Les recommandations de la mission sur la justice économique portent sur l’articulation des différents mécanismes de détection des difficultés, sur l’accueil et l’accompagnement des PME et TPE ainsi que sur leur développement.
La mission sur la justice économique confiée, le 17 septembre 2020, à Georges Richelme, ancien président de la Conférence générale des juges consulaires de France, par le ministre de la justice vient de rendre son rapport, à la suite de plus de 80 auditions. L’objectif fixé par le ministre était de présenter des recommandations afin que le « service public de la justice » soit « totalement prêt à prendre en charge les entreprises exposées à un risque de défaillance ». Les analyses économiques font craindre une explosion du nombre de défaillances en 2021 (Communiqué de presse, Min. justice, 5 oct. 2020 : BAG 145, « Mission flash confiée au président de la Conférence générale des juges consulaires de France », p. 15 et BAG 147, « Mission justice économique : mobilisation des greffiers représentés par Didier Oudenot », p. 15).
La mission a procédé à « un état des lieux de l’ensemble des pratiques actuellement mises en œuvre, dans le cadre judiciaire ou hors de ce cadre, pour mieux détecter et prévenir les difficultés et mieux accueillir et accompagner les entrepreneurs individuels, exploitants agricoles et dirigeants », partant du constat que ces derniers n’ont généralement pas recours aux procédures amiables qui pourraient les protéger lorsque leur situation se dégrade (Rapport de la mission « Justice économique », Min. de la justice, sous la direction de Georges Richelme, 19 févr. 2021). A l’inverse, les ouvertures de procédures amiables concernent majoritairement des sociétés de taille importante. Elles abordent le traitement de leurs difficultés comme un acte de gestion, disposent en général dans leur organisation d’une expertise dédiée et ont recours aux conseils des professionnels du chiffre et du droit.
Plusieurs freins à la mise en œuvre de la prévention auprès des TPE-PME (moins de 9 salariés), qui représentent 95 % des entreprises françaises, sont cités : le défaut de compréhension de la situation réelle de l’entreprise, ou pire, le déni de la situation et la crainte de l’échec, la difficulté à trouver les dispositifs d’aides adaptés, le coût réel ou supposé des mesures et, enfin, l’appréhension à se présenter à titre préventif devant un tribunal dont on sait qu’il est aussi celui de la procédure collective.
Les recommandations, faisant suite à plus de 80 auditions (v. Annexes au Rapport), portent sur l’articulation des différents mécanismes de détection des difficultés ainsi que sur l’accueil et l’accompagnement, en amont des procédures préventives, des PME et TPE, afin qu’elles puissent engager les procédures judiciaires adaptées, et le développement des procédures de prévention.
Promouvoir une information sur la détection et la prévention en direction des TPE-PME
Georges Richelme souhaite que « l’information sur la prévention devienne une grande cause nationale ». Les nombreux dispositifs de détection et de prévention sont largement ignorés des petites entreprises, des exploitants agricoles ou des associations. La mission insiste sur la nécessité d’en faciliter la diffusion, par exemple, en s’appuyant sur l’intervention d’anciens magistrats expérimentés au sein des « Maisons de justice et du droit », des « Points d’accès au droit », dans les « Maisons France Service », en cours de nouvelle dénomination et labellisation « Points Justice », ou en centralisant ces informations sur le portail « Justice » avec une rubrique spécifique dédiée aux difficultés des entreprises et à la mise à disposition des documents Cerfa. Le portail pourrait orienter sur les procédures et le tribunal compétent.
Plus largement, un changement d’approche est indispensable : « il faut vouloir amener la prévention aux entreprises » au lieu de l’inverse. Les interlocuteurs ayant « naturellement connaissance des signes de difficultés doivent donc participer à la prise de conscience du chef d’entreprise ». Le rapport souligne le rôle d’information que pourrait exercer certains créanciers institutionnels lorsqu’ils constatent un premier impayé. Par exemple, lorsque le partenaire financier adresse une lettre de dénonciation, celle-ci s’accompagnerait d’informations relatives aux procédures de prévention. Il est aussi proposé d’élargir le périmètre d’action des commissaires aux comptes, d’améliorer l’efficacité de la procédure d’alerte et de pérenniser le devoir d’information du président du tribunal de commerce ou judiciaire instauré par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 en raison de la crise sanitaire (v. BAG 142, « Covid-19 : assouplissement provisoire des règles des procédures collectives », p. 1).
Un certain nombre de petites entreprises n’a pas ou n’a plus d’expert-comptable et n’adhère pas à un centre ou une association de gestion agréé. La mission prend acte de ce qu’il semble impossible d’imposer aux acteurs économiques le recours à un expert-comptable. En revanche, en deçà de certains seuils à définir, il pourrait être proposé un avantage en contrepartie de la tenue de leur comptabilité par leur intermédiaire. L’expert-comptable constatant certains signaux pourrait également signaler à son client ses défaillances. Le courrier devrait être assorti d’une information type sur les procédures de prévention et les procédures collectives.
Du côté des chefs d’entreprises, la mission propose une formation au moment de leur premier enregistrement au RCS, au registre des métiers, à la chambre d’agriculture ou ordre professionnel. Toutefois, celle des artisans ayant été supprimée par la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019, la mission suggère qu’ils puissent au moins disposer d’un document d’information sur les outils de prévention et les procédures collectives.
Favoriser une détection précoce des difficultés
La mission s’est particulièrement intéressée aux dispositifs de détection et, notamment, aux dispositifs d’autodiagnostic des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des greffiers des tribunaux de commerce (Monidenum et indicateur de performance individuelle) qui permettent dans le prolongement de leur consultation, la saisine d’un juge de la prévention via le tribunal digital. De plus, les tribunaux de commerce organisent une « détection provoquée » grâce aux informations internes du tribunal. Le dispositif « Signaux Faibles » développé par le ministère de l’économie, des finances et de la relance, mis en place pour prédire à moyen terme le risque de défaillance, présente également un intérêt particulier pour la mission.
Un rapprochement entre ce dispositif et celui des greffes des tribunaux de commerce permettrait d’agir plus précocement. Il est préconisé d’alimenter la base de données « Signaux Faibles » laquelle fait converger les informations détenues par différentes administrations dans un algorithme, avec les informations détenues par les greffes des tribunaux. Ainsi, ces derniers pourraient avoir un accès plus direct à tout ou partie de ces signaux et multiplier le nombre d’entretiens actuellement pratiqués en matière de prévention, la mission ayant constaté que la détection n’existe pas au niveau des tribunaux judiciaires. Afin de pouvoir identifier les TPE en difficulté, le dispositif « Signaux Faibles » pourrait également être complété des données concernant les entités de moins de 10 salariés et des incidents de paiement fiscaux.
Accompagnement et protection du chef d’entreprise
Sur la question clé de l’accompagnement, la mission recommande de favoriser le recours à des personnes qualifiées, en s’inspirant des pratiques mises en place par certaines régions, en facilitant l’assistance par des associations et en développant les expériences existantes de prévention de situations de détresse psychologique. Le dispositif APESA permet, par exemple, de former les professionnels (greffiers, juges, mandataires…) à réagir face à la souffrance morale des chefs d’entreprise et de proposer un suivi psychologique gratuit aux personnes vulnérables. Un espace d’accueil pourrait être réservé à ces associations agréées au sein des tribunaux.
Fléchage vers les dispositifs judiciaires de prévention
Il apparaît que malgré la multitude de dispositifs existants, très peu ont pour finalité la mise en place de mesures de traitement également protectrices. Sans remettre en cause tout cet écosystème, il semble que seuls les dispositifs judiciaires permettent de prendre en compte la totalité des créanciers. Cette possibilité n’est pas clairement expliquée au chef d’entreprise, comme ont pu le montrer les différentes auditions.
Le rapport indique que le mandat ad hoc constitue la porte d’entrée la plus accessible. Dans certains cas, l’ouverture d’une procédure collective n’est possible, actuellement, qu’après une conciliation (sauvegarde accélérée et procédure collective d’un agriculteur). Les membres de la mission se sont interrogés sur la possibilité d’imposer l’information du président du tribunal, lequel proposerait un mandat ad hoc préalablement à toute assignation en ouverture d’une procédure collective de certains créanciers institutionnels.
Développement des procédures judiciaires de prévention
La mission suggère de renforcer l’offre de prévention judiciaire pour les agriculteurs, les associations et les professions libérales. Cette recommandation implique de développer ces dispositifs au sein des tribunaux judiciaires en favorisant une spécialisation des juges.
Le rapport conseille d’instituer dans chaque tribunal de commerce une cellule de prévention en identifiant le ou les juges qui la composent. En effet, la mission a constaté que dans certains tribunaux, le bilan de la prévention est nul : absence d’entretiens avec les juges et aucune ouverture de mandats ad hoc ou de conciliations. Au sein des tribunaux judiciaires, il est également proposé que les chefs de cours adaptent la répartition des compétences territoriales à la fois aux nécessités d’une spécialisation et aux spécificités de leur ressort, en application des nouveaux articles L. 211-9-3, I et R. 211-4, I du code de l’organisation judiciaire (L. n° 2019-912, 30 août 2019, art. 95 ; D. n° 2019-912, 30 août 2019). Toujours concernant les tribunaux judiciaires, une répartition du contentieux des procédures collectives auprès d’un nombre plus restreint de tribunaux serait un facteur d’efficacité notamment pour les petites juridictions. Il pourrait aussi être envisagé de désigner un juge de la prévention par département, lequel contribuerait à développer le transfert d’informations des greffes des tribunaux de commerce à destination des tribunaux judiciaires.
Procédures de mandat ad hoc et de conciliation plus attractives
Les travaux de la mission comportent des pistes de réforme imposant des évolutions législatives visant à accroître l’attractivité des procédures amiables. En vue d’accroître le caractère protecteur des procédures, il est suggéré, sous réserve d’une expertise plus poussée et d’une analyse approfondie, de pérenniser les mesures prévues par l’ordonnance n° 2020- 596 du 20 mai 2020 à savoir la suspension des poursuites pendant la conciliation et son extension aux personnes physiques, le doublement de sa durée et l’octroi de garantie supplémentaire aux créanciers privilégiés à l’occasion des négociations de mandat ad hoc et de conciliation dans le cadre des procédures collectives.
La mission propose d’étudier la transformation de certaines créances en obligations remboursables dans le cadre d’un accord de conciliation homologué qui renforcerait la capacité d’endettement et le rebond de l’entreprise. Enfin, la mission recommande de créer des catégories séparées entre les publications au Bodacc des homologations de protocole de conciliation et les procédures collectives. Concernant les agriculteurs, la mission suggère de modifier la durée des échéanciers de paiement des dettes de cotisations dues à la MSA dans le cadre du règlement amiable.
Enfin, il est proposé de faciliter la prise en charge du financement des procédures préventives, qui constitue un obstacle important à leur mise en œuvre. La mission répertorie plusieurs mesures possibles (fonds de premier secours par la Région Hauts-de-France, assurance santé entreprise). Elle souhaite également qu’il soit fait une stricte application par les présidents des tribunaux de l’article L. 611-16 du code de commerce fixant la quote-part de prise en charge maximale à hauteur de 75 % des frais de conseil du créancier par le débiteur.
- Communiqué de presse, Min. justice, 5 oct. 2020
Catherine Cadic,
Dictionnaire Permanent Difficultés des entreprises
Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 150, mars 2021 : www.cngtc.fr