Au mois d’avril, le trafic passager de l’aéroport de Marseille-Provence (AMP) a chuté de 99 %, comparé à il y a un an. Il reste opérationnel et prêt pour une reprise cet été. Mais la sortie de crise sera très douloureuse et complexe.
Avec l’épidémie, les avions sont cloués au sol et les pertes explosent. Malgré le désarmement des deux tiers des infrastructures et l’arrêt des trois quarts des effectifs, l’AMP assure 100 % des besoins en vols de rapatriement, vols sanitaires et matériels médicaux en fret. Et guère plus : 1 vol par jour sur CDG (Charles de Gaulle) et 4 autres vers la Corse. « Notre trafic s’était effondré lors des 3 dernières semaines de mars pour se réduire à 300 passagers par jour contre 30 000 l’année dernière », constate Julien Boulay, directeur marketing et commercial de la plateforme.
« Rien ne se passera tant qu’il n’y aura pas de solution sur le plan sanitaire »
C’est une catastrophe aérienne où l’argent s’envole : chaque mois, une perte de 13 M€ de recettes et une consommation de 7 à 8 M€ de trésorerie. AMP paye ses 150 fournisseurs (dont 8 M€ de travaux d’investissement), verse ou compense à 100 % les salaires, exonère du paiement de stationnement les avions basés ou en ‘night stop’ à Marseille. Un emprunt de 25 M€ a été fait pour prendre ces dispositions qui ont pour but de faire barrière à l’effet domino » entrainant des faillites en chaîne. Et d’être prêt pour une reprise dès cet été. Mais sous quelles conditions ?
Un choc de confiance
Dans l’immédiat, l’aéroport se bat pour obtenir la prise en charge des dépenses engagées au titre des ‘missions régaliennes’ qui lui sont déléguées par l’Etat, en gros les opérations de sûreté. Elles sont payées, à prix coûtant, par chaque passager au titre de la taxe aéroportuaire incluse dans le prix du billet. Puis reversées par les compagnies aux aéroports.
Pour Marseille, il s’agit d’une enveloppe annuelle de 40 M€ qui représente 25 % de la marge brute de son activité. « Les compagnies ont suspendu depuis février ce reversement. Nous en souffrons malgré la baisse de trafic, car les coûts fixes de ces missions restent élevés » souligne Philippe Bernand, président du directoire de l’aéroport.
En tablant aujourd’hui sur une baisse de trafic de 45 % pour l’ensemble de l’année, les responsables pensent pouvoir tenir jusqu’en septembre, et avoir néanmoins besoin de 25 M€ à 30 M€ pour finir l’année tout en continuant les investissements prévus pour les mises aux normes, l’environnement et l’efficacité de service. Un scénario optimiste, révisé au gré de l’actualité quotidienne et suspendu à « l’effet d’entraînement des liaisons internationales qui sera déterminant dans le redémarrage », notamment à Marseille où plus de 6 passagers sur 10 ont voyagé sur des liaisons sortantes de France en 2019.
« Rien ne se passera tant qu’il n’y aura pas de solution sur le plan sanitaire », insiste Philippe Bernand. « Faute de poser un cadre de mesures sanitaires harmonisé et cohérent, la reprise ne pourra pas avoir lieu. Tous les aéroports français et même européens doivent fonctionner avec les mêmes règles, idem pour les transporteurs. Cette homogénéité est essentielle pour créer un choc de confiance ». Le processus sera long, tant il suppose de changements.
Une nouvelle version de la mondialisation
Il faudra peu à peu créer dans l’esprit du public l’idée d’un ‘voyage aérien responsable’ à la fois démocratique, respectueux de l’environnement et rassurant quant aux standards d’hygiène devenues indispensables dans la nouvelle version de la mondialisation. Toujours moins de contacts humains et plus de robots. C’est ce que l’on appelle le ‘self processing’ dans le langage aéroportuaire qui permet franchir toutes les étapes d’embarquement et de débarquement sans voir personne ou presque : un ‘habeas corpus’ moderne (‘sois maître de ton corps’) qui permettrait de sécuriser le trajet de passagers partout dans le monde. Voilà la perspective la plus plausible pour retrouver la confiance, selon les autorités aéroportuaires inquiètes de concilier à long terme la reprise et les impératifs sanitaires.
« J’espère qu’on ira sur des logiques efficaces et homogènes dont le port du masque obligatoire auquel nous sommes très attachés»
Elles sont bien seules. Car le débat public ignore pour l’instant la réalité du secteur. Les autorités qui exonèrent les transports publics urbains du respect de la ‘distanciation sociale’ parlent de l’exiger à bord des avions. Sans se demander quelle compagnie volera dans de telles conditions. « Les avions de 180 places employés par les compagnies à bas coût – avec la neutralisation du siège médian – ne pourraient transporter que 120 passagers », soit un coefficient de remplissage de deux tiers, alors que le seuil de rentabilité est atteint autour de 90%. Les perspectives de l’industrie seraient alors désespérées en cas de restrictions capacitaires : laisser les avions au sol, ou les rendre accessibles à une petite minorité privilégiée. « J’espère qu’on ira sur des logiques efficaces et homogènes dont le port du masque obligatoire auquel nous sommes très attachés», tempère Philippe Bernand. L’AMP a besoin de 150 000 masques pour boucler 2020 – et assure être en mesure d’organiser une distribution de kits pour les passagers.
Comment les compagnies se positionnent-elles ?
Evoquant une crise d’une « extrême gravité », le groupe Air France KLM a annoncé le 23 avril « une refonte sans précédent » de son réseau domestique. Le plan de restructuration, annoncé en juin dernier, prévoyant une réduction d’au moins 15 % de son offre sur le réseau intérieur pour la fin 2021 va d’abord être « accéléré et accentué » partout où il sera possible de le faire afin de colmater des pertes significatives, soit 220 M€ pour la seule année 2019. Ce n’est pas tout, puisque qu’aucune option ne devrait être écartée quant à la place d’Air France, ‘Hop’ ou ‘Transavia’ pour les dessertes régionales. Il s’agit moins d’un ajustement que d’une redistribution des cartes comme le craint la plateforme marseillaise.
La baisse de fréquence sur les hubs est très sensible et concerne l’organisation de toute l’industrie. Pour Marseille, 1 vol par jour sur CDG contre 6 avant la crise virale. Huit frontières ont fermé au mois de mars : Israël, Etats-Unis, Tunisie, Maroc, Madagascar, Sénégal, Algérie, Russie. Air Canada a suspendu son programme de vol d’été 2020 ainsi que Sun Express. Nul ne sait encore comment s’adapter pour remonter la pente.
L’AMP compte néanmoins sur la clientèle VFR (Visit family and relatives) ou affinitaire – celle qui va voir sa famille ou ses amis – pour retrouver les siens avec le retour progressif de la liberté de circulation. Cette clientèle (26 % du trafic en 2019) pourrait sauver en partie la saison d’été, si la clientèle touristique lui emboite le pas, avant le retour de la clientèle d’affaires en septembre.
L’offre de transport aérien devrait rester très réduite jusqu’en juillet et devra se montrer souple en matière de fréquence et de tarifs pour séduire des passagers convaincus de pourvoir voyager dans de bonnes conditions de sécurité. Et recréer une dynamique.