22 novembre 2024 | (Vidéo) Géraldine Parodi, scaphandrière sur les travaux BTP sous-marin et présidente de Spero mare

Ecrit par Mireille Hurlin le 7 septembre 2023

(Vidéo) Géraldine Parodi, scaphandrière sur les travaux BTP sous-marin et présidente de Spero mare

Géraldine Parodi, scaphandrière et Présidente de Spero Mare exerce dans le BTP sous-marin. Elle fait partie des invitées de la soirée ‘Femmes d’action, femmes d’exception, organisée par les Soroptimist d’Avignon qui se déroulera à la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Cité papale, cours Jean Jaurès dans l’intramuros, mardi 26 septembre, à partir de 18h, sur réservation.

«Depuis mes souvenirs les plus lointains, j’ai toujours vécu entourée et accompagnée par la mer. J’ai la chance d’avoir eu un papa militaire qui a beaucoup bougé et fait voyager sa famille avec lui, au gré de nombreuses iles comme la Guadeloupe, Saint-Pierre-et-Miquelon sur lesquelles j’ai vécu trois et quatre ans. La mer était toujours présente y compris dans les endroits les plus froids, je restais en contact avec elle puisque je pratiquais le catamaran et la planche à voile. Puis, toute jeune, j’ai passé mes niveaux de plongée. J’ai eu le coup de foudre pour le milieu de la mer. Mon papa était ancien pompier-marin-plongeur à la caserne de la Digue et d’autres endroits. Mon parrain était gendarme-plongeur également. Il a vécu en Nouvelles Calédonie où il était plongeur professionnel. Mon frère faisait de l’archéologie sous-marine avec moi.»

Comment suis-je devenue scaphandrière ?
«Je faisais de la plongée de loisir, restant plus d’une heure en plongée à admirer la flore et la faune, mais ce qui m’intéressait véritablement, c’était d’avoir une mission. J’attendais vraiment cela. On m’avait proposé monitrice de plongée mais ce que je souhaitais c’était travailler sous l’eau. Ma vocation est vraiment née lorsque j’ai commencé à faire de l’archéologie sous-marine, utilisant de l’outillage qui me permettait de découvrir des objets, de mener une mission sur plusieurs jours. Je voyais mon travail évoluer. J’étais déjà dans l’esprit de découvrir un chantier, de diriger des équipes, de veiller à la sécurité de tous et de faire aboutir la mission. J’avais besoin de cette adrénaline là. Ce cadre de travail, l’organisation de chantier sous-marine, m’a révélé à moi-même. Puis j’ai basculé sur les travaux sous-marin sur les chantiers.»

Géraldine Parodi

Quels ont été les étapes, les événements fondateurs de votre carrière ?
«Essayer d’apporter mon savoir, mon expertise aux sachants, aux entreprises qui ont besoin d’intervenir dans ce secteur et surtout, faire évoluer les choses. J’aime me concentrer, réfléchir à la mise en place de nouvelles méthodologies, introduire l’innovation dans les process, et, évidemment, protéger l’environnement en adaptant, au maximum, les prestations, en mesurant leur impact sur l’environnement. »

Prendre en compte et prendre soin de l’environnement
«L’environnement tient une part très importante dans ma vie professionnelle et personnelle, ainsi lorsque je démarre un chantier, je me pose toujours la question de son impact sur lui, et comment je pourrais le réduire. C’est tout ce cheminement qui m’intéresse et dans lequel je m’implique.»

Les mentors et personnalités qui ont forgé ma vocation ?
«Tout d’abord une ambiance, celle de mon père et de mon parrain puisqu’on se retrouvait toujours dans les casernes de gendarmerie, entourés de blocs de plongée, d’odeurs de néoprène. Je grandissais dans cet univers avec des rigolades à table, des vidéos, des souvenirs et des anecdotes. Ils m’inspiraient déjà alors que je n’avais que 5 ans. Puis il y a eu Serge Ximines du GRASM, le groupe de recherche archéologique sous-marine. C’est lui qui m’a fait passer tous mes niveaux de plongée. Il a été un véritable mentor pour mon parcours. Il m’a tout appris de l’archéologie sous-marine, propulsée dans le monde du travail. Ce sont de très belles années de ma vie.»

Rencontre avec Henri-Germain Delauze, patron de la Comex
«Serge Ximines m’a fait rencontrer Henri-Germain Delauze, patron de la Comex, pionnier de l’accès aux profondeurs, qui m’a fait rêver. Il m’a permis de réaliser sous l’eau, une image vue dans un film, que je m’étais promis de vivre un jour : Arriver sur une fouille, entourée de robots éclairant un fond profond. J’ai vécu cela. Il est l’un des hommes qui m’a le plus inspirée. C’était une fouille archéologique sous-marine, au large de l’île Maïre, au large des Goudes. Il s’agissait d’un bateau romain de plus de 2 000 ans, posé à 56m de fond. Notre travail consistait à retirer le sable pour révéler les membrures du bateau, y trouver des objets. Un jour, Henri-Germain Delauze est arrivé avec son imposant bateau, son équipe, un matériel à la pointe de l’innovation et a proposé de nous aider une journée. Je lui ai demandé s’il pensait ‘qu’un jour je pourrais y participer’. Il m’a répondu, ‘Non, pas un jour, maintenant !’ Et j’ai vécu cette image que je m’étais promis de réaliser.»

Comment avez-vous abordé votre carrière et surmonté vos épreuves ?
«J’avais déjà un passé de plongeuse archéologue et d’organisation de chantiers, de travail sous l’eau, alors j’étais déjà dans l’élan du travail, je n’en n’avais jamais assez. Une fois sortie de l’eau, j’étais déjà dans les rapports d’intervention. Mais pour débuter dans le scaphandrier… Il n’y avait pas beaucoup de femmes en France, à l’époque. Etre une femme sur chantier était très compliqué pour obtenir du travail. Et puis on m’a donné ma chance sur certains chantiers, l’opportunité de prouver que je pouvais faire comme un homme. De fil en aiguille j’ai gagné la confiance, j’ai pu faire ma place. Mais ça a été des journées à pleurer dans mon coin, des remises en question : Est-ce que je veux vraiment faire cela ? En ai-je le courage malgré l’état d’esprit qui y règne ? Finalement c’est la passion et mon entêtement qui l’ont emporté.»

Le regard des hommes sur les femmes scaphandrières a-t-il changé ?
«Oui, sur une partie des hommes, mais il reste du travail à faire. Je comprends beaucoup leur point de vue, notamment à travers ce que disent les équipes. Non pas que les hommes mettent en doute la qualité du travail des femmes sous l’eau, mais plutôt craignent la mise en œuvre de l’ordre du BTP (Bâtiment et travaux publics) terrestre telle que la manutention de charges lourdes. Quand les hommes embauchent des personnes, ils veulent s’assurer que celles-ci pourront bien effectuer le travail de portage et de chargement autant sur terre que sous l’eau. Alors les femmes se sont organisé en s’aidant d’appareils et d’outils leur permettant d’effectuer ces mêmes gestes, de trouver des compromis pour compléter les équipes. Cependant tout le monde, à l’heure actuelle, n’accepte pas les femmes sur les chantiers.»  

A-t-il fallu déployer plus de compétences et de qualités pour exercer votre métier ?
«Oui. Il a fallu prouver que j’arrivais à me fondre dans l’équipe, il me fallait entrer dans la peau d’un ouvrier, en gommant mon aspect physique. J’ai pu faire ma place doucement. Peu à peu j’ai été envoyée à l’eau, puis obtenu des responsabilités. Le soir, j’allais voir le responsable du chantier et je lui demandais : aujourd’hui qu’est-ce que j’ai bien fait ? Qu’as-tu à me reprocher sur le travail que j’ai pu faire ? Je faisais toujours cette remise en question permanente. En face ils se disaient : ‘Elle me demande vraiment ce que je pense de son travail ?’ Oui, je demandais mes points forts et mes points faibles, je demandais conseil. J’avais cette capacité à être humble et discrète, cela a fait beaucoup pour moi.»  

Quels sont les obstacles qui ne s’effacent pas ?
«Les obstacles se sont révélés être plutôt des paroles entendues, qui m’ont énormément blessée, mais que j’ai encaissées. Elles sont restées comme des marques indélébiles, même si je suis passé à autre chose grâce à la carrière que j’ai construite au fil des années. Un exemple ? J’avais effectué pratiquement toute seule un important chantier de découpage. Toute l’équipe était fière de moi. Lorsque j’ai enlevé le casque et que le client a vu mes longs cheveux, il a dit : ‘La prochaine fois que vous prenez des cheveux longs sur le chantier, je ne travaillerai pas avec vous.’ Ces paroles m’ont détruite parce que je n’étais plus la femme sur le chantier mais celle qui pouvait leur faire perdre le client à l’entreprise qui m’employait.»

Faire face
«J’étais devenue le potentiel problème financier. Cela voulait dire : Si vous la gardez dans vos effectifs, je ne travaille plus avec vous. Alors que je sortais fière, du chantier accompli sous l’eau, je venais de me prendre une terrible claque. L’homme qui a prononcé cette sentence ? Il devait avoir entre 50 et 55 ans. J’avais 29 ans. Je comprends qu’à la suite de paroles aussi blessantes des personnes quittent leur vocation. Pour faire face ? J’ai utilisé ma plus grande arme, j’ai encaissé, j’ai souri. J’ai dit à mon employeur que je prendrais d’autres chantiers chez d’autres clients. Un jour cette personne qui m’avait fustigée a été licenciée et remplacée par une autre personne qui, elle, m’a totalement acceptée. J’ai alors pu travailler avec ce client sur ses chantiers.»

Ce qui m’a fait tenir ?
«Une fois encore c’était d’avoir grandi dans un milieu d’intervention ou mon père, mon parrain, chez les pompiers ou dans la gendarmerie sont loin d’avoir la vie facile et doivent faire face à des situations extrêmes. J’avais le caractère qui allait, comme eux, avec ce métier d’intervention.»  

Quels sont les avantages et les inconvénients d’être une femme dans un milieu d’homme ?
«Je suis une bonne vivante et j’apporte cette fraîcheur dans l’ambiance. Les hommes se confient aussi plus volontiers à vous sur le travail, les manipulations techniques, formulent des demandes de conseils … Nous devenons vite des confidentes sur le chantier. Les inconvénients ? Il n’y a pas forcément d’installations –de toilettes pour être précise- sur les chantiers. Ce sont des détails, mais ils peuvent vous pourrir des interventions. Alors on s’organise au mieux pour que le confort soit des deux côtés. Désormais, on m’implique dans les réunions, dans la sécurité, la prévention. J’ai fait ma place depuis 10 ans, et les hommes, à leur tour, m’ont fait une grande place.»

Le mot de la fin ?
«J’ai créé avec Estelle Lefébure Spero Mare, une association à but non lucratif dont le principal objectif est d’agir en faveur du patrimoine sous-marin et de sensibiliser le grand public à la nécessité de le sauvegarder. Pourquoi ? Parce que le scaphandrier est le premier témoin de ce qui se passe au fond puisque nous y travaillons toute l’année. Nous sommes pour beaucoup dans la biodiversité marine. Si effectivement nous faisons du BTP sous l’eau avec de la découpe, du coulage de béton, nous sommes les premiers à nous demander si nous faisons bien, si nous pouvons limiter l’impact et comment, ou comment faire mieux. ‘Le pied lourd’ – comme l’on nomme le scaphandrier – est là pour faire évoluer et maintenir tout ce qui est BTP sous l’eau, ce qui est 98% de notre métier. Mais nous sommes aussi des assistants pour des sociétés de protection de l’environnement, des laboratoires, nous venons aider lors de marées noires. Nous, scaphandriers, ne sommes pas reconnus à notre juste valeur dans beaucoup de choses, dans le travail pénible que l’on fait, et dans le fait que l’on soit également là pour la biodiversité marine dès que l’on a besoin de nous. Le scaphandrier est avant tout un passionné de la mer qui veut la préserver.»

La soirée Femmes d’action, femmes d’exception organisée par le club Soroptimist d’Avignon
Mardi 26 septembre 2023. A partir de 18h. Billets ici. Tout le programme ici.

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