A Apt, Blachère illumination fait briller le savoir-faire français dans le monde entier. Johan Hugues, co-directeur général, nous éclaire sur l’histoire de cette PME familiale aux plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires.
« L’illumination la plus emblématique ? Je dirais que c’est le scintillement de la tour Eiffel pour le passage à l’an 2000 », se remémore Johan Hugues, des étoiles plein les yeux. Le neveu du fondateur Jean-Paul Blachère nous reçoit dans son chef-lieu au côté de Julie Taton, directrice de la marque. Le tandem refait alors l’histoire de cette société aptésienne qui révèle ses secrets de longévité depuis 1973. « Des opportunités de marché qui ont permis d’asseoir l’entreprise, l’innovation qui a apporté un fort développement et des paris que monsieur Blachère a su relever », liste le co-directeur.
A la manette, aucun fonds d’investissement mais quatre actionnaires : Jean-Paul Blachère, sa fille Christine Blachère, son gendre Romain Allain-Launay et son neveu, Johan Hugues. A son arrivée dans la société en 2010, ce dernier prend les rênes du volet exportation pour porter le projet au-delà des frontières. L’export qui se limite alors aux pays limitrophes s’aventure au-delà. Voilà que le négociateur parfaitement bilingue met le grappin sur l’Amérique du nord, du sud, l’Afrique, la Russie…
Posons le décor de Blachère illumination aujourd’hui : 28 filiales dans le monde, 150 pays illuminés, 60% des villes de France, 400 employés (dont 120 en France), 6000 décors sur-mesure sortent chaque année des ateliers à Apt. A un mois des festivités de Noël, c’est l’effervescence pour finaliser les projets scintillants du globe. « Nous sommes presque une entreprise artisanale avant d’être une PME », souligne le co-directeur. Ce qui fait la différence ? La créativité, la technique et la capacité à inventer des décors toujours plus innovants et responsables.
Nous voilà donc en plein cœur des ateliers jalonnant le site de 7 hectares. Exercice de slalom entre le célèbre bonhomme rouge, l’emblématique peluche Teddy présentée au salon des maires, des guirlandes et autres flocons géants. Clou du spectacle : le showroom. Même le plus acariâtre des personnages s’attendrit face à cette échappée onirique. Chaque décoration est propice à l’expérience, suscite l’émotion. Mélodie féerique, explosion de couleurs, aller simple pour la Laponie. « Nos décors sont toujours plus vivants et interactifs, tout est fait pour que le visiteur devienne acteur à part entière », explique Julie Taton. Le spot à selfie ? Formidable levier pour multiplier la viralité de ses moments partagés ensembles.
Le coup d’envoi des illuminations de Noël a été donné ce dimanche 21 novembre sur l’avenue des Champs Elysées. Pour déclencher la vague de lumière, la chanteuse Clara Luciani a été choisie. Des illuminations flamboyantes rouge carmin conçues par quelle enseigne ? On vous le donne en mille…
Un exécutif à deux têtes
« Mon oncle a toujours été un gros travailleur avec une vision assez forte basée sur l’innovation. Blachère illumination est sa bouée de sauvetage, c’est un projet viscéral pour lui, son bébé. » Johan Hugues a été éduqué ainsi, avec la passion et le travail en guise de boussole. Bambin, le voilà déjà en quête de lumière. Le jeune Johan construit alors des cabanes de fortune en récupérant des ampoules grillées. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. « C’est un métier plaisant qui fait rêver les grands comme les petits » reconnait Johan Hugues qui commence sa carrière en tant que designer, puis devient chef de projet en charge de l’innovation et du sourcing. « J’ai expérimenté tous les métiers. Avant, il y avait beaucoup plus de travail, il fallait tout faire soi-même, produire, livrer, installer… », se remémore-t-il.
Place aujourd’hui à une toute autre organisation qui laisse peu de place à l’aléatoire. « Nous codirigeons la société avec Romain. Nous avons des fonctions distinctes mais complémentaires », explique-t-il. Pour autant, aucune querelle d’égo : « on ne se marche absolument pas sur les pieds et notre complémentarité est efficace. » Johan Hugues excelle dans le développement, la création, l’innovation et le marketing terrain. Romain Allain-Launay s’illustre dans l’achat, la production, la gestion et le service support. « Nous avons un modèle atypique, un métier atypique dans un lieu atypique. On se devait de créer une façon de travailler atypique », ironise-t-il.
90 pays, 28 filiales, 400 collaborateurs
« Nous sommes capable de penser ici les illuminations de Noël sur la Cinquième avenue à New York par exemple. Finalement, les gens ne se doutent pas qu’il y a une vraie PME dynamique derrière, qui exporte 50% de sa production, présente dans 90 pays », abonde le codirecteur. Un décalage vertigineux entre cette bulle familiale aptésienne et son rayonnement international tentaculaire. Concernant les marchés, ils sont publics via les collectivités locales, privés via les grandes sociétés immobilières qui possèdent des centres commerciaux.
La crise sanitaire n’a pas ébranlé la firme. En tout, 50 000 décors de série sont fabriqués chaque année au sein des sites de production. « La période de novembre et décembre était un peu compliquée en matière d’approvisionnement et de transport. Je pense notamment à l’encombrement du trafic maritime et à la rareté des conteneurs qui ont fait exploser le prix de la boite », explique-t-il. Une baisse de chiffre maitrisée qui n’a pas affecté la rentabilité de l’entreprise outre mesure.
En contrepartie, les déplacements pour les salons internationaux ont été annulés, bon nombre de charges ont été évaporées. Pour faire face à la hausse du prix des composants, la société achète en 2021 les produits pour l’année 2022. « C’est un risque financier que l’on peut prendre, mais qui nous permet de faire face lorsque la matière première augmente de 15% », précise Yohan Hugues. Un procédé qui justifie la performance du groupe : « on continue malgré les tempêtes, on passe à travers l’orage. »
Malgré sa position de leader européen, la philosophie managériale reste celle des prémices. « Nous résonnons en bon père de famille, nous ne sommes pas des financiers, nous travaillons pour la pérennité de l’entreprise avec une vision sur le long terme, explique la patron. Pas d’objectif boursier, ni de revente de l’entreprise. Mon oncle m’a toujours dit : que tu gagnes le double ou le triple, de toute manière tu mangeras trois fois par jour ». A bon entendeur.
S’adapter à la culture du pays
Pour certains pays, pas d’illumination de Noël, mais des festivités de fin d’année. Charge à Blachère illumination de s’adapter aux spécificités culturelles de chaque continent pour répondre aux besoins de ses marchés. « En Angleterre, ils mettent leurs décorations de Noël mi-octobre, en France c’est fin novembre, en Russie, ils éclairent le 15 décembre mais vont jusqu’au nouvel an. A Dubaï, ils éclairent en fin d’année. Nous avons de la chance, car la fin d’année reste une période prospère en matière de consommation. Les illuminations viennent doper ce phénomène universel », poursuit Johan Hugues. La dizaine d’unités de production joue un rôle prépondérant. La proximité avec les marchés locaux favorise les circuits courts, simplifie la logistique et renforce la réactivité du service.
Bienvenue dans le calendrier millimétré de Blachère illumination : « on commence en janvier dans les gros salons professionnels où l’on expose nos nouvelles gammes, nos dernières innovations. De janvier à juin, tout un travail commercial terrain démarre. On répond à des appels d’offre, on visite les clients. A partir de juillet, la première commande tombe. Pendant les mois de juillet, août et septembre, on rentre dans la partie production. Le pic de production arrive en septembre, octobre et novembre. Enfin, on livre les produits et on les installe pour que toutes les décorations soient prêtes fin novembre. »
Quel marché domine ?
Au niveau du groupe, sur le dernier chiffre consolidé : « la moitié provient des villes, l’autre moitié des centres commerciaux. Tout dépend des pays, pour certains, nous sommes plus présents en centre-ville comme en Europe, pour d’autres comme le Moyen-Orient, nous serons plus présents dans les centres commerciaux. Certains marchés ont peu de commerces en centre-ville mais souvent de gros mall (centre commercial. Ndlr.) » Comment cultiver la fidélité avec les clients historiques ? La satisfaction client, la confiance et l’expertise de la maison Blachère sont les éléments clefs. « Cela est déjà arrivé de perdre des clients pendant quatre ans, mais ils finissent par revenir lorsqu’il se rendent compte que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs », tranche-t-il.
Le sur-mesure : marque de fabrique
6000 pièces sur mesure sortent chaque année de l’atelier, en plus des nombreux produits du catalogue. « On ne dit jamais non à un client, on trouve toujours des solutions. En 30 ans, je n’ai pas connu un seul client que l’on a laissé tomber », poursuit Johan Hugues. Certaines mairies, centres commerciaux optent pour des décors classiques, d’autres demandent du sur-mesure, et très souvent, c’est un mix. « A Monaco, dans les grandes rues de Londres ou sur la Cinquième avenue, c’est du sur-mesure. Sur cette dernière, il n’y avait pas d’illumination à portée du public, les américains s’étaient cantonnés à illuminer les arbres à la New Yorkaise. C’est très joli, mais long à installer. Quand nous sommes arrivés avec nos décors 3D, c’était nouveau, ils n’avaient pas l’habitude », se remémore-t-il.
Les échanges se font également avec les Bid (Business improvement district), des associations de commerçants qui souhaitent dynamiser leur quartier. A Dubaï, Blachere illumination travaille en collaboration avec le ministère du Tourisme, la municipalité, Dubaï Mall. Pour chaque projet sur-mesure, les équipes partent d’une feuille blanche et créent des motifs et design en fonction des envies.
Créativité et technique
La créativité de la maison est maître-mot. Sur 120 personnes, 10% de l’effectif travaille de façon directe ou indirecte sur l’esthétique et le design. « Notre concept est très léché, on y attache beaucoup d’importance, souligne le directeur. La partie sécurité technique est aussi fondamentale. Nos leds par exemple ont une qualité de lumière stable, avec différentes teintes et des cohérences en terme de couleur. » Une démarche coûteuse en matière de contrôle qualité mais qui positionne la société à la pointe de son art.
En innovant et en modernisant les tâches répétitives et à faible valeur ajoutée grâce au parc de robots imprimante 3D, la société valorise son savoir-faire sur les pièces uniques ‘sur-mesure’, fabriquées à la main dans les ateliers de ferronnerie et de câblage. L’innovation industrielle permet de pérenniser le savoir-faire, dont le travail est valorisé et reconnu par le label ‘Entreprise du patrimoine vivant’ depuis 2016. Du côté de la concurrence, un ou deux concurrents multi-pays, et quelques concurrents locaux. « Il y a finalement peu de sociétés développées comme nous en terme de rayonnement international », abonde-t-il.
Toutes les compétences sur un site
D’un atelier à un autre, d’un service au suivant, les collaborateurs nous content leur métier. Tout commence au service design. Une trentaine de designers (5 à Apt), 10 au Portugal et le reste au Royaume-Uni, Autriche, Emirats, Amérique latine, créent les décors pour les clients, les imaginent, réalisent les tracés de production et les simulations graphiques. « On part d’une photo de jour de la ville, on la met en nuit sur photoshop et on incruste les décors de Noël », explique Julie Taton. Au bureau étude, 7 personnes chiffrent les décors proposés par les designers selon les composants électriques ou structurels qui les constituent. Ils étudient également leur faisabilité et leur résistance aux conditions climatiques diverses. C’est l’étape avant la production.
Place ensuite aux magiciens : les ferronniers. Ces artistes cintrent et soudent les différents profilés d’aluminium recyclé pour venir créer en volume les structures des décors : sapins de plus de 20m, tunnel de 50m, père Noël de 10m, et bien d’autres. En haute saison de production l’équipe passe de 10 à 40 personnes. Enfin à l’atelier câblage, les techniciens viennent ajouter tous les composants lumineux (lucioles et fil lumière Led) mais aussi non lumineux pour habiller la structure en aluminium et la rendre esthétique, notamment avec du Bioprint ou Recyprint coloré.
10 fois moins de CO2 avec Bioprint
La société a racheté une technologie il y a 5 ans : les fameux robots impression 3D. « Nos équipes R&D ont mis au point une matière bio plastique adaptée, une formule bien particulière, secret de production gardé à côté du coca cola », explique Johan Hugues. Après avoir été le premier à généraliser la Led, Blachère révolutionne aujourd’hui la conception des structures d’illuminations en inventant Bioprint, un matériau biodégradable. Ces structures qui constituent les décors sont ensuite recyclées, comme les guirlandes et les composants électriques. Bioprint est issu d’une canne à sucre biosourcée sans OGM, qui est ensuite transformée en bioéthanol déshydraté dans un laboratoire français.
Lorsque les granules arrivent dans les ateliers, à Apt, ils sont teints avec des colorants propres et cette matière est ensuite injectée dans les imprimantes 3D, afin de produire des structures biodégradables, recyclables et colorées. Procédé qui ne génère aucun rebut à la fabrication et permet une recyclabilité totale en circuit court grâce au broyage de la structure sous forme de granulés.
Ce nouveau matériau permet de supprimer plus de 80% d’aluminium sur les décors 2D, ce qui a un impact considérable sur le bilan carbone. En effet, le processus de fabrication Bioprint émet 10 fois moins de CO2 que celui de l’aluminium. Au-delà du respect de l’environnement, cette innovation permet de concevoir des structures très créatives et colorées qui seront aussi belles de nuit que de jour.
100 bouteilles de plastique : un décor
« On nous disait au départ que nous n’y arriverons pas, que ça n’existait pas. L’année dernière, tout est parti d’un petit accident, un peu comme la tarte tatin. Nous avons finalement eu une idée, pourquoi ne pas faire des décors avec des bouteilles en plastique ? Nous travaillons avec beaucoup de communes qui apportent une importance fondamentale à leur système de tri des déchets », compte Johan Hugue. Ainsi est né Recyprint. Pour chaque décor lumineux, 100 bouteilles en pastique sont utilisées. Un travail de longue haleine engagé par le service R&D, dont 50% du budget est affecté aux innovations bio et écoresponsables.
« Cela nous a permis d’avoir une quinzaine de brevets autour de ce procédé. Nous en sommes encore qu’au début, nous avons hâte de le diffuser de manière internationale », confie le co-directeur. Une illustration parfaite d’économie circulaire. Les bouteilles récupérées sont triées par couleur, de l’incolore au bleu, puis broyées en flocons pour être mises en forme pour l’extrusion. Les granulés issus de cette transformation sont ensuite injectés dans les imprimantes 3D pour produire des décors d’un bleu unique. Cette méthode concourt à limiter les émissions de gaz à effet de serre et contribue à éliminer le maximum de bouteilles plastiques de la nature.
Voilà en quelques mots la patte Blachère. « Monsieur Blachère m’a toujours dit, il y a le but à atteindre, mais la manière est plus importante. Nous venons de remporter la ville d’Abidjan alors que nous perdions ce marché chaque année. Nous allons montrer ce dont nous sommes capables », ponctue brillamment Johan Hugues.
L’entreprise ouvre ses portes les 3, 4 et 5 décembre prochains. Visites des ateliers, ouverture de la boutique, présentation de l’exposition « Re création » (notre article à lire ici), restauration sur place.