut dire que sur un quartier de 10 000 habitants, c’est à partir de la 5 000e personne que cette dernière gagnera 950€ par mois dans ce quartier.
Beaucoup de clichés à déconstruire Cette étude a également permis de définir que c’est au sein du QPV de Champfleury, zone voisine de Monclar que le taux de chômage est le plus faible sur l’ensemble des quartiers concernés du département avec 18% de la population qui est sans-emploi et un taux de diplômés dans le supérieur au-dessus de la moyenne « la précision des chiffres et de ces études ethnographiques était fondamentale pour établir nos hypothèses et constats. Par exemple, on s’est aperçu suite à nos entretiens que le taux de population immigré le plus bas sur notre département était à l’Isle-sur-la-Sorgues avec 30% de population immigré et un taux de pauvreté qui était également le plus bas avec 51,4%, on a donc établi une corrélation entre le fait d’être immigré et le fait d’avoir des difficultés économiques ».
« Nous avons été confronté à la réalité des choses. »
Elisa
Au-delà des données, des chiffres et des constats, hypothèses ou corrélations tirées de leur travail, cette étude a surtout permis aux jeunes étudiants de la cité papale de découvrir un peu mieux leur territoire et de comprendre comment se passer la vie des habitants de ces zones prioritaires et comment ils faisaient face à leurs problématiques du quotidien « Cette étude nous a énormément nourri car nous avons été confronté à la réalité des choses. Cela nous a permis de nous apercevoir que, déjà, on prend conscience de l’écart des inégalités socio-économiques qui touchent ces zones prioritaires. Ensuite, on se rend compte que beaucoup de clichés sont complètement à déconstruire. Qu’ils sont faux, parce qu’en fait, ils sont beaucoup plus complexes et organisés que les idées qu’on laisse entendre. C’est fou comme la relation de confiance entre nous, chercheurs-étudiants, et les gens que nous avons interrogé s’est renforcé progressivement, dès qu’on s’intéresse un peu à eux et qu’on apprend à les connaitre, toutes les idées reçues se déconstruisent » conclut Elisa.
Etude : « Il y a un réel élan de solidarité dans les Quartiers de la ville »
La liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) en Vaucluse a été actualisée le 1er janvier 2024. Cette mise à jour prend en compte les évolutions socio-démographiques et socio-économiques des territoires concernés depuis 2014, date d’entrée en vigueur de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite ‘loi Lamy’. Au-delà de quelques ajustements marginaux de périmètres menés en concertation avec l’ensemble des maires concernés, le Vaucluse passe de 22 à 23 quartiers prioritaires toujours répartis sur 12 communes. C’est à Avignon que les changements sont les plus significatifs avec l’ancien périmètre Nord-Est qui devient officiellement Reine-Jeanne, Saint-Jean et Grange d’Orel. Apparaissent également les QPV Broquetons-Sainte Catherine ainsi que celui de Pont des Deux Eaux. Dans le même temps, 2 quartiers ont fusionné en un seul : les quartiers Camp Rambaud-Les Mérides et Joffre-Centre ville, sur la commune du Pontet.
70 000 Vauclusiens concernés « Ces quartiers bénéficieront de moyens additionnels aux mesures de droit commun afin de soutenir des actions au profit des publics les plus en difficulté, expliquent les services de la préfecture de Vauclus. Près de 70 000 personnes pourront être spécifiquement accompagnées, notamment en matière d’éducation, de santé, de parentalité ou encore d’emploi. Cette nouvelle géographie est désormais le périmètre pertinent pour le déploiement des nouveaux contrats de ville Engagement Quartiers 2030 qui seront déclinés par les collectivités locales avec l’appui de l’État, au cours du premier semestre 2024. »
Liste des QPV en Vaucluse :
Apt : • Centre ancien – Saint Michel
Avignon : • Monclar – Champfleury – Rocade Sud – Barbière – Croix des Oiseaux • Reine Jeanne – Saint Jean – Grange d’Orel • Saint Chamand • Pont des Deux Eaux • Broquetons – Sainte Catherine
Le Pontet : • Camp Rambaud – Les Mérides – Joffre – Centre Ville
Bollène : • Centre Ancien – Giono Valréas : • Centre ancien – Les Tours – La Gaillarde – Mistral – Sévigné
Carpentras : • Centre ville • Amandiers – Éléphant • Pous-du-Plan • Quintine – Villemarie – Bois de l’Ubac – Le Parc Monteux : • Vieux Moulin – Centre ville – Les Mûriers
Cavaillon : • Docteur Ayme – Condamines – Barillon – Saint Martin – Bon Puits – Saint Gilles – Ratacans • La Clède – Gare – Route de Pertuis – Sainte Anne
Le décret n° 2023-1314 du 28 décembre 2023 modifiant la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les départements métropolitains est disponible à cette adresse :https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048707389
Etude : « Il y a un réel élan de solidarité dans les Quartiers de la ville »
Entretien. La présidente du Grand Reims, Catherine Vautrin, est présidente de l’ANRU (Agence nationale de renouvellement urbain) depuis le 31 août 2022. Retour sur son engagement en faveur du logement et plus globalement sur l’évolution de la vie dans les quartiers.
Catherine Vautrin, vous avez été nommée Président de l’ANRU par le Président de la République le 31 août 2022. Quelle est votre mission à ce poste ? Catherine Vautrin : « En premier lieu, il est important de préciser que c’est une présidence non exécutive, c’est à dire qu’il y a une directrice générale de l’ANRU, Anne Claire Mialot, qui a été nommée début 2022. L’idée, quand le président de la République me propose de prendre la présidence, c’est d’avoir la même lettre de mission pour la présidente que pour sa directrice générale, c’est à dire entrer dans le vif du sujet. Il y a un peu plus d’un an, en mars 20222, Jean Castex, le Premier ministre de l’époque, a souhaité doter l’ANRU d’une capacité d’action en portant son budget à 14 milliards d’euros qui doivent être engagés entre maintenant et 2026. »
« L’idée, c’est d’être en capacité d’apporter une vraie réponse pour 453 quartiers en Métropole et évidemment dans les Dom Tom. Ce sont plus de 13 000 opérations qui sont concernées et l’objectif, c’est très concrètement d’accompagner ces quartiers. La grande novation, annoncée lors des journées de l’ANRU les 12 et 13 septembre 2022, c’est la notion de résilience et de quartiers résilients. »
C’est-à-dire ? « Les enquêtes démontrent que les habitants des quartiers sont celles et ceux qui génèrent le moins de gaz à effet de serre et ce sont pourtant eux qui supportent le plus les conséquences du réchauffement de la planète. Tout simplement parce qu’ils sont dans des quartiers dans lesquels les îlots de chaleur sont plus forts qu’ailleurs, les isolations sont moins bonnes, avec des problématiques de chauffage… Quand on additionne tout ça, on voit bien combien ils sont exposés aux changements climatiques. On ne peut donc pas passer à côté des réponses à leur apporter. C’est la raison pour laquelle, avec Quartier Résilient, on met en avant 100 millions d’euros qui doivent permettre d’accompagner les projets pour qu’ils soient plus résilients. Ça veut dire travailler sur du réemploi, regarder la gestion de l’eau ou ce que l’on fait en termes d’isolation thermique par exemple. »
Où en est-on aujourd’hui de ces grandes lignes ? « Nous sommes en train de travailler sur ces projets. Pas plus tard que le 11 mai dernier, j’ai rencontré les élus des Hauts de France et de Normandie à Lille pour faire un point avec eux sur ces sujets et sur la résilience : Comment est ce qu’on peut aller plus loin ? Comment est ce qu’on peut avancer sur ces chantiers ? Notre idée, c’est bien évidemment que quand on reconstruit, on réalise des logements qui soient évidemment totalement basse consommation et pratiquement positifs. En rénovation, on sera en BBC (Bâtiment basse consommation), ce qui veut dire une qualité de rénovation importante, ce qui a également un impact positif sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens puisque ce sont des logements dans lesquels les charges liées notamment à l’eau et au chauffage sont moins élevées. »
« Le deuxième point qu’on peut mettre en avant, c’est que quand on regarde le bilan opérationnel au 31 décembre 2022, sur les 14 milliards projetés, 13,5 milliards sont déjà validés dans les projets proposés par les différents territoires. Ce qui veut dire que 451 quartiers politiques de la ville (QPV) ont aujourd’hui un projet validé. On a validé sur l’exercice 2022, autant de projets que sur la période 2017/2021. Donc, en un an, on a fait plus que ce qu’on avait fait sur les quatre dernières années, ce qui est assez logique parce qu’un projet ANRU, c’est au départ une volonté municipale, des échanges avec les équipes de l’État, des discussions et des études. J’ai présenté au Conseil d’administration du 14 mars dernier le bilan au 31 décembre 2022 : 55 % des démolitions étaient engagées, 38 % de la reconstitution de l’offre était engagée, 37 % des réhabilitations, 16 % des résidentialisations et 25 % des équipements publics étaient engagés. »
« On voit bien qu’on est vraiment dans la phase concrète qui démarre. Et dans les quartiers, on commence à voir des évolutions tout à fait importantes. Une des particularités de l’ANRU c’est de laisser une grande place à l’innovation et aux initiatives des habitants et des partenaires : collectivités, bailleurs, associations… »
« Oui parce que l’ANRU, c’est aussi une belle capacité à faire des expérimentations. Par exemple quartier des Chatillons à Reims, il y a une expérimentation de logement senior avec un accès à l’ascenseur pour les résidents sur deux étages et chacun peut avoir, selon ce qu’il souhaite, soit un séjour, une chambre, salle de bain, cuisine, soit juste un studio. Et au milieu, il y a des pièces communes dans lesquelles les gens peuvent se retrouver et avoir des activités partagées, ce qui est extrêmement intéressant parce qu’on sait tous que la principale difficulté des gens âgés, c’est la solitude. Et là, on a une réponse très concrète à cette problématique. C’est aussi l’intérêt de l’ANRU : c’est un terrain d’expérimentation sur le vivre ensemble. Le sujet du vieillissement est un sujet fréquent parce que souvent, il y a eu peu de parcours résidentiel et on voit des gens qui sont dans leur logement depuis 40 ans, donc des gens qui ont besoin que dans ces opérations, on tienne compte de ces questions. En général, on remplace la baignoire par la douche à l’italienne, par exemple, des choses basiques mais qui permettent aux gens de rester chez eux, ce qui est un point extrêmement important. »
« Un autre élément important aussi c’est l’attachement des habitants à leur quartier. Exactement, c’est aussi la limite à la logique de mixité. Il faut être très prudent parce que bien sûr qu’il faut faire de la mixité, mais il faut absolument éviter que quelqu’un dise « On refait le quartier, donc ce n’est pas pour moi ». On peut reloger hors QPV, mais à la demande des gens. C’est un sujet très important et c’est pour cela qu’il faut discuter avec chaque habitant et répondre le mieux possible à son besoin. Quand les gens nous disent « ça fait 40 ans que je vis là, j’ai mes habitudes médicales, amicales, sociales et je ne veux pas quitter le quartier ». C’est important de le respecter. Voir son immeuble tomber, c’est déjà un traumatisme. Nos équipes sont très vigilantes sur ce sujet avec les bailleurs. »
« L’ANRU ça n’est pas que le logement, c’est vraiment une vision globale du quartier et de l’urbanisme avec tous les acteurs du quartier et de la ville. Très souvent, on refait des écoles et des maisons de quartier qui sont des lieux de vivre ensemble. Il n’y a rien de plus important que l’école au cœur du quartier. La maison de quartier, c’est là où souvent, il y a aussi le lien entre les familles, les différents habitants. Je suis aussi allée à Mayotte récemment, où on travaille sur une expérimentation qui consiste à anticiper les opérations de décasage pour apporter des choses typiques de Mayotte, c’est à dire des lieux dans lesquels les familles pourront avoir un espace de vie. L’ANRU, c’est la capacité à articuler tout ce que les pouvoirs publics peuvent avoir pour, à l’échelle du quartier, apporter des vraies réponses. Le logement, c’est le nid et la cellule de base de la famille. Ça se décline ensuite avec l’école qui est vraiment le lieu de l’acquisition des apprentissages en général. Et ça continue avec le centre social qui est le lieu de la culture, du sport, de l’échange, de la citoyenneté. Derrière tout ça, il y a une vraie démarche citoyenne globale. »
« On voit par exemple, dans une commune comme Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), comment la ville a considérablement évolué entre le premier projet de rénovation urbaine et aujourd’hui, avec un travail sur la mixité qui est extrêmement intéressant. Dans un autre domaine, j’étais il y a quelques temps à Val-de-Reuil (Eure), qui est la dernière commune nouvelle française créée dans les années 70, à 30 km de Rouen. Le maire, Marc-Antoine Jamet, y a fait un travail extrêmement intéressant. »
« À Troyes, il y a moins d’un mois, j’ai visité une école au cœur d’un quartier qui va être une école internationale où les élèves seront des élèves issus du quartier, mais avec des places sur dossier pour des élèves venant d’autres quartiers. Tous les élèves auront accès à une formation internationale, ce qui est un très bon moyen de faire arriver des élèves dans un quartier. Ce qui est très intéressant, c’est de voir les initiatives des élus dans les différents territoires. »
« J’étais à Nemours, où il y avait un quartier qui tournait complètement le dos à la ville et qui aujourd’hui, dans l’opération de NPNRU (Nouveau programme national de renouvellement urbain), a été ouvert. Moyennant quoi les commerçants disent « On voit des gens qu’on ne voyait jamais avant ». Parce qu’il y avait cette espèce d’obstacle qui faisait que les gens n’entraient pas dans le quartier. Toute la question, c’est comment être en capacité à rassembler tout le monde et à ouvrir ces quartiers ? C’est une constante que l’on retrouve quels que soient les endroits en France, cette démarche d’ouvrir le quartier, de créer des lieux de mixité où on essaie aussi d’avoir de l’activité économique et de créer de l’attractivité. »
Le logement social DR
Vous avez dit que les quartiers de 2030 devront être plus résilients. 2030, c’est demain… « C’est ce qu’on est en train de faire maintenant. Dans les rénovations en cours, c’est la filtration à la parcelle, c’est le traitement de l’eau, c’est l’isolation. Tous ces éléments qui font que les quartiers vont évoluer pour répondre aux défis du changement climatique. L’autre élément, c’est évidemment tout ce qui est artificialisation. Je pense notamment aux cours d’école. À chaque fois qu’on peut désimperméabiliser une cour d’école, cela permet de remettre des arbres et donc de lutter contre les îlots de chaleur. C’est vraiment un point majeur de la rénovation parce que souvent, ce sont des quartiers qui ont été terriblement artificialisés, avec un aspect très minéral. Dès qu’on peut remettre un aspect paysager, on le fait. On ne peut pas faire des forêts urbaines partout parce qu’on n’a pas le foncier, mais rien que désimperméabiliser des cours d’école, c’est déjà créer des îlots de fraîcheur. »
On parle beaucoup de l’envolée des prix des matériaux. C’est un sujet de préoccupation pour la concrétisation des projets ? « Oui, c’est un sujet, c’est une inquiétude pour certaines opérations. À ce stade, très franchement, je n’ai pas d’enveloppe d’inflation. Cela signifie que si le projet coûte X pourcent de plus, au moment où nous nous parlons, le budget de l’ANRU ne permet pas de rajouter X pourcent en plus. Il y a deux réponses à cela : la première, c’est d’abord de regarder si on modifie certaines opérations pour pouvoir les réaliser et en tenir compte. La deuxième, c’est de voir si cette hausse des matériaux va persister dans le temps ou pas. C’est un phénomène qui, pour l’instant, est encore récent. Parce que quelque part si on accepte tout de suite d’entrer dans cette hausse, on génère nous même la hausse. C’est un sujet qu’on suit avec beaucoup de prudence. »
« On entend tous parler d’une évolution, d’une crise de l’immobilier, on va regarder comment les choses évoluent dans les semaines et les mois qui viennent. Mais c’est un sujet sur lequel on est très vigilant. »
Avoir été ministre chargée de la Cohésion sociale. C’est un atout pour ce poste en particulier ? « Je pense que j’ai acquis une expérience intéressante et c’est un peu un retour aux sources parce que j’ai été dans l’équipe de Jean-Louis Borloo quand on a porté le plan de Cohésion sociale. Dans ce plan, il y avait toute une approche autour de l’ANRU. Quand Jean Louis Borloo a porté la création de cette agence, la volonté, c’était de rassembler toutes celles et ceux qui avaient capté la capacité à intervenir massivement dans les quartiers pour apporter des réponses très concrètes pour les habitants. Aujourd’hui, on est au cœur de ce sujet à l’ANRU avec des équipes dont je veux souligner le professionnalisme. Nous avons la chance d’avoir des équipes qui ont compris l’importance et l’urgence de la mission et qui sont vraiment des femmes et des hommes engagées aux côtés des collectivités. Parce que très concrètement, c’est un vrai programme partagé entre l’État, les collectivités et l’Agence. C’est vraiment le souhait du président de la République, de la Première ministre et du ministre du Logement, d’avoir ce lien direct, finalement, entre une agence de l’État et les partenaires. Car le financement de l’ANRU, c’est l’argent de la PEEC (Participation des employeurs à l’effort de construction). La PEEC, c’est l’ex 1% Logement donc c’est l’argent des entreprises pour le logement, c’est l’argent des bailleurs, c’est la Caisse des dépôts, c’est l’État… C’est le rassemblement de l’ensemble de ces acteurs qui permet d’accompagner les collectivités. Il y a aussi un financement des collectivités locales: villes, agglomérations, intercommunalités, métropoles, bien sûr, et les Régions pour des programmes qui, incontestablement, permettent de faire évoluer les territoires. »
Justement, l’ANRU est une Agence qui aura 20 ans en 2024. Vous avez récemment dit que vous souhaitiez avoir un regard sur les premières actions qui ont été menées il y a 10 ou 15 ans. « Tout à fait. On est en train de procéder à une évaluation du premier programme de rénovation urbaine. Le but de la manœuvre, et on rendra évidemment publique cette évaluation, c’est de regarder ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné. Il y a eu, par exemple, des rénovations légères. Est ce que la rénovation légère a porté ses fruits ? Est ce qu’elle a répondu à ce qu’on attendait ou pas ? L’idée, c’est vraiment d’analyser chacun des programmes. On travaille également avec les élus parce pour regarder 20 ans après où on en est et quels sont les enseignements qu’il faut en tirer. »
C’est aussi un projet qui a beaucoup évolué depuis sa conception par Jean-Louis Borloo. Que reste-t-il de l’ANRU de 2004 ? « La philosophie reste. La philosophie de rassembler tout ce qui tourne autour du logement et qui permet d’accélérer la rénovation parce que ce sont des lieux de la République qui étaient dans un état dont on ne peut pas se satisfaire, reste la réalité. Ce qu’on y a ajouté, c’est clairement l’élément résilience qui n’existait pas. En revanche, la vision à la fois globale sur la famille, le logement, l’école et les lieux de vie dans le quartier, ça, c’est le prisme global qui est resté plein et entier. La volonté de mixité et de faire des quartiers, des lieux de vie et non pas des lieux excentrés dans lesquels les gens du centre-ville ne vont pas, est restée la même, c’est à dire ouvrir la ville à ces quartiers ».
Quelle serait la plus belle réussite de l’agence aujourd’hui ? « Quand on a déménagé des habitants, on a fait des enquêtes de satisfaction pour savoir comment ça s’était passé et comment ils sont dans leur nouvelle vie. Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’à plus de 70 %, les gens nous expliquent qu’ils sont bien là où ils sont. Ils ne cherchent pas à bouger et on leur a redonné à la fois la fierté d’habiter dans leur quartier et le bonheur d’être là où ils sont. Il y a aussi dans les éléments positifs, des gens qui ont découvert des métiers parce que dans le cadre des heures d’insertion, ils ont pu trouver un boulot et qu’à partir de là, ils ont réussi à entamer une carrière professionnelle. »
Existe-t-il des évolutions ou des approches différentes sur les projets qui arrivent en post Covid. On a notamment évoqué l’ajout de balcons à certains logements… « Oui, ce qui est important, c’est aussi la capacité à évoluer. Le sujet dont on ne parlait pas du tout et dont on parle beaucoup en post-Covid, c’est l’accès à l’extérieur. Dans les évolutions qu’on mène, on fait très attention aux balcons, aux réserves. Parce que ça, évidemment, ce sont des enseignements que nous avons tirés et qui restent des points tout à fait importants. Il n’y a donc pas un projet aujourd’hui où on ne se pose pas la question de l’extérieur. Quand on est en réhabilitation, comment peut-on rajouter du balcon sur la façade ? Et quand on est en construction, on prévoit évidemment de l’extérieur. Et ça, c’est un point très important qui est vrai pour l’ANRU et qui est vrai pour le logement en général. C’est le sens de ce qu’on a fait à Reims avec la Charte d’attractivité résidentielle qui a été signée par nos partenaires du logement, aussi bien bailleurs que promoteurs privés. Dans cette charte ils s’engagent à ne pas faire une chambre de moins de 12 m2. On a travaillé sur l’espace, on a travaillé sur la qualité de ce qui est livré comme logement, ce qui est un point extrêmement important parce qu’on fait des logements pour que des gens y habitent. La qualité de ce qui est mis à disposition est donc indispensable. On parle de la taille du logement et de la qualité de ce qui est offert. Et sur l’exposition et notamment sur le traversant, parce qu’il n’y a rien de tel pour lutter contre la chaleur. Pouvoir faire des courants d’air, c’est quand même la meilleure ventilation qui soit. »
Comment se fait le travail avec les bailleurs ? Existe-t-il un cahier des charges ANRU par exemple ? « On travaille sur chacun des territoires avec les bailleurs qui sont regroupés dans leur fédération, l’Union sociale pour l’habitat, l’USH. Nous travaillons bien évidemment avec Action Logement de façon très importante, puisqu’il est un de nos principaux financeurs. Sur chaque territoire, le trio gagnant, c’est vraiment bailleurs, collectivités et ANRU. Et quand je dis ANRU, c’est au sens large du terme, c’est à dire avec les services de l’État localement. Nous faisons aussi des journées ANRU qui nous permettent d’accueillir beaucoup d’élus avec lesquels on travaille. Nos équipes ont des liens très forts avec les bailleurs et ces derniers siègent au Conseil d’administration de l’ANRU, donc on a des liens très forts avec eux. »
Pourquoi avez vous choisi de conserver la présidence du Grand Reims ? « La présidence de l’ANRU est, je le répète, non exécutive et bénévole. Donc, ce n’est pas un job à temps plein. Par ailleurs je pense que c’est mon expérience de présidente de la Communauté urbaine du Grand Reims et d’adjointe au logement à Reims – qui compte 45 % de logements sociaux – qui fonde quelque part ma position de présidente du Conseil d’administration de l’ANRU. C’est à dire qu’aujourd’hui, je suis dans une ville qui sait ce qu’est le logement social et qui est impliquée. Le fond de mon enracinement, c’est d’abord mon mandat d’élue locale et c’est celui auquel je suis évidemment attachée dans sa double lecture : une lecture très urbaine à Reims, mais aussi très rurale avec 143 communes. Cette ruralité nous permet d’échanger avec des départements beaucoup plus ruraux, parce qu’on a les mêmes logiques. Il ne faut pas oublier que dans la Communauté urbaine du Grand Reims, notre produit intérieur brut local a un point de plus lié à l’agriculture qu’au niveau national. C’est dire si l’agriculture et la viticulture restent des fondements économiques de notre territoire. Elles expliquent d’ailleurs cette très forte ruralité, parce qu’on utilise notre ruralité pour notre développement économique. D’où le respect, évidemment, de la non artificialisation. »
« Et si je parle de l’urbanité, on a à Reims, la densité la plus forte après la région parisienne et on est la première ville de logement social hors département 93. C’est dire si quelque part, le logement social à Reims, ça fait sens. »