Ce mercredi 24 janvier, c’étaient les audiences solennelles de rentrée au palais de justice d’Avignon. Au menu : le Conseil des Prud’hommes, le Tribunal de commerce et le Tribunal Judiciaire d’Avignon.
La première à dégainer, dès 10h, c’est Sylvie Brès, la présidente du Conseil des Prud’hommes, composé de 85 conseillers, un juge départiteur, une directrice, un greffe, trois greffières et une adjointe administrative. Elle énonce le bilan 2023, d’abord, côté dossiers en stock : « 564 en 2023 contre 535 en 2022, 37 référés contre 14, âge de ces stocks 15,1 mois (au lieu de 16). Concernant les saisines : 425 pour le contentieux général, 90 pour les référés. »
Sylvie Brès évoque alors les chiffres par section : « 16 en agriculture, 168 en commerce, 86 en encadrement, 82 en industrie. » Elle ajoute : « La moitié des conseillers a été renouvelée sur le Conseil des Prud’hommes d’Avignon. » Il est vrai que le Conseil des Prud’hommes est un organisme paritaire, équilibré entre salariés et employeurs, où le droit du travail doit être préservé dans l’intérêt général.
Préserver le respect de tous
« Nous sommes là pour trouver des solutions adaptées, pour apaiser les conflits. Nous sommes au service de la justice et des justiciables. Nous ne devons pas souffrir de prises de positions contraires à la déontologie. Nous devons remplir notre fonction avec détermination et diligence et ainsi répondre aux critiques injustes qui nous seraient adressées. Nous sommes des acteurs de l’entreprise, avec un rôle de régulateurs et de modérateurs. »
Elle poursuit : « Nous ne sommes pas ici pour défendre l’indéfendable mais pour préserver dans le respect de tous, les équilibres économiques qui peuvent être facilement rompus avec l’inflation. Notre avenir repose sur la qualité de notre formation et au bout de 20 ans de prud’homie, je me forme encore ». C’est alors que Sylvie Brès se tourne vers Brigitte Malaval, son binôme jusqu’en 2023. Alternance oblige, c’est désormais elle qui sera présidente du Conseil des Prud’hommes et Sylvie Brès, vice-présidente.
Une année difficile pour les entreprises vauclusiennes
Deuxième vœu de cette journée marathon pour la justice en Vaucluse, à 11h, ceux du président du Tribunal de Commerce, Gérard Arnault, dont c’est la 8e et dernière année du second mandat. Une tendance forte pour 2023 : c’est une année-record pour le nombre d’entreprises en difficultés (664) et le nombre de procédures (+40%).
« Avec la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien, la flambée de la facture énergétique (+30%), nos boulangers, entreprises du BTP, agriculteurs, restaurateurs ont souffert. L’inflation a atteint +4,9% en moyenne, le coût du crédit a renchéri alors que les dettes induites par le Covid (Urssaf, PGE-Prêts garantis par l’Etat) ont commencé à être exigibles. »
Le président du Tribunal de Commerce ajoute : « Face à l’accroissement des affaires, nous avons parfois dû dédoubler les audiences et les juges-commissaires ont rendu 3 704 ordonnances soit + 32% par rapport à l’an dernier ». Gérard Arnault a aussi donné un coup de chapeau à l’association APESA (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe), qui tend la main aux patrons en grande souffrance morale, dépressifs, au bout du rouleau, épuisés, en plein burn out.
Un effort de prévention intense du Tribunal de Commerce
Avant la liquidation judiciaire, le Tribunal de Commerce est là pour anticiper les difficultés, alerter les entrepreneurs tant qu’il est encore temps. « Cet effort de prévention a été intense : 383 entretiens en 2023 (+21%), un record en Paca, 283 déclenchés par nous et une centaine par les chefs d’entreprises. » Il évoque ensuite les contentieux : 495 affaires nouvelles (+10%), 106 ordonnances de référés (+41%). Forte hausse également des injonctions à payer : 1722 (+22%).
Voilà pourquoi, il avait demandé des effectifs supplémentaires pour faire face à toutes ces missions en hausse. Et il a été entendu puisque le nombre de juges passe en 2024 de 35 à 42, 7 en plus, notamment Michel Maridet, ancien directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Vaucluse et le Colonel Bernard Teyssonnières, ancien patron de la Base aérienne 115 d’Orange.
Le fiasco du guichet unique dématérialisé
C’est alors que sont évoqués le ‘calvaire’, le ‘supplice’, ‘le chemin de croix’, ‘la débâcle’ du guichet unique dématérialisé… Une obligation induite par la Loi Pacte de 2019. « Ce système a cumulé tous les dysfonctionnements possibles, au point que la procédure sur papier a été diligentée. D’ailleurs la Cour des Comptes a rendu un rapport très critique contre ce site développé par l’INPI (Institut national de la propriété industrielle), rappelant que ces problèmes sont les conséquences d’une réforme insuffisamment préparée et mal conduite. »
Et finalement, alors que les bons vieux greffes ‘papier’ des tribunaux de commerce ont enregistré 4 630 000 formalités en 2022, le guichet unique n’en a traité par internet que 1 364 000, soit un quart… Une vraie Bérézina. Certains se demandent d’ailleurs si ce n’est pas à cause de cela que le taux d’immatriculation des entreprises a chuté de 15% l’an dernier.
L’engagement bénévole des juges consulaires
Le président Arnault arrive à la conclusion en évoquant le sacerdoce des juges. « Cet engagement unique, profond, ancré dans nos institutions, unanimement apprécié par les justiciables, n’est pas assez valorisé. C’est une implication citoyenne au service du collectif, du droit, de l’économie, des entreprises, sans aucune contrepartie que la satisfaction d’avoir servi notre bien commun, la justice. Mais je ne peux cacher une certaine acrimonie : progressivement, le caractère bénévole de notre juridiction se mue en mécénat inacceptable. » À titre d’information, les frais de fonctionnement du Tribunal de Commerce d’Avignon s’élèvent à… 900€ par an, c’est dire.
Composition du Tribunal de Commerce d’Avignon pour l’année 2024
Le nombre de juges pour le Tribunal de Commerce d’Avignon est fixé à 35
(Article annexe 7-2 à la partie réglementaire du code de commerce).
Président
M. Gérard ARNAULT
Vice-président
M. Philippe BARDIN
Présidents de chambre
M. Jean-Michel CALLEJA
Mme Andrée CANOVAS
Mme Caroline DAUBA-ROUGON
Mme Mireille DAUDIER
M. Daniel HATTON
M. Jean-Pierre MARCHENAY
M. Thierry PICHON
Juges pouvant présider une formation de jugement
M. Sébastien LEGRAND
M. Philippe LESAFFRE
Juges
M. Jean-Philippe ALTAYRAC
M. Radouane AMERZAG
M. Frédéric BILLON
M. Michel BLANC
M. Denis BOREL
M. Gérard BRIES
Mme Maria CHALLIGUI LE MOUEL
Mme Nadia CHERGUIA-MOSSE
M. Sylvain DEKONINK
Mme Florence DUPRAT
M. André ESCANDE
M. Vincent ESTIENNE
Mme Céline GUICHARD
M. Daniel GUYON
M. Michel MARIDET
Mme Jacqueline MARINETTI
Mme Sophie MINAULT
Mme Corinne PAIOCCHI
M. Simon REBOULET
M. Hervé SALEZ
M. Jacques SORBIER
M. Olivier SORIN
M. Bernard TEYSSONNIERES
M. Antoine VALAT
Plus de 5M€ de saisies pénales en 2023
Dernière salve de vœux, l’après-midi, ceux du président du Tribunal Judiciaire d’Avignon, Jean-Philippe Lejeune, en présence de la préfète de Vaucluse, du premier président de la Cour d’Appel de Nîmes, de procureurs, d’élus, de représentants de l’inter-consulaire, de la police, de la gendarmerie.
C’est la procureure de la République Florence Galtier qui a pris la parole pour ses réquisitions. « Nous ne sommes rien, isolément. Comme l’a dit madame la Préfète, reprenant la devise olympique, ensemble, on va plus loin, plus haut, plus fort. » Elle a souligné la qualité des échanges au sein de la juridiction, le travail avec les forces de l’ordre, la douloureuse affaire du policier Eric Masson (abattu le 5 mai 2021 sur un point de deal en plein centre-ville d’Avignon). « Une plaie difficile à refermer », dit-elle. « L’an dernier nous avons connu huit homicides, sans parler des tentatives. » Elle a aussi évoqué les saisies pénales : plus de 5M€ au lieu de 900 000€ en 2022, sans oublier 127 000€ de crypto-monnaie, la création d’un Pôle pour les violences intrafamiliales et d’un autre sur la maltraitance animale.
Activité du Tribunal judiciaire
C’est alors que le président Lejeune prend la parole : « Les lois votées en novembre 2023 présentent un caractère historique, avec un accroissement des obligations déontologiques qui pèsent sur les magistrats. Serment, rite initiatique, indépendance, impartialité, humanité, dignité, probité, discrétion, intégrité et loyauté. Tout manquement constitue une faute disciplinaire. »
Place ensuite à l’activité du Tribunal et aux mouvements de magistrats entre ceux qui sont mutés et ceux qui arrivent en Vaucluse. « Le nombre d’actes de greffe est en hausse de 13% (6 724 dossiers). Les dossiers des tutelles reculent de 3% (2 625), sur le plan pénal, l’activité est toujours soutenue : 2 882 décisions (+7,7%), +11% de comparutions immédiates (395 procédures urgentes). Le nombre d’audiences CRPC (Comparutions sur reconnaissance de culpabilité) a grimpé de +36,7%. »
Règlements de comptes et narcotrafic
Est évoquée ensuite la complexification des affaires de narcotrafic et de criminalité sur fond de règlements de comptes. « Notre chaîne pénale est totalement mobilisée pour juguler cette criminalité qui gangrène nos cités et qui constitue un défi majeur pour l’institution judiciaire et les forces de sécurité », martèle le Président Lejeune. Il n’oublie pas les enfants : « On est passé de 495 affaires nouvelles en 2022 à 618 l’an dernier (+25%) ». Il ajoute : « Derrière l’âpreté des chiffres et des statistiques se cachent des vies meurtries, des personnes en souffrance qui attendent des décisions de justice. »
« Un défi majeur pour l’institution judiciaire et les forces de sécurité. »
Jean-Philippe Lejeune, président du Tribunal Judiciaire d’Avignon
Enfin, Jean-Philippe Lejeune évoque 2024, l’ouverture d’un Point Justice à Vedène le 1ᵉʳ février, la pérennisation de celui d’Apt, la labellisation de ceux de Bollène et Vaison-la-Romaine, pour un accès au droit au plus près des justiciables. Deux procès retentissants vont également se tenir à Avignon : l’affaire Eric Masson et celle des viols de Mazan (une cinquantaine d’hommes accusés d’avoir violé la même femme, droguée à son insu par son mari) en mars prochain. « Ils auront forcément un fort impact sur notre fonctionnement quotidien et notre activité globale », a conclu le président du Tribunal Judiciaire.