Déjà ville hôte en 2008, Nice a rempilé en accueillant, du 23 au 25 septembre derniers, le 117e congrès des Notaires de France, organisé au cordeau par le Conseil Supérieur du Notariat. Le thème 2021 est 100% fédérateur : le numérique, l’homme et le droit.
Seul le prononcé fait foi, nous indiquent les discours fournis par l’organisation. Nous ne pourrons pas vérifier, en salle de presse, pas de son… Ce qui nous a rappelé, à nous autres journalistes, la visio-conférence de présentation du congrès, inaccessible, double preuve s’il en est que la techno, ça ne s’invente pas, ça s’apprend. Bienvenue donc dans le monde du progrès et du numérique vu par les notaires de France, rassemblés en congrès national à Nice pour une 117e édition où les praticiens du cru, dit-on, se seraient fait extrêmement discrets. Ouverture officielle signée Christian Estrosi, maire de Nice, particulièrement en verve devant des praticiens attentifs. Inflation législative et réglementaire, arrivée des outils numériques, sécurité des transactions, et même référence à la Lettonie, l’édile est dans les clous côté thématiques. « Vous l’avez bien identifié, l’enjeu dans le futur de vos métiers est là. » Dans cette dématérialisation qui chamboule les usages, qui complexifie pour certains l’authentification des signatures, du moins pour l’heure. Le notaire, par nature une sécurité, un accompagnement de confiance, « rouage essentiel de notre vie sociétale » ne devra pas céder au digital ce lien humain qui fait sa force et son expertise. D’où de sacrés défis à relever à l’heure de la transition numérique, vue par le prisme d’une profession qui, si elle vise effectivement l’amélioration du système juridique, ne compte pas y laisser son âme. Des défis introduits avec beaucoup d’éloquence, avec cours de littérature comparée assuré par Me David Ambrosiano, président du Conseil supérieur des Notaires de France, devant un « éminent public » où s’était glissé Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, en visite protocolaire discrète dans sa ville de cœur.
Focus sur la convention d’objectifs
Elle avait été signée en octobre 2020, entre le notariat et le garde des Sceaux. « Un pacte en réalité », souligne le président Ambrosiano, qui inclut l’actuelle rédaction d’un code de déontologie attendu dans son entrée en vigueur dès le 1er juillet prochain. Et qui confirme en tribune le lancement de Notaires Infos, service d’informations juridiques made in notariat, « nous avons prévu que nos consultants chevronnés traitent plus de 25 000 appels par an, et si cela coûte au notariat, je ne m’en plains pas » scande le président du CSN. Et au titre de la dématérialisation ? « Je vous avais promis 75% d’études équipées en visioconférence, elles sont aujourd’hui plus de 85%. » Le papier, lui, disparaît des offices, au profit d’un acte authentique à distance entré dans les mœurs.
Acteurs de la lutte anti-blanchiment
Par la voix du président Ambrosiano, les notaires de France demandent aussi une vraie reconnaissance dans leur rôle pour lutter contre les financements occultes. « Lors de la visite du GAFI en France (Groupe d’action financière, ndlr), une douzaine d’experts internationaux ont scruté les progrès de la France en matière de lutte contre le blanchiment. » Et de demander ouvertement au ministre de tutelle que le CSN soit reconnu comme une véritable autorité de supervision en la matière. « Le notariat est au cœur de ce dispositif, répondra Eric Dupond-Moretti, les évaluateurs du GAFI ne s’y sont pas trompés, et c’est un combat qui doit être mené tambour battant. » Banco.
Le mystère de l’article 29, la 3e carte et autres comptes
Un peu en marge de la thématique 2021, le président du Conseil Supérieur du Notariat, David Ambrosiano, aura profité de la présente d’Eric Dupond-Moretti pour soulever une problématique qui inquiète au plus haut point les praticiens. Me Ambrosiano aura certes salué en préambule les excellentes relations tissées, mais qualifie ses espoirs « d’anéantis par un objet juridique non identifié », ce fameux article 29 « et la dévolution à l’avocat du pouvoir d’enjoindre à un greffier de tribunal d’apposer la formule exécutoire sur un accord qu’il n’a même pas vu et qu’il n’a pas le pouvoir d’apprécier. » Crime de lèse-majesté. « Nous nous sommes expliqués sur ce point, M. le ministre, vous connaissez notre désaccord, je sais votre position. Je la sais et je la respecte, mais je ne la partage pas. Et je tiens cette évolution, si elle se confirme, si elle n’est pas exposée à la censure du Conseil constitutionnel, pour une entorse douloureuse à notre système du droit. » La réponse de la Chancellerie de chair et d’os : lui-aussi salue la qualité des échanges avec le CSN, des échanges « fluides et francs ». Il répondra donc sur le même ton : « j’entends toutes vos interrogations, mais je ne partage aucune de vos craintes. Que craignez-vous ? Une confusion entre le rôle des officiers publics, dépositaires de l’autorité publique, et celui des avocats, dont l’indépendance à l’égard de l’Etat est un axe fondateur ? Vous vous inquiétez en outre d’une instrumentalisation du greffe, je veux vous dire ici que ces inquiétudes ne sont pas fondées, cette réforme prévoit que certains actes d’avocat, qui sont des actes sous seing privé, pourront être revêtus de la formule exécutoire par le greffier de la juridiction qui est un officier public, ce n’est ni une remise en cause de l’acte authentique et de la compétence des notaires, ni une révolution. Notre droit connaît déjà une procédure d’enregistrement des actes d’avocat en matière de divorce par consentement mutuel. » Que permettra cette mission dévolue au greffe ? « De s’assurer que les actes soumis à cette nouvelle procédure correspondent effectivement à son champ d’application, ni plus, ni moins. Des garanties fortes sont prévues dans ce dispositif innovant, elles devraient être en mesure de vous rassurer pleinement. »
Quant à la carte d’installation des nouveaux notaires, « il sera procédé à l’ouverture de la 3e carte le 1er octobre, avec l’objectif de nommer 250 nouveaux professionnels pour la période 2021-2023 », confirme le ministre, avec la volonté d’ajuster les créations d’offices en tenant compte des deux premières cartes, et la prise en compte de l’impact de la crise sanitaire sur la profession. A noter que le tirage au sort se fera sous forme électronique.
Pour sûr, l’arrivée du numérique sera contre-balancée par une réflexion profonde et collaborative que le président Ambrosiano souhaite riche et régulière. Jusqu’à toucher les prémices du développement personnel. Un notaire sain dans un corps sain, avec l’esprit qui en découle. « Etre clair avec soi-même », le vœu pieux du président du CSN. « En 2021, pourquoi avons-nous encore des notaires ? Qu’est-ce qui justifie, bon sang, l’existence du notariat ? En un mot, pourquoi et surtout pour qui? » Des questions qui pourraient surprendre sur ce genre d’événement, mais qui pourtant sont l’essence-même de ces rencontres annuelles. Et là apparaît, au détour des éléments de langage, un item apprécié des entreprises, mais encore peu rencontré dans la galaxie du droit et du chiffre : la raison d’être. « Nous avons réalisé un travail sur la raison d’être du notariat, en nous appuyant sur un collectif qui représente nos forces vives. Ce collectif n’a pas été élu, mais franchement, chacun d’entre nous pourrait se reconnaître dans sa composition. » Un groupe de praticiens qui a « foré, exploité, retourné, labouré, ensemencé, auditionné des dizaines de personnalités de toutes spécialités. Se sont dégagées de magnifiques surprises, parfois même des moments de grâce. » En synthèse, l’émotion en moins ? « Cette raison d’être et les valeurs qui lui sont associées doivent inspirer le notariat, elles doivent nous redonner de l’expérience, de la confiance, du tonus ! réveiller nos énergies au cours de ces prochaines années ». Celles d’une transition pivot central des débats niçois. « A la réforme de la discipline de décourager les comportements nocifs, à la formation de donner la matière intellectuelle pour nourrir notre pratique, à la raison d’être et à nos valeurs de nous donner l’élan. »
Et le président de prôner « un élan collectif aux bornes de nos études. Un élan collectif aux bornes de notre profession. Un élan collectif et des convictions, pour que nous puissions nous identifier à notre vocation. » De se montrer un rien lyrique, biotope aidant : « la mer qui se déploie aux portes de ce palais nous invite à avancer au large, à s’exposer à sa beauté majestueuse, à ses intempéries qui forgent le caractère. » La conclusion se fera plus martiale : « nous refusons que cette raison d’être soit un prétexte à un repli dans l’autosatisfaction. Nous voulons qu’elle soit un cap pour nous, notaires, qu’elle soit un cap aussi pour tous nos collaborateurs. Nous voulons que cette raison d’être soit le cap pour l’équipage du notariat tout entier. » Fichtre, ça n’est plus un congrès, c’est une campagne !
Une réforme de la formation « ambitieuse » et « consensuelle »
Félicitations du garde des Sceaux -un peu plus que d’usage- pour le choix de la ville hôte, Nice (« ma ville ») et sur la thématique du congrès, qui lui tient tout particulièrement à cœur, celui du numérique et à travers lui la modernisation du droit et de la justice « dans l’intérêt du justiciable, en lui permettant d’accéder de manière plus simple, plus rapide, plus effective, aux droits qui sont les siens. » Pour lui, inutile de rappeler l’avance prise par le notariat en la matière, citant en exemple la procuration notariée à distance. « Un choix qui a permis aux notaires de maintenir leurs activités pendant le confinement en mettant rapidement en place une solution de signature à distance sécurisée. Je me réjouis que le CSN souhaite avancer dans le développement de ses propres outils numériques. » Et de préciser que l’extension à d’autres actes notariés « pourra être envisagée » : applaudissements fournis dans la salle, et réaction immédiate d’Acquittator (« je ne veux à aucun prix bouder mon plaisir »).
Focus sur la réforme de la formation de la profession, « une réforme attendue et ambitieuse, qui vise à instaurer une voie unique, sous l’égide de l’Institut national des formations notariales (INFN) en fusionnant les deux voies d’accès actuelles, universitaire et professionnelle. » Cap donc sur un diplôme universitaire, un choix de la profession, adoubé par la tutelle, « mais qui ne pourra se faire sans des échanges constructifs avec le ministère de l’Enseignement supérieur. » A Frédérique Vidal de marquer l’essai. Et pourquoi pas dès 2022, c’est en tout cas le souhait d’Eric Dupond-Moretti. « La profession de notaire reposera ainsi sur un socle commun et ses conditions d’accès seront évidemment beaucoup plus paisibles. » Ce nouveau cursus sera ouvert aux titulaires d’un Master de droit, soit dans des universités ayant conclu une convention avec l’INFN, soit après une sélection sur dossier et entretien. Il se déroulera sur trois ans, une année d’enseignement, puis un stage notarial pendant deux ans. Les décrets devraient être rédigés « prochainement ». Petite moue à peine visible sur le visage des intervenants.
Autre concrétisation, l’avènement d’une autre réforme « ambitieuse », celle de la déontologie et de la discipline de toutes les professions du droit (projet de loi pour la Confiance dans l’institution judiciaire). Adoubé par l’Assemblée nationale, attendu au Sénat la semaine prochaine, il permettra une « régulation déontologique et disciplinaire en profondeur », à l’usage des praticiens comme des justiciables. « Il rassemblera de manière claire et lisible les principes sur lesquels repose votre profession, unifiera des régimes disciplinaires parfois hétérogènes, parfois obsolètes, avec la création de nouvelles juridictions disciplinaires. »
Isabelle Auzias – Tribune Côte d’Azur – pour Réso Eco Hebdo