Quatre-vingt-sept centimes : c’est le prix moyen de la baguette en France. Mais qui s’en soucie, dès lors que chacun a déjà payé son pain quotidien plus d’un euro et s’attend à ‘douiller’ encore un peu – ou beaucoup plus – demain ?
Tandis que la grande distribution communique sans relâche sur l’inflation pour rassurer ses clients, les « petits commerçants » restent en première ligne face au consommateur, scrutant la montée des prix pour ajuster dépenses et pouvoir d’achat.
Ils n’imaginent pas surmonter ce nouveau défi, comme l’explique Marie-Dominique Goffinet-Meloyian, 2e vice-présidente de la Chambre de métiers et de l’artisanat de région (CMAR) Provence-Alpes-Côte d’Azur, avançant un premier argument. « A la suite du premier confinement, j’ai reçu en mars 2020 un courrier de mon transporteur frigorifique exigeant hausse de tarif de 8,5% au motif que les achats de masques et autres mesures sanitaire avaient impacté leurs coûts : on nous prend pour des pigeons ! », conclut sobrement la marchande de pâtes fraîches.
L’inflation pourrait précipiter le déclin des artisans
La ‘transition énergétique’ a aussi bon dos. Elle a commencé à imposer des prix durablement prohibitifs avec le grand remplacement du nucléaire, et maintenant l’abandon du gaz russe.
Avec la guerre en Ukraine, la spéculation va bon train. « Il va bien falloir un jour que l’on sache ce qui se passe et faire un audit à propos de toutes ces hausses », menace Gilles Dutto, artisan boulanger des Alpes-Maritimes et président départemental de la CMAR 06. La bourse de Chicago où se fixent les prix mondiaux des céréales se frotte les mains. « Nous venons d’atteindre 463€ la tonne de blé, ce qui est un record absolu » se désole l’artisan. La farine va suivre, puis le pain, en juin, prévoit Gilles, vent debout contre une inflation venue de loin et de toutes part. Et que l’on ne maîtrise plus. « La baguette de pain, depuis 35 ans, était au-dessous de l’indice des prix à la consommation ». Mais qui s’en soucie ? Ce qui inquiète les commerçants, avec toutes ces hausses intervenues depuis les Gilets jaunes, c’est « qu’à un moment donné, il ne sera plus possible de répercuter les hausses que nous subissons sur les prix de vente de nos produits ». Un sentiment largement partagé par les représentants de la CMAR présents à la conférence de presse tenue le 19 mai par son président régional, lui aussi boulanger, le vauclusien Yannick Mazette.
Zéro rideau fermé
Il fallait agir pour rassurer. Isabelle Campagnola-Savon, conseillère régionale, est arrivée avec la promesse d’un dispositif de 100M€ en faveur des TPE, PME, artisans et commerçants prévoyant d’aider d’ici la fin de la mandature, en 2028, près de 70 000 entreprises régionales*.
Il faudra d’abord voter, en juin, un « schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation » puis préparer la signature, en octobre prochain, d’une convention avec la CMAR précisant l’offre donnant un contenu à la promesse politique « notre région, nos artisans d’abord ». Il s’agirait de « renforcer les engagements pris en faveur des entreprises de proximité » et de poursuivre le dispositif « zéro rideau fermé » d’ici 2023 avec des financements de 12M€ par an pour des aides conjoncturelles, l’implantation de boutiques à l’essai, et un soutien à l’investissement dans des territoires « à enjeux ».
L’élue régionale souscrit sans réserve à l’idée que « l’artisanat est non seulement garant du bien-être des territoires mais également de celui de ses habitants », mais elle doit faire face à une chambre qui a vu, à la fois, exploser le nombre de ses radiations (+60%) avec 15 000 adhérents en moins pour l’année 2021, et celui de ses adhérent « auto entrepreneurs », constituant aujourd’hui les trois-quarts de ses nouveaux inscrits.
Un secteur représentant 20% du PIB régional
Ces derniers ont certes permis à la chambre de voir ses inscrits progresser, sur ces cinq dernières années, plus de 40%. Mais leur contribution financière est très faible (2 M€). Les sujets des subventions et de la formation restent donc cruciaux pour Yannick Mazette qui n’a pas abandonné l’idée de faire de la CMAR Provence-Alpes-Côte d’Azur une chambre consulaire de référence au plan national avec ses 270 membres et 21 commissions territoriales garantes d’un travail de proximité au service de l’économie locale qui devient urgent : bien des rideaux risquent de se baisser définitivement, faute de repreneurs.
La chambre ne donne pas de chiffre sur le taux de reprise des entreprises, mais situe clairement l’enjeu sous-jacent à la convention d’octobre prochain avec le Conseil régional : « au plan national, ce sont 300 000 entreprises artisanales qui devront changer de mains dans la décennie. Notre région qui pèse pour 10% de l’activité artisanale du pays devrait être concernée par la transmission de 30 000 commerces. En réalité, ce chiffre est de 54 000 ». Il faudra donc bien mettre la main à la poche pour aider un secteur représentant 170 000 emplois directs et 20% du PIB régional. Mais, là comme ailleurs, il faudra réussir à mettre en place, dans le même temps, des formations permettant à des jeunes de sentir leurs épaules assez larges pour succéder à leurs aînés.
*sur un total régional de 500 000 entreprises dont 200 000 artisanales.