Très beau congrès annuel accueilli comme de coutume par La Colle-sur-Loup dans les Alpes-Maritimes, du 7 au 9 juin derniers, autour d’une thématique riche, transversale et porteuse de sens : la résilience. Questions à Frédéric Abitbol, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.
Pourquoi ce thème de la résilience comme pivot des débats ?
« Parce qu’il y a une vraie sinistrose ambiante, récurrente, alors que sur le terrain, nous constatons qu’il y a un très gros écart entre ce climat général un peu pesant et la réalité, avec des entreprises qui résistent, et qui font même mieux que résister pour certaines. Beaucoup se développent et gagnent des parts de marché, les immatriculations continuent (350 000 sur 2022 hors auto-entrepreneurs, c’est beaucoup…). »
Dans vos missions, observez-vous de grandes tendances ?
« Massivement, les difficultés se concentrent sur les petites et les jeunes entreprises. 93% de nos dossiers concernent des structures de moins de 10 salariés. Les « gros » dossiers sont souvent traités sous l’angle de la prévention. S’ils sont moins nombreux, ça n’est pas à mettre au crédit de la bonne santé économique du pays, mais plutôt parce que l’anticipation des difficultés est enfin entrée dans les mœurs. Nous avons développé le mandat ad hoc et la conciliation il y a quarante ans déjà, des procédures totalement confidentielles, volontaires et consensuelles, via l’assistance d’un tiers qui n’a aucun pouvoir décisionnel mais qui amène les parties prenantes (banques, actionnaires, fournisseurs, clients…) à négocier pour enclencher une reconstruction de l’entreprise. À 80 %, c’est un succès. L’an dernier, 7000 procédures dites de prévention ont été ouvertes, sur un total de 50 000, et aujourd’hui les PME et TPE les utilisent aussi. Avocats, experts-comptables ou chefs d’entreprise sont mieux informés, c’est une excellente évolution au vu des taux de sorties positives. »
Des secteurs d’activité moins résilients que d’autres ?
« Tous les secteurs ont passé la période Covid sans trop d’encombre, avec un « quoiqu’il en coûte » de 240 Mds€ pour les entreprises. Pour comparaison, le plan de relance de Nicolas Sarkozy en 2008 toisait les 30Mds€… C’est énorme. Il y a eu 700 000 prêts garantis par l’État (30 000€ en moyenne). Une partie de cet argent a servi à couvrir les besoins immédiats, certes, mais une part s’est dirigée vers l’investissement, et ça, c’est intéressant pour créer de la richesse. C’est le côté opportun de la crise… Globalement, le Covid aurait plutôt permis aux entreprises de se renforcer. En majorité, elles sont sorties de la période plus fortes que lorsqu’elles y sont entrées. Parfois, les surprises peuvent être bonnes. »
Les grandes transitions en cours, obstacles ou opportunités ?
« Nous vivons une transformation numérique absolument fondamentale, l’intelligence artificielle, la fin du moteur thermique, d’une certaine manière la fin de la mondialisation avec des essais de relocalisation, le monde se transforme et là, il ne s’agit pas de passer une crise, mais de s’adapter. Le changement est (presque) toujours une difficulté pour les entreprises,
il révèle les fragilités, les forces aussi. Tout se jouera dans notre capacité globale à passer ces caps, avec pour l’heure quelques handicaps : nous ne sommes pas autosuffisants en matière énergétique. Comme dans d’autres secteurs, il faut reconquérir notre autonomie, et c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. »
Des inquiétudes particulières à court terme ?
« L’immobilier à l’évidence va rencontrer quelques difficultés, la filière automobile bien sûr, bousculée par la fin du thermique, des usines vont fermer. La question, c’est de créer d’autres usines, bâties sur de nouveaux modèles.
Et la réponse, c’est la réindustrialisation. Il y a clairement une volonté politique, et une certaine stabilité, avec deux mandats présidentiels qui suivent la même vision, celle d’une politique de l’offre et de cette réindustrialisation nécessaire. Mais entre la stratégie et la mise en œuvre, il y a -et il y aura- toujours de la résistance. »
Isabelle Auzias de Tribune Côte d’Azur pour Réso Hebdo Eco – www.reso-hebdo-eco.com
EN CHIFFRES
> 300 000, le nombre d’emplois menacés il y a dix ans en France par des ouvertures de procédures qui structurellement, permettent de sauver à peu près les deux-tiers de ces emplois. Le total des postes supprimés pour cause de faillites s’élevait alors à 100 000.
> 100 000, le nombre annuel d’emplois menacés aujourd’hui, soit un nombre de faillites divisé par trois. En 2022, ce sont 40 000 postes qui ont ainsi été perdus en France.
> 50 000, le nombre de procédures collectives ouvertes par an (moyenne), dont 7 000 dites de prévention (mandats ad hoc et conciliations).
> 65%, le taux de succès sur les procédures de sauvegarde.
> 35%, le taux de succès sur les redressements judiciaires.
> 80%, le taux de succès des procédures de prévention/conciliation.