22 novembre 2024 | Que deviennent les micro-brasseries ?

Ecrit par Didier Bailleux le 13 juin 2024

Que deviennent les micro-brasseries ?

La consommation de la bière, qui était en baisse constante depuis 30 ans, a connu, il a une dizaine d’années, un sursaut inattendu. Les raisons ? Le développement des brasseries artisanales. Non pas qu’elles ont pris une part de marché importante, mais parce qu’elles ont poussé les industriels à faire évoluer leurs produits et à repartir à l’offensive.  Ces milliers de micro-brasseries nouvellement créées, n’ont-elles été que le catalyseur d’un marché en perte de vitesse ? 10 ans après leur développement spectaculaire que sont-elles devenues ? Et en particulier dans la vallée du Rhône, terre de production vinicole.

Les chiffres sont implacables. Aujourd’hui, avec 52 % des ventes d’alcool, la bière est la boisson alcoolisée la plus consommée, devant le vin en replis depuis plusieurs années. Le retour en grâce de ce breuvage est à chercher du côté de l’évolution de l’offre des grands brasseurs industriels. Ils ont dû en effet revoir leur copie face au développement spectaculaire des brasseurs artisanaux. Les bières proposées par ces nouveaux entrants, qui ont d’avantage de caractère avec des goûts et des arômes différents (et dans certains cas bio), ont poussé les industriels à se réinventer et à proposer des bières moins standards.

Grâce aux repositionnements de leurs offres les ventes des brasseurs industriels sont reparties à la hausse
Dans les années 70, les bières dites standard représentaient 70 % de la consommation, aujourd’hui elles ne pèsent plus que 20 % de part de marché. Et les ventes de ce type de bière déclinent chaque année. Ainsi, grâce aux repositionnements de leurs offres et la création de nouveaux produits les ventes des brasseurs industriels sont reparties à la hausse et le marché est au total sur une progression annuelle de 4 %. Merci les micro brasseries !  

Un vrai phénomène qui a pris racine aux États-Unis
En 1914, la France comptait environ 3 200 brasseries, à la fin de la deuxième guerre il n’en restait qu’une douzaine. Cette concentration s’est encore développée ensuite avec l’émergence de grands groupes qui ont racheté de nombreuses brasseries régionales. Renversement de tendance au milieu des années 2010, la France a vu se développer, de manière très spectaculaire, le nombre de producteurs de bières avec l’émergence des micro-brasseries. Un vrai phénomène qui a pris racine aux États-Unis et qui a aussi déferlé dans d’autres pays européens. En France, nous sommes ainsi passés de 246 brasseurs, en 2014, à 2 300 en 2023. Mais si leur nombre s’est considérablement développé, leur part de marché reste encore faible, de l’ordre de 5 % du volume total des ventes.

30 brasseries indépendantes dans le Vaucluse
Dans le Vaucluse, on dénombre environ 30 micro-brasseries. Dans ce paysage brassicole assez hétéroclite de nombreuses petites entreprises et quelques acteurs plus importants comme La brasserie du Ventoux (présent en grande distribution), la Comédienne (Avignon), La mousse gourmande (Pernes-les-Fontaines) ou encore Agora (Carpentras). Suivent quelques acteurs de taille moyenne avec de grandes ambitions comme Les ouailles du Luberon à Cheval-Blanc, la Lub’ aux Taillades ou encore La Ventopp à Villes-sur-Auzon.

Dans ce domaine, comme dans bien d’autres d’ailleurs, la question de la taille est centrale et s’agissant des brasseries cela se mesure en capacité de production. « Si on compte vivre de cette activité il faut savoir rapidement quitter son garage et investir » disait un conseiller intervenant auprès d’entrepreneurs brassicoles. Pour Alexandre de Zordi, le fondateur de la brasserie du Ventoux, le plus gros acteur du marché, il faut au moins une capacité de 20 hl/jour, soit un volume annuel moyen de 300 hl pour pouvoir vraiment rentabiliser l’activité. Ce qui suppose un investissement relativement important, de l’ordre de 200 K€. Pour la brasserie des Ouailles, à Cheval-Blanc, les deux associés ont fait le choix d’une capacité de production importante. « Ainsi cela nous oblige pas à brasser tous les jours, ce qui nous laisse le temps pour la commercialisation » précise Sébastien Trousse.

Le référencement dans les grandes surfaces suppose des volumes et aujourd’hui des prix attractifs
Comment vendre ses produits ? Il s’agit là sans doute d’un facteur de réussite essentiel. Et la partie n’est pas facile. Les bars ont souvent des contrats d’exclusivité avec des grands brasseurs qui dans certains cas apportent des aides à l’installation de ces établissements. Le référencement dans les grandes surfaces suppose des volumes et aujourd’hui des prix attractifs. Une équation économique pas évidente pour les brasseurs indépendants qui ont des coûts de production plus importants que les industriels. La Brasserie du Ventoux a fait le choix de la grande distribution avec la création d’une marque spécifique « Petit vélo ». Agora a fait appel à Sébastien Glaçon un négociant en vins bien connu des professionnels. Il a mis en place un réseau de distribution spécifique pour cette bière haut de gamme.

Elles sont victimes d’un double effet de ciseaux avec d’un côté une baisse de la consommation des ménages et de l’autre une augmentation des charges d’exploitation 
Mais tout n’est pas rose dans le monde des brasseries artisanales. Après une période d’euphorie les brasseries artisanales et indépendantes rencontrent aujourd’hui d’importantes difficultés. Elles sont victimes d’un double effet de ciseaux avec d’un côté une baisse de la consommation des ménages et de l’autre une augmentation des charges d’exploitation : inflation des prix de l’énergie, des matières premières et des emballages, dont le verre. Et ce sont les petites structures qui sont les plus menacées. Le Syndicat National des Brasseurs Indépendants (SNBI) tire la sonnette d’alarme et interpelle le gouvernement. Il estime que 2/3 des brasseries rencontrent des difficultés de trésorerie et qu’une sur 10 envisage de mettre la clé sous la porte en 2024. Ce syndicat demande que les droits d’accises (taxe sur les alcools) de la bière soient identiques à celles appliquées au vin. Exemple : pour un vin à 13 % d’alcool la taxe est de 0,03 € par litre, pour la bière à 6% elle est de 0,18 €. Les brasseurs demandent également que la vente sur place soit permise sans l’obtention d’une licence, ce qui est autorisé pour les producteurs de vin.

De l’avis de plusieurs acteurs et observateurs après la phase d’engouement où beaucoup se sont lancés dans l’aventure c’est maintenant une phase de régulation du marché qui s’est mise en œuvre, où seuls les mieux armés subsisteront.

Le marché de la bière en France
1er pays européen en nombre de brasseries : 2300
1er producteur d’orge de brasserie en Europe
1er exportateur mondial de malte
8ème pays producteur de bière avec 28 % de la production exportée
Secteur représentant 64 000 emplois (brasseries indépendantes et artisanales)
76 % des français consomment régulièrement ou occasionnellement de la bière
30 litres consommés en moyenne par an et par habitant (avant dernier pays européen)

Pour en savoir plus
Syndicat National des Brasseurs indépendants : www.snbi-france.fr

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