2 septembre 2024 |

Ecrit par le 2 septembre 2024

L’Interview, Céline Lacaux, professeure des universités en mathématiques, spécialisée en probabilités statistique et chercheure à l’Université d’Avignon

L’association Soroptimist International Avignon organise une soirée ‘Femmes d’action, femmes d’exception’, qui se déroulera, sur réservation, Jeudi 19 septembre 2024 à 18h au Novotel Avignon centreCéline Lacaux, professeure des universités, spécialisée en probabilités de la statistique, chercheure et directrice du laboratoire de mathématiques à l’Université d’Avignon fait partie des invitées de la soirée aux côtés du capitaine Lise Trincaretto, du Service départemental d’incendie et de secours de Vaucluse ; de Caroline Clausse ingénieure navigante d’essais ; de Géraldine Parodi, scaphandrière et Présidente de Spero Mare qui exerce dans le BTP sous-marin et de Christine Gord directrice départementale de Vaucluse de la Banque de France. Réservation ici. L’Echo du mardi vous propose, en avant-première, d’aller à la rencontre de ces femmes d’exception.

Qu’est-ce qui vous a destiné à faire ce métier, une connaissance, un reportage, un lieu, une envie ?
«Je pense que toute petite je devais avoir envie d’autres choses mais c’est dès le collège, que j’ai pensé devenir professeure en mathématiques. Puis c’est devenu une passion au fur et à mesure des études, et particulièrement à la fac. C’est là que s’est véritablement développé mon goût pour les mathématiques. Il aurait d’ailleurs, plus tard, été impensable d’exercer ce métier sans éprouver de la passion pour cette matière. Ce que j’aime dans ce langage des chiffres ? Ce que les mathématiques disent : c’est vrai, c’est faux et le démontrent avec rigueur. Il y a de la beauté dans tout cela. Et puis, l’on en fait la démonstration, ce qui requiert à la fois de la concentration et d’appliquer ses connaissances. C’est aussi un métier avec lequel on apprend en permanence, notamment via les nouvelles mathématiques. Car les mathématiques regroupent de nombreuses branches. Les probabilités de la statistique sont ma spécialité.»

«Et puis, il y a le partage avec les autres.
Je travaille avec l’une de mes collaboratrices depuis la fin de ma thèse –en 2004- et j’ai de nombreux collaborateurs issus de l’international. Vous voyez, les mathématiques ne se travaillent pas forcément toute seule dans son coin. J’apprécie particulièrement le partage, c’est un mode de fonctionnement que j’avais déjà expérimenté avant d’arriver à Avignon en collaborant, notamment, avec des automaticiens à Nancy puis des biologistes et des géographes à Avignon.»

«C’est d’ailleurs un créneau de l’Université d’Avignon
qui a aussi pour objectif de déployer le pluridisciplinaire. Cela soulève de la difficulté parce que l’on sort des mathématiques standards pour s’écouter et s’entendre entre disciplines. Il faut apprendre à se comprendre. Certains de mes travaux sont aussi dirigés vers des applications médicales, même si je n’ai pas encore travaillé avec des médecins. Il y a d’un côté ces échanges avec des personnes qui ne sont pas mathématiciennes et de l’autre notre capacité à les entendre et à traduire leurs besoins dans notre discipline ce qui requiert une réelle gymnastique intellectuelle. J’ai également fait partie de l’encadrement, avec une collègue chimiste du CEA –Commissariat de l’Energie Atomique-, de la thèse d’un doctorant. Il faut appréhender le langage de chacun : chimiste, géographe, médecin, automaticien et construire des liens qui nous permettent de partager les savoirs et, surtout, de collaborer pour créer de nouveaux outils, applications et technologies. C’est très intéressant. Si j’adore faire et parler mathématiques avec d’autres mathématiciens, j’aime tout autant échanger avec des personnes qui ne sont absolument pas de cet univers. Pour cela, je ne travaille qu’avec des gens avec lesquels je m’entends bien. Si l’on ne s’entend pas, ça n’est pas qu’il y aura de la défiance, mais ça fonctionnera moins vite et moins bien.»

Comment avez-vous acquis toutes les connaissances requises pour exercer ce métier ?
«Il y a eu le collège, le lycée puis une classe préparatoire. Je savais que je voulais devenir professeure et non pas ingénieure donc mon choix s’est porté sur la fac avec l’obtention d’une licence, d’une maîtrise, de l’agrégation en 2000 et d’un DEA (Diplôme d’études approfondies). C’est à ce moment-là que j’ai commencé à découvrir la recherche. Depuis je voyage beaucoup à l’étranger pour donner des conférences et découvrir celles des confrères. Nous, chercheurs, avons pour habitude de publier nos travaux en anglais, car dans la recherche en mathématiques quasiment tout se fait dans cette langue, sur un serveur d’archives universitaires libre nommé Hal. Ainsi, si l’on émet des alertes dans un domaine d’intérêt, tout ce qui a été publié sur le sujet devient accessible.»

«Quant à l’intelligence artificielle ?
C’est un outil particulièrement intéressant qui peut néanmoins faire peur. Dans l’enseignement, se pose, par exemple, la question de l’évaluation de mémoires qui pourraient avoir été réalisés grâce à elle. Nous allons, petit à petit, nous saisir de l’IA (intelligence artificielle) et elle fait, je pense, évoluer nos pratiques pédagogiques. C’est aussi un domaine de recherche très actif en mathématiques et en informatique avec de nombreuses applications à fort enjeu sociétal.»   

Quelles ont été les étapes et les événements fondateurs de votre carrière ?
«Après le parcours classique, la fac et l’agrégation, j’ai obtenu un poste non permanent à Paris, puis un premier poste de maître de conférences à l’Ecole des Mines de Nancy en 2005. J’ai ensuite passé une habilitation pour diriger des recherches et prétendre à devenir professeure des Universités. Enfin, j’ai été recrutée professeure des Universités en 2015, à Avignon.»

Quels sont les mentors, les personnalités qui ont forgé votre vocation ?
«En premier lieu je dirais ma famille, car elle n’a pas apposé de stéréotype sur mon éducation selon que j’étais une fille et pas un garçon. Toutes les portes étaient ouvertes pour que je fasse ce que je souhaitais. Je n’ai pas eu de mentor mais j’ai eu le soutien de mon mari qui a accepté de déménager puisque pour un universitaire et chercheur en mathématiques, il est classique de changer de ville, parfois de département et de région pour progresser dans sa vie professionnelle.» 

Comment avez-vous abordé votre carrière et surmonté les épreuves ?
«Lorsque l’on embrasse la carrière de professeur et chercheur en mathématiques, on en connait le parcours et le détail des étapes. On passe une habilitation pour encadrer des doctorants et atteindre le grade de professeur. Une épreuve ? Je n’ai pas obtenu du premier coup mon poste de professeure. J’ai passé des entretiens où je n’ai pas été retenue. A chaque fois, derrière, je sentais grandir ma ténacité. On sait que le concours est très difficile à obtenir. On sait qu’il y a beaucoup de candidats et peu de postes. On peut rebondir, notamment lorsque l’on est très entouré et que l’on bénéficie du soutien de la maison. C’est aussi vrai tout au long de votre carrière avec vos collègues de travail qui parfois, deviennent aussi de grands amis. A un moment de la mienne, mes amies et moi avions à la fois un pied dans les études et l’autre dans la recherche. Oui, j’ai construit de belles, grandes et solides amitiés qui perdurent, dans mes postes antérieurs et actuels.»

Quelles compétences et qualités sont-elles essentielles dans votre domaine d’activité ?
«Il faut être rigoureux, posséder une importante capacité de concentration, ne pas avoir peur de l’échec, donc être tenace et, principalement, être curieux.»

Quels ont été les obstacles franchis et quels sont ceux qui ne s’effacent pas ?
«Je ne vis pas les choses comme des obstacles. Quand je n’obtiens pas ce que je veux, je me dis que ça n’est pas grave. Sur le moment cela agace et c’est même très attristant. Si l’on ne me reconnait pas ce travail, ça n’est pas grave, je continue et j’avance. Je ne peux pas citer d’obstacles qui restent encore un poids pour moi.»

Ce qui vous fait tenir dans l’adversité ?
«Le soutien de ma famille et de la profession.» 

Céline Lacaux DR

Quels regards hommes et femmes portent-ils sur votre façon d’exercer votre métier ?
«Il est compliqué parce que le domaine de la recherche en mathématiques n’est ni parlant ni concret pour les personnes qui ne sont pas issues du milieu. Elles ne savent pas quel est notre apport et lâchent souvent un ‘j’aime pas les maths’.» 

Les petits garçons vont-ils plus vers les mathématiques que les petites filles ?
«Merci d’aborder la question. C’est effectivement vrai. En mathématiques, il y a deux groupes, ce qu’on appelle les mathématiques fondamentales et les mathématiques appliquées. En mathématiques fondamentales, sur le total des enseignants-chercheurs, tous corps confondus, il y a seulement 17% de femmes. Et en mathématiques appliquées, domaine auquel je suis rattachée, nous atteignons les 30%. Effectivement, il y a beaucoup moins de femmes.»

«J’ai notamment observé cela lorsque j’enseignais en école d’ingénieur,
il y avait des années où il n’y avait quasiment pas de filles dans les promotions d’étudiants qui prenaient le parcours mathématiques. Cela pose effectivement la question de la parité homme-femme. Ainsi des femmes vont être sur-sollicitées parce qu’elles sont moins nombreuses que les hommes. Donc, on fait toujours appel aux mêmes femmes pour respecter les règles de parité dans les comités que l’on doit composer.»

Pourquoi les filles empruntent elles moins les parcours de sciences que les garçons ?
«On a des associations qui, justement, étudient cela. Elles portent, dans ce sens, des actions vers les lycéennes, comme le camp ‘Les cigales’ (Centre international de rencontres mathématiques) à Luminy qui propose des stages de mathématiques aux filles. Le problème vient effectivement de ce qui se passe au collège et au lycée. C’est à ce moment-là, à mon avis, qu’il faut agir. Je pense nécessaire de mettre plus l’accent sur les mathématiques et le français. Et il faut dire aux filles qu’elles possèdent la capacité de tout réussir car elles doutent beaucoup plus d’elles que les garçons. Est-ce que c’est un problème sociétal ? De stéréotypes ? Faut-il une prise de conscience des familles et des enseignants ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr ? Nous aurons gagné lorsqu’il n’y aura plus de clivage garçon-fille.»

Quels sont les avantages et les inconvénients à être une femme dans un milieu d’hommes ?
«Oui, on peut dire que je travaille dans un milieu d’hommes, ce que je constate notamment lors des conférences que je donne ou auxquelles j’assiste. Pourtant, dans la vie quotidienne, je suis entourée de femmes, du coup, je n’ai pas l’impression d’évoluer dans un milieu dévolu aux seuls hommes.»

Quel conseil donneriez-vous à une femme qui voudrait faire carrière dans votre milieu ? 
«Il ne faut pas ériger, devant soi, des barrières, mais croire en soi et rejeter les stéréotypes que peuvent véhiculer les métiers où les femmes sont peu nombreuses.»

Le mot de la fin, une devise ?
«Etre rigoureux, concentré, absorber l’échec, et ne surtout pas en avoir peur, pour mieux rebondir, car ce sont les échecs qui nous forgent. Enfin, il faut être curieux.»

Les partenaires de cette deuxième édition de la soirée Femmes d’action, femmes d’exception
Le Novotel Avignon centre, la Chambre de commerce et d’industrie de Vaucluse, l’Agence La Chamade à Avignon, Les Femmes chefs d’entreprises Vaucluse (FCE) et les Femmes Vignes Rhône et l’Echo du mardi.

Le programme de la soirée
18h – 18h30 : Accueil ; 18h30 – 19h : Mot de la présidente – présentation de la bourse Envie d’entreprendre Avignon ; 19h – 21h30 : Interventions des invitées puis échanges avec la salle. 21h30 – 22h30 : Moment convivial et d’échanges autour de planches de charcuterie, fromage et dessert.

Les infos pratiques
Jeudi 19 septembre à partir de 18h. Soirée Femmes d’action, Femmes d’exception 2e édition. Soroptimist International Avignon. Novotel Avignon centre. Inscription obligatoire 25€ ici.

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