Denis Alliaume, avocat au sein du cabinet d’avocat avignonnais Axio, revient sur la complexité des ‘forfaits jours’ largement utilisés pour la durée de travail des cadres.
Le régime les forfaits jours a été mis en place par les lois Aubry de l’an 2000. Ce régime unique en Europe est largement utilisé pour la durée du travail de nombreux cadres français. Derrière l’apparente facilité du système, se cache une complexité juridique.
La mise en place d’un forfait jours est subordonnée à la conclusion :
– d’une convention ou d’un accord collectif de branche ou d’entreprise
– d’une convention individuelle contractuelle avec chaque salarié concerné
Nombreux accords de branches invalidés
Une jurisprudence abondante de la Cour de cassation est venue analyser la validité des accords collectifs instituant la convention de forfait. Ainsi de nombreux accords de branches ont été invalidés par la Cour de cassation. Celle-ci estimant que ces accords collectifs n’assuraient pas la protection de la sécurité et la santé des salariés. Un nouvel épisode de cette saga judiciaire est un arrêt du 13 octobre 2021 (Cass Soc 13/10/21n°19-20.561), dans lequel la Cour de cassation est venue apprécier les dispositions de convention collective nationale du Crédit agricole.
Si cet accord de branche prévoyait bien :
– le nombre de jours fixe travaillés dans l’année pour un droit complet à congés payés- le contrôle des jours travaillés et des jours de repos dans le cadre d’un bilan annuel
– un suivi hebdomadaire afin de vérifier le respect des règles légales et conventionnelles en matière de temps de travail, notamment les 11h de repos quotidien.
Néanmoins, il n’instituait pas de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail. La Cour en conclut que cet accord n’est pas de nature à garantir « que l’amplitude et la charge de travail reste raisonnable et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle » Cette décision rappelle la particulière vigilance requise lors de la rédaction d’accords collectifs organisant le temps de travail en forfaits jours.
Garanties insuffisantes par les tribunaux ?
Une analyse de l’accord de branche est donc nécessaire et si les conditions fixées sont insuffisantes, il conviendra d’envisager la signature d’un accord d’entreprise pour y pallier. Le Législateur a été sensibilisé par le caractère fragile du dispositif s’appuyant sur un accord de branche dont les garanties conventionnelles pourraient être considérées insuffisantes par les tribunaux.
La loi ‘Travail’ du 8 août 2016 a justement aménagé un dispositif ‘béquille’ permettant à l’employeur, dont l’accord collectif est insuffisant en matière de suivi de la charge de travail, de compenser ces carences, lui permettant de sécuriser lui-même le régime sans être tributaire des partenaires sociaux de la branche.
Il faut dans ce cadre :
– établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ;
– s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
– organiser, au moins une fois par an, un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.
Exigence du respect des obligations
Il conviendra bien évidemment ensuite de respecter l’ensemble de ces engagements. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 13 octobre 2021, opposant un Cadre au Crédit agricole, étant intervenus avant la Loi ‘Travail’ d’août 2016, l’employeur n’a pu bénéficier du dispositif ‘béquille’ permettant de sécuriser l’accord de branche incomplet. Ce nouvel épisode de la saga des forfaits jours rappelle l’exigence du respect des obligations dans la mise en œuvre du dispositif.