La Cour de cassation fixe la portée des pouvoirs du greffier et du juge commis à la surveillance du RCS, saisis d’une demande de modification des inscriptions relatives à une société faisant suite à une décision de justice.
Les praticiens du droit des sociétés savent la contribution de la société Larzul à la théorie jurisprudentielle des nullités des délibérations sociales (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, n° 191 B). Cette société contribue également, sans doute à son corps défendant, à une meilleure appréhension des prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce dans le cadre de leur fonction et du juge commis à la surveillance du Registre du commerce et des sociétés (RCS). C’est l’objet de l’arrêt ci-dessous référencé.
Les faits sont complexes. Retenons que le 14 décembre 2004, une société Y, filiale de la société Z, conclut avec la société Larzul un traité d’apport à celle-ci de son fonds de commerce. Le 30 décembre 2004, l’associé unique de la société Larzul approuve cette opération et l’augmentation de capital qui en découle. La société apporteuse est dissoute par décision de la société Z le 20 septembre 2005. Le 24 janvier 2012, un arrêt irrévocable annule les délibérations de l’associé unique de la société Larzul du 30 décembre 2004 et constate la caducité du traité d’apport du 14 décembre 2004. Soit. Il reste maintenant à régulariser la situation auprès du greffe du tribunal de commerce. Le 3 avril 2012, la société Larzul obtient du greffier du tribunal de commerce un certain nombre de modifications à son inscription au RCS en mentionnant que ces dernières font suite à la décision du 24 janvier 2012. La société Z demande au contraire au juge commis à la surveillance du RCS d’enjoindre au greffier de procéder à l’annulation de ces modifications et de rétablir l’état antérieur des inscriptions.
La cour d’appel fait droit à sa demande et la société Larzul et son associé forment un pourvoi en cassation. Sous une question technique, sourd un enjeu d’une autre ampleur : la société Larzul était-elle redevenue unipersonnelle, la société Z ayant perdu sa qualité d’associé de cette dernière ?
La Cour de cassation est ainsi appelée à se prononcer sur l’étendue des pouvoirs du greffier du tribunal de commerce en pareil cas. L’arrêt commence par rappeler le contenu des dispositions des articles R. 123-95 et L. 123-6 du code de commerce, principalement consacrées aux diligences du greffier. Il fixe ensuite à l’arrêt du 24 janvier 2012 sa juste portée, soit l’annulation de l’apport de fonds de commerce et de l’augmentation de capital corrélative et non l’anéantissement du protocole d’accord du 14 décembre 2004 et de tous les actes qui en sont la suite. La conséquence s’impose : il n’y avait pas de lieu de revenir à la situation antérieure à ce protocole, si bien que les modifications faites par le greffier n’étaient pas compatibles avec l’état du dossier. En jugeant en ce sens, la cour d’appel a-t-elle dépassé ses pouvoirs ? Non, selon la Cour de cassation, dans la mesure où elle n’a pas tranché le débat de fond concernant la persistance de la qualité d’actionnaire de la société Z. Il y avait donc bien lieu à enjoindre au greffier d’annuler les inscriptions modificatives litigieuses. Le pourvoi est rejeté sur ce point.
L’arrêt d’appel est cependant censuré sur le second moyen. Le problème porte cette fois sur les pouvoirs du juge commis à la surveillance du RCS. La Cour de cassation rappelle que ce juge peut enjoindre à toute personne immatriculée à ce registre qui ne les aurait pas requises dans les délais prescrits, de faire procéder soit aux mentions complémentaires ou rectifications qu’elle doit y faire porter, soit aux mentions ou rectifications nécessaires en cas de déclarations inexactes ou incomplètes, soit à la radiation (C. com., art. L. 123-3, al. 2). Or, le juge avait en l’espèce demandé à la société Larzul de mettre ses statuts en conformité avec sa situation juridique, ce que la cour d’appel a confirmée. A tort. La Cour de cassation relève justement que le pouvoir d’injonction conféré audit juge ne peut porter que sur les mentions inscrites sur ce registre et non sur les énonciations des actes et pièces justificatives au vu desquelles le greffier procède aux inscriptions requises. La cour d’appel a donc bien excédé ses pouvoirs. L’arrêt de cassation conclut en énonçant la solution au fond : « Le juge commis à la surveillance du Registre du commerce et des sociétés ne disposant pas du pouvoir d’enjoindre à une société immatriculée de modifier ses statuts ou d’en adopter de nouveaux, la demande tendant à ce que les statuts de la société Larzul soient mis en conformité avec sa situation juridique, telle qu’elle résulte de l’arrêt du 24 janvier 2012, ne peut qu’être déclarée irrecevable ».
Thierry Favario, Maître de conférences HDR, Université Jean Moulin Lyon 3
Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 176, juillet 2023 : www.cngtc.fr