2 septembre 2024 |

Ecrit par le 2 septembre 2024

L’interview, Caroline Clausse, ingénieure navigante d’essais

L’association Soroptimist International Avignon organise une soirée ‘Femmes d’action, femmes d’exception’, qui se déroulera, sur réservation Jeudi 19 septembre 2024 à 18h au Novotel Avignon centreCaroline Clausse ingénieure navigante d’essais, fait partie des invitées de la soirée aux côtés du capitaine Lise Trincaretto, du Service départemental d’incendie et de secours de Vaucluse, de Céline Lacaux, mathématicienne et chercheure à l’Université d’Avignon, de Géraldine Parodi, scaphandrière et Présidente de Spero Mare qui exerce dans le BTP sous-marin et de Christine Gord, directrice départementale Vaucluse de la Banque de France. Réservation ici. L’Echo du mardi vous propose, en avant-première, d’aller à la rencontre de ces femmes d’exception.

Qu’est-ce qui vous a destiné à faire ce métier ?
«Mes deux parents étaient déjà dans l’aéronautique, papa pilote dans l’armée de l’air et maman technicienne en aéronautique, au sein de la Direction générale de l’armement des essais en vol (DGAEV). J’ai, ainsi, hérité de leur passion commune : les aéronefs qui est un terme générique regroupant tout appareil capable de se déplacer dans les airs comme les avions, les hélicoptères, les aérostats… C’est ainsi que j’ai assisté, depuis ma tendre enfance, à de nombreux meetings aériens et événements qui se déroulaient sur les bases où la famille était affectée. Nous avions même, parfois, la possibilité de nous glisser dans les cockpits. Le summum ? Alors que papa finissait sa carrière à Salon-de-Provence, j’ai pu assister aux entraînements de la Patrouille de France, le mercredi, lorsque je rentrais pour déjeuner à la maison. C’était magnifique. J’ai finalement toujours été baignée dans cette passion familiale.»

Comment avez-vous acquis toutes les connaissances requises pour exercer ?
«Par des moyens détournés car il n’y a pas de voie royale pour devenir ingénieur navigant d’essais (INE), de multiples voies peuvent y mener dès la trentaine, voire à la quarantaine. En fait, petite, je voulais devenir pilote de chasse, un métier qui exige une vue parfaite alors que la mienne était déjà corrigée, donc je savais que je ne pourrais pas prétendre à ce métier. Or, maman, dans son univers professionnel, côtoyait des ingénieurs naviguant d’essai –INE-. Elle évoqué cette possible voie pour assouvir ma passion. Pour cela, il fallait passer un bac S (scientifique), intégrer une école d’ingénieur et, ensuite, organiser mon propre parcours jusqu’à intégrer l’une des écoles qui forment à ce métier.»

Quelles ont été les étapes et les événements fondateurs de votre carrière ?
«Je dirais, en premier, être née dans une famille où tout d’abord la profession de mes parents puis mon enfance ont été rythmés par les meetings aériens et plus tard, les vols d’entraînement et de présentation de la patrouille de France. Après mon bac, j’ai entamé deux années de classe préparatoire au lycée militaire d’Aix-en-Provence où j’ai adoré faire mes études. Pourquoi ? Parce que c’est un lieu d’exception qui vous demande de vous surpasser en permanence, avec des professeurs et des élèves extrêmement motivés qui ont, tous, la volonté de donner le meilleur d’eux-mêmes. Nous étions là de notre propre volonté avec cette envie d’étudier, d’être très concentrés et assidus. Lorsque l’un d’entre nous éprouvait des difficultés, nous étions plusieurs à l’aider. Le sport y était obligatoire et c’était vraiment ce qu’il nous fallait pour évacuer les tensions et nous défouler. Ça a été deux ans de travail acharné et aussi un merveilleux souvenir.»

Caroline Clausse DR

«Puis j’ai intégré, durant trois ans,
l’école d’ingénieur ISAE ANSMA (Ecole nationale supérieure de mécanique et d’aérotechnique) située à Poitiers. J’ai ainsi pu effectuer mes stages chez Dassault, ainsi qu’à la DGAEV à Istres et chez Airbus Hélicoptère, en soufflerie. C’est ainsi que j’ai obtenu le diplôme d’ingénieur de l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et d’Aérotechnique (ISAE en SEMA). Lors de ces trois années, j’ai également commencé ma licence de pilote privé à l’aéroclub de Châtellerault.»

Quels sont les mentors, les personnalités qui ont forgé votre vocation ?
«Je citerai trois femmes dont les impressionnants parcours m’ont passionnée : le commandant Caroline Aigle, la première femme pilote de chasse de l’armée de l’air (Ndlr après Elisabeth Boselli en 1946) ; Virginie Guyot qui a intégré la prestigieuse Patrouille de France et en fut le Leader en 2010, et, enfin, le lieutenant-colonel Claire Mérouze qui a été la première femme à piloter un rafale en 2010. Toutes avaient en commun une volonté et une détermination hors du commun.»

Comment avez-vous abordé votre carrière et surmonté les épreuves ?
«Avec détermination. Même si les diplômes et l’envie d’entrer à la DGA étaient là, j’ai d’abord fait mes armes dans le privé en travaillant chez Airbus puis à la Snecma devenue Safran Aircraft Engines. A cette période de ma vie, j’ai beaucoup voyagé aux Etats-Unis, mais je n’ai pas oublié d’envoyer une candidature libre à la DGA EV (Direction générale des armées en vol), à la suite de quoi la structure m’a contactée puis embauchée.»

Quelles compétences et qualités sont-elles essentielles dans votre domaine d’activité ?
«Je crois qu’il faut beaucoup de détermination, de remises en question, notamment lorsque ça ne va pas assez vite, que l’on n’a pas effectivement ce que l’on veut. Il faut alors être réaliste et faire ses preuves. Parce qu’en réalité, au plus profond de soi, nous savons ce que nous voulons. Alors il faut nourrir cette confiance en soi, afin que la hiérarchie vous sente capable, notamment, de faire de nouvelles formations comme celle de l’EPNER Ecole du personnel navigant d’essai et de réception à Istres, qui forme les ingénieurs navigants d’essai (INE) ainsi que des pilotes d’essai. C’est le Sésame pour réaliser nos essais en vol. Quatre grandes écoles proposent cette formation dans le monde : une à Istres, une en Angleterre et deux aux Etats-Unis. La formation s’étend sur une année durant laquelle l’on travaille de façon très assidue sans quasiment s’arrêter. C’est un peu l’équivalent d’une année de prépa en termes de charge de travail et de concentration. A tel point que c’est une année formatrice où l’on apprend à connaître ses limites et où l’on n’atteint pas la perfection.»

Caroline Clausse aux côtés d’un pilote, DR

Qu’est-ce qui fait tenir dans l’adversité ?
«Le sport, la course à pied, principalement le cardio, le Pilates, ce qui permet de se défouler, d’éliminer les tensions. Je pratique tout ce qui est en rapport avec la respiration profonde.» 

Quels regards hommes et femmes portent ils sur votre façon d’exercer votre métier ?
«De l’intérieur, je percevais les hommes que je côtoyais comme des super héros parce que quoi qu’il se passait, ils ne laissaient rien transparaitre. Tout semblait glisser. J’étais impressionnée. Mais il suffit qu’une personne évoque une maladie, pour que les langues se délient elles aussi, juste un instant. Conclusion ? Chacun de nous a des propres failles sur lesquelles il travaille. Aujourd’hui, dans notre milieu, nous pratiquons beaucoup le sport et la méditation.»

Le même regard, de l’extérieur ?
«C’est un métier où l’on travaille avec les forces armées et également les industriels à l’étape la plus proche qui suit la conception des systèmes, puis on commence les tests sur banc d’essais, puis au sol, pour ensuite intégrer ces systèmes sur aéronefs et les livrer aux forces armées. Donc le regard que portent les personnes de l’extérieur sur nous est notre capacité à conduire un projet très concrètement et dans les temps impartis. C’est un regard sur notre faculté à écouter, entendre, comprendre et à réaliser des projets.»

«En règle général nous possédons un très bon relationnel
pour, notamment, pouvoir accéder à une collecte plus large d’informations. Cette facilitation des échanges permet à tous de travailler dans le même sens et la même direction. Le projet avance alors, de façon idéale, et arrive ainsi plus vite à maturité. Après, il est question de budget, partie qui nous échappe complètement et qui, pourtant, présidera à l’atteinte ou non des objectifs.»

Quelles compétences et qualités sont-elles essentielles à votre métier ?
«Il y en a plusieurs comme bien se connaître, savoir se dépasser, nourrir une importante motivation, aimer travailler sur des systèmes de pointe et de développement ce qui exclut tout droit à l’erreur, savoir se maîtriser et connaître la résilience (capacité à surmonter les chocs traumatiques).»

«Je pourrais ajouter
être humble et se remettre en question au bon moment. Et lorsqu’il y a un doute, oser poser la question. Cette façon de faire a déjà sauvé des équipages : alors que le pilote était concentré sur ses manœuvres, le copilote remarquait quelque chose d’anormal et le signalait, ce qui permettait de tout de suite rectifier une anomalie. Il est donc essentiel d’être réactif et de savoir communiquer en équipe.»

Quels sont les obstacles franchis et ceux qui ne s’effacent pas ?
«Il est difficile pour moi de répondre à cela parce que je fais le métier de mes rêves. Egalement les chemins sont nombreux et différents pour arriver à ce métier, ce qui fait que l’on y accède principalement autour de la trentaine, voire de la quarantaine, avec de multiples et différents parcours de vie. Parfois en ayant, auparavant, exercé dans le privé tandis que d’autres sont arrivés à cette formation sans avoir quitté l’armée. »

Les obstacles qui ne s’effacent pas ?
« Je n’ai pas réussi, tout de suite, à intégrer l’école parce qu’il a fallu que je repasse un oral. Pour moi ça a été un très gros échec qui m’a permis de retravailler ce manque de confiance. J’en suis sortie plus forte parce que j’ai gagné en assurance. J’ai d’ailleurs abordé différemment mon année de formation, de façon plus sereine et plus en conscience.»

Ce qui m’a fait tenir dans l’adversité ?
«J’avais, durant la formation, la chance d’être proche géographiquement de ma famille, alors, lorsque j’avais un coup de mou, je pouvais facilement la rejoindre le week-end. J’ai ainsi toujours pu compter sur ma famille et mes proches.»

Quels regards portent les hommes et les femmes sur votre métier ?
«En fait, tout le monde connaît le métier de pilote et peu le métier d’ingénieur navigant d’essais. Je suis donc obligée d’expliquer ce que je fais aux personnes qui sont extérieures au monde de l’aéronautique. Mais lorsque j’échange avec eux, ils se révèlent très intéressés et nos discussions sont toujours très enrichissantes.»

Quels sont les avantages et les inconvénients à être une femme dans un milieu d’hommes ?
«Au chapitre des inconvénients, les propos masculins, dits souvent sur le ton de la plaisanterie et sans aucune arrière-pensée, peuvent sembler anodins. Pourtant leur impact peut être vécu de façon plus importante. Alors que, paradoxalement, d’autres hommes sont comme statufiés, n’osant plus rien dire, semblant presque mal à l’aise, comme entravés. Il y a cet effet de balancier qui, dans un sens comme de l’autre, est outrancier, complexifiant les relations hommes-femmes et qui empêche d’atteindre une certaine neutralité bienveillante –lorsque le balancier s’immobilise en un juste milieu- pour donner accès à une relation simplifiée, sereine et apaisée dans la relation hommes femmes.»

L’autre inconvénient ?
«Nos combinaisons ne sont pas pratiques. Les hommes ont des combinaisons qui leur permettent d’aller se soulager rapidement parce qu’ils ont une fermeture éclair placée au bon endroit alors que nous devons nous déshabiller entièrement ce qui prend trop de temps. Egalement, pour nous mettre en tenue, nous nous mettons dans nos bureaux respectifs, chacun notre tour. Et parce qu’il faut gagner du temps, nous ne pouvons pas prétendre à rejoindre des vestiaires trop éloignés. Donc il faudra encore un peu plus de temps à l’administration française pour palier ces usages et intégrer la mixité.»  

Caroline Clausse, DR

Les avantages ?
«J’étais déjà dans cette équipe lorsque j’étais ingénieure au sol. Je connais la Marine et l’Armée de l’air. J’y ai déjà fait mon trou dans le passé. A l’issue de ma formation, j’ai pu réintégrer l’équipe pour réaliser le métier de mes rêves. Je les remercie de me faire confiance et je vais continuer à faire mes preuves. Quel que soit son métier, on ne peut se réaliser et avancer que si l’on acquiert la confiance de ses pairs. Ça fait partie de l’intégration. De même je me rappellerai toujours avoir été soutenue dans mon choix de poste par un expert avion.»

Quel conseil donneriez vous à une femme qui voudrait faire carrière dans votre milieu ? 
«Aujourd’hui tous les métiers sont ouverts aux femmes. Il ne faut plus ériger de barrières par rapport à cela. Si l’on a la détermination et les compétences, alors il faut foncer et tenter. J’ai pu vérifier le ‘Qui ne tente rien n’a rien.’ Et avec le temps je me rends compte que j’ose. Mon métier est de tout tester, toute la journée. C’est comme ça que j’ai envoyé une candidature libre. Il faut croire en nos rêves et se battre pour ce qui nous anime.»

Le mot de la fin, une devise ?
«Tous les métiers sont désormais ouverts aux femmes. La force et la détermination sont indispensables pour réaliser ses rêves. Il faut vraiment oser et apprendre à rebondir. Ma force intérieure est nourrie par ma passion.» 

Les partenaires de cette deuxième édition de la soirée Femmes d’action, Femmes d’exception.
Le Novotel Avignon centre, la Chambre de commerce et d’industrie de Vaucluse, Agence la Chamade à Avignon, Les Femmes chefs d’entreprises Vaucluse (FCE) et les Femmes Vignes Rhône et l’Echo du mardi.

Le programme de la soirée
18h – 18h30 : Accueil ; 18h30 – 19h : Mot de la présidente – présentation de la bourse Envie d’entreprendre Avignon ; 19h – 21h30 : Interventions des invitées puis échanges avec la salle. 21h30 – 22h30 : Moment convivial et d’échanges autour de planches de charcuterie, fromage et dessert.

Les infos pratiques
Jeudi 19 septembre à partir de 18h. Soirée Femmes d’action, Femmes d’exception 2e édition. Soroptimist International Avignon. Novotel Avignon centre. Inscription obligatoire 25€ ici.

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