Des régions et des villes, il en a été bien peu question au cours du 9e sommet européen qui leur était consacré à Marseille (3 et 4 mars). On y a multiplié les déclarations solennelles en faveur de l’Ukraine. Nombre de participants ont préféré le vent du bord des plages ensoleillées à celui de l’Histoire d’un continent qui n’a plus vraiment de discours sur sa cohésion. La faute à Poutine ?
Il y avait bien une jeune femme dans un ensemble en mousseline – jaune pour le pantalon, bleu pour la veste – arpentant les allées du congrès. Et puis une autre élégante, se servant d’un drapeau ukrainien en guise d’étole satinée, sirotait paisiblement un jus de fruit.
Le temps était venu pour les participants du « Sommet des villes et des régions européennes », représentent des milliers d’élus issus de centaines de régions, de rejoindre la grande salle, à moitié pleine, ou vide, c’est selon.
Après le déjeuner, les envolées lyriques sur l’Europe se dressant fièrement face à la barbarie ne font pas recette auprès de cette multitude. Quelques applaudissements timides se font entendre. Si l’heure est grave, c’est parce qu’on ronfle.
Exit l’auberge espagnole, place à l’auberge rouge ?
Il faut dire que les discours et le langage font même penser aux bonnes feuilles de cette bonne vieille Pravda (« La Vérité », en russe). Ainsi, madame Elisa Ferreira, commissaire à la cohésion et aux réformes, déclare : « Le 8e rapport sur la cohésion montre clairement l’importance de la politique de cohésion dans l’amélioration de la convergence et la réduction des inégalités entre les pays et les régions de l’Union. En recensant les domaines dans lesquels les États membres et les régions doivent progresser et s’améliorer, le rapport nous permet de tirer les leçons du passé pour mieux nous préparer à relever les défis à venir ». Tout ça pour dire que cette fameuse politique de cohésion qui intéresse au premier chef les villes et les régions aurait permis en quelques années de réduire de 3,5% l’écart entre le PIB par habitant des 10% de régions les plus riches et le moins riches.
Mieux, on apprend que le même PIB par habitant des régions les moins développées devrait progresser de 5% d’ici 2023. Comment tenir une telle promesse, fût-ce à coup de centaines de milliards d’euros ?
D’une part, l’Union européenne dont l’argument politique fondamental est d’avoir construit 75 ans de paix, s’effondre. La guerre est aujourd’hui à ses portes et ses frontières sont largement, et depuis longtemps, ouvertes aux personnes sans droit ni titre pour les franchir. La joyeuse auberge espagnole des étudiants d’Erasmus s’est fanée.
D’autre part, l’effort effectué pour réduire les écarts entre les pays et régions de l’Union n’a pas encore permis de se remettre de la pandémie qui est passée par là – et reviendra peut-être par ici – ni d’engager une transition vers l’avenir d’un continent « vert et numérique » capable d’une croissance à long terme, de l’aveu même de l’UE.
« Belles déclarations » et développement territorial
C’est ce que tente de faire comprendre le vice-président du Comité européen des régions, le portugais Vasco Alves Cordeiro. « Il y a un risque d’être dépassé par l’Histoire et les évènements disruptifs qui se produisent autour de nous. Il faut faire preuve de lucidité et ne pas seulement se contenter de belles déclarations mais encore prévoir les nouveaux moyens financiers et humains qu’elles supposent », prévient-il. « Que va exiger la cohésion dans le cas qui nous occupe, à savoir celui de l’Ukraine et des membres de l’Union les plus proches de ses frontières ? ». Historiquement, la crise financière de 2008 a pu être amortie par la politique de cohésion qui représente aujourd’hui plus de 50% des investissements publics pour certains Etats membres. L’incidence de la pandémie a été réduite en mettant à disposition des collectivités locales plus de 70 milliards (programmes CRII et React-Eu). Il est aujourd’hui question de mettre en œuvre une action d’adaptation au changement climatique. Tous ces efforts budgétaires finiront-ils par manquer aux régions alors que jusqu’ici, les résultats de cet « outil fantastique qui va au plus près des territoires pour consolider leur développement », selon la formule de Jacqueline Gourault – ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales – sont plutôt contrastés ?
Un équilibre économique européen de plus en plus fragile
Des régions et des villes, il en sera peu question lors des débats marseillais, mettant en sourdine ce que les fonctionnaires et élus désignent comme un « piège de développement ». Certes, on savait que les pays boulets de la croissance sont ceux qui se traînent le plus de dettes. Grèce, Italie, Espagne et demain France.
Mais ce sont, plus fondamentalement, les régions à « revenus intermédiaires » où le PIB par habitant est compris entre 75% à 100% de la moyenne de l’Union qui posent problème : pas de croissance, un déclin économique marqué par la baisse de la productivité, de l’emploi, de l’investissement, de la formation et de la démographie. Les mêmes ingrédients ont déjà précipité dans une grande pauvreté les zones frontalières russes et européennes de plus ou moins longue date : la Moldavie, une partie de la Roumanie et bien sûr de l’Ukraine.
Il faudrait donc concevoir une stratégie plus fine et sophistiquée permettant aux régions d’inverser la vapeur et de saisir toutes les opportunités de développement.
L’ancien premier ministre Belge, Elio Di Rupo, président de la Wallonie observe que « les programmes européens concernent des subventions accordées à partir d’indicateurs économiques nationaux, alors que l’on peut avoir des régions disparates au sein d’un seul pays. Il me semble très important au plan démocratique que toute une série de programme aille directement se faire entre la Commission européenne et ces régions en tenant compte de leur économie locale ».
10 milliards pour notre région
Mieux cibler les investissements de l’UE suppose d’améliorer les administrations régionales et le cadre institutionnel. Mais cette décentralisation, à laquelle Renaud Muselier est pourtant très attaché, paraît bien périlleuse. « Je suis très partagé sur cette proposition. Notre région, par exemple, a failli être exclue d’un dispositif européen. Travailler avec l’Etat dans un esprit de partenariat est donc très utile pour arbitrer car, souvent, on peut remarquer que les régions les plus contributrices sont aussi celles qui peuvent être les plus pénalisées. Ainsi, la région n’a cessé d’augmenter la captation de financements européens pour soutenir plusieurs milliers de projets. L’Europe qui a apporté 4,6 milliards d’€ à notre région ces six dernières années, et qui va nous en apporter 10 milliards dans les six prochaines. La portée et l’avancée des projets soutenus sur tout le territoire sont telles que Provence-Alpes-Côte d’Azur intègre le top 10 des régions européennes pour la consommation des fonds ». Reste à voir si la période de programmation 2021-2027 guidant les politiques et les investissements de l’Union pour aider les régions à atteindre une croissance à long terme équilibrée et durable a encore ses chances dans un monde où on ne peut pas toujours tourner le dos à la réalité.