Pour la 17e année consécutive, le théâtre Chêne noir accueillait “Les rencontres de l’éloquence” organisées par le Barreau d’Avignon, dont l’Echo du mardi est partenaire historique. Retour sur cette édition 2021 couronnée de succès.
Trois femmes, trois voix, trois histoires. Nommer une gagnante relève de la gageure tant les performances sont ambitieuses. Et pourtant, il faudra trancher. 180 personnes sont pendues aux lèvres des candidates avocates des Barreaux d’Avignon et de Carpentras. Un tourbillon d’émotions s’empare de la salle, entraînant les rires sincères, les regards ébahis et les applaudissements généreux. Le temps d’une soirée, les mondes juridique et artistique conjuguent leur magie pour donner naissance à une échappée théâtrale succulente. La saveur est particulière. Concours de circonstances, cette édition 100% féminine se révèle être une ode à la femme et à sa puissance d’évocation.
Il en fallait du courage, avec seulement quelques années (voir une seule) d’exercice au compteur des candidates pour se jauger et séduire un jury de ténors. Bien parler n’est pas inné. Cicéron, grand rhétoricien romain, disait que tout grand orateur doit remplir trois fonctions à travers un discours : instruire, plaire, émouvoir. A 85 ans, monsieur le bâtonnier Christian Bonnenfant, membre du jury qui préside les rencontres pour la deuxième fois, objectera brut de décoffrage : « Cicéron ne m’a rien apporté, j’ai fait carrière tout seul. » Et quelle brillante carrière pour celui qui fût, jusqu’à sa retraite récente, le doyen du Barreau d’Avignon. Avec une voix ferme et empreinte d’émotion, il transmet quelques sages enseignements : « Pour tenter de convaincre quelqu’un, il faut d’abord être convaincu soi-même. »
Qu’est-ce que l’éloquence ? « Si vous voyez une petite lumière dans le regard, une légère inclinaison du cou, un battement de paupières chez votre interlocuteur, alors vous êtes éloquent », résumera le bâtonnier Christian de Bonnenfant. Convaincre, émouvoir, tel est le lot de l’avocat. Et pour ce faire, quelle arme redoutable que la langue de Molière et ses nuances infinies. Le choix des mots, la gestuelle, l’aura, le silence… « Arriver à démontrer sans vociférations. » La soirée présentée par Maître Jordan Bamhauer (qui aura droit à une chanson d’anniversaire en chœur) du Barreau d’Avignon et Maître Guillaume De Palma, bâtonnier du Barreau d’Avignon, a tenu toutes ses promesses.
Maître Sixtine Catalon du Barreau d’Avignon
“La vie est-elle une boîte de chocolats ?” Vous avez 20 minutes pour y répondre. La vitalité de Maître Sixtine Catalon est contagieuse. A grand renfort d’images, de métaphores subtilement dosées, la pétillante refait le film de notre existence. Dès le berceau et jusqu’au mariage, un ballotin de chocolats est gracieusement proposé. Au premier abord, les chocolats ont l’air exquis, ils luisent, ondulent dans leur écrin, on en salive. Quelle déception amère de mâchouiller à contre-cœur celui que vous redoutiez. Parallèle ingénieux avec l’homme, ses contradictions, les apparences trompeuses et les éternelles déceptions des affres de la vie. Caramel, liqueur, cerise, citron, verveine, à l’image de notre quotidien, un panel de choix s’offre à nous. Aurons-nous suffisamment de panache pour prendre des risques et saisir une friandise inconnue, ou bien passerons-nous à côté du délice de notre vie ?
Maître Marisa Santa du Barreau d’Avignon
“Faut-il allumer le feu ?”, le sujet tombe. Les mots sont magnifiés, le verbe est d’une précision d’orfèvre et d’une richesse infinie. Ajoutez à cela l’humour d’une subtilité rare. Maître Marisa Santa ouvre et ferme les parenthèses à l’aide de grands gestes affirmés, se révolte contre cette manie impérieuse de chanter les noms de chanson ou épilogue sur l’ambiance sonore des soirées, indicateur du niveau de détresse de l’humanité. L’homme maîtrise-t-il toujours le feu qu’il a jadis réussi à dompter ? Sommes-nous dans l’ère de la crémation ou le brasier de nos apparences ? L’avocate amoureuse de littérature envahit l’espace, s’agenouille, laisse le temps au silence d’imprégner nos âmes. En conclusion, elle appelle à « rire, filer à toute vitesse et vivre sa vie sur le cuir de l’arrière d’une berline. » Brillante performance.
Maître Zoulikha Hattab du Barreau de Carpentras
“La justice est-elle une balance ?”. Ni une ni deux, l’avocate se mue en comédienne remarquable. La voilà imitant Thémis, déesse de la justice, avec le micro en guise de glaive, un masque de nuit sur les yeux, symbole d’impartialité et la balance grossièrement dessinée sur une feuille de papier. Elle tente vainement de garder l’équilibre sur une seule jambe comme la justice tente désespérément d’être à la hauteur de son héritage. Maître Zoulikha Hattab dénonce, met en lumière les failles, les deux poids, deux mesures de cette justice qu’elle idéalise et qu’elle chérit tant. Mais surtout, elle convoque la chair et le sang, évoque tour à tour ses enfants, ses parents issus d’un pays où la justice est bancale. Les anecdotes sont loufoques, acides, comme sa première garde à vue. Des premières expériences ponctuées de « balances », qui donneront même lieu à un #balancetajustice joyeusement proposé par sa fille. Merci pour ce moment et ces imitations réussies avec brio.
Après de longues minutes de délibération, devinez qui remporte un succès franc ? C’est une femme ! Voilà qui vous aide bien. Roulement de tambour… Félicitations à Maître Marisa Santa du Barreau d’Avignon ! Un bouquet de fleurs à chacune, de jolis cadeaux dont un repas à la Mirande et surtout, une soirée festive et conviviale signée la famille du Barreau d’Avignon.