22 novembre 2024 |

Ecrit par le 22 novembre 2024

‘Elizabeth Costello’ dans la Cour d’Honneur, brillante et déroutante autopsie d’une vie 

Jamais la Cour d’Honneur n’avait aussi bien porté son nom. Pendant près de 4h, elle honore une vie fictive dans une mise en scène sublime aux dispositifs scéniques grandioses servie par des acteurs d’une grande virtuosité.

Pourtant, les gradins se vident à chaque représentation, dès la première heure ou à l’entracte qui intervient au bout de deux heures. 

Mais qui a peur d’Elizabeth Costello ?

Sous ce nom se cache un personnage créé par l’écrivain sud-africain JM Coetzee, Prix Nobel de littérature 2003. Un personnage complexe, fantasque, volubile, borderline qui parcourt le monde de conférences en conférences, en « sept leçons et cinq contes moraux. » À tel point qu’il ne faudra pas moins de cinq comédiennes et un comédien pour l’incarner.

Une réalité augmentée, des fantasmes assumés

Bien plus qu’une mise en abyme, le spectacle créé par le polonais Krzysztof Warlikowski est conçu en tableaux, comme des instantanés de vie, quelquefois déroutants, mais qui prennent sens dans la continuité du spectacle qui devient dans sa deuxième partie plus intime avec une Elizabeth Costello vieillissante, plus apaisée, mais néanmoins toujours aussi outrecuidante dans sa méditation sur la mort, la vieillesse, la famille, la sexualité.  

Ne pas confondre lassitude avec ennui

Alors oui, nous arrivons en retard quelquefois pendant ce voyage qui va de l’Antarctique en Pennsylvanie, les paroles se perdent, les prises de position excessives envers la cause animale peuvent agacer, les thèmes récurrents, solitude, liberté, place de l’artiste etc… nous interpellent.

La lassitude n’est pas l’ennui, c’est juste l’envie de quitter le personnage, mais pas le spectacle. Le fil d’Ariane autour de ce personnage s’use, s’effiloche ou est carrément perdu selon le puzzle de sa vie. Qu’importe, le spectacle reste magnifique, à la fragilité vieillissante de l’héroïne répond la beauté de la scénographie de Malgorzata Szczesniak. On entre peu à peu dans la complexité de l’âme humaine, un processus effectivement qui se mérite. 

Le vent, l’heure tardive, le sujet qui se mérite, la gymnastique pour lire les sous-titres selon votre placement, la fatigue de fin de festival peuvent peut-être expliquer le manque d’unanimité pour cette création qui reste cependant exceptionnelle.

Dernier jour de la 78ᵉ édition, première fois ! Tarifs réduits avec le code : 21juilletFDA

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Jusqu’au 21 juillet. 22h. De 10 à 45€. Palais des Papes. Cloître Saint-Louis, 20 rue du Portail Boquier, Avignon. 04 90 27 66 50. festival-avignon.com 


‘Elizabeth Costello’ dans la Cour d’Honneur, brillante et déroutante autopsie d’une vie 

Commençons par un lieu commun  

En toute simplicité, pour ne pas dire banalité, la dernière création de Baptiste Amann : Lieux communs est d’une terrible limpidité et efficacité, bref, on l’aime ! Découvert lors Des Territoires en 2021, Baptiste Amann n’a pas son pareil pour nous raconter à sa manière une histoire chorale autour de faits divers fictifs, mais néanmoins crédibles. Ici point de jugements ou de points de vue, juste trouver les bons filtres et la mise en scène pour travailler sa propre incertitude et trouver comment faire monde commun. 

Continuons avec Lieux communs

Le spectacle s’articule autour de quatre situations qui gravitent autour d’un fait divers fictif : la mort en 2007 par défenestration de Martine Dussolier, fille d’une personnalité d’extrême droite. Ces quatre situations vont évoluer dans quatre lieux différents, mais néanmoins toujours visibles sur le plateau par un jeu de superposition, étagement, transparence ou opacité. La mise en scène et en espace de Florent Jacob participe pleinement à la continuité narrative tel un long plan séquence alors que les propos des huit interprètes sont ancrés dans des situations immédiatement identifiables : coulisses du théâtre avant représentation, salle d’un commissariat, loge d’une chaîne de télévision ou atelier d’un peintre. 

Rencontre avec Baptiste Amann au lendemain de la représentation

Travailler la friction entre réel et fiction

« Je connais certains comédiens depuis plus de 20 ans. J’aime travailler avec eux la friction entre réel et fiction. Par exemple, quand j’ai construit le personnage d’Indra, réalisatrice corse par son père et gitane par sa mère, je cherchais qu’est-ce qui pouvait la relier à son père. Je voulais qu’elle soit d’une base ouvrière et je cherchais quelle activité industrielle existait en Corse. La comédienne elle-même corse m’a fait découvrir l’histoire de cette mine d’amiante en Haute-Corse, ‘l’enfer blanc de Canari’. Pour la scène de l’interrogatoire musclé dans le commissariat, chaque acteur a avancé ses pions par rapport à ce qu’il connaît de cette situation. Pour le conservateur du Musée Soulages à Rodez, il ne s’agissait pas pour moi de stigmatiser le personnage, mais d’être dans une fiction caricaturale choisie, dans le registre de théâtralité du bouffon. Avec les acteurs, je m’autorise sur les limites que chacun et chacune peut mettre de soi et comment moi, je peux distiller ça dans l’écriture. J’ai besoin que la fiction soit inscrite dans le réel. »

Chaque personnage est construit

Mon temps d’écriture est énorme. Je fais une sorte de biographie de chaque personnage. Chacun a un passé, présent et futur. Ensuite mon propos n’est pas de raconter l’argument de l’un ou de l’autre, mais de raconter ce qui se manifeste — lors d’une dispute par exemple — comment parfois, on est pris dans des situations qui nous coincent dans des stéréotypes. En cherchant à échapper à la caricature, on l’augmente dans les yeux de l’autre, d’où la situation d’incommunicabilité. 

Mettre de la fraîcheur dans la pensée, avoir une forme de sincérité qui avance avec pudeur, avec humour

Ma recherche de complexité dans les pièces que j’écris est nourrie par le fait d’avoir connu, navigué dans plusieurs mondes et milieux. Je peux être ainsi en empathie avec des catégories de gens que j’ai eu la chance de rencontrer. J’ai moins de jugement moral, car quelquefois, on décrypte des choses à travers un filtre qui n’est pas forcément le bon.


‘Elizabeth Costello’ dans la Cour d’Honneur, brillante et déroutante autopsie d’une vie 

Il faut d’abord créer du lien, faire communauté

Après une arrivée intrigante où vases en argile et personnages statufiés nous font presque une haie d’honneur dans le long couloir du lycée Saint Joseph, nous nous trouvons face à une masse inerte et sombre sur le plateau… Très vite, le rire vient avec les recommandations d’usage d’avant spectacle faites par Camille Decourtye, un peu empruntée. Puis la situation vire au burlesque avec un pot cassé, un essai de remplacement en direct sur un tour de potier, une blague douteuse. Les comédiens s’installent, un chant a capella s’élève et Patatras ! Nous luttons avec le groupe pour tenir en équilibre sur l’argile glissante qui se répand sur le plateau.  Il ne s’agit plus simplement de faire corps, mais de tenir son corps. On rit bien sûr malgré la virtuosité de cette chorégraphie de glissades et de culbutes, cette solidarité en action. L’euphorie va ensuite laisser place pendant tout le spectacle à la fascination de la mise en corps et en espace de la question Qui Som ?

« Qui sommes-nous ? » de la Compagnie franco-Catalane Baro d’evel fondée par Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias 

C’est un spectacle qui nous engloutit et/ou nous libère. La masse grise, formée de lambeaux, dressée sur le plateau nous fascine et en même temps nous fait frémir. Elle est vivante, mue par le vent ? Par des corps ? Elle avance, nous avale, nous rejette, nous inquiète même si elle peut servir de refuge, de cachette — sauf pour le chien plus perspicace que nous — ou de paroi à franchir. 

Un spectacle fascinant où le propos prend littéralement forme 

Un spectacle féerique, ou plutôt fascinant, devant tant d’intelligence, d’inventions. Preuve que l’on peut sensibiliser aux enjeux écologiques, croire à la solidarité, retrouver la joie du groupe, magnifier le corps et le vivant, prendre soin de l’autre, chien ou humain, s’affranchir des frontières, braver l’inconnu, explorer les mystères, s’essayer à faire, à croire et recommencer sans cesse.

La liste est longue de tous les possibles que nous ouvre ce spectacle qui n’en finit d’ailleurs jamais puisque «  le monde n’est pas fini » La metteuse en scène et comédienne Camille Decourtye nous invite avec son haut-parleur à la suivre dans la cour du lycée Saint Joseph et à ne rien lâcher, à ne pas laisser tomber, à croire encore et toujours qu’un autre monde est possible. La jubilation devient fête, on a envie d’embrasser son voisin, de rester encore et encore, d’apprendre à façonner un vase en argile, grimper sur des lianes imaginaires, adopter un chien, se laisser tomber dans les bras d’un inconnu…..

Mais qui suis-je pour parler ainsi ?

Une spectatrice qui n’a pas envie de raconter l’histoire, de dévoiler l’indicible. Qui som ? C’est une somme d’émotions, d’inventivité, de création en direct même si ce sont des mois et des mois de travail de la part de ces 13 artistes touche-à- tout venus de la danse, du cirque, du théâtre de rue, de la musique. C’est un appel tous les soirs de représentation à agir pour un monde meilleur, dans la joie, avec les aléas du vent, du corps, de la fatigue, du groupe. 

Il fallait y être, il faudra y revenir. Le spectacle ayant été filmé, possibilité de le voir en replay sur Arte.TV.

Qui Som ? Festival D’Avignon. Date des tournées en France et étranger sur festival-avignon.com


‘Elizabeth Costello’ dans la Cour d’Honneur, brillante et déroutante autopsie d’une vie 

Dans le gymnase du lycée Mistral, les sierras d’Argentine se détachent sur un voile blanc et les sonnailles des troupeaux évoquent déjà le rassemblement et la réconciliation annoncée.

Tiziano Cruz, auteur et interprète de Wayqeycuna a choisi de clore sa trilogie (Adios Matepac et Soliloquio) commencée en 2022 à la mort de sa sœur et nous ramène dans son pays, après 25 ans d’absence. Il pose là un acte politique fort en renouant avec sa communauté du nord de l’Argentine par la langue « le quechua » et par ses traditions : le partage du pain.

Retour aux origines

Il alterne un discours frontal où il nous offre son corps et son âme en habit traditionnel ou un discours beaucoup plus politique et engagé avec les « sans dents » d’un monde qui se meurt dans un capitalisme décomplexé. La poésie et l’émotion affleurent continuellement, servis par un texte fort, un propos incisif atténué par un film d’une grande beauté où les moutons semblent s’envoler dans les brumes de ses montagnes andines. Dos tourné, Tiziano devient notre guide spirituel face à l’écran. 

Un adieu qui est une fête

À la fin du spectacle, il distribue du pain fabriqué lors de deux ateliers.  Le pain est un symbole important pour l’artiste, car porteur d’une culture et d’un savoir-faire ancestral propre à sa communauté du nord de l’Argentine. Et là, il peut sourire et laisser éclater sa joie d’avoir partagé ce moment autobiographique. 

Samedi 13 juillet. 11h. Dimanche 14 juillet. 11h et 18h. Gymnase du Lycée Mistral. Entrée boulevard Raspail. Festival d’Avignon. Cloître Saint-Louis, 20 rue du Portail Boquier, Avignon. 04 90 27 66 50.


‘Elizabeth Costello’ dans la Cour d’Honneur, brillante et déroutante autopsie d’une vie 

La semaine de tous les dangers est derrière nous : plus d’école, plus de vent et de pluie, plus d’élections. La crainte de désertion du public pour cette première semaine de festival atypique s’est avérée infondée : le public est au rendez-vous et la qualité des spectacles aussi.

La Cour d’honneur, lieu d’émotion, de débat et de combat pour convoquer ou chasser les fantômes du passé, c’est selon

Le public ne s’imaginait peut-être pas venir deux fois, la même semaine, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes : pour voir Dämon, el funeral de Bergman d’Angelica Liddell et assister de minuit à l’aube à la ‘Nuit d’Avignon’, événement totalement imprévu, mais nécessaire face à la menace de l’extrême droite aux élections législatives. La performeuse Angelica Liddell a eu – ça devient une habitude risible — ses détracteurs habituels. Elle a pourtant fait l’unanimité publique et critique tant sa performance force l’admiration de courage, de générosité et de clairvoyance.

En invoquant la peur de la mort, de la vieillesse et le fantôme d’Ingmar Bergman qu’elle admire depuis l’adolescence, Angelica Liddell atteint au-delà de sa performance les sphères du Sacré. La Nuit d’Avignon était plus pragmatique — quand ce n’est pas ennuyeuse avec quelques discours institutionnels nécessaires mais conventionnels —  mais la mobilisation sans précédent des artistes du Festival et du public a permis une belle nuit de concorde et de réconciliation, unis dans un « même îlot de fraternité » contre les fantômes du passé. L’heure était à la fête malgré la gravité du moment. 

Dans l’écrin de la carrière de Boulbon, la Comédie Française a déployé tous ses atouts

Quel bonheur assurément pour l’auteur et metteur en scène Tiago Rodrigues de créer son dernier spectacle Hécube, pas hécube dans ce lieu magique avec les magnifiques acteurs de la Comédie française. Le directeur du Festival d’Avignon n’a pas son pareil pour construire des histoires simples et compréhensibles tout en les raccrochant à la tragédie grecque. Il dit volontiers aimer écrire « entre les lignes des géants. »

On connaît de lui dans ce registre l’adaptation de la Cerisaie, d’Antoine et Cléopâtre ou d’Iphigénie. Dans cet espace minéral, le huis clos qui se joue est double : nous assistons à la répétition d’Hécube d’Euripide et entrons dans un même temps dans la salle d’un tribunal où se tient le procès de l’institution accusée d’avoir maltraité le fils autiste de Nadia. Nadia est comédienne et répète son rôle d’Hécube et tout se brouille… Le ton est donné dès la première scène : le chœur antique « on a le temps, on est large », faisant allusion à la première qui doit avoir lieu dans une dizaine de jours, l’humour de Denis Podalysdes qui fait mouche en répétant inlassablement « Hécube méritait mieux », l’angoisse de Loic Corbery de ne pas être prêt. Elsa Lepoivre est somptueuse dans le rôle d’Hécube et de Nadia écrit spécialement pour elle. 

Une belle surprise que ce Mothers, a song for wartime

La Cour du Palais des Papes était particulièrement adaptée pour faire résonner les voix de ces 21 femmes rescapées de conflits armés. Chants traditionnels et rituels, mais surtout témoignages bruts et néanmoins sobres pour nommer les violences faîtes aux femmes en temps de guerre. Quand chaque femme s’extirpe du chœur, du groupe pour se présenter simplement, leur courage force l’admiration. La metteuse en scène polonaise Marta Gornicka, en réunissant ces survivantes de 9 à 72 ans, nous envoie un message incroyable d’espoir et de résilience Elle replace ainsi le spectacle vivant au cœur de sa mission de résistance et de débats. 

DR

À suivre pour les autres spectacles …..

Infos pratiques :
Carte Festival.
25€. Demandeur d’emploi. 1€. Professionnel du spectacle vivant. 20€.
Carte 3 Clés. 1€. réservée au moins de 25 ans. Ou étudiant. Bénéficiaire des minima sociaux.
Billetterie : festival-avignon.com
Festival d’Avignon. Cloître Saint-Louis, 20 rue du Portail Boquier, Avignon. 04 90 27 66 50. 

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