En Provence, peut-être plus qu’ailleurs, on manque d’eau et ça ne risque pas de s’arranger. Toutes les cultures en souffrent, et en particulier celles qui n’étaient traditionnellement pas irriguées comme la vigne, les amandiers ou les oliviers. Mais, il existe peut être une solution et cela sans puiser dans les nappes phréatiques. Quelques oléiculteurs des Alpilles se lancent aujourd’hui dans une expérimentation qui pourrait être riche d’enseignements.
On pourrait appeler cela l’autre « French Paradox*». Un de plus. Et celui-ci mérite qu’on s’y intéresse. Si en France, on manque d’eau, seul 1% des eaux usées et retraitées sont utilisées. Difficile de faire plus bas. Dans certains pays le taux de réutilisation est beaucoup plus important : 14 % en Espagne et jusqu’à 90 % en Israël. Les spécialistes appellent cela le REUT, pour Réutilisation des Eaux Usées reTraitées.
Donc, en France on n’est pas bon. Mais où vont toutes ces eaux retraitées pourriez-vous légitimement vous demander ? Excellente question. Elle est rejetée dans la nature. Sans autre forme d’explications. Juste à titre d’exemple la station d’épuration de Maussane-les-Alpilles, traite et rejette chaque jour 4 000 M3 d’eau… C’est à partir de ces constats que plusieurs oléiculteurs des Baux-de-Provence se sont réunis pour mettre en place une expérimentation d’irrigation à partir des REUT de la station de Maussane-les-Alpilles. Cette expérimentation portera sur quelques centaines d’oliviers et sera étendue à des amandiers. On attends aujourd’hui le feu vert de la préfecture.
“Comme si nous ne pouvions agir qu’en étant au bord du précipice“
Des vignerons de l’Hérault utilisent déjà depuis plusieurs années cette solution d’irrigation avec succès. D’autres exemples existent aussi en France. Mais alors pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt? Cette histoire pourrait nous faire penser à celle de la crise énergétique. Il a fallu que ses prix explosent pour qu’on se décident à l’économiser. Même la crise pétrolière de 1973, qui a permis une certaine prise de conscience, n’a pas fait beaucoup avancer les choses. Voyez la situation actuelle.
Tous les prévisionnistes et scientifiques patentés sont trop souvent considérés comme des oiseaux de mauvaise augure et leurs propos peu pris en compte. Cause toujours.
Comme si au fond nous ne pouvions agir qu’en étant au bord du précipice. Il nous faut voir le danger de très prêt ou d’assister aux premières conséquences de notre inaction pour enfin avancer. Sommes-nous trop hermétique aux changements ou peu enclin à renoncer à quelques facilités ? En effet, si on en revient à nos oléiculteurs provençaux il faudra évidemment trouver une solution pour acheminer l’eau jusqu’aux champs concernés. Les efforts sont à ce prix. On a rien sans rien, mais s’agissant de notre avenir on devrait pouvoir se bouger !
*The French Paradox a mis évidence la contradiction supposée entre la richesse de la cuisine et des vins du Sud-Ouest français et la relative bonne santé des habitants de cette région en matière de maladie cardiovasculaire.
De l’égout au robinet
L’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse publie son nouveau rapport sur l’état des eaux qui s’appuie sur 5,5 millions d’analyses de surveillance annuelle des cours d’eau, nappes et plans d’eau des bassins Rhône-Méditerranée et de Corse.
Ainsi, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 62 % des rivières sont en bon état écologique, tandis que 87 % des nappes souterraines affichent un bon état chimique. Avec le changement climatique, la préservation et la reconquête du bon état des eaux sont essentielles pour permettre aux milieux aquatiques de continuer à fournir des services durables aux activités humaines, et de se régénérer plus vite après des épisodes de sécheresses ou d’inondations. Fin octobre, les milieux aquatiques, premières victimes de la sécheresse, étaient encore fragilisés et tous les départements de Provence-Alpes-Côte d’Azur étaient concernés par une restriction des usages de l’eau.
La qualité des eaux s’améliore Dans les bassins de Rhône-Méditerranée et de Corse, la qualité des eaux s’est améliorée grâce à la baisse notable des pollutions organiques. Les concentrations en ammonium ont été divisées par 20 en 30 ans, après la construction de stations d’épuration plus performantes. Les développements d’algues qui étouffent la vie dans les rivières ont quasiment disparu grâce à l’interdiction des phosphates dans les détergents ménagers. Toutefois, la situation climatique de l’été 2022 a eu pour conséquence le réchauffement des eaux et la baisse des débits, engendrant une ré-augmentation des concentrations en nutriments.
Les micropolluants Concernant les micropolluants, le niveau de concentration en métaux dans les rivières a été divisé par 6 en 15 ans. C’est le résultat notamment d’opérations collectives mobilisant les collectivités et le tissu industriel, afin de mieux traiter les eaux usées avant leur rejet. Cette amélioration de la qualité physicochimique de l’eau est bénéfique pour la faune et la flore aquatique des rivières. 71% des stations de surveillance des rivières des bassins Rhône-Méditerranée et de Corse indiquent un paramètre « diatomées » (algues sensibles aux pollutions) en bon état. La présence d’invertébrés, indispensables au bon équilibre de la rivière, montre également une bonne qualité biologique de l’eau, même si les conditions météorologiques font fluctuer les analyses.
Les activités humaines menacent l’équilibre écologique Mais malgré cette nette amélioration de la qualité des eaux, plus de 70 % des cours d’eau des bassins Rhône-Méditerranée et de Corse sont concernés par des pressions dues aux activités humaines qui menacent l’atteinte du bon état écologique des eaux à l’horizon 2027 comme l’exige la directive cadre européenne sur l’eau, et qui pourraient entrainer une dégradation de la situation si rien n’est fait, a fortiori sous l’effet du changement climatique. La situation climatique de cette année 2022 souligne l’importance de renforcer encore l’effort pour le bon état des eaux.
Substances émergentes PFAS et pesticides sous haute surveillance L’analyse des micropolluants organiques dans les eaux a commencé au début des années 1990. Depuis, les progrès considérables accomplis par les laboratoires permettent de déceler de nouvelles contaminations.
Plus de 50% des substances toxiques dans les rivières sont des pesticides En 2021, sur les 1037 paramètres analysés dans les cours d’eau des bassins de Rhône-Méditerranée et de Corse, plus de 500 substances toxiques ont été détectées, dont les pesticides, qui représentent plus de la moitié des substances identifiées, le glyphosate et son métabolite l’AMPA (Acide Amino Méthyl Phosphonique) arrivant en tête. Avec plus de 1300 tonnes vendues sur les bassins Rhône-Méditerranée et de Corse en 2020, le glyphosate est le numéro 1 des ventes de produits phytosanitaires.
Concernant les eaux souterraines de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 87 % des nappes sont en bon état chimiquemais les pesticides peuvent constituer une menace pour l’alimentation en eau potable. Aujourd’hui, près de 20 ans après leur interdiction, les triazines et leurs produits de dégradation sont encore présents dans certaines eaux souterraines, parfois à des concentrations supérieures aux normes exigées pour l’alimentation en eau potable. Le renouvellement des eaux souterraines étant un processus long, ces substances vont encore dégrader la ressource durant de nombreuses années. Pour pallier l’interdiction des triazines dans les traitements herbicides, les agriculteurs les ont majoritairement remplacées par une autre substance, leS-métolachlore,dont les produits de dégradation se retrouvent très fréquemment dans les eaux.
Des zones restent épargnées Seules les zones montagneuses du bassin (Jura, Alpes, Massif Central, Pyrénées, Corse), dont l’agriculture intensive est absente, sont épargnées par ce type de contamination.
Plastifiants, insecticides et produits détergents Parmi les autres micropolluants organiques régulièrement présents dans les cours d’eau (hors pesticides), on retrouve des substances utilisées comme plastifiants (revêtements de sols, emballages alimentaires…), mais aussi dans la fabrication d’insecticides ou pour la fabrication de produits détergents : par exemple, le bisphénol A, reconnu comme perturbateur endocrinien, désormais interdit d’usage en France dans tous les contenants alimentaires ou le formaldéhyde, classé par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme « substance cancérogène avérée pour l’homme».
Des substances pharmaceutiques dans les rivières Depuis 2015, l’agence de l’eau suit près de 200 polluants «d’intérêt émergent dans le milieu». Il s’agit de substances pharmaceutiques, de stéroïdes, d’hormones, de stimulants, de cosmétiques, qui n’étaient pas suivies précédemment, mais dont les effets sur la vie aquatique peuvent être négatifs. Parmi ces substances, plus de 130 sont présentes dans les cours d’eau des bassins de Rhône-Méditerranée et de Corse,rejetées principalement dans les excrétas (urine, fèces) des humains et des animaux domestiques et dont le traitement dans les stations d’épuration n’est souvent que partiellement efficace.
Les PFAS, omniprésents dans l’environnement La famille des per- et polyfluoroalkylées (PFAS) regroupe près de 5 000 substances chimiques produites par l’homme depuis les années 40. Même si l’usage des substances les plus connues est désormais restreint par la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, d’autres substances de la même famille les ont remplacés. Leurs propriétés physico-chimiques (surfactantes, résistantes aux chaleurs intenses ou aux acides, à l’eau et aux graisses…) expliquent leur présence dans un grand nombre de produits de consommation courante et applications industrielles. Ils sont utilisés dans les textiles, les emballages alimentaires, les cosmétiques, les poêles anti-adhésives, les mousses anti-incendie, les imperméabilisants, les cires à parquet, les vernis et peintures…
Les substances chimiques omniprésentes dans l’environnement Leur très large utilisation, combinée à leur faible dégradation, rend ces substances omniprésentes dans l’environnement, notamment dans les cours d’eau, avec un risque de perturbation de la vie aquatique.Dans les cours d’eau, les plus fortes concentrations en PFAS sont situées sur le Rhône, de l’aval de Lyon jusqu’à la Méditerranée. Très peu biodégradables, on les retrouve également à l’aval des rejets de grosses agglomérations, en l’absence de traitement de ces substances par les stations d’épuration, notamment en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Les eaux souterraines aussi sont contaminées Les eaux souterraines peuvent être elles aussi contaminées. La surveillance, effective depuis 2017, montre que les aquifères alluviaux sont les plus touchés (66 %), et dans une moindre mesure les aquifères karstiques (17 %). Les plaines de l’Est lyonnais et de Mauguio-Lunel sont les plus impactées, là où sont situés les aéroports de Lyon Saint-Exupéry et Montpellier Méditerranée, sur lesquels sont effectués de nombreux entraînements utilisant des mousses anti-incendie à base de PFAS.
Les effets du changement climatiques Les effets du changement climatiques, en réduisant notamment le débit des cours d’eau en période estivale et donc la dilution des pollutions, rendent les milieux aquatiques d’autant plus sensibles à toutes ces pollutions. Réduire les prélèvements d’eau et favoriser la circulation de l’eau dans les sols et les rivières sont donc des conditions indispensables pour retrouver des milieux en bon état.
Prélèvement excessif, morphologie dégradée, cloisonnement des rivières : encore des défis à relever Aux évènements climatiques qui peuvent, comme cet été 2022, réduire les débits des cours d’eau, s’ajoutent les modifications du régime hydrologique liées aux activités humaines. Ainsi, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 37 % des rivières sont perturbées par des prélèvements d’eau excessifs.
La température de l’eau grimpe dans les faibles débits Les faibles débits des rivières font grimper la température de l’eau, réduisent la dilution des polluants et modifient la forme des cours d’eau, la vitesse de courant et la profondeur d’eau, ce qui fragilise les communautés aquatiques et, dans les cas les plus graves, peut occasionner la disparition d’espèces. La capacité de résistance des milieux aquatiques, en particulier aux pollutions, peut ainsi être fortement mise à mal par une baisse durable des débits des cours d’eau.
Préserver et restaurer les zones humides Il est toutefois possible d’agir pour limiter les impacts du changement climatique. Préserver et restaurer les zones humides, désimperméabiliser les sols et économiser l’eau sont 3 leviers pour retenir l’eau dans les territoires. En 2021, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 142,6 millions de m3 d’eau ont été nouvellement économisés, 14,5 hectares de sols désimperméabilisés et 1279 hectares de zones humides restaurés ou préservés.Par exemple, le complexe de potabilisation des Giraudets, qui alimente en eau potable les habitants de la Métropole Aix Marseille Provence a été modernisé pour intégrer un procédé de recyclage des eaux de lavage des filtres, permettant ainsi une économie d’eau estimée à 450 000 m3/an.
La morphologie des rivières de Provence-Alpes-Côte d’Azur est artificialisée pour 46 % d’entre elles. Ces altérations dues aux recalibrages, endiguements des cours d’eau, au bétonnage, à l’enrochement des berges ou au déboisement des rives modifient et détruisent les habitats nécessaires aux espèces aquatiques. L’enjeu, aujourd’hui, est de redonner un fonctionnement naturel aux rivières, leur laisser de l’espace, ralentir les écoulements, actions qui sont autant d’atouts pour réduire également les risques liés aux crues. En 2021, plus de 4 km de rivières ont été restaurés en PACA.
Des exemples de réussite Par exemple, les travaux de renaturation du Colostre, affluent du Verdon, ont permis de doubler la diversité de la faune dans la rivière. Plus globalement, il a s’agi de restaurer la circulation des poissons et des sédiments, reconnecter la nappe avec le lit majeur, redonner au Colostre son rôle de réservoir de biodiversité et limiter les étiages et la dangerosité des crues, avec l’objectif d’améliorer la résistance des milieux aux impacts du changement climatique.
Quant au cloisonnement des milieux aquatiques par les seuils et barrages, il porte atteinte à la circulation des poissons et au transport des sédiments. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce sont 40% des rivières qui sont victimes de ces aménagements. Le rétablissement de la continuité écologique est une priorité pour atteindre le bon état des eaux. En 2021, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’agence de l’eau a financé des travaux sur 8 ouvrages rendus franchissables par les poissons et les sédiments.
Que veut dire bon état ? Pour les eaux superficielles ou souterraines, il garantit une vie animale et végétale riche et variée, ainsi qu’une eau disponible en quantité et aulité suffisante afinde maintenir les fonctions vitales utiles à l’homme et à la bio-diversité. Les résultats des 5,5 millions d’analyses réalisées chaque année pour évaluer l’état des milieux aquatiques permettent de mieux orienter les mesures à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs de bon état des eaux fixés par la directive cadre européenne sur l’eau à l’échéance 2027.
A propos de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse L’agence de l’eau est un établissement public de l’État sous tutelle du ministère de l’environnement, qui a pour mission la reconquête du bon état de l’eau et des milieux aquatiques. En application du principe pollueur-payeur, elle perçoit des redevances fiscales payées par tous les usagers : ménages, collectivités, industriels, agriculteurs, en fonction des volumes qu’ils prélèvent et de la pollution qu’ils rejettent. L’argent ainsi collecté est réinvesti auprès des collectivités, industriels, agriculteurs et associations qui agissent pour améliorer la qualité de l’eau et des milieux : améliorer les systèmes d’assainissement, réduire la pollution par les substances toxiques, économiser et partager l’eau, reconquérir la qualité des eaux des captages dégradés par les pollutions diffuses (pesticides et nitrates), préserver les ressources stratégiques pour l’eau potable, restaurer le fonctionnement naturel des rivières, des milieux marins et des zones humides dégradées ou menacées … L’agence de l’eau agit dans le cadre d’un programme d’intervention 2019-2024 qui fixe les grandes priorités d’action pour 6 ans. L’agence dispose d’une capacité d’aide annuelle d’environ 440 M€ et emploie 330 personnes. www.eaurmc.fr | www.sauvonsleau.fr MH