L’univers de la justice sera nécessairement attiré vers le métavers et les tribunaux de commerce, grâce à leurs greffes depuis longtemps précurseurs dans la dématérialisation, se trouvent à son seuil.
Le 1er juin 2022, en introduction des assises du numérique du Syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines numérique, Jérôme Colombain, journaliste et animateur audiovisuel, spécialiste des nouvelles technologies, a présenté le métavers de la façon suivante : « … c’est l’idée d’un monde numérique parallèle, persistant, qui continue à évoluer, même quand vous n’êtes pas connectés. C’est un monde en 3D et on s’y rend grâce à la réalité virtuelle et demain à la réalité augmentée ». Et le journaliste de s’interroger : « serait-ce l’après visio et le futur des interactions à distance ? » (La semaine de l’Île-de-France, 14 juin 2022, n° 24, p. 1).
L’évolution des secteurs de la réalité virtuelle ou augmentée
Au cours des deux premières décennies de ce siècle, seuls les mondes du jeu vidéo et du divertissement investissaient dans les secteurs de la réalité virtuelle ou augmentée. Souvenons-nous de Second life en 2003. Plus récemment, le dimanche 24 juillet 2016, date de la sortie officielle de Pokémon Go en France, des centaines de personnes attendaient qu’un Bulbizzare ou un Evoli tombe du ciel ; au pied de la tour Eiffel, les téléphones vibraient et tout le monde se mettait à courir dans tous les sens en criant : « Pikachuuuuuuuu ! » (https://www.parismatch.com/Vivre/High-Tech/Go-La-chasse-aux-Pokemon-est-ouverte- 1027195). Depuis peu, les sportifs d’appartement peuvent s’équiper de casques de réalité virtuelle pour mener leurs vélos ou leurs courses à pied sur des pistes en forêt ou dans le désert, leurs barques à travers des bayous de Louisiane ou des océans de glace… (https://youtu.be/8X5E-5VTrtE).
La troisième décennie qui s’ouvre voit le secteur déborder le divertissement et s’étendre à toutes les activités sociales. Facebook ne s’y est pas trompé qui, dès 2021, s’est rebaptisé « Meta » et a conçu sa première salle de réunion virtuelle, service de collaboration professionnelle qui permet aux utilisateurs de se réunir via des casques de réalité virtuelle, un pas de plus vers la construction du « métavers », un univers où la réalité et Internet vont finir par se mélanger de façon harmonieuse, selon la firme californienne (https ://www.solutions- numeriques.com/facebook-lance-des-salles-de-reunionen- realite-virtuelle/).
L’univers de la justice, lieu d’interaction sociale entre tous les acteurs du procès, demandeurs, défendeurs, avocats, mandataires, juridiction, parquet, etc. sera nécessairement attiré vers le métavers et les tribunaux de commerce, grâce à leurs greffes depuis longtemps précurseurs dans le domaine de la dématérialisation, se trouvent aujourd’hui à son seuil.
Le dernier pas qui les a conduits à ce seuil résulte de l’introduction, dans notre droit commun procédural, de la possibilité de recourir à la visioaudience ou téléaudience.
La visioaudience, une étape vers les métavers
L’architecture juridique qui soutient le recours à la visioaudience ou téléaudience résulte de trois textes : les articles L. 111-12-1 et R. 111-7-1 du code de l’organisation judiciaire ainsi que l’arrêté du 13 mai 2022 (Arr. NOR : JUST2214196A, 13 mai 2022 : v. BAG 164, « Précisions techniques sur la tenue des visioaudiences et visioauditions devant les tribunaux de commerce », p. 15).
Tout d’abord, l’article L. 111-12-1 du code de l’organisation judiciaire, issu de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, dispose que «…» le président de la formation de jugement peut, devant les juridictions statuant en matière non pénale, pour un motif légitime, autoriser une partie, un témoin, un expert ou toute autre personne convoquée et qui en a fait expressément la demande à être entendu par un moyen de communication audiovisuelle au cours de l’audience ou de l’audition.
Ensuite, l’article R. 111-7-1 du même code, issu du décret n° 2022-79 du 27 janvier 2022 portant application du texte législatif précité, prévoit que :
lorsqu’une personne demande expressément à être entendue par un moyen de communication audiovisuelle en application de l’article L. 111-12-1, le président de la formation de jugement l’y autorise s’il estime que son audition à distance est compatible avec la nature des débats et le respect du principe du contradictoire ;
– cette décision constitue une mesure d’administration judiciaire ;
– les caractéristiques techniques des moyens de télécommunication audiovisuelle utilisés sont précisées par l’arrêté du 13 mai 2022 précité ;
– le président dirige les débats depuis la salle d’audience où se trouvent également, le cas échéant, les autres membres de la formation de jugement, le ministère public et le greffier. Il contrôle, lors de l’audience, que les conditions dans lesquelles la personne se connecte sont compatibles avec le respect de la dignité et de la sérénité des débats. Ces conditions sont présumées réunies lorsque la personne se connecte depuis le local professionnel d’un avocat sur le territoire national ou à l’étranger.
Enfin, l’arrêté du 13 mai 2022 précise que, dans les tribunaux dont le greffe est assuré par un greffier des tribunaux de commerce, la visioaudience peut être mise en œuvre au moyen d’une solution mise à disposition par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC).
C’est la solution Tixeo que le CNGTC met à disposition des greffiers et donc des tribunaux de commerce.
Bien entendu, la mise en œuvre de cette audience à distance pose beaucoup de questions non encore résolues par la pratique ou la jurisprudence (« Visioaudience », « téléaudience », … : nouvelle présence à l’audience, Corinne Bléry et Jean-Paul Teboul, JCP G n° 20-21 du 23 mai 2022) ; néanmoins, ajoutée aux dispositifs du tribunal digital, de l’identité numérique monIdenum, de la signature électronique des décisions de justice et de la liaison avec le Conseil national des barreaux et les avocats via le RPVA/TC, autant de dispositifs opérés sous la responsabilité du CNGTC (dispositifs mis en œuvre en application des dispositions combinées des titre XXI du code procédure civile et de l’arrêté du 9 février 2016, de l’arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce et de l’arrêté du 21 juin 2013 portant communication par voie électronique entre les avocats et la juridiction dans les procédures devant les tribunaux de commerce), elle permet de dessiner un dispositif complet de procédure dématérialisée qui préfigure la construction d’un véritable métavers judiciaire.
En effet, grâce à ces outils, il est désormais possible d’imaginer un lieu virtuel de rencontre entre les acteurs du procès, il s’agit d’une visioaudience sur Tixeo, un lieu d’échange virtuel des prétentions, moyens et pièces, il s’agit du tribunal digital, le tout sécurisé par le système d’identification monIdenum.
La fusion de ces divers systèmes dans une capsule de réalité virtuelle, espace numérique dans lequel les avocats, les parties, le tribunal, etc. pourront interagir comme dans la vraie vie, annoncera la naissance du métavers judiciaire des tribunaux de commerce.
Quelques modifications législatives ou réglementaires seront encore nécessaires, assurément, pour construire le pendant digital intégral de nos juridictions, mais une expérimentation pourrait très utilement éclairer les réformes à venir.
Pour le reste, il s’agit de la volonté politique de la profession.
En 2009, Jeff Jarvis, par son célèbre « What would Google do ? », incitait chaque profession à concevoir son avenir numérique au regard de ce que ce géant du Web pourrait faire s’il était amené à la remplacer.
Aujourd’hui, nous savons ce à quoi Meta aspire…
Jean-Paul Teboul – Greffier associé du tribunal de commerce de Versailles
Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 166, septembre 2022 : www.cngtc.fr