La Conférence des maires, organisée par le Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, a débuté sur une annonce de Renaud Muselier, saluée par les 400 maires réunis au Palais du Pharo à Marseille : le doublement des aides aux communes de la région. Cette belle hirondelle attendra le lointain printemps du réveil de l’Etat sur une situation alarmante…
« Ces cinq dernières années, nous leur avions consacré 800M€ ; les six prochaines années, nous prévoyons 1,5 milliards de budget. On passe de 30% à 50% de taux de participation aux projets, premier point. Et à 70% pour les communes de moins de 1500 habitants avec un plafond revu à la hausse, de 12 500 à 15 000€. Ce que nous voulons, c’est toujours la même chose. Pas de bricolage individuel, mais une vision, une ambition, une autorité à respecter sans distinction d’étiquette, d’obédience ou d’allégeance. Je souhaite que ce mandat soit un tournant ».
Comme pour mieux les convaincre, Renaud Muselier avait invité le président du Sénat. « Avec Gérard Larcher, nous sommes des décentralisateurs dans l’âme, et nous demandons souvent à l’Etat de nous confier des missions et des moyens pour les accomplir ». C’est là que le bât blesse.
Une confusion permanente entre l’égalité et l’équité, comme si Aristote n’avait jamais existé. Un système sans discernement, comme abruti : la règle est toujours supérieure au bien commun dont elle n’est pourtant que l’instrument. Voilà ce qui résume la frustration des élus. Myopie, uniformité et impotence, tel serait le triptyque républicain de l’agonie des villages et des petites villes face à des métropoles que, partout en Europe, on veut voir briller en ‘smart cities’. Ça ne marche pas : 44 des 59 maires du Grand Lyon ne veulent plus en faire partie, dixit Gérard Larcher.
La ‘pacoule’ n’est pas en reste. Mais elle, est bien corsetée : plan climat, eau et assainissement, urbanisme, gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), schéma de cohérence territoriale (Scot).
« Depuis 20 ans, on a tout fait disparaître, sauf le maire. Mais on décide plus de rien. Cette conférence des maires de la région est une occasion de renverser la table ». Et Jean-François Lovisolo, élu de la Tour d’Aigues, coprésident de l’Association des maires de Vaucluse (AMV 84) – avec Pierre Gonzalvez – ne s’en prive pas. « On est tous pris pour des cons, des incapables, ou des escrocs. Ça suffit ». Applaudissements nourris.
Le malheur est que les maires ont beau vitupérer, ils sont aux yeux du pouvoir et de l’administration aussi peu dangereux que le chat auquel les souris auraient passé la sonnette. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Tout change, tout le temps. Avoir un véritable interlocuteur dans des services préfectoraux dont les effectifs ont fondu, est mission impossible. Les maires tournent en rond. Ils sont bloqués, aux prises avec des procédures de plus en plus lourdes et complexes. L’efficacité de l’action publique est telle qu’il faut parfois « plus d’un mandat pour sortir un Plan local d’urbanisme, 10 ans pour un HLM, 15 ans pour une déchetterie », ou même « vingt ans pour que le maire de Monteux permette l’émergence et la réussite de Beaulieu avec 600 emplois » (source : rapport moral AMV 84, 2019).
Les institutions ne fonctionnent plus
« L’impuissance des maires est devenue égale à celle des citoyens », constate Olivier Mazerolle, venu en commentateur des débats. « Comment ces maires peuvent-ils expliquer l’inexplicable, justifier la quantité de chose non décidée et, par dessus le marché, en supporter les conséquences dans les urnes ? ». La loi ‘Notre’ a compliqué les choses et « personne n’a rectifié le tir. Un peu plus d’opacité à chaque fois, c’est tout bonus ! Il faudrait changer beaucoup de choses, sans doute. Mais que font donc les députés ? Premièrement, ils restent prisonniers des directives de parti. Et puis, ceux qui viennent d’être élus, l’ont été sur un nom – celui d’Emmanuel Macron – et non pas sur un projet politique. Ils restent fidèles à celui qui les font élire, tout comme l’armée de ‘Playmobil’ hors sol que la presse décrit parfois. Au lieu de parler des avantages respectifs des tickets de métro en papier ou dématérialisés, se pose la question fondamentale qui intéresse tout le monde, à savoir ce qu’on fait de notre pays ! Eh oui, il y en a un seul qui la pose, c’est Eric Zemmour », s’indigne le chroniqueur de LCI, né dans la bonne ville de Marseille.
Le désintérêt des parlementaires face aux suppliques des maires, Jean-François Lovisolo en sait quelque chose. « Ça m’obsède. Voilà 15 ans que je cherche à faire modifier la loi sur la délivrance de permis de construire en zone agricole, permettant – tout le monde le sait – à de faux éleveurs de s’installer en zone agricole. Ce qui provoque un mitage insupportable des territoires. Seuls trois députés ont répondu à mes courriers depuis lors. Mais rien ne change parce que notre Parlement ne fonctionne pas. En revanche, c’est bien lui qui donne le pouvoir aux fonctionnaires à qui nous avons affaire », tacle l’élu.
Flagrants délires
Renaud Muselier conclut le chapitre : « même si l’intention paraissait louable, on a fait une énorme connerie en supprimant les doubles mandats qui permettaient d’avoir des députés connaissant parfaitement les enjeux municipaux. Le deuxième problème, c’est que l’Etat s’occupe de tout, mais pas de façon transversale. On a donc des silos et des gens qui ne se parlent jamais. »
Il y a aussi le problème de l’argent. « Tenir des projets est très difficile. Les changements de fiscalité et de dotations posent un problème de financement sur la durée », souligne Olivier Mazerolle.
Dans son allocation de clôture de la conférence, Gérard Larcher approuve. « On ne comprend plus rien au système de la dotation générale de fonctionnement. Ainsi, les maires attendent, comme l’oracle, le courrier de l’administration les informant de l’enveloppe financière dont ils pourront disposer, sans pouvoir en vérifier le calcul. En France, il n’y a pas plus de quatre personnes, hautement spécialisées sur le sujet, qui peuvent tenter de vous l’expliquer. Et parfois en vain. »
Inscrire dans la Constitution – cette vraie hotte du Père Noël – la clause de compétence générale pour les Communes et « une juste compensation des transferts de compétence ». Instaurer « un régime de confiance et de responsabilité ». Appliquer à la lettre un « principe de subsidiarité » – NDLR : laisser faire sur place ce qui peut l’être – organiser des compétences territoriales « à la carte », permettre de mutualiser les actions de proximité et, cerise sur le gâteau, « décomplexifier » : voilà ce que la loi sur la décentralisation, examinée au Sénat promet de clarifier, en bon français, s’il vous plaît.
Malaise dans la civilisation
Tout cela reste des mots, comme on dirait du vent, aux yeux des maires qui, en attendant « plus de souplesse et moins de contraintes », ont envie d’initiatives et de se dépatouiller.
« Si je devais résumer notre projet, c’est créer de la richesse ici-même, sur notre territoire, et attirer de la richesse de l’extérieur (…) le Vaucluse est un département qui a pris du retard au sein d’une région, la région Sud, qui est l’une des plus attractives et les plus dynamiques de toute l’Europe », rappelait Dominique Santoni au moment de son investiture, en juillet dernier. La présidente du Conseil départemental de Vaucluse a donc entrepris de mettre à la disposition des territoires et des élus une agence de d’ingénierie de projet pour faciliter – on n’ose pas dire hâter – leur réalisation et aider les communes à investir. « Le secteur privé et public ne vivent pas dans le même espace-temps, ce qui complique beaucoup de choses. Nous avons quand même réussi à rendre de la confiance aux citoyens parce que nous avons réussi à faire marcher les politiques publiques, on l’a bien vu dans la crise. Nous sommes d’abord élus pour ça et pas pour faire respecter des lois ». Un « boulot gratis » explique Georges Cristiani, maire de Mimet, « payé par la reconnaissance des citoyens et le silence des hauts dirigeants ».
Pierre Gonzalvez, maire de l’Isle-sur-la Sorgue, président de Vaucluse Provence attractivité, renchérit en prenant de la hauteur : « il faudrait que nous fassions une psychothérapie avant de nous engager pour savoir ce qu’on cherche en nous embarquant dans des situations particulièrement difficiles comme celles que nous connaissons. Briller aux yeux des siens ? Nous aurions sans doute une approche bien plus conforme à l’intérêt général, une fois compris le pourquoi de notre engagement ». Sagesse, quand tu nous tiens. La motivation et sa nature font toujours le résultat.
Les dossiers prioritaires pour la Région
« Ce que nous demandons à l’Etat pour la région, nous allons le faire, à la Région, pour nos communes : on va travailler ensemble, en confiance, sur des dossiers prioritaires ». Voici la liste de Renaud Muselier :
– L’accès aux soins,
– la sécurité,
– l’aide au pouvoir d’achat,
– la connexion au Très haut débit,
– la plantation de trois millions d’arbres,
– les ports propres,
– la mobilité et les transports,
– l’emploi,
– l’accès aux fonds européens : je ne peux pas accepter que des collectivités comme le département des Alpes-Maritimes déposent leurs dossiers trop tard et nous fassent perdre des millions d’euros de fonds transfrontaliers,
– le foncier économique.