13 février 2025 | Quand le logement social l’emporte sur les espèces protégées

Ecrit par Maître Rémi Benoit le 13 février 2025

Quand le logement social l’emporte sur les espèces protégées

Maître Rémi Benoit, intervenant en droit de la construction, nous explique que par une décision rendue au début de l’année 2025, le Conseil d’Etat, sous des conditions très spécifiques, a reconnu qu’un projet de construction de logements sociaux pouvait relever d’une raison impérative d’intérêt public majeur et ainsi justifier d’une dérogation au principe de protection et de préservation du patrimoine naturel.

Le cadre réglementaire dense auquel sont confrontés les porteurs de projets d’ampleur a vu ces dernières années les questions environnementales prendre une importance prépondérante dans la sélection des sites, l’instruction des diverses autorisations et enfin les recours contentieux.

L’exemple local récent de l’annulation d’un permis de construire octroyé pour la réalisation d’une déchèterie en raison, notamment, de l’absence d’étude environnementale, démontre l’importance de ces sujets et les précautions devant être adoptées par les porteurs de projets, dès la sélection des sites d’installation.

La récente décision du Conseil d’Etat rendue le 29 janvier dernier apporte un rééquilibrage, justifié par des motifs propres à l’espèce.

Dans cette affaire, deux sociétés issues du groupe Batigère, intervenant notamment dans le secteur logement social, avaient obtenu plusieurs permis de construire pour édifier des bâtiments pour la création de soixante logements sociaux et dix-huit logements en accession sociale à la propriété.

Une dérogation au régime de protection des espèces prévue à l’article L.411-2 du Code de l’environnement avait été délivrée par le Préfet du département. Cette demande avait été sollicitée en raison de la présence d’une espèce protégée, la salamandre tachetées (Salamandra salamandra) à proximité du site envisagé.

L’octroi de cette dérogation a été annulée par le Tribunal administratif de Nancy, ce qui a été confirmé en appel. L’affaire a été portée devant le Conseil d’Etat qui a apporté un tempérament.

Les juges du Palais Royal rappellent tout d’abord qu’une telle dérogation ne peut être délivrée que si le projet satisfait à trois conditions cumulatives.

Le projet doit ainsi répondre « par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) ; et la dérogation ne peut être accordée que si « il n’existe pas d’autre solution satisfaisante » et « si cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

La première condition n’est pas évidente à satisfaire. A titre d’exemple, le juge administratif a refusé cette reconnaissance à un projet de stockage de déchets ou bien encore très récemment à un projet d’EHPAD, d’un centre de santé et d’une crèche.

Dans le cas présent, le juge a estimé cette condition satisfaite dès lors que « d’une part que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d’accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles, et, d’autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l’objectif de 20 % fixé par le législateur et l’un des plus faibles de la métropole du Grand-Nancy ».

En d’autres termes, et en se basant sur les éléments de contexte de l’affaire, le juge a considéré que la construction de logement sociaux relevait bien d’une raison impérative d’intérêt public majeur dès lors qu’elle visait à permettre le logement et l’accession à la propriété d’une population modeste dans un secteur donné et qu’elle allait permettre à la commune de relever son pourcentage de logement sociaux structurellement inférieur aux exigences de la loi dite SRU relative à la solidarité et au renouvellement urbain.

Le Conseil d’Etat profite d’ailleurs incidemment de cette décision pour rappeler que l’objectif de 20% de logements sociaux ne constitue pas un plafond mais bien un seuil à atteindre.

Doit-on voir dans cette décision des juges du Palais Royal une inflexion définitive dans la balance entre les projets dits d’intérêt général et la protection du patrimoine naturel ?

Une réponse affirmative serait prématurée, ce d’autant plus que la décision est clairement motivée par des considérations d’espèce et, qu’en optant pour une cassation avec renvoi devant le Cour administrative d’appel de Nancy, le sort des logements envisagés sera de nouveau mis dans la main des juges du fond. Leur sortie de terre n’est donc pas pour tout de suite.


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