Le Barreau d’Avignon a élu son nouveau bâtonnier, Maître Jean-Maxime Courbet, 52 ans, spécialisé en droit des affaires et de la famille et installé à Agroparc. Il succèdera à Guillaume de Palma en janvier 2022. Big data, protection des données juridiques, réformes, le dirigeant de l’Ordre reste attentif à la progression de l’Intelligence artificielle, particulièrement dans les champs sensibles de la Loi et de la Justice.
Jean-Maxime Courbet a déjà œuvré au sein du Conseil de l’Ordre lors de trois mandats et est président délégué de la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) du Barreau d’Avignon qui compte 313 avocats. Entretien.
La Covid
«Le premier confinement –à partir du 17 mars 2020- a été radical, les tribunaux et les cabinets fonctionnant au ralenti. Lors du 2e confinement l’activité a été maintenue et celle des cabinets a été quasi-normale, notamment grâce aux visioconférences et consultations par téléphone. D’ailleurs, le niveau des fonds en dépôt à la Carpa est similaire à 2019, ce qui indique une année en cours structurellement identique à l’avant Covid, fait d’ailleurs corroboré par l’activité enregistrée par le Tribunal judiciaire.»
Les réformes
«Nous faisons face à des vagues de réformes incessantes ce qui est usant pour les avocats comme pour les magistrats qui doivent, sans cesse, se réadapter. Ce qu’on aimerait ? Une pause dans ces réformes et l’adaptation de l’outil législatif existant plutôt que de créer sans cesse de nouvelles lois. Nous faisons face à un mille feuilles complexe, que l’on n’a pas le temps de mettre en œuvre, de réformes imposées puis décalées. L’organisation judiciaire a été revue transformant le Tribunal de grande instance en Tribunal judiciaire et le Tribunal d’instance en Chambre de proximité. La prise de date préalable obligatoire permet désormais au justiciable de connaître la date de début de son audience –date d’assignation- même si la date de fin de procédure reste, elle, inconnue…»
L’informatique
«Désormais nous disposons d’une chaîne pénale dématérialisée. Tout cela va vers une amélioration mais il faut prendre le temps de vérifier que l’outil soit bien adapté, que l’avocat puisse faire face à ces multiples réformes, être formé, que les tribunaux aient le temps de s’adapter avec des moyens humains et matériels adéquats. Ainsi, la Cour Criminelle–qui est en phase d’expérimentation dans 15 départements et qui devrait à terme remplacer la Cour d’Assise- sera composée de magistrats professionnels. Des magistrats professionnels par ailleurs déjà installés dans d’autres tribunaux. S’ils siègent au Tribunal judiciaire, en matière pénale comment trouveront-ils le temps de siéger en matière civile ? Auront-ils suffisamment de temps pour examiner les dossiers d’une certaine gravité en matière pénale ? L’institution judiciaire sera-telle dotée des moyens humains en nombre de magistrats et de greffiers afin que le justiciable ne pâtisse pas de cette situation ? Sur le papier cela peut paraître formidable mais qu’en sera-t-il sur le terrain ?»
Les modes alternatifs de règlement des différends
«Les modes alternatifs de règlement des différends (Mard), c’est LA tendance de la réforme. Le concept ? Recourir au mode amiable préalablement à l’action de justice par la voie de la médiation via un avocat, un médiateur ou un conciliateur. L’adage ne dit-il pas ‘qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès’ ? Si les modes alternatifs de règlement des différends sont importants, ils ne doivent cependant pas devenir un frein à l’accès à la justice, ou du moins en ralentir ou en rallonger le process ni en augmenter le coût. Le barreau est naturellement ouvert à ce type de règlement de conflit, nombre de confrères œuvrent en ce sens, même s’il est parfois difficile de se faire entendre par ses clients. L’avocat s’il est, pour beaucoup synonyme de contentieux, est aussi synonyme de conseil et de protection !»
L’arbre qui cache la forêt
«Ce qui m’interpelle ? C’est le rapport à l’Institution judiciaire. Or, sur ce plan le discours n’est pas clairement affirmé. A mon sens il faut préserver l’accès au droit et au juge pour l’ensemble des justiciables. Il ne faudrait pas que ces solutions proposées finissent en réalité par éloigner les justiciables de l’Institution judiciaire, tout en permettant, ‘en même temps’, de restreindre le développement pourtant nécessaire de cette même institution. Alors oui pour des solutions alternatives à condition qu’elles ne soient pas restrictives.»
La réforme du Big data
«Là aussi il faut exercer un œil critique et attentif. La numérisation de l’ensemble des décisions de justice, de la jurisprudence, tout comme de l’ensemble des textes de lois sont une bonne chose, tout comme la dématérialisation des procédures est un progrès. En revanche, l’utilisation de l’ensemble des données jurisprudentielles passées à la moulinette d’un algorithme afin qu’une assurance de protection juridique détermine la recevabilité d’un recours ou non, et donc de sa prise en charge, interroge. Doit-on craindre un recours au Big-data imposé, non plus seulement par les assurances de protection juridique mais par l’institution judiciaire elle-même ?Qui aura accès aux algorithmes pour déterminer ce qu’ils contiennent et déterminent ?»
La jurisprudence
«Qu’en est-il de la jurisprudence, l’ensemble des décisions de justice ? Car elle fait naturellement aussi partie du droit français, contribuant à faire évoluer la loi. Le risque ? Que le recours systématique au Big data ne finisse par figer cette jurisprudence. L’avocat, tout comme le juge, sait parfois faire preuve d’inventivité, de créativité sur le plan juridique alors que l’algorithme ne dispose pas de cette ouverture d’esprit.»
Le danger
«Si le recours au Big data en matière de justice reste un choix non-déterminant, un outil de travail au demeurant fantastique, alors il n’y a pas de danger. En revanche, si sous des prétextes divers les assurances de protection juridique venaient à soumettre préalablement vos demandes à leur algorithme avant de prendre une décision sur la prise en charge de vos honoraires pour traiter votre dossier, il y a danger ! Il s’agirait alors d’une régression et non pas de progrès. En effet qui sera en mesure de dire et de contrôler ce qu’il y a dans l’algorithme de la compagnie d’assurance pour orienter une décision sur votre dossier selon qu’il sera recevable ou non ?»
Que met-on dans l’algorythme ?
«Aujourd’hui c’est à l’avocat de dire s’il vous conseille ou non d’engager une action. Nous nous situons là à l’orée de la déshumanisation de la société. C’est l’histoire du radar sur la route. Avant le policier ou le gendarme vous arrêtait pour excès de vitesse mais si vous aviez une raison impérative : un enfant en péril, une femme sur le point d’accoucher, l’homme en uniforme vous ouvrait la route et ne dressait pas de procès-verbal. Aujourd’hui, le radar produit ses statistiques et se contente de flasher les automobilistes. On sait où il se situe alors on freine, son action est moindre, et on nous dit qu’il s’agit de progrès. On peut s’interroger sur la réalité humaine du progrès. Je le répète, l’informatique est un formidable outil, une aide à la synthèse extrêmement utile mais la relation humaine, la discussion restent primordiales.»
L’Intelligence artificielle
«J’ai appris, il y a quelques semaines, que l’Intelligence artificielle avait breveté une invention. Procédé refusé dans tous les pays de tous les continents sauf… l’Afrique du Sud qui vient d’accepter l’enregistrement de ce brevet, ouvrant une brèche et une nouvelle ère en matière de brevet ou l’être humain n’est plus le seul à pouvoir déposer un brevet ! C’est vertigineux parce qu’à un moment donné, la décision peut, parfois, nous échapper. L’outil informatique permet de rechercher par mot clefs des solutions, des trames d’actes ce qui nous aide énormément. Le revers de la médaille ? C’est quand on dit que l’IA (Intelligence artificielle) peut tout faire. Oui on peut y trouver des statuts de société mais ceux-ci sont-ils vraiment adaptés à votre situation, à vos projets ? Encore une fois une relation humaine basée sur la confiance, auprès de professionnels compétents me semble toujours préférable.»
Le choix du coût
Nous sommes aussi ici confrontés au choix du coût : un document lambda, issu d’une LegalTech, que l’on vous vend, sur internet, comme adapté à votre situation. LesLegalTechs ? Ce sont des start-up de droit en ligne fournissant des documents juridiques à leurs clients à bas-coût. Ces sites font une publicité tapageuse insistant souvent sur le prix attractif de leurs prestations. Pour moi, l’individu, le consom’acteur, peut aussi comprendre que le prix le plus bas n’est pas toujours synonyme de qualité et que d’autres paramètres doivent être pris en considération. L’accélération de ces masses d’informations, le développement des réseaux ne remplacent ni le contact humain ni la réflexion.»
La sécurité informatique
«L’informatisation de notre société soulève aussi la question de la sécurité informatique. On sait que les attaques informatiques se multiplient aujourd’hui contre les sites emblématiques du Pentagone ou la CIA (Central intelligence agency), mais aussi des hôpitaux en France ou de nombreuses entreprises. Le plus grand risque aujourd’hui ? La paralysie du système tant nous sommes devenus dépendant de son fonctionnement. Sommes-nous réellement prêts à affronter une pandémie virale informatique qui affecterait l’appareil judiciaire ? Sommes-nous à l’abri de ces cyber attaques et y sommes-nous préparés ?»
Pourquoi je suis devenu avocat ?
«Pourquoi je suis devenu avocat ? Parce que depuis toujours l’injustice m’insupporte. J’ai eu ce sentiment que l’avocat pouvait aider à rétablir les choses, porter la parole de ceux qui n’arrivaient pas à se faire entendre.»
Les grands enjeux de l’avocat de demain, le défi le plus important ?
«Garder, maintenir et étendre la place de l’avocat au sein de la société. L’avocat écoute, conseille, porte la parole, défend, il faut qu’il sache rester présent dans une société qui a tendance à ubériser les métiers, découper et dématérialiser les liens humains. Ce qui est regrettable ? Que les gens voient les avocats comme le dernier recours lorsque la difficulté est là. On a tous en tête les geôles du bout du monde où l’avocat est attendu comme le sauveur. L’image est restrictive, car si la défense est reconnue comme le rôle premier de l’avocat, elle ne doit pas occulter notre rôle primordial de conseil.»
Côté hobby ?
Sportif, Jean-Maxime Courbet aime pratiquer la randonnée, détient un brevet de pilote d’avion, a remporté la Juris Cup de Marseille avec le Barreau d’Avignon deux fois sans compter le concours de l’éloquence dont il a assuré le déroulement depuis 2006 et durant six ans.
Son rôle
Le bâtonnier est le représentant des avocats de son barreau. Il est à la tête du Conseil de l’Ordre qui veille à tous les aspects de la profession d’avocat et à son administration. Il assure aussi et surtout le bon fonctionnement du Barreau, au respect de la déontologie, à la discipline, et à la représentation de la profession auprès de toutes les instances de la société et s’exprime sur la position de l’Ordre. Son engagement requiert d’être à l’écoute et au service de ses confrères. Il assure la gestion de l’ordre des avocats et de règlements de différends. Le bâtonnier peut aussi initier une procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat qui sera soumise ensuite au Conseil régional de discipline.
Élections
Le bâtonnier est élu – pour Avignon en juin et pour une nomination en janvier- au scrutin majoritaire à deux tours par l’ensemble des avocats inscrits au Barreau ainsi que les avocats honoraires. La durée de son mandat est de deux ans.