« Aujourd’hui, le secteur de la construction en général, et plus particulièrement de la maison individuelle vit une crise sans précédent. Globalement, depuis le 1er janvier 2024, nous observons un effondrement de notre activité de construction de maisons individuelles de 50%. »
Pourquoi ? « Parce que le prix du foncier est toujours aussi élevé (la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la plus chère de France sur la partie foncière). Le coût de construction reste plus important en comparaison des années 2021/2022 –accusant une hausse de + ou – 30 %-, une conséquence de la hausse du coût des matériaux et des frais engagés pour répondre aux nouvelles réglementations –comme la règlementation environnementale RE 2020-. Cependant, nous observons une stabilisation des coûts de construction sur le premier semestre 2024 ce qui est plutôt une bonne nouvelle. »
Trop de facteurs cumulés « Hélas, la hausse des taux bancaires, pour contrer l’inflation, a directement impacté le coût des crédits immobiliers. Par ailleurs, les banques devenues plus prudentes, ont renforcé les conditions d’octroi du crédit immobilier pour limiter les risques de défaut de paiement des crédits. Enfin, la suppression des aides à l’accession, notamment du Prêt à taux zéro (PTZ) ont concouru à gripper le marché de l’immobilier. Tous ces facteurs cumulés ont évincé le primo-accédant de l’accession à la propriété et limité le nombre de ménages enthousiastes à entamer une démarche d’accession. »
Un exemple ? «La plupart du temps les gens disposent d’une enveloppe comprise entre 250 000 et 300 000€ dont 170 000€ sont dévolus à la construction tandis que l’achat du terrain ne peut excéder les 130 000€. Ce budget était aussi adossé à des aides telles que le Prêt à taux zéro qui pouvait être engagé à hauteur de 10 à 50 000€. Une belle enveloppe pour un couple travaillant avec deux salaires convenables. C’est cette combinaison qui faisait la dynamique du marché.»
Aujourd’hui ? «Alors que nous étions une trentaine, au sein de mon entreprise, nous sommes désormais 25, sans compter les sous-traitants qui travaillaient pour nous et qui aujourd’hui sont en grande difficulté, ainsi que et les intérimaires à qui nous ne faisons plus appel, parce que le volume commercial et de production ont été divisés par deux.»
Ce qui pourrait changer la donne ? «Ce serait déjà que l’État prenne enfin en compte la problématique du logement en France. Parce que tout ce que nous vivons aujourd’hui n’est que le fruit d’une politique de l’autruche. Cela fait deux ans qui nous disons : ‘Attention le mur se rapproche, nous devons réagir au plus vite. Et là, nous sommes au pied du mur !»
«Le fond du sujet, ce n’est pas que le bâtiment est en train de s’effondrer, c’est que le Français ne peut plus accéder à la propriété. Avant de travailler sur ce qu’on peut mettre en place pour redresser le bâtiment, travaillons sur les besoins primordiaux des Français qui sont se loger, pouvoir se déplacer dans le cadre de mutations professionnelles et accéder à leurs propres choix et projets dans la dynamique personnelle de leur vie.»
Car les français ne rêvent pas de rester locataires leur vie entière. Ils ont envie d’évoluer, de se marier, d’avoir des enfants, de devenir propriétaires et de créer un foyer pour leur famille. C’est ce que nous ont inculqué nos parents : construire un patrimoine avec, en premier lieu, un toit au-dessus de soi. Aujourd’hui, l’absence de politique de logement du gouvernement prive les Français de leurs projets et de leurs rêves. »
Frédéric Saintagne, gérant de Groupement d’artisans à Piolenc, ‘L’absence de politique de logement prive les français d’accès à la propriété.’
«Les chiffres pour comprendre la problématique que nous vivons en ce moment ? Au niveau national, dans le tissu économique français, le bâtiment et les travaux publics représentent 12% du PIB (Produit intérieur brut) et 1,245 millions de salariés –alternants compris- dont 65% travaillent dans le second œuvre et 35% dans le gros œuvre.»
Quant au logement ? «Il représente un tiers du budget des ménages, ce qui révèle son importance. Le logement diffus –la maison individuelle- a connu en 2022, une chute historique du marché avec moins de 100 000 unités réalisées en France, ce qui représente une baisse de 31% et -20% en Provence-Alpes-Côte d’Azur.»
Le logement collectif «Le logement collectif, en France, a représenté 95 000 unités avec une baisse de 14%. Mais le chiffre qui effraie le plus est le taux d’annulation de promotion immobilière qui atteint les 16% pour cause de problème de financement ou d’insuffisance de taux de réservation pour boucler le projet.»
De moins en moins de constructions en Paca «Un chiffre important pour Paca, concernant la maison individuelle, 11 000 maisons étaient construites en 2007, en 2022 nous en aurons réalisé 4 250, là encore il s’agit d’une baisse historique.»
En Vaucluse ? La construction dégringole aussi «En Vaucluse, toujours pour 2022, nous avons réalisé 1 200 maisons ce qui induit une baisse de 12,5% ; même chose pour le logement collectif avec 1 200 logements avec une baisse de 30% de la production. Les autorisations de permis de construire ont franchi le cap des -22%. Un chiffre important pour la profession car il annonce la tendance de la production dans le bâtiment.»
Les entreprises défaillantes «Autre élément important, le nombre d’entreprises défaillantes atteint les 117 sociétés vauclusiennes soit une hausse de 37,6%. Les raisons de cette chute et de ces chiffres inquiétants ? Trois facteurs entrent en ligne de compte : Une inflation règlementaire ; La suppression des APL (Aide personnalisée au logement), le rabot très important –de 40 à 20%- du PTZ (Prêt à taux zéro), la suppression des zones B2 et C –zones qui nous concernent très fortement sur notre territoire- , et pour finir la RE 2020 (règlementation environnementale).»
Confort saisonnier et consommation énergétique «La différence entre la RE2020 et la RT 2012 (règlementation thermique)? Avec ce dernier n’était pris en compte que le confort d’hiver, ce qui n’est pas la plus importante problématique pour nous, alors qu’avec la RE 2020, l’on prend en compte le confort d’été. Si cela est très bien pour nous, puisqu’on parle là encore de limiter la consommation d’énergie une fois encore, la loi n’a ni été bien préparée ni bien anticipée sur la forme, intervenant dans la hausse du coût de la construction à hauteur de 10 à 15%.»
La conjoncture «Le 2e facteur ? Une inflation conjoncturelle : hausse des coûts des matériaux de construction, des coûts de l’énergie –la plupart des matériaux de construction, pour être fabriqués, nécessitent l’utilisation du gaz, comme les tuiles et le ciment. Et puis la guerre en Ukraine a créé une pénurie qui a engendré une inflation spéculative de certains industriels avec entre 15 et 20% de hausse des prix. Si je réunis ces deux informations, entre le 1er septembre 2021 et le 1er janvier 2023, le coût de construction d’une maison aura bondi de 30%. C’est énorme.»
Les conditions d’emprunt «En janvier 2022, un couple qui gagnait 3 000€ pouvait emprunter jusqu’à 270 000€ ; à la fin de l’année 2023 il n’aura plus droit qu’à 190 000€, ce qui rend son accession à la propriété impossible.»
L’inflation territoriale «La loi Zan (Zéro artificialisation nette) dit : pas d’expansion de la ville et s’appuie sur la construction en dents creuses. Nous sommes tous d’accord pour ne pas prendre du foncier sur les terrains agricoles. Par contre, les communes possèdent des terrains en cœur de centre-ville et des friches industrielles sur lesquelles nous pourrions travailler.»
Le coût du foncier ? «Or, qui dit raréfaction dit flambée des prix et Paca se place sur la première place du podium en termes de coût du foncier, au-dessus de l’île de France. Le Vaucluse sera donc également confronté à cela avec une hausse des coûts du terrain, liée également à la crise du Covid, avec des personnes qui ont eu envie de changer de vie.»
Le primo-accédants ont disparu de l’accession à la propriété «La conséquence ? Les primo-accédants en ont fortement été impactés. S’ils ont envie d’accéder à la propriété, leur enveloppe financière a été entamée de moitié. Cela va créer une tension sociale, de même sur les logements sociaux qui avaient pour but, au départ, d’aider les gens à se lancer dans la vie active, ainsi que les gens en difficulté.»
Quel avenir pour monsieur-tout-le monde ? «Désormais le volet des gens en difficulté inclut les jeunes et les travailleurs actifs, des personnes implantées qui tachent de vivre et de grandir dans leur département. Le problème se révèle donc plus profond.»
La solution ? Jouer collectif «Tout d’abord susciter une prise de conscience de l’Etat et de ses organismes de ce qui est en train de se passer. Car tout cela va au-delà d’une crise économique, c’est une crise sociale que nous allons vivre. J’appelle tous les professionnels à travailler la main dans la main, à trouver des solutions collectives pour s’extraire de cette situation.»
Travailler au plus près du terrain «Travaillons avec les élus locaux, le préfet, les collectivités publiques, les mairies, recréons du lien entre nous. Seuls la communication et le travail collégial feront que nous pourrons apporter de solutions pour loger nos administrés.»
Trouver des alternatives et les mettre en place «Pour finir ? Que nous, bâtisseurs, mettions en place des solutions technico-économiques afin de diminuer le coût de construction et proposer des alternatives à nos clients pour construire moins cher et mieux. L’habitat, au travers de l’accession au logement, est un besoin vitale, vecteur de progrès avec une cohésion sociale et territoriale.»
Frédéric Saintagne, gérant de Groupement d’artisans à Piolenc, ‘L’absence de politique de logement prive les français d’accès à la propriété.’
Comment j’ai écrit mon histoire de chef d’entreprise ? Ca n’était pas prévu à l’origine ! J’ai eu la chance de faire toute ma carrière dans le bâtiment. Au départ ? J’ai fait un stage de fin de DUT (Diplôme universitaire de technologie) chez Lafarge plâtre à Carpentras alors que j’avais 19 ans.
Un maître de stage attentif «C’est alors que mon maître de stage, qui était content du travail fourni, m’a proposé de financer mes études si je réussissais le concours d’entrée à l’école d’ingénieur, relate Frédéric Saintagne, patron de groupement d’Artisans. Moi ? Je n’étais pas parti pour ça, car je voulais arrêter mes études après le DUT. Mais cette conversation avec mon maître de stage a tout changé. Cela m’ouvrait de nouveaux horizons et j’ai donc passé le concours d’entrée, que j’ai réussi alors que je ne l’avais pas très bien préparé.»
Ce qui m’a motivé ? «Que l’on porte de l’attention à ma personne. Mon maître de stage s’était intéressé à ma personne et je crois que je voulais l’en remercier. Je me suis dépêché de réviser, de préparer le concours d’entrée ce qui n’est pas gagné lorsque l’on vient d’un DUT sans faire de prépa, mais finalement j’ai été pris. Une fois le concours d’entrée obtenu, j’ai étudié durant mes trois ans en alternance. C’est le groupe Lafarge qui m’a payé mes études me permettant d’accéder au diplôme d’ingénieur des arts et métiers. J’y ai ensuite travaillé durant 10 ans.»
Une année charnière «En 2014, j’ai décidé de faire construire ma maison avec Groupement d’artisans. C’était à une période charnière car je devais partir à l’étranger, or, je suis très sensible à mon environnement familial et à ma terre et il se trouve que, dans le même temps, l’ancien patron de Groupement d’artisans venait de fêter ses 64 ans et me proposait de racheter ses parts. Là encore ça n’était pas prévu. Ça m’est tombé dessus. C’était de l’ordre de l’alignement des planètes. J’étais à un carrefour de ma vie professionnelle et l’on me propose de reprendre une entreprise.»
J’ai accepté le challenge «Sans doute parce que j’aimais beaucoup l’approche client de cette société, sa notion de personnalisation car toutes les constructions sont à 100% personnalisables, maisons en briques, en agglo, j’aimais cette proposition diversifiée. J’ai repris cette structure avec des idées d’organisation propres au groupe duquel j’étais issus ce qui nous a permis de, littéralement, exploser les compteurs passant de 30 maisons par an à 130 et de 3 personnes salariées à 26. dans le même temps, nous sommes passés à la construction de bâtiments collectifs, ce qui est l’origine de mon métier.»
Notre atout ? La diversification de nos métiers «Nous sommes en difficulté depuis la première crise Covid de 2019. Notre atout ? La diversification de nos métiers : villas, hangars, bâtiments. Avoir une multitude de cordes à son arc permet de moins subir un coup de ‘mou’ sur un segment du métier. C’est d’ailleurs ce qui m’avait plu dans le groupement d’artisans : que l’entreprise ne soit pas mono tache. Notre cœur de métier ? Proposer des solutions à nos clients. Et si l’on veut continuer à exister, développer la diversification de nos métiers pour toujours s’adapter, notamment dans la réhabilitation, le changement de destination des lieux… Ce qui nous fera gagner ? Proposer un large choix de solutions à nos clients.»
La recherche de foncier «C’est le problème majeur de notre métier et pas seulement en Vaucluse mais en région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui est celle qui affiche le plus cher prix au m2 en France, même face à la région parisienne ! Comment en sommes-nous arrivés là ? Tout a commencé avec le dispositif Zan –Zéro artificialisation nette-. C’est une façon de dire que l’on ne peut plus construire sur du terrain agricole, ce que je trouve très bien. Cela induit aussi de travailler sur les dents creuses, c’est-à-dire des espaces vides au cœur du tissu urbain.»
La solution «Nous aimerions que la préfecture, les communautés d’agglo, de communes, les élus travaillent mieux avec notre fédération, reprend Frédéric de Saintagne -également président départemental du Vaucluse, pôle habitat de la fédération française du bâtiment, et administrateur au sein de la Fédération du BTP84 – car les gens ont besoin de se loger et les terrains épars déjà enclavés dans le tissu urbain peuvent et doivent être optimisés.»
Situation de crise «La pénurie de foncier, la hausse des prix des terrains et des matériauxsont en train de faire ‘sauter’ la classe des primo accédants. D’ailleurs les primo-accédants sont désormais des cadres moyens, ce qui veut dire que le jeune qui veut construire ne le peut plus, et le cadre moyen se retrouve primo accédant, et là, nous créons une tension sociale. D’autant plus qu’il n’y a plus de logements sociaux qui, au départ, existaient pour aider les gens à se lancer dans la vie, à travailler, puis à aller vers l’accession, ou encore aider les gens en difficulté. Sauf qu’aujourd’hui, le volet des gens en difficulté inclut les jeunes et les travailleurs actifs. Lorsque l’on travaille, on ne devrait pas être en difficulté or, aujourd’hui c’est le cas ! Un couple avec un enfant et un salaire correct chacun se retrouve en difficulté parce qu’il ne peut plus aller vers l’accession. Le problème est devenu profond.»
Le zéro artificialisation nette Le zéro artificialisation nette aura-t-il ‘dumpé’ l’immobilier ? «C’est toujours une question d’offre et de demande. Si la demande est plus forte que l’offre alors les prix grimpent. On le voit bien avec le coût de l’énergie. La demande est exponentielle et la rentrée d’énergie est moindre. Ce qui est rare est cher, le prix de l’énergie progresse.»
Les maisons positives et passives Travaillez-vous sur les maisons positives ou passives ? «Il s’agit d’un montage spécifique, c’est donc une niche, par contre, nous constructeurs, avec l’Etat via la règlementation environnementale 2020, nous travaillons sur l’amélioration du logement, de nos prestations, sur l’exposition des maisons, le confort d’été et d’hiver, en proposant des solutions techno-économiques aux clients. Nous travaillons, par exemple, avec les briques, ou de l’agglo rectifié, avec un coefficient thermique supérieur, en construisant de petites caquettes –avancée en béton sur le haut du bâtiment pour protéger la construction du soleil-, l’isolation intérieure au plafond et au mur, le doublage… Le but ? Bonifier la carcasse de la maison puis travailler sur la consommation des équipements : ballon thermodynamique et systèmes de chauffage repérés pour leurs très bons rendements afin de limiter la consommation d’énergie, tout en maintenant la qualité de la prestation.»
Quelles mutations de l’acte de bâtir voyez-vous poindre ? «Notre métier, qui était à l’origine de bâtir, est en train d’évoluer pour devenir un métier de recherche de financements pour accéder au terrain puis construire. C’est une mutation importante. Derrière, nous devons travailler sur la performance technique de nos bâtiments à faibles émissivités, consommation, tout en conservant un aspect économique attractif pour permettre aux gens de se loger. Nous sommes donc face à des mutations techniques et administratives. Nous devons aller plus loin et proposer une solution globale : trouver du terrain, aller chercher du financement, dialoguer avec des partenaires bancaires et, enfin, construire. Le hiatus ? Nous, constructeurs, remarquons que la construction neuve n’est plus la priorité de l’Etat, ni des élus.»
La formation «Je suis très sensible à l’ouverture de nos métiers, comme leur présentation lors des Coulisses du bâtiment, aux collégiens, lycéens, chômeurs, personnes en formation parce qu’un jour, un maître de stage a porté attention à qui j’étais et ce que je faisais. D’autant plus que les métiers du bâtiment, depuis de nombreuses années, sont dévalués alors que nos métiers regorgent de choix et d’options. On peut aller du CAP au diplôme d’ingénieur -et j’en suis un bon exemple-. L’ascenseur social fonctionne dans le BTP ce qui n’est pas le cas ailleurs. Ce sont aussi des métiers très accompagnés par les dernières technologies et l’Intelligence artificielle. Des métiers à forte valeur ajoutée et surtout à forteSvaleur humaine. Ce qui propulsera l’homme de base en haut de l’échelle ? Aimer et savoir travailler en équipe, les uns avec les autres, collaborateurs et clients.»
Frédéric Saintagne, gérant de Groupement d’artisans à Piolenc, ‘L’absence de politique de logement prive les français d’accès à la propriété.’
L’élection d’Olivier Salleron, entrepreneur à Périgueux en Dordogne, à la présidence nationale de la Fédération française du bâtiment (50 000 entreprises représentant plus d’un million de salariés) s’est déroulée le 20 mars dans un contexte inédit, confinement oblige, avec vote électronique. Son entrée en fonction, qui devait être progressive aux côtés de l’actuel président Jacques Chanut – jusqu’à la mise en place d’un comité exécutif renouvelé et rajeuni, le 12 juin, lors d’un congrès prévu à Lyon – se transforme en baptême du feu, avec des réunions de crise à répétition en visioconférences. Olivier Salleron compte 15 chantiers à l’arrêt dans sa propre entreprise de chauffage et climatisation : un temps qu’il investit pour l’intérêt général. Rencontre avec un président tiraillé entre l’urgence et des pistes de changements positifs.
Comment vivez-vous cette arrivée à la présidence nationale dans un tel contexte ?
« C’était inimaginable, en effet. C’est une arrivée très particulière, mais je préfère être dans l’opérationnel, une mission en duo assurée avec l’actuel président. Une heure après les félicitations par téléphone, j’étais dans la boucle de négociations et d’informations, avec les acteurs de la réalisation du guide* : je suis au cœur du réacteur tout en restant confiné en Dordogne, entre mon entreprise et mon domicile. Je passe 8 à 10 heures par jour en visio et audioconférences. C’est finalement un formidable accélérateur relationnel, cela crée aussitôt des liens très forts avec l’équipe de la fédération. On se connaît mieux. En 15 jours, j’ai eu des contacts avec plus de décideurs que j’aurais pu avoir en deux ans dans le contexte habituel : des relations téléphoniques régulières avec cinq ministères, ça fait bizarre même si j’ai l’expérience des négociations… Ça servira pour la suite. J’essaie de voir ce côté positif. »
Quelle était la situation, avant la crise, pour les métiers du bâtiment ?
« Le secteur connaissait une timide reprise depuis deux ans, avec des recrutements. Les carnets de commande 2020 étaient bons pour les artisans, les PME et les grandes entreprises. Cette crise vient casser la progression dans une conjoncture favorable après une dizaine d’années difficiles. Les comptes se redressaient, les trésoreries pas encore. Ce coup d’arrêt brutal est un danger ‘extra ordinaire’ pour des entreprises qui n’avaient pas pu se rétablir totalement : si cela dure, s’il n’y a pas d’innovations en termes de marchés privés et publics et d’aides de l’État, nous pourrions voir 30 à 50 % d’entre elles mettre un genou à terre – le redressement –, sinon les deux – la liquidation. Les prix sont encore bas, les entreprises fragiles : on peut s’attendre à des fermetures dès le mois de juin. La marge moyenne en 2019 pour les professionnels du bâtiment était autour de 2 % : on estime la perte de chiffre d’affaires à 20 % en 2020 si la reprise des chantiers s’exécute aux tarifs donnés avant la crise, sans tenir compte des méthodologies que nous devrons déployer dans le cadre d’une lente reprise du travail. On ne peut mathématiquement pas réussir à s’en sortir avec une rentabilité dégradée. Il faudrait augmenter les prix de 20 % en moyenne dans le bâtiment, du fait des précautions nécessaires pour la main-d’œuvre. On va forcément passer plus de temps sur des chantiers qui mettront des mois à redémarrer, ce qui va dégrader les relations entre les corps d’état, compliquer celles entre les entreprises et les maîtrises d’œuvre, et les maîtrises d’ouvrage. »
« S’il n’y a pas d’innovations en termes de marchés privés et publics et d’aides de l’Etat, nous pourrions voir 30 à 50 % d’entreprises mettre un genou à terre. »
Lorsque vous parlez de solutions innovantes à trouver, que pouvez-vous proposer aux pouvoirs publics ?
« Le plan de relance est valable pour un rebond immédiat : report des charges sociales et fiscales, congés payés lissés sur plusieurs mois, étalement des prêts bancaires pour les investissements, mais il faudra les payer un jour et une entreprise qui ne tourne pas garde ses charges fixes. Nous comptons sur le maintien des travaux d’été prévus dans les lycées, collèges et écoles, nous espérons que les conseils régionaux, départementaux et municipaux donnent le tempo pour que les autres maîtres d’ouvrages suivent. Pas question de créer d’autres marchés, qu’on ne pourrait pas assurer : il faut garantir ce qui était prévu, dans de bonnes conditions. Pour que ce choc économique ne soit pas encaissé par les seules entreprises du bâtiment, il faudra trouver des méthodes de maîtrise d’œuvre pour nous faciliter les choses, toujours en sécurité sanitaire. Nous devrons revenir sur les chantiers avec des avenants pour tenir compte du nombre d’heures à passer, y compris sur les marchés du logement et marchés privés. Sans cela, les entreprises vont s’effondrer après avoir tiré sur la corde jusqu’au bout. Et les chantiers s’arrêteront, faute de combattants : nous devons tenir sur la durée. »
Peut-on sortir plus fort de ce genre de situation ?
« On a pris conscience que l’activité humaine peut s’arrêter du jour au lendemain. On n’était pas prêt à tout cela et on va observer des modifications de stratégie. Que ce soit pour faire tourner l’économie ou pour les échanges humains, on voit bien que les technologies de communication font gagner du temps et permettent d’aller droit au but. On devrait conserver les apports en concision, en facilité de travail : on passe une heure en visio là où on mettait quatre heures jusque- là, la discipline est plus grande, avec des prises de paroles constructives. Le gain de temps est primordial aussi dans les réunions et les visites de chantier. Je m’appuierai sur cette expérience dans la gouvernance de la FFB. Mon programme insistait déjà sur ce que j’avais développé en Nouvelle-Aquitaine, sur l’innovation dans le bâtiment et tout ce qui améliore les gestes quotidiens, le BIM, le Lean, le télétravail… Les métiers du bâtiment vont forcément évoluer, le secteur va réduire les déplacements, s’ouvrir davantage à l’environnement. Je souhaite aussi créer une direction de la communication, transversale et en direction des jeunes : il va falloir les attirer, tout comme les personnes en réorientation, et démontrer que nos métiers sont technologiques et innovants. Je reste optimiste, c’est sûrement lié à ma trajectoire. Je suis entré à la fédé pour rejoindre une bande de copains, nouer des échanges professionnels et amicaux. J’ai dû reprendre rapidement la présidence périgourdine, il y a seulement sept ans, puis la présidence régionale, en 2017. J’ai réalisé la fusion des trois anciennes régions, soit 12 départements de Nouvelle-Aquitaine sur lesquels je veille encore, en lien avec les partenaires locaux. Tout est allé très vite, avec la vice-présidence nationale et la commission sociale. Je porte un certain renouveau malgré la crise que nous traversons. »
Avec 70 % des entreprises du bâtiment ayant procédé à du chômage partiel, la profession s’est battue, avec les Travaux publics, pour obtenir les autorisations dès la première semaine de confinement moyennant l’écriture d’un guide des bonnes pratiques, publié jeudi 2 avril. Afin que ceux qui ne peuvent pas poursuivre les chantiers, dans des conditions de sécurité décrites, accèdent au chômage partiel sans réserve.
Ce guide apporte des critères précis pour déterminer la possibilité d’accès au chantier et, si la sécurité n’est pas garantie, de chômage partiel. « On a du travail, on veut honorer nos carnets de commandes, ça ne nous fait pas plaisir de rester chez nous et de quémander du chômage partiel, ce n’est pas dans nos habitudes, c’est la première fois en 47 ans d’histoire de l’entreprise familiale : mais on ne veut pas prendre de risque. » Les prescriptions ont été fixées par l’OPPBTP, organisme paritaire qui régit la prévention dans le BTP depuis 70 ans, avec la Capeb, FFB, FNTP et Scop. Représentants des salariés et des dirigeants de tous les métiers concernés ont contribué à cette réalisation : la première édition, écartée par le gouvernement, a été retravaillée en une semaine et a reçu l’accord des ministères de la Transition écologique et solidaire, de la Ville et du Logement, des Solidarités et de la Santé, et du Travail. Mais les organisations salariales ne l’ont pas encore paraphé.