La polémique du guichet unique ? C’est la mort d’Infogreffe – service de diffusion de l’information légale et officielle sur les entreprises, notamment du registre du commerce et des sociétés-, disparu au 31 décembre minuit. Son remplaçant, le Guichet unique, devait prendre la relève. Hélas, depuis sa mise en service, le site internet est en rideau. Mais que se cache-t-il derrière celui-ci ?
Au tout début il y a Infogreffe, un GIE (Groupement d’intérêt économique) qui, dès 1986, via le minitel 3615 infogreffe, diffuse l’information légale et officielle des entreprises, notamment du registre du commerce et des sociétés. A partir de 2001, le service existe sur Internet. A partir de son informatisation, le portail permettait de trouver, très rapidement, toutes les informations sur les sociétés et commerçants inscrits au registre du commerce et des sociétés qui regroupe tous les greffes des tribunaux de commerce de France.
Quand Bercy reprend la main
Le choix de Bercy, le ministère de l’Economie et des Finances ? Reprendre la main sur Infogreffe qui, depuis 2009 et jusqu’à présent bénéficiait d’une délégation de service public, et veillait au fonctionnement du dispositif, à son développement et à l’exploitation informatique, au contrôle, à l’enregistrement et au dépôt des actes, l’ensemble étant payé par les déposants.
Casser le monopole
Le vœu d’Emmanuel Macron, président de la République ? Mettre fin au monopole des professions règlementées, ce qu’il avait annoncé dès 2015. C’est donc à L’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) de revenir à l’origine de sa propre mission. Ca pourrait s’arrêter là mais en fait il n’en n’est rien. Car à bien y regarder le Guichet unique est une directive européenne qui date du 12 décembre 2006 et impose, notamment, à l’ensemble des Etats membres de mettre en place des Guichets uniques en charge des formalités de création d’une entreprise et de propositions de services dans un autre état membre.
A l’origine
Parce qu’à l’origine, c’est bien L’Inpi qui avait en charge les données des entreprises et son archivage mais elle avait confié ses missions : saisie, numérisation, stockage et diffusion, dès 1993, à une société opérant sur Minitel, alors dans le cadre d’une concession de service public. En 2009, l’Inpi conclut un accord faisant d’infogreffe le spécialiste des données légales des entreprises d’autant plus qu’infogreffe est une émanation directe de la profession. Comble de l’histoire, l’Inpi ne comptant pas d’officiers ministériels comme le sont les greffiers, L’institut ne peut pas délivrer de Kbis, identité légale de l’entreprise.
Las, ça casse
Les professionnels de la vie des entreprises, qui testent la plateforme ‘Guichet unique’ évoquent, avant le 1er janvier 2023, une accessibilité difficile, un fonctionnement nébuleux, le ministère de l’Economie avouera même 11 dysfonctionnements mineurs. Mais le problème semble structurel : accès à la plateforme peu didactique, contenus nébuleux, difficulté de compréhension des éléments demandés, formulaire demandés inexistants… Le site serait en période d’adaptation jusqu’en mars. Mais en attendant tout est bloqué et le reste.
En ce moment ?
Il n’y a pas de procédures de secours et le logiciel ‘Guichet entreprise’ est obsolète, confie dans un communiqué de presse l’ordre des avocats et des experts-comptables. Malgré la demande massive des greffes des Tribunaux de commerce, Bercy refuse le retour à l’ancienne plate-forme infogreffe.fr.
Un refus injustifiable
«Le refus de Bercy, en charge du projet de guichet unique, de prendre en compte cette option (Ndlr du retour à infogreffe.fr), dénote un entêtement injustifiable et une indifférence inacceptable aux difficultés que vont subir les entreprises, dans une période déjà particulièrement compliquée,» écrivent l’ordre des avocats du Barreau de Lyon, l’Ordre des experts-comptables de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la Chambre des notaires du Rhône.
La parole est à vous
Contacté à la volée, un avocat spécialisé en droit des sociétés n’hésite pas à s’exprimer : «Le guichet unique entreprise est développé par l’Inpi depuis 2019, qu’il a ouvert aux internautes depuis 18 mois. Désormais depuis le 1er janvier, toutes les personnes susceptibles de créer leur société ou de la modifier doivent passer par cette plateforme. Le problème ? Toutes les professions juridiques : experts-comptables, notaires, avocats, formalistes ont tenté depuis l’automne dernier, de prévenir Bercy des nombreux dysfonctionnements constatés sur Guichet unique. Aujourd’hui nous sommes face à un véritable fiasco. Il suffit pour s’en convaincre de lire les posts sur les réseaux et notamment LinkedIn : les professions juridiques sont vent debout et, aujourd’hui, nous ne pouvons faire que des immatriculations et aucunes radiations ni modifications.»
Catastrophe et terribles conséquences
«Les conséquences, aujourd’hui sont terribles, reprend le spécialiste du droit. Près 80% des formalités concernent le registre du commerce et des sociétés qui pouvaient être réalisées par infogreffe.fr 2,4 millions de formalités ont ainsi été traitées sur cette plateforme en 2022. Notaires, avocats, experts comptables, tous demandent la réouverture d’infogreffe.fr car Guichet unique coûte une fortune et ne fait pas son job. Impossible non plus de joindre qui que ce soit par téléphone puisque la centrale est saturée. Pourtant, aujourd’hui, nous ne pouvons plus attendre car beaucoup de cessions d’entreprises et de commerces doivent être traitées et ne peuvent l’être.»
Piratage informatique ?
«Oui, Bercy a évoqué un piratage informatique mais personne n’y croit ! Livre très ouvertement l’avocat. Et si c’était vrai comment est-il possible qu’ils (professionnels de l’Inpi) n’aient pas pris de précautions à ce sujet ? Infogreffe, qui faisait le job bien mieux que cela, n’a jamais été piraté. Je pense que c’est une fausse excuse. On est revenu au format papier. L’Inpi a demandé aux anciens CFE (Centre de formalités des entreprises) de rouvrir au sein des CCI (Chambres de commerce et d’industrie) alors que le personnel n’est plus là. Le greffe ne reçoit plus rien, de même que les journaux d’annonces légales. C’est même un problème pour les caisses de l’Etat qui, elles aussi, ne reçoivent plus rien. Aujourd’hui nous ne pouvons plus rien faire, y compris les mises à jour, c’est ce qui est terrible.»
Pourquoi en est-on arrivé là ?
«Je crois que l’Etat ne voulait pas passer par une société extérieure pour gérer les formalités des entreprises et voulait le faire en direct. Or, comme on le voit, ça n’était pas qu’une question d’argent mais aussi de savoir-faire reprend l’homme de loi. Les professionnels d’infogreffe avaient dit à leurs homologues de l’Inpi qu’ils ne pourraient développer en deux ans ce qu’eux avaient mis 37 ans à réaliser. Infogreffe avait aussi proposé de conserver son canal et de le mettre à disposition de l’Inpi ce que l’Insrtitut a catégoriquement refusé. C’est tout un pan de l’économie qui est bloqué.»
Anne Dideron,
Expert comptable et commissaire aux comptes chez Axiome Associés
«Pour le moment nous ne faisons plus de formalités. Nous sommes dans l’attente du déblocage du site de l’Inpi. Lorsque nous les avons contactés ils nous ont dit ne pas être pour le moment opérationnels. Nous avions anticipé en prévenant nos clients et en avançant nous-mêmes le plus possible les formalités en décembre 2022 mais il y a des changements qui interviennent tout le temps, des nouveautés dont nous ne pouvons, actuellement, pas faire les formalités. Le piratage informatique ? (Rires). Vous n’y croyez pas ? Je crois que personne n’y croit. Jusqu’à présent les formalités étaient parfaitement réalisées via infogreffe. Pourquoi avoir fait Guichet unique alors qu’infogreffe.fr marchait si bien ?»