22 décembre 2024 |

Ecrit par le 22 décembre 2024

L’IP Box(1) pour les ‘happy few’

A la retraite depuis le 1er janvier dernier, Philippe Lechat, fondateur du cabinet d’expertise comptable Axiome Provence et désormais président de ‘Les Aulnes conseil’, évoque la taxation des revenus de brevets et autres revenus de la propriété intellectuelle.

Une réforme fiscale de 2019 est un peu passée inaperçue des experts-comptables et des PME. Il s’agit de la modification du régime de taxation (favorable) des revenus de la propriété intellectuelle.
Jusqu’en 2019, il existait un régime de faveur pour la taxation des revenus de brevets et autres revenus de la propriété intellectuelle. Pour les sociétés ces revenus étaient taxés au taux de 15% au lieu du taux normal (28% en général pour les PME) mais, nous sommes d’accord, cela concernait peu de PME.

L’article 238 du CGI précise désormais que :

  • D’une part les revenus de logiciels créés par l’entreprise sont clairement éligibles au dispositif,
  • D’autre part la base de calcul de cet impôt à taux réduit est claire : Il s’agit des revenus issus des logiciels originaux protégés par le droit d’auteur.
  • Enfin le taux est réduit à 10 % de ces revenus.
  •  

La réforme est issue d’un alignement international de la fiscalité française sur le sujet, le but est bien évidement d’attirer en France les entreprises créatrices de logiciels ou de brevets (ou d’éviter au moins qu’elles ne partent à l’étranger…). Pour ce faire, est introduite la notion de ‘Nexus’ qui réserve ce régime à la quote-part des revenus issus de l’entreprise et d’une recherche localisée en France.

En conséquence, les sociétés qui produisent en France des logiciels, pour les louer sous forme de redevance à leurs clients, disposent désormais d’un régime de faveur extrêmement intéressant.

Bien évidemment, qui dit avantages dit contraintes (surtout pour le fisc français …), il est donc nécessaire de documenter de façon extrêmement précise l’ensemble du dossier afin de démontrer :

  • que l’entreprise est bien celle qui a créé le logiciel (si elle l’a acheté, cela ne fonctionne pas aussi bien …)
  • qu’elle l’a créé en France (et pas en Inde ou à Londres…)
  • que la partie de ses revenus correspondant à des licences d’utilisation dudit logiciel est bien identifiée (et pas noyée dans un package global, matériel, maintenance, redevance…)

Vous l’aurez compris, le contentieux fiscal va être abondant sur cette affaire !

Si cela vous tente, je ne saurais trop vous rapprocher de votre conseil spécialisé habituel qui se fera un plaisir de traiter l’IPBOX en plus de votre CIR(2) annuel, par contre négociez bien les honoraires, en général cela pique un peu.

Philippe Lechat

  • (1) IPBOX : Intellectual Property Box (A prononcer : « AIE-PI-BOX » si vous voulez faire moderne…)
  • (2) CIR : Crédit impôt recherche

L’IP Box(1) pour les ‘happy few’

En 2020, les 39 millions de Français qui utilisent les réseaux sociaux y consacrent en moyenne 1 heure 42 par jour1 ; même pendant leur temps de travail. Cet usage n’est pas sans incidence sur la productivité et la relation de travail. Alors, quelles sont les règles et les limites ? Franck Singer, associé de Vivaldi Avocats Paris, répond aux 3 questions les plus fréquentes.

Peut-on utiliser librement les réseaux sociaux au bureau pendant son temps de travail ?
« Oui, selon l’article L. 1121-1 du Code du travail qui pose le principe ‘Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché‘. Pour autant, la connexion internet est l’un des moyens mis à la disposition du salarié pour lui permettre d’exécuter son travail. Et si la CNIL admet une tolérance d’utilisation à titre privé, tout est question de proportion : l’usage doit rester exceptionnel. Se connecter sur Facebook en arrivant au bureau est devenu un automatisme pour nombre de salariés ; un réflexe quotidien qui peut couter cher. »

« Licenciement pour faute grave d’un salarié connecté 41 heures en un mois. »

« Ainsi, le licenciement pour faute grave d’un salarié qui s’était connecté pour une durée totale d’environ 41 heures en un mois à raison de plus de 10 000 connexions sur des sites non professionnels durant le temps de travail et depuis son poste (!) n’a pas fait débat et a été jugé fondé. Mais l’usage proportionné n’étant pas quantifié par la loi, il appartient aux juges de trancher en la matière. Dans son arrêt du 13 juin 2013, la Cour d’Appel de Pau a validé le licenciement d’une salariée qui utilisait Facebook une heure par jour pendant son temps de travail et condamné non pas l’acte en lui-même, mais sa fréquence, qui l’empêchait d’exercer les tâches pour lesquelles elle était rémunérée. Pour éviter tout contentieux, la prudence s’impose. »

L’employeur peut-il contrôler cette utilisation ?
« Oui, si elle s’effectue à partir des outils de travail mis à disposition du salarié par l’entreprise. Pour assurer notamment la sécurité informatique de l’entreprise et se prémunir du risque de propagation de virus, l’employeur peut légalement contrôler le disque dur de l’ordinateur de son salarié, même en son absence… Ce qui lui permet de savoir s’il utilise internet pour des motifs professionnels ou personnels, combien de temps il y passe, ses horaires de consultation et les sites consultés. »

« L’employeur peut légalement contrôler le disque dur de l’ordinateur de son salarié, même en son absence. »

« Il peut donc interdire l’accès à certains sites ou aux boîtes aux lettres personnelles. Toutefois, lorsqu’un tel contrôle est réalisé, ce dispositif, détaillé poste par poste, doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL. Le règlement intérieur de l’entreprise ou/et la charte informatique peuvent également interdire tout ‘usage abusif d’internet à des fins personnelles’. Dans ce cas, la preuve d’un abus répété suffit à faire peser sur son auteur un risque de sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. En revanche, l’employeur ne dispose d’aucun moyen de contrôle à l’encontre d’un salarié qui utilise un smartphone personnel. Mais même dans ce cas, Facebook peut rester un moyen de preuve d’une utilisation abusive si le salarié a un compte public et s’y montre particulièrement actif… A contrario, l’employeur ne peut rien contre celui qui utilise un compte privé et un smartphone personnel. »

Peut-on divulguer sur les réseaux sociaux des contenus relatifs à l’activité de l’entreprise ?
« Le droit d’expression des salariés est garanti par l’article L. 1121-1 du Code du travail mais il n’autorise pas pour autant de porter tort à son employeur, qui est légitimement en droit d’attendre de son salarié qu’il exécute son contrat de travail dans le respect de l’obligation générale de loyauté et de confidentialité. Ainsi, la publication sur Facebook par une salariée d’une photo de la nouvelle collection de prêt à porter présentée exclusivement à certains membres de l’entreprise, a été lourdement sanctionnée par la Cour de Cassation le 30 septembre 2020, et ce, alors même qu’elle avait été effectuée sur son compte privé. »
« La Cour a validé le licenciement disciplinaire en constatant que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par une autre salariée qui était autorisée à accéder au compte Facebook de la salariée licenciée. Elle a donc considéré que le procédé d’obtention de la preuve n’avait pas été déloyal et justifiait la production d’éléments portant atteinte à la vie privée, car elle était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. Le paramétrage privé du compte Facebook n’est donc pas un blanc-seing pour s’exprimer sans limites. »

*Etude Digital 2020 France – ‘We are Social et Hotsuite’


L’IP Box(1) pour les ‘happy few’

Alors que Gérard Arnault vient d’être réélu président du tribunal de commerce d’Avignon, ce dernier vient de dresser le bilan de l’année 2020 de sa juridiction. Contrairement à ce que l’on peut observer en temps de crise, l’activité a baissé par rapport à 2020.

« Je n’affirmerai pas que l’année 2020 soit la pire année jamais vécue car cela ferait preuve d’une certaine amnésie historique mais elle restera sans contexte une année qui marque l’Histoire », a expliqué le président Gérard Arnault lors de l’audience solennelle de rentrée du Tribunal de commerce (TC) d’Avignon.
Ce dernier, tout juste réélu pour 4 ans, a rappelé « la volonté de la communauté internationale de répondre à la pandémie de la Covid-19, en privilégiant la vie, au détriment de l’économie et des libertés fondamentales est un choix civilisationnel qui fait et fera date. Ce choix est évidemment lourd de conséquences économiques et sociales. »
Une situation qui entraîne de grandes incertitudes sur de nombreux secteurs de notre économie, sur le devenir de la dette publique, sur les effets sociaux de cette pandémie et sur la reprise de l’économie… »

Nomination d’un référent numérique
S’organisant dans l’urgence pour faire face au premier confinement, les juges du tribunal de commerce de la cité des papes ont, malgré les contraintes, réussis à « assurer leur mission, en tenant des audiences en visioconférence, soit de contentieux général ou de référé, soit de procédures collectives aux fins de traiter des plans sociaux comportant de l’emploi salarié ou des audiences de prévention afin de venir en aide aux chefs d’entreprise en difficulté. »

« L’apport décisif de nos greffiers en cette année 2020 si spéciale. »

Et Gérard Arnault de rappeler que ces derniers n’ont pas hésité à sacrifier les vacances judiciaires afin de tenir ces audiences. En effet, lors du 2e confinement les juges vauclusiens ont décidé, à l’unanimité, de poursuivre leur activité.
« Leur dévouement désintéressé au service de la justice commerciale s’inscrit dans une longue tradition de règlement des litiges par des référents de la société civile, qui a pris naissance au milieu du XVIe siècle et n’a depuis jamais été démentie par l’Histoire », a ainsi insisté le président.
Gérard Arnault a ensuite souligné « l’apport décisif de nos greffiers en cette année 2020 si spéciale. Nous leur devons d’avoir pu tenir des audiences et de multiples réunions en visioconférence, ce qui a permis à notre tribunal de continuer à assurer ses missions. »
Un développement des nouvelles technologies qui s’est notamment matérialisé par la nomination d’un référent numérique dans chaque tribunal et une plateforme d’échange de bonnes pratiques entre tribunaux.

Moins d’activité qu’en 2019
Contrairement au période de crise, l’activité du tribunal de commerce de la cité des papes a baissé en 2020 par rapport à 2019. Cette baisse touche l’ensemble des 134 tribunaux de commerce de l’Hexagone. Ainsi, malgré une chute de l’activité économique du pays de 9% du PIB, les défaillances d’entreprises ont baissé de 34,6% avec une accélération en fin d’année (-37%).
Cette baisse des défaillances d’entreprises dans un contexte de baisse de l’activité est paradoxale, constate le président du TC. Elle s’explique par les effets des aides publiques, que sont principalement le Prêt garanti par l’Etat (PGE), le dispositif d’activité partielle, les exonérations de charges sociales et le fonds de solidarité. Ces soutiens ont permis à beaucoup d’entreprises de résister à la crise mais aussi parfois, de cacher des situations compromises qui ne résisteront pas à l’arrêt de ces soutiens. »

« Accorder une certaine indulgence dans les actions de recouvrement. »

Vers une explosion des défaillances en 2021 ?
« Il y a tout lieu de penser qu’avec la fin de ces soutiens et le remboursement du PGE, la réalité économique apparaîtra et entraînera une explosion des défaillances d’entreprises. »
Cette perspective inquiète Gérard Arnault qui anticipe déjà une mise ‘sous tension’ de son tribunal, notamment dans un territoire où l’économie est particulièrement dépendante du tourisme, de la culture ou des transports.
« Pour amortir ces effets et sauver les entreprises affectées par la crise mais économiquement viables, je forme le souhait que la réduction des aides publiques soit progressive et que les modalités spéciales soient trouvées pour traiter leur dette Covid. L’objectif étant ainsi d’éviter une chute brutale de l’activité économique avec toutes les conséquences sociales que nous connaissons. »
Dans cette optique, le président du TC invite les services collecteurs et les créanciers institutionnels de « continuer à accorder une certaine indulgence dans leurs actions de recouvrement » afin de faciliter leur trésorerie et éviter de les précipiter vers la liquidation judiciaire.

Davantage de commerces en 2020
Outre la baisse importante des défaillances d’entreprises, le TC d’Avignon a constaté une baisse de 20% du nombre d’affaires en contentieux général « ce qui, aussi, est paradoxale dans ce contexte économique difficile. »
Par ailleurs, lors de l’année écoulée, le nombre des immatriculations (4 921) a diminué de -12,72% en Vaucluse. Cependant, dans le même temps celles des commerçants a augmenté de +4,43% alors que toutes les autre catégories sont en retrait : société commerciales (-22,52%), sociétés civiles (-15,81%), Groupement d’intérêt économique – GIE (-75%).
Ce bilan est également très disparate d’un territoire à l’autre : -14,02% d’immatriculations pour le Pays du Mont-Ventoux, -5,72% pour les Pays des Sorgues, -4,85% en Haut-Vaucluse, +4,72% dans le Grand Avignon et +47,28% pour le Luberon.

« Souvent le chef d’entreprise tarde trop à réagir face aux difficultés. »

A l’avenir, pour « éviter une chute brutale de l’activité économique avec toutes les conséquences sociales que nous connaissons », Gérard Arnault rappelle que « face à la crise sanitaire, de nombreux dispositifs ont été mis en place par le législateur afin de soutenir les entreprises déjà en difficultés et adapter les mesures de prévention aux exigences de la situation actuelle. Aujourd’hui, la plupart de ces dispositifs ont été prolongés jusqu’au 31 décembre. »
Dans l’arsenal des outils de prévention, le TC d’Avignon dispose ainsi de procédures préventives contractuelles et confidentielles prévue par le code du commerce comme le mandat ad hoc et la conciliation. La seconde alternative présentant l’avantage de suspendre les poursuites individuelles.
« Souvent le chef d’entreprise tarde trop à réagir face aux difficultés qu’il rencontre. Ces procédures sont confiées à des experts économiques et financiers. Ils apportent alors tout leur savoir-faire pour résoudre, le plus tôt possible, les difficultés financières auxquelles sont confrontées les entreprises qui y ont recours. Les entreprises qui emploieront ces dispositifs auront de meilleures chances de rebondir après cette crise sans précédent, qui va contraindre nos entreprises à s’adapter à une nouvelle économie. »

Trois nouveaux juges et un retour
Trois nouveaux juges intègrent le tribunal de commerce d’Avignon. Il s’agit de Caroline Dauba, Sébastien Legrand et Bruno Dal Palu élus pour un mandat de 2 ans. Par ailleurs, Gérard Bries, juge pendant 9 ans à Avignon, fait son retour au sein de la juridiction commerciale qui accueille également Bertrand Heyndrickx, juge expérimenté provenant du tribunal de Versailles où il a exercé pendant 8 ans. Tous deux sont désignés pour 4 ans. Dans le même temps André Escande, Michel Juge, Philippe Lesaffre et Jean-Pierre Marchenay sont réélus pour un mandat de 4 ans alors que Jacques Sorbier est reconduit comme vice-président.
Cette audience solennelle de rentrée a été aussi l’occasion pour le président Gérard Arnault de remercier « les cinq juges qui nous quittent en 2020 pour leur travail. »
« Par leur disponibilité et leurs compétences, ils ont contribué à faire de ce tribunal une référence en matière de justice, respectueuse du justiciable et des règles de droit » a-t-il poursuivi afin de saluer l’investissement de Fredy Picavet, Michel Raoux, Kévin Bourse, Nicolas Reissi et Romain Vignoli.


L’IP Box(1) pour les ‘happy few’

Il convient d’être vigilant lors de la rédaction d’une clause de non concurrence en prévoyant à la fois le principe de renonciation par l’employeur mais également ses modalités (délai, forme), sous peine de voir cette renonciation privée d’effet. Dans sa dernière publication, Olivier Baglio du cabinet d’avocat avignonnais Axio revient sur ces principaux points.

La comptable d’un cabinet d’avocat avait signé un contrat de travail prévoyant son embauche à compter du 11 septembre 2015 et le principe d’une clause de non concurrence assortie d’une contrepartie financière avec faculté de renonciation par l’employeur dans le mois suivant la rupture par lettre recommandée.

La salariée devait mettre fin à sa période d’essai le 27 octobre 2015. L’employeur devait lui faire parvenir un mail dès le 28 octobre 2015 la libérant de la clause de non concurrence.

Par un arrêt rendu le 21 octobre 2020 (Cour de Cassation n°19-18.399), la Cour de Cassation devait considérer que la clause de non concurrence n’avait pas été valablement dénoncée et faire droit au versement de l’intégralité de la contrepartie financière au bénéfice de la salariée.

La Cour de Cassation, cassant en cela l’arrêt contraire rendu par la Cour d’Appel, rappelle en effet que :

  • l’employeur peut insérer dans le contrat de travail une clause de non concurrence ayant vocation à s’appliquer à l’expiration des relations contractuelles dans les conditions d’espace et de temps déterminées et en contrepartie du verse­ment d’une indemnité financière ayant la nature de salaire.
  • la renonciation à l’application de cette clause est toujours possible à condition toutefois qu’elle ait été prévue par les dispositions contractuelles ou conventionnelles et qu’elle intervienne dans les formes requises par ces dernières.

 

Au cas d’espèce, la renonciation était intervenue par mail et non par lettre recommandée si bien qu’elle était inopposable à la salariée quand bien même l’employeur rapportait la preuve que celle-ci avait parfaitement été informée dans le délai de la levée de ladite clause.

Faute pour l’employeur de respecter strictement les modalités de renonciation prévues dans le contrat de travail, la renonciation sera privée d’effet et la clause de non concurrence applicable avec toutes les conséquences de droit.

Il convient par conséquent d’être vigilant lors de la rédaction des clauses de non concurrence en prévoyant à la fois le principe d’une renonciation par l’employeur mais également ses modalités (délai, forme). Il conviendra surtout de respecter à la lettre les modalités de renonciation stipulées sous peine d’inopposabilité au salarié.

Par Olivier Baglio

Par un arrêt rendu le 21 octobre 2020 (Cour de Cassation n°19-18.399), la Cour de Cassation considère que la clause de non concurrence n’ayant pas été valablement dénoncée, le versement de l’intégralité de la contrepartie financière au bénéfice du salarié fait droit.


L’IP Box(1) pour les ‘happy few’

Le député Raphaël Gauvain, membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale est l’auteur du rapport visant à « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». En ce début d’année, il revient sur la possible expérimentation de l’avocat en entreprise et ses effets.

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a récemment annoncé qu’il envisageait la possibilité d’expérimenter, dans certains barreaux, le statut d’avocat en entreprise. Pensez-vous que ce soit une bonne nouvelle pour la profession ?
Raphaël Gauvain : « C’est avant tout une très bonne nouvelle pour le pays. De nombreux rapports tirent la sonnette d’alarme depuis 20 ans : la réflexion juridique interne à l’entreprise n’est pas protégée en France, et peut servir de base à une incrimination pénale future ainsi qu’à une exploitation par son adversaire dans un procès civil. »
« La France est le dernier pays au monde à ne pas protéger la confidentialité des avis et consultation juridiques des entreprises. De ce fait, nos entreprises sont aujourd’hui en situation de très grande vulnérabilité dans les procédures extraterritoriales au civil comme au pénal. Il existe également un risque important à court terme de délocalisation des directions juridiques des grands groupes français mettant en périls plusieurs dizaines de milliers d’emplois à haute valeur ajoutée. »
« Notre inertie jusqu’à maintenant s’explique par une double opposition de certains avocats et des autorités d’enquêtes. Il faut le reconnaitre que la réforme est difficile, car il n’existe pas de solution alternative. »
« Une profession réglementée de juriste d’entreprise dotée d’une confidentialité limitée aux seules procédures civiles serait totalement inefficace. Tous les experts qui ont travaillé la question s’accordent sur le sujet. Seule la création d’un statut d’avocat en entreprise permet de s’assurer de la portée et de la reconnaissance de la confidentialité de la réflexion juridique des entreprises. Et, cette confidentialité doit être globale, et être opposable aux autorités d’enquête pénale ou administrative. Il ne peut pas y avoir de réforme a minima. »

« Les effets bénéfiques de la réforme seront nombreux. »

Aujourd’hui, les freins sont les craintes de certains avocats, notamment celle que les entreprises ne fassent plus appel à leurs services d’avocat. Qu’en pensez-vous en tant qu’ancien avocat ?
« C’est à mon sens une erreur. Il faut sortir d’une vision malthusienne de la profession. L’offre crée la demande. Les avocats présents dans l’entreprise feront évidement appel à leurs confrères restés en Cabinet. La réforme profitera à tous. C’est une évidence. »
« Il faut rappeler que la profession n’est pas contre la réforme, elle est historiquement divisée sur le sujet. Je pense néanmoins que l’on peut arriver aujourd’hui à une solution qui réunisse le plus grand nombre. »
« La voie de l’expérimentation est excellente, en laissant à chaque barreau le choix d’instaurer l’avocat en entreprise. L’autre point important est celui de maintenir le principe de l’accès à la profession institué par l’article 98 du décret du 27 novembre 1991. Les juristes d’entreprise devront ainsi avoir le CAPA ou une expérience d’au moins 8 ans pour devenir avocat en entreprise. C’est une garantie essentielle, et légitime, pour sortir de ce fantasme d’une arrivée massive et immédiate de 15.000 juristes dans la profession. »
« Surtout, cette réforme de l’avocat en entreprise doit être menée de concert avec celle du renforcement du secret professionnel. Cette nouvelle confidentialité de l’avis juridique en entreprise est le prolongement naturel de l’actuel secret professionnel. Le Garde des Sceaux est très mobilisé sur le sujet. C’est une opportunité historique d’avoir un confrère à la tête de la chancellerie. Il faut l’aider. Les avocats doivent se mobiliser. »

Et en ce qui concerne l’opposition des autorités d’enquête comment peut-on les convaincre ?
« Il faut se méfier des arguments sur la prétendue paralysie des enquêtes qui résulteraient de la réforme. Ces mêmes allégations avaient été utilisées pour s’opposer à la présence de l’avocat en garde à vue. Elles avaient conduit la France à une humiliante condamnation par la CEDH en 2011. Nos principaux partenaires économiques protègent les avis et consultations juridiques des entreprises sans que cela n’empêche le recueil matériel des preuves ni le succès des enquêtes pénales. La réforme proposée consiste simplement à donner à nos entreprises le même niveau de protection dont bénéficient leurs principaux concurrents. Ni plus, ni moins. »
« Il n’y aura pas de « boîtes noires » dans les entreprises. Les opérations de perquisitions dans les entreprises devront être facilitées en s’inspirant d’exemples étrangers, par exemple l’obligation d’identification préalable des documents protégés, ou la sanction pénale dissuasive pour en limiter les abus. »
« Les avis et consultations juridiques de l’avocat en entreprise devront enfin recevoir une définition matérielle strictement encadrée. La protection ne s’étendra pas aux discussions d’affaires, et les faits demeureront toujours accessibles aux enquêteurs, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, de même que les documents établis dans le but de commettre une infraction. »

« La réforme offrira surtout de nouvelles opportunités aux avocats et aux juristes. »

Durant combien de temps cette expérimentation devrait-elle être menée ?
« En principe, c’est au moins 3 ans. Il faut le rappeler : c’est une liberté qui sera offerte à chaque barreau d’être ou non candidat à cette expérimentation. La méthode du Garde des Sceaux est la bonne. Qui peut être contre le fait d’essayer ? Si véritablement les craintes exprimées sont avérées, alors on arrêtera. »
« Il existe un alignement des planètes. Outre le volontarisme affiché du Garde des Sceaux, l’élection des nouveaux représentants des avocats au CNB et de son président Jérôme Gavaudan pourrait permettre d’avancer sur le sujet et d’abandonner les postures. »

Autre crainte majeure des avocats, celle de perdre leur indépendance en travaillant pour une entreprise, dans une entreprise…
« C’est une opposition de principe très aisément surmontable. Il faut arrêter avec les totems. Les avocats français peuvent être salariés d’un cabinet d’avocat en France depuis 1991, et certaines pratiques de la collaboration libérale s’apparente souvent à des contrats de travail. Surtout, le salariat pour les avocats se pratique dans le monde entier, et pas qu’aux États-Unis ou en Angleterre. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire en France ? Ce qui caractérise l’exercice de la profession, c’est l’indépendance intellectuelle. Cette indépendance, la pratique de son art par un avocat, est parfaitement compatible avec le salariat. »

Certains contradicteurs s’appuient sur l’arrêt Akzo Nobel rendu par le juge européen qui écarte le ‘legal privilege’ aux avocats en entreprise. Qu’en pensez-vous ?
« Je n’ai pas du tout la même lecture. Cet arrêt concerne le droit de l’Union européenne et une situation propre au droit de la concurrence. L’arrêt Akzo Nobel n’est pas un frein et on peut avancer tout en étant en conformité avec le droit européen. Une fois encore, cela est le cas partout en Europe, donc je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire en France. »
« La réforme contribuera à valoriser la place du droit et des juristes dans les entreprises en France. Elle favorisera également la conformité des entreprises françaises à la règle de droit, et aura in fine un effet vertueux. C’est d’ailleurs le cas chez nos principaux partenaires économiques en Europe et dans le monde qui protègent l’avis juridique des entreprises depuis fort longtemps, tout en disposant d’une culture de la compliance plus ancienne et plus performante. »

« La réforme contribuera à valoriser la place du droit et des juristes dans les entreprises en France.»

En tant qu’ancien avocat, comment appréhendez-vous ce possible agrandissement de la profession du droit ? Vos confrères ont-ils raison d’être inquiets ou vont ils y gagner ?
« Je vous l’ai dit. Je suis persuadé que la profession va y gagner, collectivement. La réforme va contribuer à valoriser le droit, les avocats et les juristes. Collectivement, tout le monde sera gagnant. Les craintes sont compréhensibles car la profession, comme l’ensemble des acteurs économiques, connaît depuis quelques années des transformations profondes avec l’avènement du numérique. Les pouvoirs publics sont là pour accompagner ces mutations. Ne rien faire serait irresponsable. L’inaction n’est pas une option. »
« Les effets bénéfiques de la réforme seront nombreux. La mobilité professionnelle sera favorisée. La réforme offrira surtout de nouvelles opportunités aux avocats et aux juristes, notamment pour les jeunes actifs et les étudiants arrivant aujourd’hui sur le marché. Cette question de l’emploi des jeunes est essentielle alors que la crise commence à faire des ravages dans une profession déjà fragilisée. »

Contrairement aux avocats, les experts-comptables ont demandé de concert la création d’un statut d’expert-comptable en entreprise, qui a été adopté. Faudrait-il s’inspirer de cet exemple ?
« Bien entendu. Les autres professions réglementées avancent, et concurrencent les avocats à commencer par les experts comptables dans le conseil à l’entreprise. Le risque pour les avocats à refuser toute transformation est de disparaître progressivement. Souvenez-vous du Guépard de Visconti et de la célèbre réplique d’Alain Delon : « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Boris Stoykov, Les Affiches Parisiennes pour Réso hebdo éco

https://echodumardi.com/tag/juridique/page/21/   1/1