22 juillet 2024 |

Ecrit par le 22 juillet 2024

La fin des rues sans nom

Depuis le 1er juin, toutes les villes de France devraient avoir attribués un nom à l’ensemble de leurs voies communales et procédés à la numération des habitations. Une obligation qui devrait faciliter les dessertes des ruraux et en particulier en cas d’urgence. Mais choisir et attribuer un nom de rue n’est pas un choix tout à fait anodin…

Ne pas avoir de nom c’est dans bien des cas ne pas avoir d’existence. Comment se faire raccorder à la fibre, bien recevoir son courrier ou des colis et surtout donner des indications aux services de secours sans avoir une adresse précise ? C’est souvent compliqué. C’est la raison pour laquelle il dorénavant fait obligation à toutes les communes de donner un nom à chacune de ses voies publiques ou privées et de numéroter par la même occasion toutes les habitations.

S’il s’agit de la place Marcel Pagnol il n’y a pas à priori trop de difficultés
Le choix des noms des rues est une compétence qui revient au conseil municipal et toute décision doit faire l’objet d’une délibération. Cependant, le maire conserve  « le droit de contrôler les dénominations et d’interdire celles qui seraient contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs ». S’il s’agit de la place Marcel Pagnol il n’y a pas à priori trop de difficultés mais quand la mairie de Paris a décidé de rebaptiser le parvis de Notre Dame du nom du Pape Jean-Paul II, la question a dû être tranchée devant les tribunaux et cela jusqu’en cassation. Certains élus de la ville prônant le respect du principe de laïcité ont été, in fine, déboutés.

On peut ne pas avoir envie d’habiter rue Joseph Staline !
En d’autres temps nombre de municipalités communistes françaises ont baptisé des rues Joseph Staline. Aujourd’hui, il n’en subsiste qu’une seule et elle se situe sur la commune d’Essômes-sur-Marne, dans l’Aisne. Mais quand on sait que « le petit père des peuples » est à l’origine de la mort de plus 20 millions de ses compatriotes, auquel il convient d’y ajouter 28 millions de déportés, on peut ne pas avoir envie d’habiter rue Joseph Staline !

D’une manière générale les femmes sont sur moins de 10 % des plaques, quand il s’agit de personnalités
De toutes les personnalités c’est sans surprise le général de Gaulle qui a, aujourd’hui, le plus de boulevards, d’avenues et de rues. 3 900 dénominations dont 1 056 places et 21 quais pour être précis. Mais précisons que le Général n’a donné son patronyme à aucune impasse. Ouf. Aucun maire, même le plus farouche anti gaulliste, n’aurait pris ce risque… En tout cas, c’est la preuve que l’homme du 18 juin mais aussi celui qui a redressé la France au sortir de la deuxième guerre mondiale est encore bien présent dans la mémoire collective. Les plaques de nos rues sont là pour nous le rappeler. Après de Gaulle, c’est Louis Pasteur qui monte sur la deuxième marche du podium avec 3 354 odonymes, suivi de Victor Hugo avec 2255 odonymes. Quant à la première femme, la France ne faillit pas à sa tradition patriarcale et misogynie puisque Marie Curie n’arrive qu’en 17ème position avec 999 occurrences. D’une manière générale les femmes sont sur moins de 10 % des plaques, quand il s’agit de personnalités. Joli score Messieurs !

 Ainsi, en Provence on ne compte plus les rues ou les chemins des oliviers
C’est au Moyen-Âge que l’on commence a donné des noms aux rues. Et à cette époque on faisait simple. Les noms des rues étaient issus les lieux auxquelles elles conduisaient. La rue de l’église conduisait, je vous le donne en mille, à l’église. C’est d’ailleurs le nom de rue qui est toujours le plus attribué en France. 7 965 rues et 5 755 places. Il fallut attendre ensuite le tout début du 17ème siècle pour qu’une dose de créativité soit introduite. On adopta des noms qui n’avaient plus de rapport avec le lieu. La révolution apporta ensuite ses rues de la Liberté et places de la Nation. Napoléon mettra en avant ses maréchaux méritants et quelques victoires militaires. En 1870, après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle à l’Allemagne de nombreuses villes entrèrent en résistance et baptisèrent des rues du nom de Strasbourg ou de Metz… C’est un peu l’histoire de notre pays que l’on retrouve à la lecture des plaques de rue. Au 20ème siècle c’est l’éclectisme qui l’emporte avec quelques aspirations plus bucoliques comme les noms de fleurs ou d’arbres notamment. Le panorama ne serait pas complet sans évoquer ces noms qui prêtent à sourire comme la rue Jean Eymar à Gap, le chemin de Lanusse à Toulouse, la rue des mauvais payeurs à Dieulefit, ou encore l’impasse Bidon à Toulon. Avec une mention spéciale pour l’impasse Taga (lire à voix haute) à Thouaré-sur-Loire. Pour ce qui est de la Provence, on ne compte plus les rues ou les chemins des oliviers. Qui s’en plaindra ?


La fin des rues sans nom

Il y a 50 ans disparaissait Marcel Pagnol, sans doute l’un des meilleurs attaché de presse de la Provence, de ses hommes, de ses paysages et de son art de vivre. Mais que reste-t-il aujourd’hui de son œuvre ? Des clichés surannés empreints de nostalgie ? L’image d’une certaine France, dont les valeurs semblent s’être évanouies ? Peut-être pas tant que cela…

Marcel Pagnol aura été pour des générations d’écoliers, auxquels j’appartiens, un premier pas dans le monde de la littérature et ensuite, d’une certaine manière, dans celui du cinéma. Mais Pagnol était plus, bien plus que cela. C’était la mise en scène d’un modèle, de ce que pouvait être au fond la vie, avec ses valeurs et son organisation sociale. Je m’y retrouvais, je m’y projetais. J’étais le petit Marcel qui partait chasser la perdrix avec son copain Lili dans les collines d’Aubagne.

Le monde de Pagnol était et reste encore comme une bulle, un lieu refuge. Son œuvre est avant tout un éloge des choses simples et authentiques, au-delà de la peinture sociale, parfois sarcastique mais toujours bienveillante. Un univers où la nature à la fois dure et généreuse, rythme la vie de ceux qu’elle accueille. En résumé, ce qui nous manque aujourd’hui !

« Il est universel, sauf peut-être en Chine »

Fernandel

Ensuite, j’ai compris que Pagnol était plus qu’un écrivain régionaliste. Après avoir été un auteur succès pour le théâtre, il a été un grand cinéaste et grand un producteur. Il aimait à dire que le cinéma était née le même jour et au même endroit que lui. Il a été de ceux qui ont beaucoup contribué à populariser le cinéma parlant, qualifié à l’époque par certains esprits chagrins de « théâtre en conserve ». Aujourd’hui, Marcel Pagnol fait partie de ces permanences comparables aux traces laissées par des Dumas, Cocteau, Prévert ou Brassens. « Il est universel, sauf peut-être en Chine » disait Fernandel, qui joua dans 6 de ses films. Jean-Luc Godard prétendait que son cinéma avait influencé le néo-réalisme italien et l’école du cinéma vérité. Il a été, en France, le premier à avoir utilisé des décors naturels. « Du cinéma qui tient le coup » disait le réalisateur et co-fondateur de la nouvelle vague. Le cinéma de Pagnol a trouvé aujourd’hui dans les films de Robert Guédiguian un digne héritier : mêmes sujets, même sensibilité, mêmes unités de lieu, et même mode de fonctionnement …. des bandes de copains qui font du cinéma et prennent du plaisir.

« Il a même donné naissance au qualificatif de « pagnolesque »

On ne saurait rendre hommage à cet ambassadeur de la Provence sans se remémorer quelques dialogues savoureux. Dans la scène de la partie de carte du film Marius, où César (joué par Raimu), après le très fameux : « tu me fends le cœur », lâche au comble de sa mauvaise foi « si on ne peut pas tricher entre amis ce n’est pas la peine de jouer aux cartes » ! Ou encore Fernand Charpin dans le Schpountz  qui s’adresse à Fernandel : « tu n’es pas bon à rien, tu es mauvais à tout ! ». Avec ses personnages hauts en couleur, ses dialogues grandiloquents et truculents le petit monde de Pagnol est unique. Il a même donné naissance au qualificatif de « pagnolesque ». Le plus bel hommage que notre langue pouvait lui rendre à part peut-être de le rebaptiser « Marseille Pagnol » !

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