La pandémie de la Covid-19, les confinements successifs puis les couvre-feux ont considérablement changé la vie de millions de personnes. C’est exactement ce qui s’est passé dans le Village Monde de l’Isle-sur-la-Sorgue. Trois personnes, Maria, Gilbert et Humbert qui y travaillent et y vivent ont lancé ‘Lire sur la Sorgue’ des rencontres littéraires toute l’année et un festival au printemps parce que pour eux, ‘Un livre peut changer une vie’.
Tout a commencé par un coup de fil.
Est-ce que l’Echo du mardi pourrait venir nous voir parce qu’on voudrait vous expliquer ce qu’est Lire sur la Sorgue ? Intrigués, nous nous rendons à l’invitation. Lire sur la Sorgue c’est quoi ? Un festival du livre, des rencontres, des auteurs et des lecteurs ? Des déclamations théâtralisées dans la rue, sur une barque portée par la Sorgue, plus encore ? Pour le savoir direction l’Isle-sur-la-Sorgue. Arrivée au parking du Portalet, le petit pont franchi nous voici sur la place de la Liberté à l’Isle-sur-la-Sorgue. On a hâte de les rencontrer.
On file au Café de France
à l’invitation d’Humbert Mogenet, le financier de l’asso, ancien banquier de la Caixabank devenu courtier où conversent déjà Maria Ferragu, la libraire ingénieure en communication, et Gilbert Conil le président de l’asso qui a passé, avec brio, sa thèse de philosophie. Tous les trois se retrouvent régulièrement pour concocter les rencontres qui feront se croiser les gens de toutes les strates et de tous les âges. «Parce que la qualité de la vie ce sont les rencontres, soutient Gilbert Conil. Nous ? On adore l’Isle-sur-la-Sorgue, on y vit, on y respire et ce lieu est tellement fantastique qu’il doit l’être pour tout le monde. Mais on ne veut surtout pas de l’entre soi, ni de clivage entre les jeunes et les vieux. On invite les gens à se parler et à se respecter parce que tout l’enjeu réside dans le respect et la transmission. On veut aider à ce que chacun puisse s’exprimer, être écouté, que les dialogues se nouent dans la bienveillance et sans jugement.» indique chacun en substance.
Lire sur la Sorgue ?
Ça veut dire apprendre à se parler et à cheminer ensemble. Oui mais concrètement ? Dans les faits ? L’aventure est protéiforme : Un festival du livre de mercredi 18 à dimanche 22 mai prochain dans plusieurs endroits de l’Isle. Pour cette 2e édition, il y aura un spectacle sur les correspondances entre René Char et Camus dont l’amitié ne fut rompue que par la mort de l’enfant terrible d’Alger ; Au Musée Pétrarque -à Fontaine de Vaucluse- on explorera la poésie et la nature au gré d’une conférence de Daniel Bergez. Michel Field, le parrain de la 1re édition rythmera, pour cette deuxième édition, des tables rondes. En tout, plus d’une quinzaine d’auteurs viendront rencontrer leurs lecteurs et en séduire de nouveaux ; un conteur de rue déambulera et s’essaiera même à une performance sur les pescaïres et les Negochin –barques à fond plat-.
En résumé
«Lire sur la Sorgue ce sont des événements littéraires : des spectacles, des conférences, des rencontres, toute l’année dans la librairie, dans les entreprises, dans les associations, dans les lieux ouverts avec, au printemps, son festival, résume Gilbert Conil. C’est aussi aider chacun à se constituer une bibliothèque et pour les plus jeunes, s’engouffrer dans la lecture tout en utilisant les outils numériques pour faire des créations, des captations, des assemblages et de la diffusion.»
Collégiens et lycéens Le smart phone combiné à l’écrit, ça déchire !
Cependant Gilbert Conil veut aussi mettre l’accent sur les collégiens et lycéens. «On oppose trop souvent high tech et livres. On se gargarise du ‘c’était mieux avant’ alors que pas du tout ! Les smart phones sont dans toutes les mains et permettent particulièrement, en plus d’être des téléphones, de filmer et prendre des clichés de très grande qualité. Alors on a fait une expérience. On a proposé à des élèves de travailler à la fois l’écrit et les images en parallèle ce qui a donné des productions de très grande qualité. Cela a surpris tout le monde alors que ça n’aurait pas dû parce que travailler avec les outils d’aujourd’hui est nécessaire et fait éclore des talents qui ne demandent qu’à être mis au jour. Il sera aussi question des métiers du livre, de la fondation Frédéric Gaillanne où se déroule chaque mois un quai des lecteurs.»
Les salariés d’entreprise
«Les entreprises sont partout et pourtant on oublie les salariés et leurs besoins, reprend le président de Lire sur la Sorgue. Alors on s’est dit qu’on allait faire entrer les livres dans l’entreprise et que chacun, en parlant du livre qu’il avait choisi, pourrait converser avec ses collègues qu’il côtoie au quotidien sans les connaitre. Le livre est un vecteur qui permet de parler de soi et de dialoguer avec les autres. Cela bouscule les codes, permet d’entrevoir l’autre différemment et, peut-être d’éviter des burn out ou des rapports froids et distants. D’ailleurs le principe est déjà acté avec la Fondation Frédéric Gaillanne –la 1re école en France et en Europe qui éduque et offre gratuitement des chiens guides exclusivement destinés à des enfants déficients visuels- où se déroule un quai des lecteurs chaque mois.
Les entreprises publiques et privées amoureuses des livres ?
C’est bien ce que veut impulser Lire sur la Sorgue. D’autant plus que 2021-2022 a été déclaré Grande cause nationale par le président de la République Emmanuel Macron, avec une inclination, certes pour les plus jeunes mais aussi pour tous les français. Des entreprises parmi les plus importantes de France comme des plus modestes s’y sont essayées. Parmi elles ? La BPI (Banque publique d’investissement) qui, en lien avec des éditeurs, commande des ouvrages pour ses soirées littéraires. La Poste, Orange, la SNCF, Enedis, le BTP tiennent des clubs de lecture, organisant des rencontres entre les écrivains et les salariés. Des start-up de la tech proposent à côté des babyfoot et des corbeilles de fruits de la littérature entrepreneuriale et managériale. A tel points que certains rêvent après la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) de se mettre à la RCE (Responsabilité culturelle des entreprises).
Orange, Enedis, Harmonie mutuelle…
Pour mémoire, la Fondation Orange a lancé le prix du livre pour soutenir le papier alors que l’e-book et autres liseuses étaient sensés enterrer les ouvrages. Objectif ? Distinguer les écrivains confidentiels et promouvoir leur notoriété. Depuis 2020 Orange lorgne même du côté de la BD. Enedis a lancé en 2016 ‘Lire la société, Lire la politique’ et encourage ses 38 000 employés à prendre la plume sur ces thèmes en s’engageant à publier les manuscrits avec ‘Le prix du livre des salariés’. Harmonie Mutuelle a créé son prix ‘Solidarité’ en 2004. Le sujet explorés ? Jeunes aidants, précarité des jeunes et handicap avec une approche intergénérationnelle. Après ? Les écrivains lauréats rencontrent les salariés lors d’événements régionaux. A noter dans le top 5 des genres de livres les plus lus en France figurent les livres professionnels. Ce qui séduirait ces lecteurs ? Le développement de la culture managériale et entrepreneuriale. Les grandes marques comme Chanel font même des salons littéraires filmés menés par Charlotte Casiraghi avec les rendez-vous littéraires de Cambon.
Source LH Mars 2022.
Travailler ensemble
Ce qui fait le ciment de ces trois-là : Maria Ferragu, Gilbert Conil et Humbert Mogenet ? Un très fort attachement à l’Isle sur la Sorgue et l’envie de tisser du lien avec tous les acteurs locaux, ainsi les commerçants qui le veulent participeront à Lire sur la Sorgue, notamment en choisissant la phrase en réserve blanche qui parcourra leur vitrine de la citation d’un ouvrage qui les a particulièrement marqués. «C’est un village où les auteurs viennent rencontrer des lecteurs accueillants et curieux.» explique Humbert Mogenet, président du fonds de dotation ‘Nouveaux lecteurs’.
Le point de départ ?
«Ça a été le confinement, relate Maria Ferragu. J’ai vu des gens rentrer dans la librairie qui d’habitude n’achetaient que sur Amazon. Beaucoup de nouveaux lecteurs ont poussé la porte sans savoir comment fonctionnait une librairie. On s’est dit, il y a quelque chose à faire. C’est grâce au confinement qu’est né Lire sur la Sorgue. Oui mais on voulait des rencontres très concrètes, qui répondent à une vraie demande précise Gilbert Conil et surtout ne pas opposer high tech et livre.
Pour mettre au point leur projet ils ont créé 3 structures
Le passeur de l’Isle –la librairie indépendante-, le Cercle Lecteurs des Sorgues –le navire amiral et ses 40 bénévoles et le Fonds de dotation Nouveaux lecteurs. Le budget du festival de Lire sur la Sorgue qui aura lieu du 19 au 22 mai ? La 1re année il était de 35 000€, cette année il sera au moins de 75 000€. Également, chacun des trois membres fondateurs est le président de sa structure qui porte l’ensemble. Maria Ferragu pour Le passeur de l’Isle, Gilbert Conil pour Le Cercle des lecteurs des Sorgues et Humbert Mogenet pour le fonds de dotation des nouveaux lecteurs.
Le Fonds de dotation des nouveaux lecteurs dont le président est Humbert Mogenet a pour but de rechercher des financements privés pour soutenir des actions philanthropiques, sociales et culturelles. Il est le socle financier de Lire sur la Sorgue. «La structure offre à ses donateurs les mêmes avantages fiscaux que les fondations reconnues d’utilité publique, à l’exception des dons en réduction de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) souligne Humbert Mogenet qui se penche sur les entreprises pour tisser de nouveaux partenariats. L’association bénéficie du régime fiscal de faveur du mécénat au titre des entreprises (Article 238 bis – Code général des impôts – Légifrance) et des particuliers (Article 200 – Code général des impôts – Légifrance).
Fdd.nouveauxlecteurs@gmail.com
Le cercle des lecteurs des Sorgues
Est l’association –créée en 2013- qui porte Lire sur la Sorgue sur une idée innovante de Gilbert Conil –qui en est le président-. C’est grâce au bénévolat de plus de 40 adhérents enthousiastes et engagés pour promouvoir la lecture que Lire sur la Sorgue créé des événements littéraires toute l’année.
lecteursdessorgues@gmail.com
Le Passeur de l’Isle
Est une librairie indépendante généraliste tenue par Maria Ferruga qui en est la gérante. Le passeur de l’Isle, en plus de plus de 13 000 références propose un espace décoration à l’étage et des rencontres régulières d’auteurs tandis que l’époux de Maria Ferruga, Rémi, tient le Tome 2 dont la spécialité est la vente de vinyles et de BD.
Vous voulez en savoir plus ?
Maria Ferruga, Humbert Mogenet et Gilbert Conil nous en disent un peu plus sur eux.
Maria Ferragu tient la Librairie indépendante Le passeur de l’Isle. Si le lieu existe depuis 1998, elle l’a repris en 2015. Pourtant rien ne la prédestinait, au départ, à cette nouvelle aventure. «Avignonnaise, après un master de Droit privé obtenu à la fac d’Avignon et un autre de marketing des services à Lyon, je travaillais dans la communication pour Eco emballages devenu Citéo ce qui m’amenait à me déplacer régulièrement auprès des collectivités territoriales et à rayonner sur le secteur Paca-Corse-Languedoc-Roussillon.»
Quand la famille s’agrandit
«A l’arrivée de ma fille, Héloïse, je souhaitais me réveiller, chaque jour, auprès de ma famille et décidais d’orienter différemment ma carrière, se remémore la libraire. J’étais moi-même cliente dans cette librairie et commençait une formation terrain en même temps que j’y étais salariée durant deux ans. J’ai alors entrepris de mieux maîtriser le métier : l’assortiment, la relation client, la gestion de PME et NFI (nouvelle formation d’ingénieur en communication). Résultat ? Le chiffre d’affaires a doublé en 5 ans ce qui est aussi une conséquence de l’ouverture du 2e magasin, le Tome 2. Nous avons également bénéficié des effets de la pandémie de la Covid-19 dans les années 2020 et 2021 puisque nous étions le seul support culturel accessible.»
Une reconversion réussie
«Ma maitrise de droit et mon parcours en école de commerce ne m’avaient pas préparée à cette reconversion effectuée à 33 ans, pour un métier peu rémunérateur mais passionnant, s’amuse Maria Ferragu. 10 ans plus tard, je ne regrette pas mon choix parce que je voulais faire quelque chose de bien. Et j’ai même entraîné mon mari dans l’aventure avec notre fille Héloïse. Le livre qui a changé ma vie ? ‘Rien ne s’oppose à la nuit’ de Delphine de Vigan.»
En termes de chiffres ?
En plus de ses 13 000 références la librairie propose, à l’étage, des objets de décoration, de la papeterie, une multitude de petits objets en relation avec l’univers du livre. Les précédents propriétaires conjuguaient deux métiers, lui était libraire et sa femme, grande voyageuse, rapportait de ses voyages –notamment en Inde- des vêtements ainsi que des objets de décoration. C’est à l’étage que se tiennent les salons littéraires où deux fauteuils cossus, coussins et plaids, attendent auteurs et passionnés de lecture pour un moment hors du temps et lorsqu’il fait beau ça se passe devant la librairie.
Le Tome 2
Le Tome 2, l’échoppe voisine du Passeur de l’Isle, propose à la vente des vinyles «revenus sur le devant de la scène depuis 10 ans, précise Maria Ferragu. On y trouve aussi des chaînes Hi-Fi. Les jeunes à partir de 15 ans et moins jeunes s’y retrouvent pour compléter leur collection et retrouver les sons d’une époque où le numérique n’existait pas. Le passeur de l’Isle emploie, 6 salariés -5 équivalents temps plein- dont une chargée de mission culturelle à temps plein. «Nous sommes en zone touristique et lors de la saison estivale nos lieux restent ouverts 7 j sur 7, précise Maria Ferragu. La librairie est un espace atypique porté par Linda, Isabelle, Estelle, Tomek, Yann et Rémi.»
Au fait, c’est comment la vie d’un livre ?
« Un livre connaît une espérance de vie de 3 à 6 mois, constate la libraire, une nouveauté chassant l’autre. Le nerf de la guerre ? La diffusion et la distribution. L’auto-édition comme chez Amazon ? Cela répond souvent à un besoin d’écriture familiale, d’autobiographies, des ouvrages qui seront distribués lors d’une cousinade, intervient Gilbert Conil. D’ailleurs les imprimeurs locaux proposent l’auto-édition avec des livres bien mieux relus et surtout mieux réalisés. Et puis nous partons du principe qu’une personne qui écrit s’améliore. Là encore le conseil reste primordial. Avons-nous rencontré un talent d’ici ? OUI !, nous avons ici un bel exemple de réussite avec ‘Le dit du Mistral’ d’Olivier Mak-Bouchard, -qui a grandi à Apt et vit désormais à San Francisco et dont le livre est un best-seller, » sourit fièrement le philosophe.
Humbert Mogenet
«Après un cursus à Montpellier, en école supérieure de commerce, j’ai toujours œuvré dans le secteur de la banque à Bordeaux, Paris, Clermont-Ferrand… relate Humbert Mogenet. Mes passions ? Rencontrer les gens et œuvrer dans le monde des affaires. Ma plus belle aventure professionnelle ? Je l’ai vécue avec la Caixabank -Caisse d’épargne catalane et espagnole la plus importante d’Europe création de l’agence affaires, développée en 1990 en Europe- dont j’ai ouvert une agence à Avignon en 1992. Fin 1998 mon épouse, Laurence, et moi-même étions de retour à L’Isle sur la Sorgue. Nous étions redevenus, comme j’aime à le dire, vauclusiens volontaires. Aujourd’hui ? Je suis devenu courtier en financement pour les entreprises. Grand lecteur, je fais partie de ces personnes qui pensent que les livres sauveront le monde. Mes préférences ? La littérature classique, un brin lyrique, qui vous soulève comme avec Bernanos, Charles Péguy, Victor Hugo, Albert Camus. J’aime la lecture qui vous dépasse. Dernièrement ? Nous avons organisé une soirée sur ‘Les correspondances Albert Camus-René Char’ avec le plus grand spécialiste du grand écrivain né dans le petit village de Dréan (Mondovi) en Algérie, Franck Planeille. La soirée était dévolue à nos bénévoles ainsi qu’à nos partenaires pour les remercier.»
Gilbert Conil
«Je suis un vrai l’Islois, j’ai 63 ans. J’ai débuté ma carrière chez Pechiney en faisant les 3 voire les 4X8, en tant que technicien des automatismes après avoir obtenu un CAP puis un BEP de micromécanique. Aujourd’hui ? J’entame ma retraite après avoir travaillé la majorité de ma vie chez EDF-GDF devenu Enedis. J’ai été releveur de compteurs durant 15 ans avant d’aborder des activités syndicales, sociales parce que ne vis et ne respire que par le partage. Je crois que j’ai épuisé, dans ma vie professionnelle, tous les systèmes de formation parce que j’avais soif d’apprendre. Je suis devenu un grand lecteur à l’adolescence. Je me suis construit avec les livres. Lire était et reste une quête pour approcher des informations de qualité. J’ai acquis, au cours de mon parcours professionnel, une licence Jeunesse et sport, animation sociale, animé des groupes de management, été directeur de maison de retraite à Sainte-Tulle en encadrant 35 salariés, dirigé une entreprise de vidéo spécialisée dans le recueil de témoignages, particulièrement dans les quartiers nord de Marseille. Mon crédo ? La qualité de la rencontre. J’ai toujours placé l’humain au cœur de mon travail. A la fin de ma carrière j’ai passé une thèse de philo justement sur l’expérience au travail. Dorénavant je me consacre à ma passion, la lecture et je fabrique moi-même mes bibliothèques en bois d’arbre fruitiers. Mon auteur préféré ? Il est inconcevable de choisir. Je suis éblouis par François Jullien, notamment avec son ‘Traité de l’efficacité’. Il est le philosophe le plus traduit dans le monde. Il est d’ailleurs intervenu en mars dernier, dans le cadre d’un cercle des lecteurs à l’4rt gallery. Nous pensons tous les trois que les livres peuvent changer les vies.»