Malgré la conjonction des incertitudes sur les marchés internationaux puis l’impact de la crise sanitaire liée au Covid-19, les vins de la Vallée du Rhône ne manquent pas d’atouts pour sortir leur épingle du jeu dans un secteur qui reste fortement concurrentiel.
Pour Michel Chapoutier, président d’Inter-Rhône l’interprofession des vins de la Vallée du Rhône depuis 2014 il est indéniable que la crise sanitaire du Covid-19 « a affecté directement l’ensemble des opérateurs de la filière viticole. » Ainsi, dès le mois de mars, un recul important des volumes en sorties de chais a été observé, avec une baisse de -20% sur le mois de mars 2020 par rapport à mars 2019.
Cette tendance s’est accentuée dans les semaines qui ont suivi puisque les sorties de chais du mois d’avril affichent un recul de 30 %. Outre une baisse voire une disparition des commandes, la filière locale déplore aussi des difficultés logistiques, tant pour les expéditions vers la France que vers l’étranger, ainsi que des problèmes d’approvisionnement. La désertion des caveaux de vente a frappé également de plein fouet les appellations pour lesquelles la vente directe est un circuit important, telles que le Duché d’Uzès, Cornas, Vinsobres, Grignan-lès-Adhémar, ou encore les vins doux naturels de Rasteau.
« Le confinement, un véritable coup d’arrêt porté aux moments de convivialité. »
« L’effet de la crise est différent d’un pays à l’autre, traduisant la dimension culturelle des réactions à la crise et des habitudes de consommation, précise Etienne Maffre vice-président. Chine et Etats-Unis proposent deux modèles opposés –avec une forte baisse de la consommation dans l’empire du milieu tandis qu’Outre-Atlantique on observe un maintien, voire une progression, de la consommation pendant la crise. » En Chine, pendant la crise du Covid les exportations françaises ont reculé de -35% sur le 1er trimestre 2020 (-37% pour la Vallée du Rhône). L’annulation des festivités du Nouvel An chinois et la fermeture des restaurants ont fortement accentué le recul de la consommation de vin et particulièrement des vins français.
Toutefois, quel que soit le pays (France compris), le confinement, véritable coup d’arrêt porté aux moments de convivialité et à la vie sociale via la mise à l’arrêt forcée du secteur CHR (cafés, hôtels, restaurants) et les regroupements familiaux ou entre amis, a été brutal, touchant plus durement les AOC (Appellations d’origine contrôlée) pour lesquelles le circuit traditionnel national est majoritaire, telles que Saint-Joseph, Crozes-Hermitage et Condrieu.
« L’importance du e-commerce dans la distribution du vin va se pérenniser. »
« Le principal circuit gagnant de la crise est le e-commerce, constate Philippe Pellaton vice-président d’Inter-Rhône. Quel que soit le pays, ce circuit a enregistré les plus forts taux de progression et devrait devenir incontournable. » Aux Etats-Unis, en dépit de la fermeture des restaurants, la vente de vin en ‘off-trade’ a enregistré un véritable boom sur la période (+29,5%). Durant celle-ci, les Américains ont développé de nouvelles habitudes de consommation à domicile pendant mais aussi en dehors des repas. En Chine aussi, le e-commerce serait le grand gagnant de la crise. Il a encore renforcé son poids dans la distribution et représenterait 25% des ventes de vins. Dans le même temps, la restauration, les cavistes et les supermarchés ont également été fortement touchés avec des effets négatifs sur le moyen et haut de gamme. Petite révolution cependant dans les linéaires de vin de la grande distribution, les Côtes-du-Rhône y deviennent l’AOP (Appellation d’origine protégée) de France la plus vendue (en volume) et devancent, pour la première fois de leur histoire, les Bordeaux.
« Tout porte à croire que l’importance du e-commerce dans la distribution du vin va se pérenniser et se développer au-delà de cette période, poursuit Philippe Pellaton, la crise sanitaire a poussé de nombreux acteurs à se tourner vers ce circuit et à investir dans des outils et solutions de vente en ligne, dont les effets devraient perdurer. » Un monde d’après qu’Inter-Rhône n’a pas peur d’affronter.
« Airbus met les vins français dans la difficulté. »
Mais avant de se focaliser sur le monde d’après, Michel Chapoutier rappelle qu’il y a aussi le monde d’avant. Celui où les vignobles de la Vallée du Rhône avaient déjà été mis à mal par la guerre commerciale que se livrent l’Europe et les Etats-Unis au sujet de l’aéronautique. A l’automne, un arbitrage rendu par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) jugeant illégales les subventions européennes accordées à Airbus a autorisé les Etats-Unis à mettre en place des taxes sur les produits importés d’Europe pour un montant de 7,5 milliards de dollars. L’administration Trump a donc mis en place de nouvelles taxations qui sont entrées en vigueur le 18 octobre 2019. Parmi les produits touchés, les vins tranquilles français, espagnols et allemands, au degré d’alcool inférieur à 14°, ont été impactés par une taxe à hauteur de 25% de leur valeur. Les exportations françaises ont subi le contrecoup de ces taxes et ont enregistré un recul sur les 2 derniers mois 2019, effaçant les très bonnes performances du début d’année.
« La perte de ce marché a blessé notre filière régionale, explique Michel Chapoutier qui rappelle que les Etats-Unis « constituent le 1er marché à l’export avec 25% de notre chiffre d’affaires mais surtout 50% de nos marges. L’Etat doit donner de l’argent aux viticulteurs, car ce n’est pas à nous de rembourser ce qu’il a donné à Airbus. » A cela s’ajoute le Brexit et les inconnues concernant les échanges avec le Royaume-Uni qui, avec 142 000 hl par an, reste un débouché majeur pour les vins de la région ainsi que le ralentissement de l’économie chinoise avec des importations de vins en Chine en recul depuis le second semestre 2018. Pourtant les représentants d’Inter-Rhône restent optimistes car ils estiment que les vins de la Vallée du Rhône ne manquent pas d’atouts pour faire face à cette adversité.
« De nombreux atouts à faire valoir. »
Pour relever les défis ‘du monde d’après’, l’interprofession veut notamment miser sur ses 500 caveaux « devenus des lieux de vente importants pour les entreprises du vignoble (ndlr : jusqu’à 10 à 25 des ventes selon les appellations). Véritables lieux d’accueil pour le consommateur, ils permettent de dégager des marges supérieures à celles qui sont réalisées dans des circuits plus intéressants pour les intermédiaires. » Par ailleurs, avec 14 millions de touristes qui se déplacent chaque année dans les trois régions dans lesquelles sont produits nos vins, l’oenotourisme représente un potentiel que la filière se doit de développer encore. Depuis plus de dix ans, l’interprofession accompagne les opérateurs dans le développement et la structuration de l’offre oenotouristique. « Nous sommes la première région viticole à avoir fait certifier des routes des vins », se félicite Etienne Maffre. L’incertitude sur les voyages internationaux pousse également les opérateurs à miser davantage sur la clientèle hexagonale. Les budgets communication et développement d’Inter-Rhône, jusqu’alors affectés à hauteur de 70% à l’export vont être rééquilibrés (2 M€) au national (50%). L’interprofession veut également miser sur des vins plus accessibles en blanc ou en rosé ainsi qu’en servant des rouges plus frais. « Les blancs sont certainement l’avenir de notre territoire », assure Etienne Maffre.
« Nos vignobles de la Vallée du Rhône attaquaient l’année 2020 avec de solides atouts et une bonne compréhension des enjeux auxquels nous devions faire face, conclut Michel Chapoutier. Des difficultés se présentaient sur certains marchés à l’exportation ou en France, mais nos appellations ne traversaient pas de crise structurelle. Le Covid est arrivé. Nos marchés, nos circuits, nos entreprises ont été ébranlés et un temps désorientés par cette crise conjoncturelle. Entre les impacts immédiats, comme l’effondrement des circuits traditionnels, et des évolutions plus durables, tel que le e-commerce, cette crise nous oblige à dresser un état des lieux et à se questionner sur le monde d’après. » Le plan de relance s’exprime ainsi, sur 3 axes : l’accompagnement des prescripteurs (cavistes, acheteurs, sommeliers ou journalistes), la réponse aux attentes des consommateurs et la maîtrise des marchés.