Vert, orange, rouge ? Lors du prochain déconfinement tant attendu, l’agglomération du Grand Avignon risque de se trouver en condition aussi inédite que kafkaïenne. Et finalement, quel que soit son classement, la situation devrait au moins permettre de mettre en lumière de manière irréversible l’absurdité de son découpage administratif.
Mardi dernier, le premier ministre Edouard Philippe a présenté à l’Assemblée nationale les grands axes du plan de déconfinement de son gouvernement. Avec comme ligne directrice, ce qu’il sera possible de ‘faire’ ou de ‘ne pas faire’ à partir du 11 mai prochain, selon que son département soit classé en vert (pour un large déconfinement) ou en rouge (où la fin du confinement prendra une forme plus stricte).
Pour établir, ce classement les autorités de santé vont s’appuyer sur 3 critères : ‘l’évolution du nombre de cas sur une semaine’ pour évaluer l’activité de la circulation du virus, ‘la capacité de dépistage des départements’ afin de s’assurer que le système local de tests et de détection des cas contacts soit suffisamment prêt et le ‘taux d’occupation des services de réanimation’ pour veiller à ne pas saturer les capacités hospitalières.
Mur de Berlin administratif ?
Dans l’actuelle ‘carte météo’ 3 couleurs du Covid-19 présentée par le ministère de la Santé, le département du Gard apparaît en vert alors que ceux de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône figurent en orange. Une situation inédite qui, si elle restait en l’état, mettrait le bassin de vie d’Avignon dans une situation ubuesque autant qu’embarrassante. En effet, s’il faut bien fixer quelque part une limite entre les départements, celles qui séparent Avignon de ses voisins apparaissent de plus en plus anachroniques et déconnectées de la réalité quotidienne de la 16e aire urbaine de France (Etude Insee). Car, en l’espèce, déconfiner une zone aussi dense qu’Avignon sur la base des découpages départementaux reviendrait quasiment à déconfiner Paris par arrondissement. On imagine aussi mal un déconfinement fractionnaire des agglomérations de Saint-Etienne, Tours ou bien encore Clermont-Ferrand, toutes derrières celle de la cité des papes (la 10e plus dynamique de l’Hexagone sur la période 2011-2016). C’est pourtant ce qui pourrait bien arriver à Avignon.
« il serait pertinent de se baser sur le découpage du bassin de vie, mais il y a peu de chance… »
Une agglomération ‘éparpillée façon puzzle’
Un cas de figure aussi ridicule qu’inutile prenant la forme d’une sorte de mur de Berlin administratif avec le Rhône dans le rôle d’un nouveau rideau de ‘faire’. Une perspective qui fait réagir, Patrick Vacaris, peu enclin à voir la Communauté d’agglomération du Grand Avignon qu’il préside ‘éparpillée façon puzzle’.
« Nous ne savons pas encore le détail des conditions et des contraintes mises en place dans le cadre de ce futur déconfinement, mais dans un monde idéal, il serait pertinent de se baser sur le découpage du bassin de vie, mais il y a peu de chance… », regrette-t-il déjà en se contentant « d’une décision cohérente » concernant ‘seulement’ les frontières des 16 communes du Grand Avignon dont 7 gardoises.
Si effectivement le détail pratique de ce qu’il sera possible de faire, ou de ne pas faire, selon la couleur de son classement départemental n’est pas encore connu, on sait déjà que les mesures différentes de déconfinement devraient concerner les établissements scolaires, les crèches, les modalités de télétravail, l’ouverture des commerces, la tenue des marchés, les rassemblements, les déplacements… Autant d’activités et de services qui vont toucher des centaines de milliers d’habitants de ce territoire à cheval entre 3 départements et 2 régions.
Appel au discernement de l’Etat
« On sait déjà que l’on déconseille les déplacement entre les départements, constate celui qui avait prévu de céder la présidence de l’agglomération le 6 avril dernier suite aux élections municipales et après avoir assuré l’intérim de Jean-Marc Roubaud depuis un peu plus de 1 an. Mais nous allons faire comment alors que les déplacements interdépartementaux constituent notre quotidien ? »
En filigrane, le président gardois de la plus importante agglomération de Vaucluse entrevoit déjà le cauchemar ‘institutionnelo-administrato-réglementaire’ pour ses services. Les contraintes pour les passagers et les conducteurs changeront-elles une fois le Rhône franchi ? Les agents chargés du ramassage des déchets utiliseront-ils les mêmes procédures selon l’endroit où ils seront ? Le trait est forcé, mais il met en lumière l’absurdité dans laquelle le Grand Avignon pourrait se trouver d’ici quelques jours.
« Quel que soit notre classement nous espérons que l’Etat fera preuve de discernement »
Le président Vacaris se met également à la place de ses administrés en imaginant déjà comment leur expliquer que les dates de réouverture des collèges ou bien encore l’accès aux parcs et jardins seront différents d’une berge à l’autre de la 4e aire urbaine de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Aussi impensable que de dire aux Marseillais que ce qui est en vigueur d’un côté du Vieux-Port ne l’est pas en face…
« Quel que soit notre classement nous espérons que l’Etat fera preuve de discernement », espère le président du Grand Avignon qui se félicite toutefois déjà de la nature des rapports qui lient ses représentants avec les collectivités du département.
« J’apprécie que, durant cette crise plus particulièrement, l’Etat s’appuie sur les acteurs du territoire. Il y a une vraie efficacité entre nos collectivités et les services de l’Etat afin d’apporter les meilleurs solutions dans les délais les plus brefs. »
« C’est dans cet esprit que nous souhaitons que l’Etat s’appuie aussi sur nous pour mettre en place les conditions d’un déconfinement au plus près de la population et de la réalité de son quotidien. Et si cela devait s’avérer nécessaire, je demanderai une dérogation pour que les mesures de déconfinement soient les mêmes pour l’ensemble des communes de l’agglomération et cela quel que soit leur département. »
« je demanderai une dérogation pour que les mesures de déconfinement soient les mêmes pour l’ensemble des communes de l’agglomération et cela quel que soit leur département. «
Edouard Philippe : « adapter localement »
Dans son discours devant les députés, Edouard Philippe ne dit pas autre chose en rappelant qu’il faut « agir progressivement » et « adapter localement » le déconfinement. De quoi mettre tout de même l’Etat dans une situation embarrassante. Soit ce dernier applique le découpage à la lettre et il s’expose à de sérieuses conséquences en élargissant la fracture sanitaire. En effet, comment expliquer qu’il ne faut pas exposer les Vauclusiens, notamment en raison des tensions sur les services de réanimation de l’hôpital d’Avignon, alors que l’on exposerait les habitants du Gard avignonnais (pourtant dépendant du même hôpital) sous prétexte qu’ils seraient rattachés statistiquement au centre hospitalier de Nîmes (on pourrait d’ailleurs dire exactement la même chose avec les habitants de Châteaurenard vis-à-vis des établissements de santé de la métropole Aix-Marseille). Difficile donc dans ces conditions pour l’Etat de ne pas faire preuve d’une certaine souplesse afin d’être en phase avec la réalité. Moins grave, mais tout aussi mobilisateur que la santé, les parents ayant des enfants scolarisés sur l’autre rive seront aussi les premiers à dénoncer la ‘déconnexion’ de l’Etat. Enfin, le déconfinement a principalement pour but de relancer l’activité économique. Dans ce cas de figure, comment justifier à nouveau de scinder en deux un territoire aussi interdépendant. A moins de s’asseoir sur son redémarrage, même s’il s’agit d’un des départements les plus pauvres de France qui n’en demande pas tant.
Cependant, plutôt enclin actuellement à s’appuyer sur les recommandations et la connaissance des élus locaux, les services de l’Etat peuvent aussi accorder un statut unique à l’agglomération en la classant, dans son intégralité, en vert ou en rouge. Mais là, ce serait officieusement légitimer ceux qui demandent un rattachement de l’ensemble des communes gardoises du Grand Avignon au département de Vaucluse.
Au final, quel que soit la décision prise et la couleur retenue, cette crise aura déjà montrée les limites et les incohérences de frontières administratives qui ne sont plus adaptées à notre temps. Et, comme dans beaucoup d’autres domaines où l’ancien monde devra faire place à une nouvelle vision, il est désormais impératif d’imaginer l’avenir de notre territoire avec les yeux d’aujourd’hui et, mieux encore, avec ceux de demain.