Direction Monteux, à destination de la ferme des frères Jaumard. Là, un beau mas avec sa pergola tressée de végétaux encore endormis résiste avec majesté au temps qui passe en cette fin d’hiver. A côté, un hangar dont la porte s’ouvre sur le capiteux parfum de la truffe. Sensation d’être comme au cœur de la terre. Un parfum de concentré de forêt, d’odeur primale d’avant la naissance des villes.
Dehors, de jeunes chênaies, plus exactement des truffières. Des arbres courts sur troncs avec des branches basses gardiennes de l’humidité des sols où, d’ailleurs, se dessine le cercle des sorcières, ‘le brulé’, l’endroit où jamais la terre ne s’enherbe, premier indicateur de l’éclosion des truffes à moins de 10 centimètres sous terre.
La mouche à la baguette
L’autre indicateur ? La Suillia gigantea ou Helomisa –j’avoue ne pas savoir l’identifier -, une fine et longue mouche rousse, voire rouge, qui se pose juste à côté d’où nait la truffe. Elle ne sent le champignon que lorsqu’il est arrivé à maturité, pour y pondre ses œufs. Le caveur -celui qui déterre la truffe-, en ayant bien pris soin de laisser son ombre derrière lui –donc face au soleil-, l’observe, le regard horizontal à fleur de terre, tapotant doucement le sol de sa baguette, pour observer l’endroit où la mouche va se poser et, en cela, indiquer où éclot exactement, sous la terre grasse, le diamant noir. Une quête du champignon qui s’effectue de préférence un jour ensoleillé et sans vent.
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Un marché soumis au changement climatique
Si la truffe reste très demandée, la sécheresse revoit la carte de la production. Près d’entre 150 à 250 tonnes annuelles, toutes truffes confondues, arrivent ainsi sur le marché français. La saison 2025 a été excellente avec des pluies d’été –qui permettent à la truffe de s’épanouir- et l’absence de gelées. Les saisons de récolte des différentes truffes sont complémentaires quand certaines sont naturellement présentes en forêt, comme dans les parcs nationaux, d’autres préfèrent les terres agricoles. La truffe tisse, autour de son parfum, un réseau pluriel où pépiniéristes, agriculteurs, trufficulteurs, négociants, restaurateurs, épiceries fines, opérateurs touristiques et propriétaires fonciers se rencontrent sur un même marché. Cependant, en raison du changement climatique, et notamment du réchauffement, la truffe semble remonter la vallée du Rhône.
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L’interview
«Le premier marché de la truffe a été fondé à Carpentras, au 19e siècle, relate Alexis Jaumard, ingénieur en agro-alimentaire. Il est celui qui donne le ton, en matière de cours de la truffe, en France, en Europe et à l’international. A la fin du 19e siècle, 1 500 tonnes de truffes étaient collectées. De nos jours, nous oscillons entre 20 et 60 tonnes. Trois principales raisons à cette baisse de production : l’apparition du Phylloxéra, maladie de la vigne, qui a engagé le monde de la viticulture dans la recréation de parcelles, ce qui a décimé les bois, là, où, naturellement les truffes étaient présentes. Les porte-greffes américains ont fait leur apparition dans de nouvelles parcelles, celles-ci, participant à faire disparaitre les truffes. »
La truffe pionnière des jeunes bois
« La 2e raison est que la truffe est pionnière dans les jeunes bois où elle se développe, remontant actuellement la vallée du Rhône, recherchant un climat méditerranéen. Elle progresse, ainsi, autour de Valence, Lyon, jusqu’en Isère. Cependant la truffe craint le gèle. Enfin, la 3e raison est le réchauffement climatique qui tend à raréfier son épanouissement. Les travaux avec l’Inra devenue Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), dans les années 1970, étaient très porteurs d’avenir, donc, nous avons beaucoup planté en Paca (Provence Alpes Côte d’Azur). Ainsi, la région Sud, apporte à elle seule 80% de la production nationale de truffe sur le marché, tandis que le Périgord y contribue à hauteur de 20%. Environ, 20 000 familles vivent de la truffe en France. Cette année 2024-2025 a été une excellente année de production. »
Évolution des truffières
« Avant, la truffe était là grâce à un climat favorable distribuant de bonnes pluies l’été et des hivers bien froids, puis, les conditions climatiques ont changé. Désormais, il faut attendre en 10 et 15 ans pour que les arbres produisent leurs premières truffes. Dès que l’arbre est vieillissant -autour de 35 ans- la truffe disparait. La taille des arbres désormais diffère. Ils sont désormais courts, environ 1,80m, avec des branches basses laissées non taillées pour préserver un sol humide et filtrant.Celui-ci est désormais irrigué tendant vers la micro aspersion. La fin de la saison approche et sera terminée dans trois semaines, tandis que la truffe d’été s’annoncera en mai jusqu’à fin juillet, sur d’autres parcelles. la Tuber Aestivum se développera ainsi, sur des arbres plus denses et plus âgés. »
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Les arbres truffiers
Il peut s’agir, selon les régions, de Bouleaux, de Chênes, de Charmes, de Noisetiers, de Cèdres, de Pins noirs, de Tilleul, de Merisier, de Pommier sauvage… Les essences peuvent même se planter en haies car le mélange d’arbres fruitiers serait favorable au développement de la truffe.
La symbiose
La truffe est le fruit du mycelium qui vit en association avec les racines d’un arbre. L’arbre donne à la truffe des sucres (hydrates de carbone) résultant de la photosynthèse, tandis que le champignon fournit à l’arbre des sels minéraux (phosphore). Il aide l’arbre à supporter des taux de calcaire élevés et à mieux gérer son eau. Le système racinaire de l’arbre truffier est donc le siège d’une union à bénéfice réciproque, appelée symbiose Celle-ci s’effectue par l’intermédiaire des mycorhizes. Les mycorhizes sont des organes mixtes champignon-racine. Les pépiniéristes produisent des plants mychorizés, c’est-à-dire mis en contact avec les spores de la truffe, cependant c’est l’alchimie, la relation, du plant avec la terre qui offrira ou non un milieu propice à la présence de la truffe. La fructification débute par la modification de la disposition des filaments du mycelium qui vont se rassembler en une structure spéciale à aspect cellulaire.
Climatologie
Le climat idéal de la truffe Tuber melanosporum ? Un hiver avec des nuits à -5°, et des journées entre 10 et 14°, un printemps où alternent des périodes d’humidité et de chaleur, un été chaud entrecoupé d’orages surtout entre les 1er et 15 août et un automne peu humide.
La présence de la truffe
La truffe sera présente dans des sols riches en calcaire et drainés, au ph7. Les plants seront dressés à 2 mètres de distance et sur des lignes distantes de trois mètres. Le sol sera travaillé superficiellement. La durée de vie d’un arbre truffier est d’environ 20 ans –après il reste solide mais les truffes se raréfient puis disparaissent- et il commence à donner des truffes dès ses 5 ans. Le rendement d’une truffière ? On considère que 10 chênes produisent environ entre 200 grammes à 1 kilo de truffes. Un hectare pourrait ainsi donner entre 4 et 20kg de truffes par an.
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En réalité, il existe plus de 60 variétés de truffes recensées dans le monde
Dont six variétés sont cultivées en France
La Tuber Melanosporum
Tuber Melanosporum, truffe d’hiver est présente de mi-novembre à fin mars avec sa pleine saison à la mi-janvier. Elle est cavée dans le centre et le sud de la France, en Italie et en Espagne.
La Tuber Magnatum Pico, truffe blanche d’Alba ou du Piémont, fait partie des plus rares et des plus prestigieuses. Elle est actuellement cultivée en Vallée-du-Rhône.
La Tuber Aestivum, la truffe d’été ou de la Saint Jean se récolte d’avril à août.
La Tuber Uncitanum, ou truffe de Bourgogne ou truffe grise, est la plus répandue en Europe. Elle se met en symbiose avec le pin, le charme, le noisetier… Elle est naturellement présente en Bourgogne et en Alsace.
La Tuber brumale, ou truffe brumale peut être confondue avec la Melanosporum et se récolte de novembre à mars.
La Tuber Borchii ou Tuber Albidum Pico, truffe Bianchetto ou Blanchette est proche de la truffe blanche d’Alba et se récolte de mi-janvier à fin avril.
Une question de proportions : Pour 100 de Tuber Melanosporum, 60 seront des Tuber Brumale, 50 seront des Tuber Uncitanum, 20 seront des Tuber Aestivum et 15 des Tuber Mésentrique.
La famille Jaumard
Tout commence dans les années 1970 avec Albert Jaumard, pharmacien de son état, qui possède 30 hectares de vergers de pêches et de poires à Monteux. C’est aussi l’époque où l’on évoque les plants mychorizés de chênes truffiers. Eric, le fils d’Albert, qui hérite des terres, collabore immédiatement avec l’Inra (Institut national pour la recherche agronomique) lors des premières parcelles dévolues à la création des truffières, collectant analyses et données pour faire avancer la trufficulture. En réalité, seulement 20% des chênes, noisetiers ou tilleuls mychorizés donneront des truffes dans leurs jeunes âges, car les truffes migrent avec les jeunes forêts. En 1993, Eric Jaumard réalise ses premières ventes de truffes au marché de Carpentras puis créé son entreprise de négoce ‘La truffe du Ventoux’ en 1998. En 2003, il propose des journées pédagogiques autour de la truffe, le cavage avec un chien truffier, puis la dégustation de celle-ci. Franck et Alexis, les fils d’Eric, complèteront dès 2019, le dispositif en proposant, gite, déjeuner et dîner raffinés, en table d’hôtes, tout en continuant à dispenser leurs savoirs sur le précieux champignon.
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La proposition commerciale
Les chambres d’hôtes
La famille Jaumard propose 4 chambres d’hôtes, avec petit-déjeuner, le week-end, avec découverte de la truffe, dans leur propriété, la Quinsonne. Les chambres d’hôtes sont ouvertes d’octobre à fin mars puis de mai à début juin. 162€ la nuitée pour 2 personnes et 121€ pour 1 personne.
La formule découverte
La formule découverte de la truffe en week-end de novembre à mars : 1 nuit + 1 journée découverte 340€ pour un couple. De mi-juin à fin août, location de gîte à la semaine de 8 à 12 personnes. Animaux de compagnie non-autorisés.
La vente de produits
Les frères Jaumard vendent des truffes et des produits dérivés comme la truffe fraîche d’hiver : Tuber Melanosporum, du 1er décembre au 15 mars ; La truffe fraîche d’été, la Tuber Aestivum, du 15 septembre au 30 novembre et la truffe fraîche de Bourgogne, la Tuber Uncinatum, et toute l’année, des produits dérivés de la truffe : truffe en conserve, huile, beurre d’Echiré, vinaigre balsamique, ketchup, moutarde, sel d’Echiré et miel, contenant de la truffe. Tous les produits de la boutique ici.
Les infos pratiques
La truffe du Ventoux. Les frères Jaumard. 634, Chemin du Traversier à Monteux. 04 90 66 82 21.
Le marché national et international de la truffe de Carpentras
«Le cours de la truffe au national et à l’international se joue à Carpentras,» précise Alexis Jaumard de la Maison éponyme. Son marché a lieu tous les vendredis matins de la mi-novembre à fin mars, place Aristide Briand. La Tuber Melanosporum doit être ferme, de forme arrondie, d’un grain moyen, bien ciselé. Le marché de Carpentras est la référence des autres marchés : courtiers, négociants, conservateurs. Les caveurs viennent y quérir le partage du droit exclusif de récolte dans les bois et forêts domaniales du Ventoux.
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Copyright Jean-Luc Fourrier
Focus sur le prix de la Rabasse (truffe)
Le carreau professionnel est établi Cour de l’Hôtel-Dieu, place Aristide Briand, à Carpentras à partir de 9h. Le carreau particulier, pour la vente au détail, Parvis de la maison de Pays, Office de tourisme de Carpentras de 8h à 12h.
Pour le marché de gros
Pour le marché de gros au 21 février 15,50kg ont été vendus pour un cours entre 400 et 500€ le kilo et un cours moyen de 450€ le kilo. En janvier le cours moyen a oscillé entre 350 (10/01/25), puis de 400 (3/01/25) puis encore 450€. Sans surprise, autour du 20/12, le prix du cours moyen a atteint les 700€ le kilo autour du 20/12/24. Le cours moyen le plus bas était aux alentours, de 200€ le kilo en novembre 2024. Pour le marché au détail, le cours moyen le plus élevé a été enregistré à 1 100€ le kilo autour des 20 et 27 décembre 2024. Le cours moyen le plus bas ayant été à 650€ le kilo le 29 novembre 2024, et 800€ le kilo au 21 février 2025.
L’association des Amis du Vieux Village des Angles
L’Echo du mardi s’est rendu à l’invitation de l’association des Amis du Vieux village des Angles qui organise, régulièrement, la découverte du patrimoine, historique, artistique, insolite, gourmand… L’association, forte de plus de 130 adhérents, fourmille d’anciens professionnels et artistes issus de nombreux secteurs d’activités nationales et internationales, nourrit et partage une appétence intellectuelle pour son territoire et les alentours.