L’u-na-ni-mi-té. C’est ce qu’il a fait pendant 4 ans dans le département, la plus grande longévité pour un préfet de Vaucluse dont Napoléon a diligenté le 1er en 1810. Nommé le 9 mai 2018, Bertrand Gaume prendra son nouveau poste à Evry-Courcouronnes le 23 août prochain. Pendant ces 4 ans passés à sillonner le département, chacun, que ce soient les élus, syndicalistes, agriculteurs, vignerons, commerçants, artisans, chefs d’entreprises, forces de l’ordre, pompiers, associations, enseignants, personnels de santé, partenaires sociaux, culturels et économiques, chacun l’a apprécié.
A commencer par le Préfet de Région, Christophe Mirmand venu spécialement de Marseille pour la cérémonie de départ organisée dans les jardins de la préfecture Chabran à Avignon, en présence de tous ceux qui comptent en Vaucluse. « Je salue l’homme attentionné que tu es Bertrand, j’en ai été le témoin. A la fois confiant et joyeux, tu as facilité les échanges. Représentant de l’Etat, tu as toujours été engagé, disponible, réactif. Tu connais parfaitement les dossiers, tu es accessible, tu as une énorme capacité de dialogue, de chaleur humaine, en toute simplicité. Tu as porté très haut le métier de préfet. Et pourtant tu en as connus des moments difficiles, les gilets jaunes, la pandémie, mais tu es un geek confirmé qui maîtrise parfaitement les visioconférences. En jouant collectif avec ton équipe, tu as su gérer le Festival d’Avignon et le Off en 2021, après l’annulation de l’édition 2020, concilier l’accueil du public et les contraintes sanitaires. Tu as battu un record de durée dans ce département, tu as pour les Vauclusiens un attachement voire une affection réelle. A toi et ta famille, bonne installation en Essonne. Violaine Démaret (actuelle préfette des Alpes-de-Haute-Provence) te succèdera en août, ce sera un défi. Bon vent, tu vas nous manquer, mon cher Bertrand. »
Après cet hommage très appuyé « à un très grand préfet », c’est au tour de Bertrand Gaume de prendre la parole. « Voici l’heure de tourner la page, de boucler la boucle, de tirer sa révérence. Et pour la première fois dans l’histoire du Vaucluse, c’est une femme qui va arriver, Violaine Démaret, une grande professionnelle qui a le sens des relations humaines, vous verrez tous que vous ne serez pas surpris négativement. Merci d’être venus pour ce moment de partage à l’ombre des platanes. Le temps file depuis l’arrêté paru au journal officiel de ma nomination dans l’Essonne le 20 juillet, tout s’accélère. »
Paraphrasant Gérard de Nerval, il évoque « Le soleil cendré de la mélancolie, le Vaucluse sublimé par le soleil, cette terre de la vallée clause, la puissance du Ventoux, la finesse des Dentelles de Montmirail, la beauté fragile de Fontaine de Vaucluse, la Combe de Lourmarin, la force du Rhône, la fougue de la Durance. Et le mistral, ce don du ciel anti-fongique, ambivalent, lui qui réchauffe l’été mais attise l’incendie, lui qui chasse les nuages l’hiver mais qui en même temps glace. Le Vaucluse avec ses paysages, ses festivals et son patrimoine est beau, sublime, mais il peut aussi être âpre. Quant aux Vauclusiens c’est quand ils chassent en meute, qu’ils sont ni de gauche, ni de droite qu’ils sont terriblement efficaces. »
Marqué par la mort d’Eric Masson et les gilets jaunes
Il poursuit en évoquant les rôles constitutionnels du préfet : l’ordre public, la sécurité des biens et des personnes passablement menacés lors de la crise des gilets jaunes qui a duré plus de 2 ans. « Il y en a eu des manifs, des samedis, des week-ends, des anti-vax, des anti-pass. Nous avons agi collectivement. Il n’y a pas eu de casse de vitrines, de pillages de magasins dans les rues d’Avignon. »
Pour cela il a tenu des réunions hebdomadaires le jeudi, avec Michel Gontard, alors premier adjoint à la Ville d’Avignon, Michel Maridet, directeur général de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Vaucluse et Claude Tumimo représentant les commerçants avignonnais pour, en fonction du parcours des manifestations, anticiper, enlever les poubelles sur le trajet pour qu’elles ne se transforment pas en projectiles, éventuellement baisser les rideaux de fer des commerces une heure, le temps du passage des gilets jaunes. Moment d’émotion avec des sanglots dans la voix, quand Bertrand Gaume a évoqué la mort du policier Eric Masson le 5 mai 2021, d’autant plus que son papa était présent dans l’auditoire, à Chabran lors de son départ. « C’est un souvenir qui ne m’a pas laissé indemne. Il ne s’effacera jamais de ma mémoire. » Le préfet a aussi évoqué le 1er décembre 2018, le jour à Paris du pillage de l’Arc de Triomphe, du bas-relief fracassé, de la tombe du soldat inconnu piétinée. Et des 2 500 ou 3 000 manifestants avignonnais qui, dans un premier temps ont forcé les grilles du site de Chabran avant de revenir en centre-ville et de s’en prendre à sa résidence privée où se trouvaient sa femme, ses enfants et leurs grands-parents. « Je comprends les mouvements sociaux mais en aucun cas, ils ne doivent porter atteinte à l’intégrité des personnes, c’est inacceptable. Heureusement le groupe de police auquel d’ailleurs appartenait Eric Masson a agi avec une fermeté et une rigueur remarquables. Quand la mort frappe un policier, cela nous interpelle collectivement, cela nous oblige à lutter 24h sur 24, sans rien lâcher. » Il a également rendu hommage aux gendarmes et aux pompiers, les 500 professionnels et les 1 800 volontaires : « Il est fondamental de débroussailler autour de sa maison. L’an dernier 950 hectares sont partis en fumée au pied des Dentelles, il faut faire de la pédagogie, développer la culture du risque, ne céder ni à la paranoïa ni à la psychose, expliquer dans les écoles, les collèges, les lotissements, les communes, associer la Croix-Rouge et la Protection Civile. »
Bertrand Gaume est aussi revenu sur « Les difficultés sociales du Vaucluse, la pauvreté, la délinquance, les trafics de stups qui gangrènent la société, mais il n’y a pas de fatalité. Le service public c’est le patrimoine de ceux qui n’ont rien. Ceux qui ont les moyens vivent dans des maisons sécurisées. Si tous les acteurs publics et privés travaillent main dans la main, comme on commence à le faire par l’emploi et l’insertion avec le Département, la Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur, les Chambres consulaires et les syndicats, il y a des résultats. Force Emploique nous avons créée il y a 3 ans, c’est un outil de formation qui marche. Le chômage en Vaucluse était supérieur de 3 points à la moyenne nationale, nous avons réussi à le réduire de 0,9 point, soit plus d’un tiers. »
Quand on s’intéresse à l’économie en Vaucluse, on en vient évidemment à l’agriculture. A la question : »Vous semblez avoir une empathie, une affection particulière pour les agriculteurs, avez-vous eu un grand père paysan ? », la réponse fuse : « Familialement, le grand-père de ma mère, était agriculteur dans le Bourbonnais, les grands-parents de mon père aussi, et mon grand-père, dans sa jeunesse, tuait le cochon en Auvergne pour les grandes familles et il était rémunéré avec les pièces les moins nobles du porc. Donc ça me touche. Leur métier est essentiel, ils nous nourrissent. Si on ne veut pas importer de fruits et légumes il faut absolument promouvoir l’agriculture française. Avec les lois ‘Egalim 1 et 2’, les relations entre les producteurs, les intermédiaires, les industriels et les distributeurs se sont améliorées, mais dans les négociations commerciales il n’y a que 5 centrales d’achats face aux millions d’agriculteurs. Donc il faut organiser les filières pour peser davantage. Dans le Vaucluse c’est ce que nous avons fait pour le raisin de table avec René Reynard, avec la cerise autour de Venasque. Pour la fraise de Carpentras, la confrérie va devenir une organisation de producteurs pour mieux se défendre. Il faut aussi rappeler que grâce au député communiste auvergnat, André Chasseigne une loi a été votée à l’unanimité qui garantit les retraites agricoles à tous, y compris les conjointes des paysans qui avant n’en n’avaient pas. Le bien-être sera au cœur de groupes de travail dès la rentrée à la MSA Alpes-Méditerranée pour un suivi psychologique, social et physique des agriculteurs qui parfois se suicident ou s’empoisonnent petit à petit à cause des pesticides. Il faut rendre le traitement phytosanitaire plus efficace contre les nuisibles mais moins nocif pour l’homme. C’est d’ailleurs le sens du projet d’usine qui va s’implanter au Thor et bénéficiera de la plus grosse subvention de la région (6M€). Son nom : Antofénol, un procédé inventé par une chercheuse vauclusienne, Fanny Rolet, qui permettra de remplacer les pesticides chimiques par des extraits végétaux, à terme 220 emplois seront créés sur le site.
Autre secteur en voie de développement, le projet ‘Confluences’ en Courtine. « Il concerne un fleuve, le Rhône et une rivière, la Durance, donc 2 PPRI (Plans de prévention des risques d’inondations). Avec des travaux de confortement de la Digue de Bonpas pour la réhausser ainsi que la digue du Rhône. Ils sont financés, lancés avec la labellisation RAR (Résistance à l’aléa de référence), en l’occurrence une crûe millénale de 6 500m3 par seconde. Dès cet automne, on va d’ailleurs drainer le lit de la Durance pour lui donner une forme plus linéaire. Confluences verra bien le jour, des constructions seront faites avec des systèmes de refuges ».
Les déserts médicaux aussi sont une préoccupation pour la population du Vaucluse. Dominique Santoni, la présidente de l’exécutif l’a bien identifiée qui a lancé un appel dans la presse nationale : « Devenez médecin salarié en Vaucluse » et financé 8 emplois pour mailler le territoire. Ce que comprend Bertrand Gaume : « Nous vivons en France dans un système de liberté d’installation des médecins, on ne peut les obliger à rien, on peut simplement les inciter. Du coup, les collectivités locales s’daptent à la mutation de la société. Les anciens médecins de famille qu’on réveilllait la nuit, qu’on dérangeait le week-end, c’est fini, ils ont pris leur retraite. Les jeunes qui leur succèdent préfèrent travailler différemment. Du coup, certains maires ont créé des Maisons de la Santé dans leur commune. Dans le Vaucluse, on a innové avec les CPTS (Comités professionnels territoriaux de santé), il y en a un à la Cove un autre dans le Luberon et c’est un bon exemple. Médecins, infirmiers travaillent ensemble, font leurs tableaux de service et organisent leurs permanences de soins pour leur patientèle. »
Le regret de la LEO
Un serpent de mer que Bertrand Gaume aurait bien aimé régler avant de nous quitter : la LEO (Liaison est-ouest) d’Avignon. « A l’époque de la création du TGV-Med, le territoire a su se mobiliser. Pas question de traverser les vignes des Côtes du Rhône et de Châteauneuf-du-Pape. (Guy Penne, un sénateur socialiste, par ailleurs vigneron et ami du Président François Mitterrand a su taper du poing sur la table et se faire entendre). Du coup le parcours fait un coude côté Gard avant de revenir vers Avignon. Si on avait fait la même chose pour la route, en 1987, le problème aurait été réglé. Pour ma part j’aurais rêvé d’aboutir avant de vous quitter… Hélas, les riverains des HLM de la Rocade Charles de Gaulle subissent 60 000 véhicules par jour, dont 5 000 poids-lourds qui passent sous leurs fenêtres et polluent l’air. C’est un problème de santé publique il est donc essentiel de le régler, mais on ne peut pas supprimer les camions qui livrent ce dont nous avons besoin, il faut donc agir en bonne intelligence. Je me suis battu pendant des mois auprès du Préfet de Région, Christophe Mirmant et de Vinci Autoroutes, pour que la complétude de l’échangeur A7-A9 soit faite. Des études sont en cours, mais il faut concilier les contraires puisqu’on continue à acheter sur internet, les livreurs doivent apporter les colis à destination, donc continuer à traverser Avignon. »
Le territoire du ‘Bassin de vie’ d’Avignon est aussi un enjeu majeur puisqu’il concerne deux régions (Provence Alpes Côte d’Azur d’un côté et Occitanie de l’autre) mais aussi trois départements (Vaucluse, Gard et Bouches du Rhône). « Notre agglomération d’Avignon souffre, c’est elle qui accueille la majorité des logements sociaux quand la richesse fiscale est ailleurs (Villeneuve-lès-Avignon, le plus riche canton gardois sur l’autre rive du Rhône), explique le Préfet de Vaucluse. Je salue le travail de Jean-Marc Roubaud (ancien président du Grand Avignon) et celui du regretté Jean-François Césarini, député de Vaucluse emporté par le cancer qui avaient élaboré le projet ‘Grande Provence’. C’était une excellente idée , une vision qui concernait le bassin de vie de milliers de familles qui n’ont pas la même carte scolaire pour leurs enfants selon qu’ils sont scolarisés sur une berge ou l’autre du Rhône, dont les horaires des transports en commun ne sont pas non plus coordonnés, l’hôpital d’Avignon reçoit des malades gardois qui ajoutent à la pression des urgences. Or il n’a reçu aucune subvention d’Occitanie, idem pour le Pont de l’Europe qui était fissuré, il a été rénové et sécurisé, ce qui a coûté cher, mais uniquement aux frais des contribuables Vauclusiens, pas aux Gardois qui travaillent côté Cité des Papes et le franchissent matin et soir. »
Rassurer, agir, dialoguer, innover, accompagner
Avant de nous quitter le préfet nous a aussi confié « La manière d’exercer mon métier est très humaine, donc chaque fois que je quitte une préfecture, je laisse des bouts de moi, mais je reçois beaucoup en échange, comme je l’ai vécu mercredi à Chabran avec tous ces Vauclusiens qui me disaient merci pour ce que vous avez fait pour nous, on va vous regretter. C’est la vie, je reviendra discrètement revoir ceux avec lesquels j’ai tissé des liens indéfectibles. »
La semaine prochaine, il devra remplir le coffre de sa voiture de tous les cartons et coffrets de vins de Vacqueyras, Cairanne, Châteauneuf, Sablet, Roaix, Sainte-Cécile que lui ont offerts les vignerons ainsi que sécateur électrique fabriqué par le groupe Pelenc de Pertuis. « Je m’en servirai dans le jardin de ma maison en Normandie, pour tailler les arbres que j’ai plantés au fil du temps, les pommiers, noyers, acacias et saules et je penserai à eux. »
Bertrand Gaume était arrivé chez nous en mai 2018 après le passage-éclair d’un autre préfet qui avait inquiété la plupart des élus locaux mais, heureusement, n’était resté que 9 mois. Pendant 4 ans Bertrand Gaume a su rassurer, agir, dialoguer, innover, accompagner les Vauclusiens qui étaient nombreux à avoir les yeux rougis par la peine de le voir partir mercredi. Heureusement la rumeur sur la future préfète de Vaucluse est positive. Violaine Démaret bénéficie d’un grand capital de sympathie et de confiance. Le 23 août elle arrivera à Avignon quand Bertrand Gaume débarquera à Evry-Courcouronnes.