23 juillet 2024 |

Ecrit par le 23 juillet 2024

« Peut-on sauver la démocratie? » c’est la question posée aux “Causeries de Châteauneuf-du-Pape“

Mise en cérémonie par l’élégant et extravagant Calixte de Nigremont, au Château La Nerthe, la 3ème édition de ces « Causeries » a été présentée par l’historien Franck Ferrand qui avait invité à ses côtés les éditorialistes Eugénie Bastié et Franz-Olivier Giesbert.

Le journaliste de « Radio classique » a ainsi entamé le débat : « Au Vème siècle avant notre ère, à Athènes, va naître ce qu’on appelle le pouvoir du peuple, du grec « démos » / peuple et « kratos » pouvoir. C’était une association de citoyens, une forme d’aristocratie qui représentait des milliers de familles, contrairement à la monarchie où un homme gouverne seul. C’est ensuite le grand penseur bordelais Montesquieu qui a parlé de séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire dans « De l’Esprit des lois » en 1748). Puis c’est Abraham Lincoln, le 16ème président des Etats-Unis qui en 1863 parlera d’un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Formulation qui sera d’ailleurs reprise in extenso en 1958 par Michel Debré dans l’article 2 de la Constitution de la Vème République« . Franck Ferrand poursuit : « Est-ce encore si vrai? La démocratie est-elle toujours un projet de société, un mode de citoyenneté? L’état de droit est il garanti? Sommes-nous égaux devant la loi? Sous nos yeux, nous avons vu, lors du Covid une certaine forme de délitement ».

“La Démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple“

Abraham Lincoln

Eugénie Bastié attaque : « La démocratie souffre d’une ambiguité, d’une illusion selon laquelle nous irions vers davantage de droits. C’est une grande erreur. Depuis la chute du Mur de Berlin (1989), la démocratie ne s’est pas répandue dans le monde entier. On voit bien que la Chine s’est modernisée mais elle reste ultra-totalitaire. A la séparation des pouvoirs, en France, nous devons ajouter un autre pilier de la démocratie, la laïcité. Bien sûr on n’a plus de Saint-Barthélémy, en délibérant on trouve des solutions politiques mais s’il n’y a pas de nation, il n’y a pas de démocratie, c’est le cas de l’Union européenne où ces piliers ont tendance à dériver ». Franck Ferrand ajoute : « Dans le classement des démocraties, c’est la Norvège qui arrive en tête avec 9,8/10 suivie de la Nouvelle-Zélande et de l’Islande, dans les 10 premiers figurent d’ailleurs 6 monarchies. La Fr ance se classe en 23ème position. En queue de peloton, on trouve la Libye, le Laos, le Tchad, la Syrie, la Corée du Nord, la Birmanie et l’Afghanistan avec 0,26 /10 ». « On se demande d’où provient ce calcul à la décimale près » ricane Eugénie Bastié, la journaliste du Figaro. Rires dans l’assistance.

“A la séparation des pouvoirs, en France, nous devons ajouter un autre pilier de la démocratie, la laïcité.“

Eugénie Bastié

C’est alors qu’intervient Franz-Olivier Giesbert : « Je suis le plus vieux des trois, donc j’ai plus de recul que vous. En quoi la démocratie aujourd’hui serait-elle plus menacée qu’avant? Vous confondez l’état de la France avec la démocratie. En 1968, je jetais des pierres contre les gauchistes. C’était du totalitarisme. On ne pouvait pas discuter avec les maoÏstes. L’historien et philosophe britannique Arnold Toynbee (1889-1975) a présenté l’histoire comme comme l’essor et la chute des civilisations plutôt que comme l’histoire d’Etats-Nations. Il identifie les civilisations sur des critères culturels plutôt que nationaux. La civilisation occidentale est traitée comme un tout depuis les Romains, avec des cycles. Avant la France comptait dans le concert des nations. On était le centre du monde on avait Sartre, Camus, le cinéma rayonnait, maintenant, on n’est plus rien ».

“En quoi la démocratie aujourd’hui serait-elle plus menacée qu’avant? Vous confondez l’état de la France avec la démocratie.“

Franz-Olivier Giesbert

Eugénie Bastié intervient ; « Sous de Gaulle, on avait une radio et un TV d’Etat, aux ordres, l’ORTF. C’est Alain Peyrefitte, son ministre et porte-parole qui téléphonait aux rédacteurs-en-chef pour leur dicter le contenu des journaux, tu parles de pluralisme du service public! La démocratie, c’est un combat perpétuel en Occident. Il faut se battre pour la conserver. Comme l’écrivait Montesquieu, seul le pouvoir arrête le pouvoir. L’esprit de la Vème république, c’est le national, le régalien mais maintenant Emmanuel Macron s’occupe de tout, seul dans son bunker, il décide de tout, il en abuse. Avant, on prenait le temps de la réflexion, de l’écrit, c’était l’éloge de la lenteur. Maintenant, on tweete, on ne lit plus, on est noyé dans un flux d’infos, d’images, l’immédiateté et l’instantané priment. Sur les chaînes d’infos, une polémique chasse l’autre à la vitesse grand V. Chacun raconte sa vie sur les réseaux sociaux, inonde le monde de ses selfies égoïstes, individualistes qui n’intéressent personne. »

“Comme l’écrivait Montesquieu, seul le pouvoir arrête le pouvoir.“

Eugénie Bastié

« Le milieu médiatique se laisse submerger par l’émotion » regrette Franck Ferrand. « La sphère médiatique a envahi la sphère citoyenne. Vous y ajoutez la culture wok et vous avez un débat biaisé. Le problème c’est que ce ne sont plus des institutions élues par le peuple qui prennent les décisions, c’est ça qui menace le plus la démocratie. La place du peuple est plus que réduite. »

« Le milieu médiatique se laisse submerger par l’émotion »

Franck Ferrand

FOG évoque les Etats-Unis (où il est né en 1949) et s’étonne qu’on retrouve encore les deux octogénaires, Biden et Trump, candidats à la présidence en novembre prochain. « II n’y a plus de jeunes qui veulent se présenter aujourd’hui. La loi sur le non-cumul des mandats a tout fracassé. Tout se décide à Paris, à fond le jacobinisme. On n’a plus de Georges Frèche à Montpellier, d’Alain Juppé à Bordeaux, de Gérard Collomb à Lyon. Eux, ils exerçaient un vrai pouvoir, ils étaient respectés, on a tué ces ‘barons’. Macron fait appel à des cabinets privés, il nomme ministres des ectoplasmes qui ne lui font surtout pas d’ombre. A Bruxelles ce sont des bureaucrates qui décident pour nous ».

Le maître de cérémonie élégant et extravagant, Calixte de Nigremont

Intervention d’Eugénie Bastié : « C’est quoi la souveraineté? Quand les droits individuels écrasent la majorité? ! Quand la république des juges empêche certaines décisions d’être prises? Quand le peuple ne décide de rien? Quand les flux migratoires ne sont pas maîtrisés? Quand le droit de quelques personnes passe avant l’intérêt général? Si tout cela n’est pas réglé par la démocratie, ça risque de basculer vers un excès d’autoritarisme. Quand Laurent Fabius, le président du Conseil Constitutionnel prévient : ‘Si Marine Le Pen demande un referendum sur l’immigration, c’est non, nous l’empêcherons » . Supprimons le Conseil Constitutionnel, stop! C’est lui qui ouvre la voie à un régime autoritaire. Maîtrisons nos frontières, sinon on va dans le mur ».

“Si tout cela n’est pas réglé par la démocratie, ça risque de basculer vers un excès d’autoritarisme.“

Eugénie Bastié

Franz-Olivier Giesbert lui emboîte le pas : « Le peuple est dépossédé de son pouvoir par des juges, des technocrates, des instances non élues. Le regroupement familial est souvent, et à tort, attribué à VGE ou à Chirac, mais ce n’est ni l’un ni l’autre. C’est le Conseil d’Etat qui l’a instauré pour faire venir plus de main d’oeuvre en France, c’est lui qui a pris le pouvoir. Pour retrouver une vraie démocratie, il faut remettre le politique au coeur du village. Des hommes et des femmes forts, compétents, volontaires, énergiques. Pas effacés, pleutres, pas des zombies comme les ministres macroniens que personne ne connaît à part deux ou trois sur quarante. La crise de l’immigration, le laisser-faire sont la preuve de ce manque de volonté des politiques aujourd’hui. La Cour Européenne de Justice aussi a pris le pouvoir. Dans le TGV je vois des voyageurs sans papiers, sans bagages, sans billet en 1ère classe qui ne sont jamais contrôlés, jamais verbalisés.

« Le peuple est dépossédé de son pouvoir par des juges, des technocrates, des instances non élues.“

Franz-Olivier Giesbert

Eugénie Bastié renchérit. « Au Danemark, la gauche au pouvoir s’est demandée où allaient ses impôts. S’ils devaient financer un modèle social, un socle commun aux citoyens ou un Etat-Providence généreux. Mais ils ne pouvaient pas tout faire, ils ont donc tracé une frontière entre les citoyens et les non-citoyens, une barrière entre vie privée et vie publique. En France, Emmanuel Macron s’occupe de ce qui ne le regarde pas. Il nous dit comment éduquer les enfants, faire des économies d’électricité en baissant la température des radiateurs, partager les taches ménagères. Alors qu’il est incapable de fixer un cap, de réguler le régalien, la sécurité des biens et des personnes, il est très intrusif dans nos maisons. Qu’il arrête d’emmerder les Français quotidiennement, comme disait Georges Pompidou, qu’il fasse régner l’ordre et la sécurité ».

« Ceux qui ont été élus au pouvoir ne l’ont plus.“

Franck Ferrand

Franck Ferrand précise : « Ceux qui ont été élus au pouvoir ne l’ont plus. Toujours plus de normes sont décidées ailleurs, les juges les empêchent de prendre leurs responsabilités. Les gens au pouvoir se sont laissé enfermer, comme Gulliver, ils sont empêtrés. De même, sous le Covid, nous nous sommes tous, docilement, laissé enfermer chez nous ». Cinglante, Eugénie Bastié résume « Macron est fort avec les faibles et faible avec les forts. Par ailleurs le peuple français est schyzo, il a une responsabilité dans la dilution de la démocratie. A la fois il demande plus d’intérêt général et il s’en remet à l’Etat pour tout, du berceau à la tombe pour le logement, la fin de vie, c’est le culte du droit individuel ». Au tour de FOG d’intervenir : « Depuis 1981, le politique suit le peuple or c’est le peuple qui doit suivre celui qu’il a élu avec un programme, une trajectoire. Maintenant l’élu ne pense qu’à sa ré-élection. »

“Le peuple français est schyzo, il a une responsabilité dans la dilution de la démocratie.“

Eugénie Bastié

Evidemment, entre trois journalistes il a été question des media. « Normalement, les journalistes devraient constituer le 4ème pouvoir, un contre-pouvoir, mais certains ont une telle complicité avec les politiques que cela confine à l’impuissance. Ils n’ont à se justifier devant personne, ils sont rarement virés pour incompétence. En plus sur les réseaux sociaux, chacun est un media, sans vérification des informations, sans source sûre. C’est le royaume des fake news. Quant à Tiktok, il va bouffer le cerveau des jeunes ».

« Il faut régénérer la classe politique pour qu’elle reprenne la main.“

Franz-Olivier Giesbert

Tour à tour, les trois intervenants ont conclu au terme d’un débat riche et passionnant. « Il faut régénérer la classe politique pour qu’elle reprenne la main » a dit FOG. « Tiktok, c’est l’opium du peuple, ajoute Franck Ferrand. Avant on se parlait autour d’un café, au bistrot, même si on ne se connaissait pas, on s’écoutait, on échangeait même si on n’était pas d’accord. Maintenant chacun est seul, devant son écran pendant des heures, ça ne fait pas société ». Quant à Eugénie Bastié elle a dégainé sa dernières balle : « Avant les membres du Conseil Constitutionnel étaient de vrais sages, ils incarnaient le bon sens, l’équilibre démocratique. Maintenant ce sont des professeurs de morale. Il faut supprimer cette institution. Ce qu’une loi a fait en la créant, une autre loi peut le défaire ».

© Emmanuel Chandelier

« Peut-on sauver la démocratie? » c’est la question posée aux “Causeries de Châteauneuf-du-Pape“

Retour sur les Causeries de Châteauneuf-du-Pape qui viennent de se tenir ce week-end au Château la Nerth sur le thème ‘Temps long et maturation’. Le public a passé deux heures sous le charme de Franck Ferrand, Michel Onfray et François-Xavier Bellamy, un trio d’intelligence et de culture, précédé de l’aristocratique et subtil Calixte de Nigremont.

« Ici, à Châteauneuf-du-Pape, le vin entre en résonance avec cette extraordinaire alchimie qu’est le vieillissement, le temps long et la lenteur » annonce d’entrée de jeu l’historien Franck Ferrand. Il liste les mots que cite l’écrivain , philosophe et essayiste normand Michel Onfray, invité de ces 2e Causeries dans son ‘Traité du Sauternes’ où interviennent la géologie, le naturel, le climatologique, la météo ou la chimie. Il évoque les formes du temps : « Elles n’appartiennent ni à Platon ni à Kant, mais à tout le monde. Pour le vin nous nous référons au vigneron, à l’oenologue, au géologue. La culture rend possible l’agriculture, elle lui est nécessaire pour faire un bon vin. Avec les différentes phases de la lune, croissante ou décroissante, gibbeuse, pleine, rousse. La vinification sculpte le temps. Avant, le paysan n’avait pas de cabine climatisée sur son tracteur, il ne carrottait pas le sol pour avoir le taux d’hygrométrie, il avait la mémoire de sa terre, l’expérience ».

« La géologie, c’est du temps déposé dans l’espace. »

François-Xavier Bellamy

Après lui, c’est le philosophe François-Xavier Bellamy qui intervient : « La géologie, c’est du temps déposé dans l’espace, ses aspérités, les lieux ont une âme, ils ont gardé en mémoire le labeur et la sueur des anciens. Aujourd’hui, avec le GPS, le monde est homogène, comparable, mesurable, juxtaposable qu’il soit familier au étranger, connu ou incertain, voisin ou lointain. Le vin, c’est la consistance du temps et il en faut pour passer de la fleur au grain de raisin, à la véraison, au moment de la vendange choisi avec pertinence par le vigneron. Le vin, on le garde à la cave, on le laisse vivre, vieillir, se bonifier ».

Le philosophe ajoute : « L’esprit du temps joue son rôle, dans le vin comme dans l’architecture ou dans une oeuvre d’art. On peut décoder les traces de la conscience humaine. Prenons comme exemple le Château de Versailles. On y lit à la fois l’histoire de France et les bouleversements qui l’ont ébranlée. Dans le parc, a été créé le Grand canal, l’homme décide, domestique et dompte la nature. C’est le triomphe de la raison, de la géométrie. A côté, se trouve ‘Le Hameau de la Reine’ qui date du XVIIIème siècle. C’est un jardin anglais, sauvage, irrégulier, surprenant, livré à lui-même qui préfigure la Révolution de 1789, là c’est la nature qui s’impose comme l’aime Jean-Jacques Rousseau. On voit bien les deux esprits du temps, de l’époque, avec une rupture entre deux mondes ».

« Le futur n’est pas forcément mieux que le passé. »

Franck Ferrand

Michel Onfray ajoute : « Le temps modifie l’enfant qui devient adulte, comme la graine qui devient plante. Au départ vous avez cette graine, elle explose et donne naissance à la tige qui grimpe, arrivent la feuille puis le bourgeon qui disparaît pour que naisse la fleur. L’enfant d’hier avec son idéal et ses blessures se dépasse lui-même, se détruit et devient l’adulte d’aujourd’hui ». Interrogé sur l’accélération du temps par Franck Ferrand, il précise : « Nous passons du liquide amniotique dans le ventre de notre maman à la vraie vie, de 4 pattes à bipède, nous avons un langage, bref, nous évoluons. Mais le futur n’est pas forcément mieux que le passé. »

François-Xavier Bellamy, Franck Ferrand et Michel Onfray

Le temps long, la maturation, voilà des thèmes qui concernent aussi la politique. François-Xavier Bellamy est philosophe et député européen LR et il s’insurge contre le diktat de l’optimisme à tout prix. « Stop à la méthode coué. Il n’y a pas de lendemains qui chantent, j’ai horreur de l’optimisme béat, c’est une forme d’irresponsabilité face aux problèmes qui nous font face. Le pire slogan c’est celui de l’actuel locataire de l’Elysée « En marche », mais vers où, dans quel but, pour quoi faire? Marcher à tout prix, c’est ridicule. ‘EM’ ce sont les initiales du président on le sait, depuis il a changé le nom de son mouvement en ‘Horizon’. C’est pareil, il se situe où? Là-bas…Au loin? »
L’élu précise : ‘Le temps de la réflexion pour un homme politique, c’est celui du prochain sondage, de son taux de popularité rarement au zénith et il touche toutes les familles politiques en France, c’est un leitmotiv obsédant et vain. Du coup, ceux qui, comme moi, aiment le temps long, la mémoire, la transmission passent pour des réacs, des conservateurs, tant pis. Je préfère être à ma place qu’à celle de ceux qui ne parlent que de réforme, refondation, renouveau. Sarkozy parlait de ‘rupture’, Hollande répétait ‘Le changement c’est maintenant’, en 1972 on avait comme slogan ‘Changez la vie’ (comme le chante J-J Goldmann).

« Stop à l’immédiateté, on n’a pas le temps d’avoir un désir qu’il est déjà satisfait. »

Michel Onfray revient sur les notions de durée et de maturation. André Malraux, alors Ministre de la Culture avait demandé au Général de Gaulle après que l’homme a marché sur la lune : « Ca sert à quoi d’aller sur la lune pour s’y suicider? Le vrai sujet, c’est un projet de civilisation. Un pouvoir est donné par le peuple, je pars quand il me le demande, quand je suis battu ».
Franck Ferrand évoque les trépidations du monde. « Je suis une vraie tortue sur une autoroute, tout me dérange, la sur-information frénétique, les réseaux sociaux qui s’emballent, les journalistes des chaînes info qui demandent de réagir dans la minute qui suit un évènement ». François-Xavier Bellamy lui emboîte le pas : « Il faut ralentir. Prendre le temps de lire un livre au lieu d’être sur sa tablette de longue. Quand on fait une commande, attendons que le facteur sonne à la porte au lieu de piaffer sur son balcon en attendant qu’Amazon livre un colis en moins d’une heure. Stop à l’immédiateté, on n’a pas le temps d’avoir un désir qu’il est déjà satisfait. Le smart-phone abîme notre intelligence. Le livre (liber en latin veut à la fois dire  »libre’ & ‘livre’) fait de nous des hommes libres. Tik Tok, avec ses algorithmes veut capter l’attention de tous, en particulier des jeunes. Netflix a raccourci le temps des séries, 32′ au lieu de 44′ pour que nous consommions mieux, plus vite. A l’époque, lors de sa création, France Info avait fixé la durée des journaux à 7′ au lieu de 20′ pour France Inter, au-delà l’attention de l’auditeur décroche, précisait un rédacteur-en-chef. On ne peut pas parler de la crise migratoire en quelques secondes, ni du problème de la dette en quelques brèves. Nous devons retrouver le temps de vivre et de vivre libres ».

« Nous devons retrouver l’émerveillement, pas transformer le monde en big data, chacun est unique. »

Michel Onfray passe en mode attaque à propos d’Elon Musk. « Le propriétaire de Twitter, SpaceX, Tesla veut pucer les animaux pour qu’ils aient des souvenirs de choses qu’ils n’ont pas vécues. Il précise qu’il veut aider ceux qui souffrent de Parkinson ou d’Alzheimer, mais en fait c’est un véritable Cheval de Troie pour rentrer dans le cerveau des gens, effacer leur historique réel, leur vie passée et leur imposer son idéal mercantile. Mais dans la Silicon Valley, les enfants des patrons des GAFAM (les géants du web, Google, Apple, Facebook, Amazon & Microsoft) vont dans une école non connectée, ils n’ont ni smart-phone, ni tablette, seulement stylos, cahiers et livres, comme avant, ils ne veulent pas polluer leur propre progéniture avec les réseaux dits sociaux ». Il continue : « Bientôt, à les croire, il pourrait n’y avoir qu’un professeur en France, une poignée en Europe pour enseigner par visio, une pensée unique, s’ils sont ‘wokistes’, je vous laisse imaginer la suite. Mais ça ferait des économies de salaires au Ministère de l’éducation nationale ».

« Notre civilisation risque de disparaître. »

Michel Onfray

Le philosohe François-Xavier Bellamy insiste : « Je ne conteste pas la puissance de l’IA (intelligence articificelle), elle est fascinante. Mais je préfère toujours l’humain, il est plus divers, plus complexe. Contrairement à l’industrie qui propose des objets en série, identiques, l’artisan sculpte une essence d’arbre, avec ses noeuds, ses imperfections ses balafres et obtient une forme, un objet, un meuble unique. Le travail de la main, c’est celui de la pensée. Qui poursuit la volonté du cerveau, qui ouvre le champs des possibles à la liberté, qui permet de jouer au piano. Avec les GAFAM, ils veulent imaginer des robots qui ressemblent à des humains, c’est un comble. Nous devons retrouver l’émerveillement, pas transformer le monde en big data, chacun est unique, jamais une machine ne fera ce que nous faisons ».

Franck Ferrand, présentateur d’une double émission quotidienne d’histoire sur Radio Classique (à 9h et 14h) a précisé qu’il a été approché par une start-up qui lui a proposé un pont d’or pour re-fabriquer ses chroniques en anglais, italien allemand, espagnol, avec sa voix, son ton, son style, sa réalisation… Mais sans lui, grâce à l’IA, en quelques secondes, « C’était bluffant mais hallucinant » commente-t-il. Michel Onfray prend la parole : « 60 ans à peine se sont écoulés entre le 1er vol de Louis Blériot en monoplan en 1909 et André Turcat aux commandes du Concorde supersonique en 1969, c’est un progrès fabuleux. Internet, c’est pareil mais avec des aspects discutables, voire terrifiants comme ChatGPT. Notre civilisation risque de disparaître. Quelqu’un peut demander par ChatGPT la composition d’une musique façon Britten ou Purcell, la déclarer comme son oeuvre personnelle, sans connaître une note ni avoir suivi des cours au conservatoire et revendiquer des droits d’auteurs, jusqu’où va-t-on aller? ».

« Cela fait du bien, autant de culture, de réflexion, d’humour, ça rend intelligent. »

Rémi Jean, oenologue et directeurdu domaine Château La Nerthe.

François-Xavier Bellamy, plus optimiste que ses confrères l’affirme pour conclure : « Aucune machine n’aura vécu d’épreuve, souffert dans sa chair, ce qui fait le sel de l’existence, pour égaler la création d’un humain. Aujourd’hui on vend des meubles faussement patinés, des jeans faussement usés, vintage. Mais il faut du temps pour la maturation d’une oeuvre, pour déguster un vrai vin de garde de Châteauneuf, pas une bouteille concoctée en Chine sans un seul grain de raisin, comme on fabrique des steaks sans viande. Le créateur, le musicien, l’écrivain, l’architecte est unique. Jamais aucune machine ne remplacera l’homme ou la femme ». Tonnerre d’applaudissements au Château La Nerthe. Un domaine de 92 hectares né en 1560. Depuis 1985, il est entre les mains de la Famille Richard (qui possède des cafés éponymes et bientôt la Chocolaterie Castelain en montant vers Châteauneuf-du-Pape). La même famille possède également « Les Cassagnes », 79 ha à Sérignan-du-Comtat et 35ha à Tavel (Le Prieuré de Montézargues). « En tout 4 à 500 000 bouteilles sortent de nos 3 caves », explique Rémi Jean, directeur et oenologue du Château La Nerthe, « Nous en exportons près de 65% de notre production, surtout en Europe et aux Etats-Unis et dans une quarantaine de pays ».
Cette matinée à Châteauneuf-du-Pape a véritablement ravi les spectateurs qui se sont rués sur les trois auteurs pour faire dédicacer leurs nombreux ouvrages. « Cela fait du bien, autant de culture, de réflexion, d’humour, ça rend intelligent » commentait une élégante mamie dynamique sous son chapeau de paille.

Le magnifique cadre du Château de la Nerthe

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