23 novembre 2024 |

Ecrit par le 23 novembre 2024

Festival d’Avignon, Clap de fin

Canicule, vent, incendies, covid : rien n’a été épargné à cette 76e édition du Festival d’Avignon. Mais le public est venu, nombreux. Avec plus de 135 000 entrées, le chiffre record de fréquentation de 2019 de 95,5 % n’a pas été battu mais avec 92% en 2022 on peut dire que ce festival a résisté à l’effraction dans le réel d’éléments perturbateurs. Le bilan complet et détaillé en chiffres nous parviendra dans quelques semaines. Paul Rondin, directeur délégué du festival relève déjà entre 50 et 100 millions de retombées économiques.

Olivier Py, Agnes Troly, Paul Rondin

La passation en attendant le bilan artistique de 9 années de festival
Le bilan de cette édition était un peu particulier car il s’agissait aussi pour le directeur Olivier Py de tirer sa révérence et de passer le flambeau ou plutôt les 3 clefs de la ville-culture à son successeur le portugais Tiago Rodrigues.  Il l’a fait dimanche 24 juillet avec émotion et flamboyance.  Après quelques prédictions, il s’adresse à Tiago Rodrigues en lui donnant à défaut de conseils professionnels un secret d’amitié redondant : «garde la pureté de ton cœur ».  Voir ici la lettre intégrale qui reflète à la fois sa peine et son amertume mais aussi sa joie d’avoir œuvré pour «ce qu’il y a de plus beau sur cette terre que notre Festival ? » 

De beaux moments glanés en fin de festival
Le chorégraphe Jan Martens nous a asséné sa vision du monde au rythme du clavecin de Goska Isphording. Soit ! Nous ne sommes pas habitués à ce son et ce rythme mais quel beau choix !  Son « Futur proche » si puissamment chorégraphiés par les 15 danseurs de Opéra Ballet Vlaanderen nous ébranle et nous convainc. Le dérèglement du monde est en marche, l’humanité se disloque, le futur se projette (magnifique  procédé vidéo qui projette le corps fragile des danseurs rampant sur scène tels des naufragés sur les murs du Palais) puis la purification ou la solidarité (évocation du partage des ressources aquatiques ?) nous rassemble. Dans un autre style moins consensuel, la compagnie El Conde de Torrefiel avec Una imagen interior dessine aussi le monde de demain mais en prenant appui sur nos imaginaires, nos peurs et en bousculant nos images mentales au fil de performances et de tableaux psychédéliques. Une très belle plongée dans notre univers intérieur révélé. Dire qu’Olivier Py a fait son show avec Miss Knife serait réducteur car sa générosité a primé en invitant sur scène nos sœurs ukrainiennes les Dakh Daughters et la béninoise Angélique Kidjo,  accompagnées par l’Orchestre national Avignon-Provence. On ne peut bouder son plaisir de réentendre les chansons d’amour – Juliette, Barbara ou Juliette-  d’exils et de paix. Il serait incongru de ne pas faire une standing ovation aux Dakh Daughters qui symbolisent le courage et qui tout en dignité ont témoigné des horreurs que subit leur pays.

Vifs succès pour Vive Les sujets
Comme tous les ans, Le Festival dʼAvignon et la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) ont proposé à des auteurs de présenter huit performances, en toute liberté de genre, de ton, de forme. Dans le beau Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph il y a eu ainsi de belles surprises au rendez-vous – pour ceux qui ont réussi à avoir des places car ces rendez-vous rencontrent toujours un beau succès. Ainsi Ludmilla Dabo et Mélina Boubetra ont achevé d’électriser le public dans le Vive le sujet n°1 tandis que les danseurs Erwan Ha Kyoon Larcher et Benjamin Karim Bertrand nous ont associés à leur étreinte sensuelle d’une beauté et d’une délicatesse inouïe -«Promettre»- dans le Vive le sujet n°3.

Les séances de rattrapage

Plus de 90 rencontres ont eu lieu dans le cadre des Ateliers de la pensée et sont à retrouver en intégralité en vidéo : Dialogues artistes-spectateurs, rencontres, tables rondes, rendez-vous professionnels…
https://festival-avignon.com/fr/audiovisuel/ateliers-de-la-pensee

Dès la fin du Festival, des spectacles de la 76e édition du Festival d’Avignon partent en tournée en France et à l’étranger.

Futur proche de Jan Martens. Du 23 septembre au 1 octobre. De Singel à Anvers.
La Tempesta de Alessandro Serra. Les 27 et 28 juillet. Festival Shakespeare à Gdańsk
Le Petit Chaperon rouge de Das Plateau. Du 28 au 30 septembre 2022.Théâtre de Châtillon
Le Sacrifice de Dada Masilo. Du 29 septembre au 2 octobre 2022. Kampnagel à Hambourg
Richard II de Christophe Rauck. Du 20 septembre au 15 octobre.Théâtre Nanterre-Amandiers
Solitaire de Sofia Adrian Jupither. Du 14 au 24 août.Svenska Teatern à Helsinki. Du 27 août au 10 septembre.Folkteatern  à Göteborg en Suède.
Tumulus de François Chaignaud et Geoffroy Jourdain.Le 11 septembre. Scène nationale du Sud-Aquitain à Bayonne.
Una imagen interior d’El Conde de Torrefiel.15 au 17 septembre 2022. Ruhrtriennale.
Via injabulo de la compagnie Via Katlehong avec Marco da Silva Ferreira et Amala Dianor. Les 10 et 11 septembre. Festival La Bâtie à Genève. Les 16 et 17 septembre. Teatro Municipal Do Porto au Portugal.Le 21 septembre. I Teatri di Reggio Emilia en Italie. Le 24 septembre.Théâtre Louis-Aragon à Tremblay-en-France. Le 27 septembre. Opéra de Dijon.


Festival d’Avignon, Clap de fin

Lors de la conférence de presse de pré-bilan du Festival off d’Avignon, Laurent Rochut, directeur de la Factory, (Théâtre de l’Oulle, Salle Tomasi, La Chapelle des Antonins) auteur et metteur-en-scène et co-président d’AF&C propose son analyse du Festival off d’Avignon. Baisse de fréquentation, canicule, souffrance des compagnies, loyers des logements exorbitants, il est temps de réguler et de renouveler ce Festival du théâtre émergent.

«Je vais faire mon bilan du Off vu de la Factory, assure Laurent Rochut, vice-président AF&C. Nous sommes à la Factory depuis 7 ans et travaillons à l’année. Le festival Off d’Avignon en 2022 c’est 12% de cartes du off en moins et c’est aussi 25% des spectacles vendus en France, ce qui en fait une place du marché incontournable.»

Actuellement ?
«Le festival Off est fragile : 12% de cartes du off en moins par rapport à 2019 c’est que nous n’avons pas encore récupéré tout le monde. Nous allons devoir interroger tous les acteurs de la ville et le Grand Avignon sur des navettes, un flux des déplacements publics mieux pensé afin de requalifier des invitations plus lointaines, augmenter l’offre de logements et baisser l’ascension des prix des logements, car les compagnies paient, chaque année, des loyers exorbitants. Nous allons également interroger la ville en demandant comment rafraîchir Avignon lorsque l’on subit plusieurs semaines à plus de 38°, ce qui constitue une vraie problématique urbaine. Végétalisation, création de zones d’ombre… Les chantiers seront nombreux.»

On a donc pensé que ce festival allait de soi
«Le festival off c’est comme une principauté qu’on pose en juillet et qu’on démonte comme un château gonflable, et puis qu’on remonte en juin de l’année prochaine… On a donc pensé que le festival allait de soi, pourtant, le Off ne va pas de soi ! Et nous avons mis en place, cette année, des chantiers dont un me porte particulièrement à cœur et que je porte depuis plus de 4 ans : transformer cette ville en filière, faire que ces investissements colossaux qui ont été faits depuis tant d’années et de ces 70 à 80 théâtres en ordre de marche -qui dorment toute l’année en dehors de juillet -ne soient plus un gisement inexploité, ni libéral –comme nous en sommes accusés.»

Réguler le marché
«C’est exactement le contraire qui se passe puisque nous sommes en train d’essayer de doter ce Off d’outils de régulation et d’outils performants. On évoque la réduction du nombre de créneaux ce qui pourrait paraitre très bien mais qui, en réalité, aura pour conséquence d’augmenter la valeur des théâtres existants. Mais ça n’est pas le propos !»

Le devenir l’art vivant
«Le propos c’est d’appréhender ce que va devenir ce marché, de concevoir des outils de régulation qui tiennent compte de ce que va devenir l’art vivant dans les prochaines années avec le risque de voir arriver de grosses structures très soutenues, d’importantes productions qui pourraient devenir les seules à exister sur le terrain des compagnies indépendantes émergentes qui ne pourraient, elles, disparaitre. Pour cela il faut des relais et c’est aussi forcément de l’aide et de la subvention publique.»

Conférence de presse du pré-bilan du Festival off

Ceux qui ne veulent pas
«Ceux qui nous ont attaqués sont ceux qui, depuis des décennies, ne veulent pas que la ville change. Aujourd’hui nous ne sommes pas attaqués par les fondateurs qui sont tout à fait légitimes, mais par les héritiers. Ces héritiers vont devoir se faire à l’idée que cette ville devienne une filière parce que l’ensemble de l’art vivant mérite qu’Avignon le devienne, à l’année, de septembre à juin. Les compagnies doivent pouvoir, désormais, se tourner vers ces acteurs qui les font exister l’été -de manière économique très rentable-et que ces aides deviennent publiques. C’est-à-dire que ça ne doive rien coûter aux compagnies, que celles-ci puissent venir massivement faire des résidences à l’année à Avignon, que leur transport et hébergement soient pris en charge et que les lieux mettent à disposition salles et plateaux. L’idée ? Que les lieux soient aidés sur leurs charges fixes. Près de 80% de cette aide -en prenant en compte, 20% de la somme dévolue au parc machines qui s’usera plus vite- soit remise au pot du festival en régulant la valeur du créneau, soit en supprimant un créneau ce qui permettra d’offrir des temps de montages plus humains aux techniciens des compagnies.»

Du néo-libéralisme… à la défense de la régulation
«Les néo-libéraux que nous étions sont en fait devenus les meilleurs défenseurs d’une régulation et du service public. Il y a plusieurs années, les fondateurs ont empêché une scène nationale de s’installer à Avignon. Il s’agit de la scène nationale de Cavaillon qui devait s’installer au Cloître Saint-Louis. A l’époque, ceux qui avaient de ‘très belles places’ dans la ville ont fourni un tir de barrage tellement puissant auprès du Ministère que celui-ci a reculé, installant la Scène nationale à Cavaillon. Il serait temps que le Ministère se mette au centre du village national, cette filière à l’année, qu’est Avignon pour qu’elle soit incontournable pour le théâtre, pas pour que nos petites affaires estivales prospèrent, mais pour que cet outil, que le ministère finance depuis 40 ans,  lui revienne encadré d’une vraie politique. Et c’est à lui d’instaurer cette politique puisque nous ne pourrons pas le faire sur la base des 130 acteurs, associations et entreprises privées que nous sommes.»

Participer à fonder l’art vivant depuis Avignon, ville nationale
«C’est ce dont nous prenons acte aujourd’hui avec ce nouveau Conseil d’administration, cette collégialité. La nouvelle politique qui inspire notre gouvernance ? Donner le cap, offrir des perspectives. Nous avons à participer à un mouvement majeur pour l’art vivant en France. Le festival doit faire sens, dépasser l’été pour participer à fonder l’art vivant. Je reçois 100 demandes par an, en danse, alors que je n’ai que 10 places à proposer et des centaines en théâtre alors que je n’ai pas plus de places que pour la danse. Pour l’instant ? Les compagnies sont en souffrance : hébergements, déplacement… Théâtres et compagnies doivent pouvoir se rencontrer.»

Les journalistes de la conférence de presse

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