22 novembre 2024 |

Ecrit par le 22 novembre 2024

Gestion : Les Chorégies d’Orange risquent-elles de se fracasser sur le Mur d’Auguste ?

Les Chorégies d’Orange, le plus vieux festival d’art lyrique au monde, risquent-elles de se fracasser sur le Mur d’Auguste à cause de leur fragilité financière ? C’est la question que l’on se pose quand on lit les 55 pages du rapport de la Chambre Régionale des Comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur sur lequel nous allons y revenir en détails.

Et pourtant, depuis 2 000 ans, ce Théâtre Antique Romain de 8 313 places s’impose avec majesté au coeur de la Cité des Princes. Classé au Patrimoine de l’Unesco, il abrite les Chorégies, le plus ancien festival lyrique du monde puisqu’il date de 1869, quand Bayreuth est né en Allemagne sept ans plus tard, en 1876, Vérone en 1913, Salzbourg en 1920 et Aix-en- Provence 1948.

Que d’émotions avec Verdi, Puccini, Donizetti, Bizet, Rachmaninov, Chopin ou Paganini. Que de divas nous ont enchantés : Montserrat Caballé, Teresa Berganza, Barbara Hendricks, Béatrice Uria-Monzon, Angela Gheorghiu, Viorica Cortes, Inva Mula, Patrizia Ciofi, Renée Fleming, Hasmik Papian, Norah Amsellem, Leonie Rysanek, Cecilia Bartoli ou Anna Netrebko.

Que de tenors et baryton ont mis le feu aux gradins : Luciano Pavarotti, Placido Domingo, José Carreras, Leo Nucci, José Van Dam, Ruggero Raimondi, Roberto Alagna, Rolando Villazon, Alain Fondary, Gabriel Bacquier, Vittorio Grigolo, Juan-Diego Flores, Giaccomo Aragall, Jonas Kaufmann.

Roberto Alagna dans Tosca. © DR-Chorégies

Que de musiciens magnifiques, pianistes et violonistes ont fait vibrer les spectateurs : Martha Argerich, Lang Lang, François-René Duchâble, Evgeny Kissin, Nicolas Lugansky ou encore Vadim Repin, Maxim Vengerov et Nemanja Radulovic.

Que de chefs d’orchestres prestigieux sont venus du monde entier : Karl Böhm, Lorin Maazel, Daniel Barenboim, John-Eliot Gardiner, Jean-Claude Casadesus, Michelangelo Veltri, Pinchas Steinberg, Georges Prêtre, Michel Plasson Tugan Sokhiev, Riccardo Chailly, Myung Whun Chung, Jesus Lopez-Coboz.

Voilà pour toutes les émotions que nous ont offertes les Chorégies. Mais quand on lit le Rapport d’observations (à consulter en fin d’article) de la Chambre régionale des comptes (CRC) de Provence-Alpes-Côte d’Azur sur les exercices comptables de 2013 à 2021 on ne peut que s’inquiéter. 9 ans passés au crible et « Un modèle économique fragile identifié de longue date qui remonte à 2013 ».

« A Orange, la structure est dépendante de la réussite commerciale de sa programmation artistique. »

« Comme pour chaque contrôle, nous avons travaillé en binôme, explique Didier Gory, vice-président de la CRC et co-auteur du rapport avec un magistrat. Nous avons d’abord remarqué que ces Chorégies ont un taux d’autofinancement de près de 80%, fondé sur la billetterie. Dans les autres festivals, c’est le contraire, elle ne représente que 20% du budget ». Du coup, à Orange, la structure est dépendante de la réussite commerciale de sa programmation artistique. Et le déséquilibre majeur débute en 2013 avec l’annonce de deux représentations du ‘Vaisseau Fantôme’ de Wagner et d’un concert du chanteur-fétiche des Chorégies, Roberto Alagna. Pas de chance, faute de fréquentation, le Vaisseau Fantôme torpille le budget puisque la seconde représentation est retirée et l’annulation du récital du ténor pour raison de santé aggrave la situation (500 000€), le déficit s’élève alors à 1,6M€.

En 2016, après 35 ans de direction générale des Chorégies, Raymond Duffaut démissionne et le nouveau directeur, Jean-Louis Grinda, venu de l’opéra de Monte-Carlo annonce « Tourner la page » en élargissant la programmation à la danse, au ciné-concert, à des musiques actuelles pour attirer les jeunes générations. « Stop aux tubes. Sortons des sentiers battus, de Carmen, Tosca, Turandot, Traviata, Lucia du Lammermoor qu’on voit de longue. Innovons, surprenons le public, faisons venir des artistes qu’on n’a jamais vus ici ».

Le 150e anniversaire des Chorégies d’Orange. © Colas Declerq

Un premier coup de semonce en 2017
En 2017, stupeur et tremblements. On apprend que « Les Chorégies pourraient mettre la clé sous la porte, la Société Générale refuse un prêt à court terme et les autres banques mettent leur veto pour faire face au déficit cumulé de 1,5M€ » explique Jean-Louis Grinda. Et il s’étonne que « Le Festival d’Aix-en-Provence reçoive 8,5M€ de subventions quand nous n’en avons que 900 000€ ». Autre constat, dans la série deux poids deux mesures, Aix touche 16% de ses recettes sous forme de mécénat quand à Orange elles n’ont droit qu’à 5,3%.

« Le Festival d’Aix-en-Provence reçoit 8,5M€ de subventions quand nous n’en avons que 900 000€ ».

Jean-Louis Grinda, directeur général des Chorégies

Les collectivités à la rescousse
Branle-bas de combat : à la veille du 150e anniversaire des Chorégies et d’un risque imminent de cessation de paiement, une réunion de crise est organisée au Conseil Départemental de Vaucluse à Avignon avec le président Maurice Chabert, le président de la Région Sud, Renaud Muselier venu ‘fissa’ de Marseille, des représentants du préfet, de la Direction des affaires culturelles et de la ministre de la culture qui n’est autre que Françoise Nyssen, la patronne des Editions Actes-Sud à Arles qui se ‘décarcasse’ pour sauver ce festival hors norme.

« On passe de la gestion associative à la gestion par une SPL (société publique locale) est-il écrit dans le rapport de la CRC »Mais le choix de ce statut présente des limites puisque, notamment, l’Etat est exclu de facto de la gouvernance ». Et face au risque imminent de liquidation, la collectivité régionale s’engage dans un plan de sauvetage-express : il apporte une enveloppe de 2,6M€ et triple son financement annuel. Sauf que, de fait la Région paraît porter seule les Chorégies » alors que Renaud Muselier, lors de la réunion de crise avait vigoureusement martelé « Il n’est pas question que les collectivités locales soient le tiroir-caisse des Chorégies ».

« Il n’est pas question que les collectivités locales soient le tiroir-caisse des Chorégies ».

Renaud Muselier, président de la Région Sud

La CRC ajoute « Ce changement de mode de gestion n’a pas éloigné définitivement le spectre des difficultés financières. Il s’est opéré de façon précipitée et sans réflexion préalable. Du coup la SPL se retrouve avec une légitimité particulière, au détriment d’une logique plus collective avec davantage de financeurs publics ». Ce que le rapporteur traduit verbalement en disant « La faiblesse de cette solution, c’est qu’il est difficile de bâtir un projet artistique partagé, de convaincre et de trouver des mécènes et donc d’optimiser les retombées économiques ».

Accalmie en 2019, puis une rechute à partir de 2020 à cause du Covid
Pour l’anniversaire des 150 ans (1869-2019), un ange passe, on respire avec Don Giovanni, Guillaume Tell, Roméo & Juliette, Jeff Mills et la Symphonie n°8 de Mahler. Plus de 40 000 fans ravis.
En 2020, rechute. Covid oblige, l’édition est annulée, en 2021, la fréquentation est divisée par deux (pass sanitaires, masques, éloignement des spectateurs). Et c’est dommage puisque sont à l’affiche la vibrante mezzo-soprano Cecilia Bartoli, le flamboyant violoniste Nemanja Radulovic et le duo Marie-Nicole Lemieux – Roberto Alagna dans un éblouissant « Samson et Dalila » de Saint-Saëns dans des gradins à moitié vides et des recettes forcément en chute libre. « Un équilibre économique pulvérisé » commente avec tristesse Jean-Louis Grinda.

Parmi les constats de la CRC : « Une fréquentation atone et sans aucune mesure avec la capacité d’accueil du Théâtre Antique, une absence de projet stratégique partagé, une surestimation chronique et systématique des recettes, des procédures de passation des marchés entachées d’importantes irrégularités puis’aucune dépense n’a fait l’objet d’une procédure de marché public ».

Les spectateurs de la Traviata en 2019. © DR-Chorégies

Un site presque trop grand ?
D’autres réalités locales sautent aux yeux : au pied du Mur d’Auguste la scène mesure 61m, alors qu’à Paris, celle de l’opéra Garnier est de 51m, ce qui implique des décors plus grands, davantage de figurants, des masses de choristes supplémentaires, donc des productions plus chères. L’âge moyen des spectateurs 64 ans, avec une majorité de retraités, donc pour élargir la fréquentation, il faut attirer des jeunes, l’hôtellerie propose seulement 837 chambres à Orange, l’Office de Tourisme ne renseigne pas sur le programme mis à part quelques flyers.

Solutions en vue ?
Heureusement, des solutions sont préconisées, des recommandations mises en avant pour pérenniser les Chorégies. Notamment le passage du statut de SPL en EPCC (Etablissement public de coopération culturelle, comme Le Pont du Gard), qui associera plusieurs partenaires dont l’Etat, mobilisera des fonds, proposera une offre culturelle plus large. Elles ont fait leurs preuves depuis 1869, l’excellence est leur ADN. « Fini le chacun pour soi, il faut absolument jouer collectif » insiste le rapporteur. « Elles doivent absolument garder leur place parmi les plus grands festivals de la planète avec un projet stratégique, une traçabilité des opérations comptables et des procédures de mises en concurrence des achats ».

Rappelons que seulement 7 salariés portent ce festival sur leurs épaules, ils travaillent d’arrache-pied à l’année au Théâtre Antique, aidés pendant la saison haute des décorateurs, costumiers, maquilleurs, ingénieurs du son, électriciens… pour des fréquentations qui font du yoyo, 38 900 spectateurs en 2010, 35 000 en 2011, 59 000 en 2015, 54 000 en 2017 (quand elles ont failli mettre la clé sous la porte…) et 34 000 cet été. C’est dire si l’épée de Damoclès est toujours là…

Cliquez sur les 3 visuels ci-dessus pour consulter
le rapport d’observations définitives de la Chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur
et également
les réponses de messieurs Renaud Muselier et Christian Estrosi.

Gestion : Les Chorégies d’Orange risquent-elles de se fracasser sur le Mur d’Auguste ?

« Dès que je suis entré dans cette pièce, j’ai senti des ondes négatives ». Ainsi s’exprime Jean-Louis Grinda, le directeur des Chorégies d’Orange depuis 2016, date de la démission de son prédécesseur, Raymond Duffaut qui y a passé une trentaine d’années.

Il poursuit : « La Chambre Régionale des Comptes s’est penchée sur les Chorégies. Elles sont financées à 80% par la billetterie, ce qui les fragilise et il y a un personnel minimaliste (7 personnes) » relèvent-elles. Je voudrais saluer ici l’engagement de Renaud Muselier, le président de la Région Sud qui les a sauvées en 2018″.

Il faut dire qu’à cette époque, le déficit s’élevait à 1,5M€, qu’on allait mettre la clé sous la porte alors que le plus ancien et le plus populaire des festivals du monde (créé en 1869) celui d’Orange s’apprêtait à fêter ses 150 ans en 2019. Et que ”zorro“ Muselier a tout fait pour les pérenniser. En créant avec l’Etat, la Région et le département une SPL (Société Publique Locale) pour effacer la dette et repartir pendant 3 ans sur de nouvelles bases. Mais il avait prévenu à l’époque, à Avignon, il y a 6 ans, au Conseil Général de Vaucluse en présence du président Maurice Chabert : « Il n’est pas question que les collectivités locales soient le tiroir-caisse des Chorégies » et à l’attention de la Ministre de la Culture d’alors, la patronne d’Actes Sud à Arles, Françoise Nyssen, « II est temps que l’Etat prenne sa part, toute sa part ».

Jean-Louis Grinda poursuit : « Si je suis ici, ce matin, à Orange, devant vous, la presse, les fans, l’Association des Amis des Chorégies, c’est pour vous proposer Les Chorégies du Futur. Pas pour vous enfumer mais pour vous montrer qu’on peut les pérenniser, les renforcer, sinon, je ne serais pas là. Mon rôle n’est pas de programmer des ciné-concerts ». Et il insiste « Désormais, l’Etat veut s’engager, s’impliquer plus fortement. Nous devrions donc bénéficier d’un soutien plein et entier de la Région Sud, c’est déjà le cas et de l’Etat, nous attendons ses propositions ».

A gauche Jean Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange et à droite Richard Galy, Président de la SPL des Chorégies d’Orange 

De son côté; Richard Galy, conseiller régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, président de la SPL ajoute : « La Région Sud a augmenté les subventions de la culture de 51M€ en 2016 à 67M€, soit +33%. Le monde du lyrique traverse une crise, tout est plus cher, les cachets, l’énergie, ici à Orange, les recettes sont dûes à 60% à la billetterie, quand ailleurs c’est 20% maximum. C’est à la fois notre fierté et notre fragilité. »

En 2024, fin de la SPL, entrée en vigueur de l’EPCC (Etablisement Public de Coopération Culturelle), un statut des Chorégies qui évolue, avec un contrat de 3 ans qui permet de faire des programmations, de voir venir de façon apaisée sans se demander de quoi demain sera fait. Avec des tarifs abordables pour la population ». C’est à ce moment là que Richard Galy ajoute : « Du coup, l’édition 2024 des Chorégies sera celle d’une année charnière, prudentielle pour refermer la parenthèse 2018 de la SPL ».

« Un seul opéra au Théâtre Antique, le 22 juillet 2024, Tosca en version concert, c’est démentiel, ce n’est plus un festival d’art lyrique »

Bruits et chuchotements dans la salle où se tenait la conférence de presse. Un journaliste prend la parole : « Un seul opéra au Théâtre Antique, le 22 juillet 2024, Tosca en version concert, c’est démentiel, ce n’est plus un festival d’art lyrique ». Un autre demande : « Quand vous proposez Tosca à minima, en version concert, ça représente combien d’économies? » 500 000€ répond Jean-Louis Grinda.

Il enchaîne sur le reste du programme 2024, puisque c’est le sujet du jour. « Pop The Opera » avec les collégiens vauclusiens le 14 juin, Musiques en Fête en direct du Théâtre Antique sur France TV à l’apporche de la Fête de la Musique, le 21 juin, Mika la pop-star sera là le 23 juin.

A l’affiche et tout le monde s’en félicite, le 29 juin, la pianiste Khatia Buniatichvili qui avait annulé l’été dernier après avoir eu sa petite fille… Baby blues oblige… Mais elle sera bel et bien présente en 2024 et interprètera le célébrissime Concerto pour piano n° 1 de Tchaikowsky. Autres invités ; le chorégraphe Thierry Malandrain et son Ballet de Biarritz, le 12 juillet, « Black Legends » du jazz, de la soul et du gospel le 16 juillet, retour du jeune violoncelliste surdoué Edgar Moreau le 18 juillet, tout seul sur scène pour l’intégrale des 6 Suites de Bäch et enfin, pour clore cette édition de transition : « Tosca » à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur Giacomo Puccini, en version allégée, mais en présence du chouchou des Chorégies, Roberto Alagna (malgré son absence en 2013 qui a plombé le budget de 500 000€). N’oublions pas quand même qu’il est venu près de 20 fois à Orange, chapeau bas!

Pendant la conférence de presse, un/e représentant/e de la Ministre de la Culture a appelé pour annoncer que l’Etat apporterait une subvention plus substantielle aux Chorégies d’Orange. Espérons que le geste sera à la hauteur. A titre d’information, le Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence empoche 8,5M€ par an quand les Chorégies d’Orange (en Vaucluse, le 5ème département le plus pauvre de France) reçoivent moins d’un million d’euro de subsides et accueillent gratuitement la population locale lors de la générale). Vous avez dit liberté, égalité, fraternité?

Contacts : Billetterie ouverte à partir du 18 décembre 04 90 34 24 24
billetterie@choregies.com
www.choregies.fr
Jusqu’au 31 janvier, -10% sur le prix des places

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