Souad Zitouni, élue suppléante de Jean-François Césarini, exerce son mandat de Députée LRM (La République en marche) de la 1re circonscription de Vaucluse depuis le 30 mars 2020. Par un jour blafard de la fin de ce mois de décembre 2020, elle arrive à la rédaction, se pose, boit un thé et parle longuement sans fard. Portrait sans retouches.
Mais qui est Souad Zitouni née le 23 avril 1974 à Boukadir en Algérie ? Côté vie privée madame la députée est avocate à Avignon, spécialisée en droit de la famille, mariée à un libanais médecin généraliste à Monteux et mère de trois fils. De la petite algérienne pauvre à la députée retour sur son parcours, ses embûches et ses ambitions.
Légitime
«Aujourd’hui, je travaille avec une belle équipe et siège à l’Assemblée nationale. J’ai déposé des amendements que j’ai moi-même rédigés, je saisis les cabinets lorsque les administrés le demandent, particulièrement sur l’injustice. Je frappe aux portes et crée mon propre réseau. Je veux travailler sur la reconstruction économique, sociale et politique car tout est imbriqué et la période que nous vivons est extrêmement difficile.»
Travailler sur le temps long
«Je ne veux pas être une étoile filante. La résilience et la patience caractérisent ma vie. Je gravis la montagne marche après marche. Je solidifie les rencontres que je fais, les actions que l’on mène car nous ne sommes pas dans le ‘one shot’. Je ne communique pas sur tout ce que je fais. Les gens qui me demandent d’intervenir pour eux le savent. En revanche, je mets en lumière ce que font les autres, comme les associations : la Banque alimentaire, les Restos du cœur, le Samu social qui travaillent beaucoup dans l’ombre.»
Femme politique et soeurerité ?
«Est-ce difficile d’exister à l’Assemblée nationale lorsque l’on est une femme ? Oui mais ici aussi. Etre femme nécessite d’être solidaires entre nous. Pourquoi ne le sommes-nous pas ? Par manque de confiance en nous-mêmes et en l’autre ? Peut-être aussi parce que jusqu’à présent nous ne nous l’étions pas proposé…»
Les femmes qui m’inspirent ?
Les femmes qui m’inspirent ? Elles sont intelligente, pugnaces, bonnes oratrices. Elles se nomment : Simone Veil (Membre du Conseil constitutionnel français de mars 1998 à mars 2007, Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville de mars 1993 à mai 1995, Présidente du Parlement européen de juillet 1979 à janvier 19982, Députée européenne de juillet 1979 à mars 1993 et ministre de la santé de mai 1974 à juillet 1979) ; Rachida Dati (Maire du 7e arrondissement de Paris depuis le 29 mars 2008, Députée européenne de juillet 2009 à juillet 2019 ; Garde des Sceaux, Ministre de la Justice de mai 2007 à juin 2009 ; Christiane Taubira (Garde des Sceaux, Ministre de la Justice de mai 2012 à janvier 2016). Elles sont mes modèles et je bâtis mes actions sur leurs fondations.
Le temps d’avant ?
«Je suis née en Algérie, ainée de six enfants, trois nés en Algérie et trois autres en France. J’étais entourée de femmes avec ma grand-mère qui, parce qu’elle était veuve, a élevé seule ses quatre filles. Nous étions une famille plus que modeste c’est la raison pour laquelle papa est parti exercer le métier de maçon en France. Lorsque j’avais 4 ans nous avons quitté l’Algérie pour la France gagnant les quartiers nord de Marseille. A ce moment-là mon père nous a demandé de cesser de parler arabe à la maison pour ne parler que français.»
Mon histoire
«Très jeune, j’accompagnais ma grand-mère dans les écoles et dans les usines où elle faisait le ménage, puis ma mère avait en charge des tours de bureaux à Marseille. A mon tour, étudiante et boursière je prenais le même chemin. Lorsque vous avez la peau mate, les cheveux noirs jais, que vous êtes maghrébine, sans surprise, vous faites le ménage. Avec mon nom et l’adresse de mon quartier je ne pouvais pas prétendre à travailler dans une banque pendant les vacances scolaires. Alors vous êtes confrontée aux regards des autres qui vous ignorent, ostensiblement, c’était très clairement une situation récurrente et humiliante. Et puis, un jour, j’ai dit que je faisais des études, alors leur regard a commencé à changer.»
Les études pour se faire sa place
«Mais oui, toute ma famille a été exposée à ce racisme, cette violence ordinaire. Nous habitions un petit appartement. Je ne disposais pas de chambre et je dormais dans la salle à manger. J’attendais que tout le monde soit couché pour travailler. Et lorsque la maison était pleine, je m’enfermais dans un petit cagibi avec une lampe pour pouvoir étudier. Par la suite, je disposais d’une chambre en cité U obtenue de justesse. C’est cette chambre d’étudiante qui m’a réellement permis de poursuivre et de mener à bien mes études tout en enchaînant les petits boulots à côté pour vivre.»
Courageuse et surtout résiliente…
«La vie est faite d’obstacles et d’embuches. Je suis courageuse mais la vie m’a appris à surtout être résiliente. Il faut se battre pour ce que l’on veut. Ce sont les études qui font des femmes des êtres libres. Petite, ma mère et ma grand-mère me suppliaient d’apprendre à tenir la maison, à m’astreindre aux tâches ménagères. Même si je m’y suis pliée, je leur disais que la vie d’une femme ne pouvait se résumer à cela. J’insistais en disant : ‘je prendrai des personnes qui m’aideront mais je ferai des études’. Notre grande chance ? Que les études soient gratuites en France ! J’ai aussi été animatrice en centre de vacances, en centre social, surveillante au sein de collèges difficiles parce que je voulais montrer aux enfants et aux jeunes-filles qu’elles pouvaient s’en sortir et surtout s’élever !»
Pourquoi avoir voulu être avocate ?
«Au début ce n’était pas un choix. Je voulais être grand-reporter et voyager de par le monde en opposition à l’enfermement dans un même quartier, à ma petite chambre d’étudiante, je voulais m’évader. Puis j’ai suivi un groupe d’amis que j’avais depuis le collège et le lycée, entrant en fac de droit avec pour spécialité le droit de la famille qui évoque l’enfance, la jeunesse, l’accompagnement des parents… Je ne veux pas juger les gens… Je veux les aider. Sur mes 10 amis, j’ai été la seule à continuer mes études, chacun prenant une voie différente. J’étais boursière et je n’avais pas droit au redoublement, alors ma vie se résumait à étudier et à travailler. Et puis, en avançant dans la vie – j’avais 23 ans – je constatais de plus en plus d’injustice. J’étais stagiaire dans un cabinet d’avocats, j’ai demandé à mon mentor de quelle manière je pouvais intervenir auprès de personnes qui avaient besoin d’aide. Il m’a aiguillé.»
La réalité ?
«Concrètement mes premières interventions ? Une adolescente de 14 ans attend sur le quai de la gare routière pour partir, avec son école, visiter le camp de concentration de Varsovie. On a juste omis de lui dire de prendre son passeport. Alors le bus part, la laissant seule, il est 21h30. Le collège ne s’inquiète pas de son retour chez elle. Elle sera violentée sur le quai de la gare et détroussée de sa valise et de son sac. Elle reste là, seule et hébétée dans la nuit qui tombe. Elle s’est fait dépouiller et personne ne s’en émeut ! J’ai obtenu que le collège prenne ses responsabilités et qu’elle soit dédommagée. Une autre fois une jeune-femme se fait voler son sac. Son père -qui ne parle pas bien français- essaye d’expliquer au fonctionnaire de police ce qui s’est passé. Le fonctionnaire ne l’écoute pas et lui manque de respect. La jeune-fille intervient tout doucement pour dire au policier d’écouter son père et au moins de le respecter. Le fonctionnaire s’y résout.»
Le racisme ?
«Jeunes avec mon frère nous faisions du sport et avions des amis moins bruns et moins typés que nous, mais lorsqu’il s’agissait d’entrer en boîte de nuit ou ailleurs nous n’arrivions pas à franchir la porte. Tout cela laisse des traces. Tout ce racisme, ces frustrations entraînent encore plus de frustrations de la part de ceux qui les vivent. La colère monte et c’est cela qui entraîne le séparatisme. Ceux qu’on n’accepte pas se retranchent dans une communauté qui, elle, va les accepter. Ils y vont parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Notre famille n’a pas suivi cette voie parce que ça n’était pas notre façon de penser. Moi, ce qui m’a sauvée ce sont les études. C’est ce qui me permet d’être respectée.»
2021
«2021 ? Ce sera l’année de la reconstruction. Je veux être aux côtés de ceux qui ont souffert. Auprès des professionnels de la sphère médico-sociale, j’œuvre pour la revalorisation et l’égalité salariale, la culture, les restaurateurs… Je ne comprends pas qu’ils n’aient pas pu rouvrir alors qu’ils sont très respectueux du protocole sanitaire. Le moral des français nécessite ces réouvertures pour partager des moments de convivialité, d’échanges.
Intervention de Souad Zitouni sur la radio 10-12 de Fly Fm