Régulièrement, Philippe Lechat*, ancien expert-comptable et commissaire au compte à Avignon, nous propose son éclairage sur des sujets juridiques. Aujourd’hui, ce professionnel du chiffre revient sur le Guichet unique des entreprises (GUE)
« Comme beaucoup d’anciens dirigeants de sociétés, j’ai moi aussi ‘Ma petite entreprise’, une SAS qui porte mon activité de conseil, tout ce qu’il y a de plus simple, enfin, ‘de plus simple’, je le pensais… »
Dernièrement, j’ai donc entrepris de déposer les comptes annuels de la ma société au greffe du tribunal de commerce. « Attention, il ne s’agit pas d’un ‘Dépôt de bilan’, ça c’est quand la société ne peut plus payer ses dettes, non, non, il s’agit plus sereinement de déposer chaque année au greffe le bilan et le compte de résultat de la société afin d’informer le tribunal du résultat de l’année. C’est obligatoire en France depuis de nombreuses années. Pendant longtemps, ces comptes étaient même rendus publics pour tout à chacun, mais maintenant, moyennant encore pas mal de paperasse, ces comptes peuvent être confidentiels. »
Pas de problèmes en principe…
« Sur le principe : pas de problème, c’est une corvée, qui coûte quand même 50€ par an, mais bon, nous sommes en France, il faut bien nourrir la bête administrative sinon c’est l’horreur, elle risque de s’étioler… »
Depuis la loi Pacte du 22 mai 2019, nos bons dirigeants ont décidé de ‘simplifier’ ce type de formalités grâce à un G.U.E. (Guichet unique des entreprises) géré par l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) et qui doit permettre de gérer en ligne toutes les formalités juridiques relatives aux entreprises. Voilà une idée qu’elle est bonne ! Cela évitera les échanges épistolaires, voire les visites au Greffe du Tribunal de commerce, pour les chefs d’entreprise qui ont autre chose à faire que d’envoyer au greffe les bilans qu’ils ont déjà envoyés à leur banquier, à la banque de France, aux services de impôts et à je ne sais qui encore… »
Pire que le RSI ?
« Le problème de la simplification en France c’est qu’on la confie à des énarques, qui n’ont aucune idée de ce que c’est qu’un patron de PME, alors forcément, ça coince. En l’occurrence, la mise en place de ce guichet unique va sans doute dépasser la catastrophe de la réforme du RSI (Régime social des indépendants) qui avait défrayé la chronique pendant plus de 10 ans. »
« Tout le monde juridique et économique en parle, les experts-comptables s’affolent, les avocats tempêtent, le Sénat se saisit de la question et les ministres répondent imperturbables : ‘Ainsi, conformément à ses prérogatives et comme annoncé par le Gouvernement, le guichet unique prend désormais bien en charge l’ensemble des formalités prévues’. »
« Je ne suis pas très malin mais j’ai quand même dirigé plusieurs sociétés d’expertise comptable, beaucoup de clients m’ont fait confiance pour la gestion de leur entreprise, je sais me servir d’un ordinateur (j’ai même un compte Tik Tok, c’est dire !) mais je n’ai pas réussi à ‘déposer mes comptes annuels’ sur cette satanée plateforme de Inpi. »
« Après quelques heures de bataille, je croyais être bon, j’avais réussi à créer un compte, à remplir les innombrables champs à compléter, à répondre à la curiosité insatiable de l’administration française et, enfin, à déposer sur le site les deux pages du bilan 2022 de ma société quand, Patatras ! ‘Votre document de synthèse n’est pas signé électroniquement’. Il est indiqué dans un coin que, si ça ne marche pas, il faut alors essayer en passant par le site France Connect qui regroupe de façon satisfaisante l’accès à beaucoup de plateformes administratives. Qu’à cela ne tienne, allons-y. Et là, ça ne marche toujours pas, ce foutu document de synthèse ne veut pas être signé. »
« Comme je suis têtu (Breton un jour, Breton toujours), je regarde s’il existe une aide en ligne, comme le ministre l’a indiqué : ‘Avec le guichet unique, chaque déclarant bénéficie d’une assistance gratuite et complète pour l’aider à tout moment dans sa démarche’. Un numéro vert est indiqué sur le site, proposant même : ‘Nous vous rappelons maintenant’, j’essaye… »
« Et voilà, le numéro sonne depuis si longtemps que j’ai eu le temps de frapper tout mon billet sans que l’Inpi décroche, c’est vrai qu’il est quand même 15h30. Je suppose que la journée du service d’assistance est terminée… »
« Ce qui m’inquiète c’est la sanction à ce grave manquement, je jette un coup d’œil sur le site Service Public et là je suis rassuré : ‘En cas de non-dépôt des comptes, la société s’expose à une amende de 1 500 €.’ Comme le dit très bien Emma Marcegaglia, l’ancienne patronne du Medef italien : ‘Les américains commercialisent l’innovation, les chinois la copie et l’Europe la règlemente’. Bon courage à tous, aux entrepreneurs en particulier. »
*Philippe Lechat a été président du groupe Axiome associés pendant plus de 10 ans. Expert-Comptable inscrit et Commissaire aux Comptes jusqu’en 2019, il est désormais consultant en stratégie d’entreprise, en matière de transmission tout particulièrement. Il est aussi administrateur de plusieurs associations du secteur social et de l’insertion. Enfin, Il est vice-président de la Fondation Angladon qui gère le musée du même nom à Avignon.