Conseil des Prud’hommes, Tribunal de Commerce, Tribunal judiciaire, les audiences solennelles se sont succédées ce vendredi 20 janvier lors de ‘Marathon’ de la rentrée 2023 du Tribunal de justice d’Avignon.
La journée a commencé à avec le Conseil des Prud’hommes, Salle Mirabeau. Le président, Achraf Bouhou salue « Cette institution initiée il y a 217 ans (en 1808) par Napoléon Ier pour faciliter les conciliations entre employeurs et employés, une exception française paritaire, qui au fil du temps, s’est complexifiée ». Quelques chiffres pour évoquer l’activité 2022 en Vaucluse. Au chapitre ‘contentieux général’ : 691 affaires traitées (contre 532 en 2021), pour les référés 84 (contre 73), 41 conciliations (contre 29) et enfin réduction notable de la durée du stock 16 mois contre 22,5.
Il a ensuite laissé sa place à la nouvelle présidente, Sylvie Brès, conseillère prudhommale depuis plus de 20 ans. A cette occasion, cette dernière l’a remercié d’avoir « redonné à cette juridiction (de 88 membres) la sérénité indispensable à son bon fonctionnement malgré la démission de 5 conseillers en novembre 2021. » Elle a salué le travail des conseillers « rescapés » qui ont su réagir en faveur du justiciable et elle a réclamé au 1er président le retour à Avignon de la section ‘Activités diverses’ délocalisée à Orange.
Après les Prud’hommes, place au Tribunal de commerce
A partir de 11h, dans la salle où se déroulent d’habitude les sessions d’assises, c’est ensuite Gérard Arnault qui a fait le bilan 2022 et tracé les perspectives 2023 du Tribunal de commerce qu’il préside. « Depuis la crise sanitaire, une succession de chocs majeurs et inattendus affectent notre quotidien. Après le ‘quoi qu’il en coûte’, le retour à la réalité a été accompagné d’une augmentation significative des défaillances d’entreprises : +60% pour notre juridiction (54% en France). Aujourd’hui, je ne peux qu’être inquiet des chocs que représentent pour les entrepreneurs les conséquences du conflit en Ukraine sur nos approvisionnements énergétiques et leurs coûts, le tout générateur d’inflation et l’augmentation des taux d’intérêt ».
Il évoque « Les effets de la crise inflationniste qui vont peser sur l’activité du bâtiment et le prix de l’énergie sur l’agriculture, la restauration, l’agro-alimentaire et l’activité commerciale. Rembourser les PGE (Prêts garantis par l’Etat) et les dettes envers l’Urssaf va être plus difficile. Les dirigeants d’entreprises en difficulté ont demandé à rencontrer un juge de la prévention. Leur nombre a doublé en 2022 (316) et le taux de réussite s’est élevé à 78%. Néanmoins, et je le déplore, sur 555 ouvertures de procédure, 359 (65%) ont fait l’objet d’une liquidation judiciaire directe. J’insiste donc : il faut absolument anticiper et se mettre sous la protection de notre Tribunal de commerce dès la première alerte. Au niveau national, nous constatons un taux de réussite de 39% pour les redressements. » Autre activité du Tribunal, le contentieux : 1 411 injonctions de payer (971 en 2021, soit +45%) ont été prononcées.
« Avec la multiplication des dossiers (environ 10 000 par an en Vaucluse), la complexification du droit, des besoins de formation, la limite du bénévolat, il est temps de préparer l’avenir, d’alléger les charges donc d’augmenter l’effectif et de le porter de 35 à 42 juges » a demandé le Président Gérard Arnault. Il a ensuite évoqué le portail internet du ‘Guichet électronique’ devenu obligatoire depuis le 1er janvier 2023. « En 2022, 2, 4 millions de formalités dématérialisées ont été traitées sur Infogreffe.fr mais il est désormais interdit aux déclarants de déposer des formalités au registre du commerce et d’utiliser ce site. Or ‘le guichet unique’ n’est pas à la hauteur de ses ambitions et n’apporte pas le service du regretté Infogreffe.fr »regrette-t-il.
Bénévoles de la Justice : Oui, Mécènes : Non !
Gérard Arnault a également évoqué ‘Les Etats généraux de la Justice’ : un nouveau statut de l’entrepreneur rend insaisissable l’ensemble de son patrimoine personnel, ce qui est une bonne nouvelle. « En revanche, je disposais pour notre Tribunal de Commerce de Vaucluse d’une dotation annuelle de 1 800€ en 2018, en 2023, elle sera de 800€ et aucun défraiement (frais d’essence, péages, parking) n’est versé aux juges pour leurs déplacements. Nous sommes d’accord pour être bénévoles mais pas pour être des mécènes de la Justice ».
Sans parler de la tenue obligatoire que doivent arborer les juges lors des cérémonies officielles, comme l’Audience solennelle : robe noire (environ 900€), toque en soie (100 à 200€), ceinture moirée (une centaine d’euros), sans oublier les gants blancs qui sont intégralement payés par les conseillers prudhommaux sans la moindre compensation financière, en dehors de l’honneur d’être utiles aux autres. Non sans avoir au préalable ingurgité les milliers de pages du Code du travail et du Code du commerce.
Les MARD et l’APESA donnent satisfaction
Deux sujets de satisfaction, malgré tout, pour Gérard Arnault, les MARD (Modes alternatifs de règlement des différends), des solutions confidentielles et rapides destinées à régler un litige équilibré et durable. Et l’APESA (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe). « Souvent l’entrepreneur est un homme seul, stressé voire déprimé, en plein burn-out, en difficultés familiales, qui craint le jugement des salariés qu’il est obligé de licencier, l’APESA est à leur écoute, les conseille, leur tend la main ».
Le Tribunal judiciaire pour terminer
Enfin, à 14h30, dans la même salle Voltaire du palais de Justice du Boulevard Limbert, c’était au tour du président du Tribunal judiciaire, Ghani Bouguerra d’entamer la troisième et ultime audience solennelle de rentrée 2023 en présence de la préfète, Violaine Démaret, de la présidente du Conseil départemental de Vaucluse, Dominique Santoni, des personnels civils et militaires qui comptent dans le département, mais aussi de Françoise Pieri-Gauthier, avocate générale à la Cour de cassation qui exerce les fonctions de procureure générale près la Cour d’appel de Nîmes et de Florence Galtier, procureure de la République d’Avignon.
Il a commencé par une citation latine : « Vanitas vanitatum et omnia vanitas (Vanité des vanités, tout est vanité), nous courons derrière les honneurs, l’argent, la gloire, le pouvoir, en vain. Nous devons replacer l’humain au centre de tout. » Lui qui est installé à Avignon depuis 7 ans et s’apprête à passer la main après quelques problèmes de santé, se demande : « Le juge devient-il un conciliateur, un médiateur ? La future Cour criminelle sera-t-elle digitale, exclura-t-elle le peuple ? »
9 nouveaux avocats au Barreau d’Avignon
Le président du Barreau d’Avignon, Jean-Maxime Courbet saluera l’arrivée de 9 nouveaux confrères, de jeunes avocats en précisant que « Le Barreau s’est investi en dehors des prétoires pour que le droit vive, soit accessible. Avec des consultations gratuites auprès des contribuables pour les aider à remplir leurs déclarations d’impôts, auprès de l’Association d’aide aux victimes. Ils participent à ‘SOS Enfants’, aux Colloques ‘Droit et Théâtre’ du Festival d’Avignon, aux Rencontres de l’Eloquence chaque année, en octobre, au Théâtre du Chêne Noir et à Châteaublanc au dernier Cheval passion pour évoquer les droits de l’animal et les contrats des artistes équestres. »
Il a conclu en disant : « Nous devons rester un outil et non devenir une forme de dogme, de solution-miracle qui éloignerait les avocats des justiciables. Nous privilégions l’humain. Notre rôle qui érige en vertu cardinale de notre profession l’humanité nous oblige plus qu’il nous honore ».
Une Justice au bord de la déflagration ?
Enfin, la Procureure de la République d’Avignon, Florence Galtier a pris longuement la parole en évoquant le rapport Sauvé : « Deux constats en résultent : celui d’une justice au bord de la déflagration et la nécessité de tenir malgré tout, dans l’attente de moyens qui nous seront octroyés, mais qui ne peuvent être immédiats ». Elle ajoute : « Une évolution doit attirer notre attention : le nombre de PV reçus au Parquet est en baisse de 2 000 procédures, en revanche le nombre d’affaires ‘poursuivables’ a grimpé de 6 382 en 2021 à 8 140 en 202. Ce double écart démontre les effets de la dématérialisation, la réactivité et l’efficacité du travail mené par les services d’enquête. Les comparutions immédiates sont passées de 352 à 415, mais le tout-carcéral n’est pas une fin en soi, une politique pénale cohérente se doit de prévenir la récidive ».
Augmentation du taux de réponse pénale
La Procureure de la République cite ensuite Churchill : ‘Agissez comme s’il était impossible d’échouer’. Elle précise : « Le taux de réponse pénale a augmenté de 89% à 97%. Nous le devons à ces gens courageux morts pour le devoir, pour nous protéger. Avignon est à jamais marquée par le meurtre d’Eric Masson, le 5 mai 2021. Cette plaie ne sera jamais refermée. Notre ressort a connu une recrudescence des violences liées aux trafics de drogue, 3 morts à Avignon en un mois, 9 homicides et tentatives au cours de règlements de compte en tout en 2022 en Vaucluse. »
Elle évoque une autre lutte à l’horizon : contre les atteintes à l’environnement. « Une politique pénale, graduée et systématique a été mise en œuvre, des instructions ont été données pour les délits les plus graves en utilisant des pièges-photos pour les dépôts sauvages. » La lutte contre les violences intra-familiales a aussi été évoquée. « Toutes les demandes font l’objet d’une réponse immédiate via une boîte mail dédiée, 50 téléphones ‘Grave danger’ et 6 bracelets ‘anti-rapprochement’ ont été mis à disposition. »
Traque systématique contre les trafiquants et les consommateurs de drogue
La traque contre les trafiquants et les consommateurs de drogue sera menée systématiquement et sans relâche. « Leur ingéniosité est sans limite puisque certains points de deal commencent à poindre sur le toit des cités mais nous ne cèderons pas. Fin-janvier, nous ferons une série de contrôles sur l’ensemble des quartiers chauds de la Cité des Papes pour démanteler cette économie souterraine. »
Florence Galtier conclut : « La criminalité s’est aggravée. Cette augmentation a été consacrée par la classification des juridictions puisque la ville d’Avignon est passée du groupe 3 au groupe 2, comme Nîmes ou Valence. J’espère donc que nos effectifs seront étoffés pour l’éradiquer ».