Le bleuet est une librairie improbable au milieu d’un village très rural surtout connu pour ses fromages de chèvres et pourtant… Le nom de l’établissement et sa fabuleuse histoire ont retenti dans le monde entier au point d’être soutenu par la Communauté Européenne, sans que la librairie l’ait demandé. Comment l’incroyable aventure a-t-elle débuté et continue d’inscrire son histoire et celle de tout un village ? Nous avons demandé à Isabelle et Marc Gaucherand, les propriétaires de la Librairie le Bleuet, de nous l’expliquer.
Avignon, direction Banon, 1h30 de paysages verdoyants où la nature s’éveille malgré l’hiver et que le soleil luit, réchauffant tout ce qu’il éclaire. Nous voici avec Vanille, vénérable mini décapotable, grimpant la montagne.
Le petit village
Le petit village est charmant nimbé d’un silence presque printanier. Place Saint-Just, la Librairie le bleuet ressemble à une maison de famille avec ses volets bleus et sa porte grande ouverte. A l’intérieur les multiples pièces, niveaux, étages, s’offrent au pas du visiteur avec ses recoins, ses pancartes suspendues et surtout ses étagères de livres bien rangés.
Un rêve pour les familles
Un rêve pour les familles, les lecteurs, les passionnés de jeux et de petits bricolages et autres loisirs créatifs. On y croise des enfants assis, absorbés par leur lecture. Des parents redevenus enfants, les yeux plein d’étoiles devant tous ces livres comme autant de gourmandises que l’on n’ose à peine toucher. L’ambiance est feutrée, à peine entend-t-on de discrets chuchotis tandis que les allées embaument cet odeur de Jasmin mêlé à d’églantine et de vieux livres.
Il y a aussi le jardin
Il y a aussi le jardin rythmé de végétales gloriettes, où Isabelle et Marc accueillent des expositions, des conférenciers, des cafés littéraires et apéros d’inauguration. Sous les arabesques de métal, les frondaisons d’arbrisseaux bienvenus l’été au creux desquels s’offrent des salons de jardins. On y accueille aussi le lecteur, happé par sa lecture.
Le destin de Joël Gattefossé
Comme toujours l’histoire d’une entreprise commence par une aventure humaine. La librairie le Bleuet elle, a été fondée en 1990 par Joël Gattefossé, menuisier charpentier originaire de l’Essonne, tombé raide dingue du village de Banon. En autodidacte, il achète un fonds de commerce où il propose 70 ouvrages –que certains disent sauvés du pilon-. Un hommage à son père imprimeur, dont il investit, en livres, l’héritage.
La librairie connaît un petit succès
La librairie entame un petit succès. Joël Gattefossé rêve d’acquérir la maison d’en face qui offre deux étages et plus de 700m2 pour accueillir ses ouvrages. Il rêve tout haut de cette opportunité ce qui amène trois femmes à rechercher, pour lui, le moyen de réaliser son projet. Ensemble, elles arrivent à collecter un peu plus de 250 000 francs soit plus de 38 000€ qui serviront à l’acquisition du fonds de commerce. Tout en tenant son commerce le jour, la nuit venue, Joël traverse la place pour aménager la nouvelle librairie.
Un rêve de librairie indépendante
En 2012, la Librairie le Bleuet lancée par Joël Gattefossé réalise un chiffre d’affaires de 2,5M€ avec une moyenne de 512 livres vendus par jour à des habitants de Banon, aux Bas-alpins, à des personnes venues de toute la France et même des pays frontaliers car Banon est un village très touristique. Le crédo de Joël Gattefossé ? Conserver l’ensemble des ouvrages accueillis. sans retour aux éditeurs, ainsi peut-on trouver, dans son commerce, d’anciens ouvrages épuisés où 17 salariés s’attachent à organiser les rayons et à renseigner les clients.
Las patatras…
Joël Gattefossé rêve d’envoyer les ouvrages au gré du monde et, pour cela, fait construire un entrepôt de stockage, en contrebas du village, de plus de 1 700m2, garni de 37km d’étagères. Mais les lignes d’envoi auront raison de la belle aventure. La belle aventure s’est fissurée, les banques de suivent plus l’entrepreneur. Le rêve se transforme en cauchemar. le Bleuet ne peut pas concurrencer Amazon. Des années après la confiserie Leblanc, chocolats, confiseries, pâtes de fruits, installée à Mane, y installe son atelier de production en 2018 ainsi qu’un nouveau magasin.
Redressement, liquidation
C’est finalement l’époux de Christine Rey professeure de musique d’Avignon, qui investira dans la librairie en janvier 2015 avec des associés originaires de Saint-Tropez en présentant leur candidature auprès du liquidateur judiciaire. « Nous avons été choisis parce que nous avions promis de conserver le personnel, précise Christine Rey. Nous avons dû rouvrir les comptes auprès des maisons d’édition. La librairie avait très bien remonté lorsque nous l’avons, 18 mois plus tard, revendue aux actuels propriétaires. »
Isabelle et Marc Gaucherand
Le couple de Lyonnais se lance dans une nouvelle aventure familiale et met sur le tapis l’ensemble de son patrimoine, « rationnalisant le stock, pharaonique, qui ne tourne pas et ne laisse pas de place à la nouveauté », précise Marc Gaucherand. mais au fait, qui sont Isabelle et Marc Gaucherand ? Isabelle est issue du milieu médical, où elle était en accompagnement de fin de vie. Marc était enseignant en philosophie et dirigeait des établissements de l’enseignement secondaire puis supérieur.
Comment le projet a-t-il été mené ?
«Ce projet de vie ? Nous nous sommes engouffrés dedans du jour au lendemain, relate Marc Gaucherand. L’élément déclencheur ? Notre fille libraire chez Decitre à Grenoble avait eu vent de la possible reprise du Bleuet. Elle nous en a fait part car nous étions proches, notre maison de vacances –désormais devenue notre résidence principale- étant à Forcalquier. Nous nous sommes alors décidés très vite d’autant plus que nous connaissions très bien l’établissement pour l’avoir fréquenté.»
Le rachat
«Nous avons racheté la librairie après le dépôt de bilan et à sa quasi fermeture, se souvient Marc Gaucherand, tout d’abord en acquérant le fonds de commerce à hauteur de 300 000€. Puis nous avons racheté, dans un second temps, les murs, car la situation immobilière mettait en péril la vie du Bleuet. J’en veux pour exemple l’importante librairie ‘Provence’ d’Aix-en-Provence qui a fermé pour cause de loyer trop important. Lorsque nous avons repris le Bleuet, nous avons découvert un loyer tout à fait excessif, c’est-à-dire deux fois plus élevé que la valeur des locaux. Nous avons trouvé une solution pour enjoindre le propriétaire à vendre à hauteur de 600 000€, ce qui a mis définitivement à l’abri, le Bleuet. D’ailleurs ces 600 000€ nous ont permis de diviser par deux les frais de loyers.»
Ce que l’on veut dire ?
«Nous faisons du Bleuet un lieu rayonnant de vies culturelle, littéraire, intellectuelle et artistique reprennent les époux Gaucherand. De ce point de vue nous avons été accompagnés par l’Europe, via le programme Leader (Liaison entre action de développement de l’économie rurale) pour, justement, développer cet espace culturel avec une personne dévolue à son animation ainsi qu’à la programmation des événements. Cette aide nous a permis de renouer avec une forte médiation du Bleuet. C’était déjà un lieu mythique, repéré comme l’une des librairies les plus importantes de France et très originale puisqu’elle est en pleine montagne. C’est tellement original que s’en est une anomalie ! En effet, qui irait voir une librairie gigantesque perdue au milieu de la montagne ?»
L’Interview
«La librairie est un lieu de rencontres, de découverte et même un lieu d’exposition d’art, entament Isabelle et Marc Gaucherand propriétaires et gérants de la Librairie le Bleuet. La multitude d’ouvrages exposée provient du choix des libraires du Bleuet qui font leur sélection, en fonction des rayons dont ils ont la charge. Nous accueillons plus de 20 rayons différents : Jeunesse, Bandes Dessinées, Mangas, Sciences Humaines qui comporte également des sous rayons : psychologie, ethnologie, sociologie, philosophie, et aussi Actualité, Politique, Développement personnel, Esotérisme, Franc-Maconnerie, Religions, Ecologie, Littérature, Poésie, Théâtre, Sport, Littérature, Voyages, Policier, Fantaisie, Sciences Fiction, Fantastique… C’est absolument considérable !»
Internet ? Un super outil !
«Vous pouvez, sur notre site, découvrir les ouvrages, lire les dernières de couverture, découvrir les notes de lecture de nos libraires, réserver votre livre sur internet puis venir le chercher », propose Marc Gaucherand. Avez-vous des demandes de création de la bibliothèque idéale comme les 50 à 100 livres incontournables à lire dans sa vie ? «Cette demande n’existe pas ou reste très exceptionnelle, intervient Isabelle Gaucherand. Si on nous sollicitait pour cela, nous répondrions, bien sûr, par des classiques, des incontournables de la littérature, sans oublier d’y inclure les genres préférés de l’acquéreur comme de la Science Fiction et les policiers, genres qui ont fait émerger de fabuleux auteurs.»
Les livres qui s’envolent ? La littérature contemporaine !
«La littérature française et étrangère contemporaine est le rayon le plus porteur et le plus tirant de la librairie. C’est l’actualité littéraire qui attire car les gens aiment acquérir les ouvrages d’écrivains vivants. D’autant plus que nous organisons énormément de lectures au Bleuet. La littérature vivante est ce qui tire la librairie vers le haut. Quelque part nous répondons à l’appétence des lecteurs. Les rencontres littéraires se font tous les samedis à 11 heures, à minima, sorte de café littéraire offert. C’est un échange avec l’auteur et les lecteurs. Auparavant nous avons lu ses livres. Puis l’auteur lit un morceau choisi. Nous faisons au mieux pour que la parole circule, que l’auteur s’exprime sur sa manière d’écrire, les raisons pour lesquels il a écrit son dernier ouvrage…»
Le public aussi s’exprime
«Le public aussi s’exprime et ces rencontres sont très appréciées. Parfois les gens viennent de très loin pour certaines rencontres. La réussite de ces cafés littéraires réside dans l’invitation d’auteurs très variés, parfois très connus –des monuments de la littérature- comme Nancy Huston, Marie-Hélène Lafon, ce qui fait que notre public se développe énormément. Nous recevons aussi des auteurs de poésie, moins connus et plus pointus mais tellement magnifiques. Evidemment il y a des rencontres ou le courant passe plus que d’autres, mais nous sortons toujours plus heureux de ces évènements.»
Plus de 6 ans de développement du chiffre d’affaires ininterrompus
«Le Bleuet est la première librairie française en milieu rural, il n’y a pas d’équivalent en France, relève Marc Gaucherand. C’est également la seule librairie, toujours en France, à être ouverte tous les jours, 365 jours par an. 800m2 de surface de livres où se lovent plus de 100 000 livres. 14 salariés, nous compris. Si la librairie envoie tous les jours des ouvrages par La Poste, nous ne voulons surtout pas en faire un business. C’est un travail de magasinier et un pan de notre activité que nous ne souhaitons pas développer. La librairie n’est pas un hangar –nous ne sommes pas Amazon-, c’est avant tout est lieu de présentation de livres choisis, que les gens découvrent dans la librairie, aidés des notes de lecture rédigées par les libraires qui ont pris le temps de les lire. Dernièrement ? Le panier moyen est passé des 30 à 50€. Lors des plus petites journées –souvent en novembre, janvier, février, mars- nous recevrons 50 personnes, plusieurs centaines en haute saison –lors des vacances scolaires, à la Toussaint, Noël, Pâques, les ponts du mois de Mai, et l’été…. Notre activité est très liée à la fréquentation touristique de la région. Actuellement ? Nous sommes à 2M€ de chiffre d’affaires sur l’année. Ce qui est le plus difficile dans une librairie ? Savoir gérer le stock. Il faut trouver un équilibre entre le fonds et l’actualité. C’est tout le cœur du métier. Les ouvrages qui se vendent le moins ? L’économie. Notre clientèle est extrêmement variée ; famille, personnes de tous les âges, de tous les horizons.»
Comment remonte-t-on une affaire ?
«Nous avons fait 6 ans de croissance ininterrompue, avec, en amont, un gros travail de réorganisation interne, de rayons, changé la totalité de l’éclairage de la librairie, du mobilier, même chose pour la communication reprend Marc Gaucherand. Nous avons bénéficié de beaucoup de passages dans les médias nationaux et régionaux, télévision –Arte, FR3, des racines et des ailes, la Grande librairie-, presse écrite, radio. Les médias sont venus à nous. C’est l’effet Bleuet. Notre projet ? Continuer le développement culturel du Bleuet, financé par des fonds européens. C’est le Bleuet 2e formule. La 1re formule ? Le 1er gérant avait fait du Bleuet le plus grand stockage de livres, la librairie avait été attractive pour cela. Aujourd’hui ? Il y en a moins qu’à l’origine, mais des livres davantage mis en valeur et accompagnés d’une vie culturelle intense ce qui n’était pas le cas avant nous.»
Le livre en dehors des sentiers battus ?
«Nous organisons des randonnées littéraires, des ateliers autour d’un livre pour les petits. En janvier il y a eu la Nuit de la lecture, précise Isabelle Gaucherand, nous organisons aussi la soupe littéraire, en novembre ou décembre, un moment exceptionnel où se réunissent des personnes qui ont lu des livres récents et qui vont prendre la parole autour d’une soupe, pour exprimer les raisons de leur choix. Une anecdote ? François Cance, le président d’Arthotèque a proposé une lecture, dans les jardins du Bleuet, de la correspondance d’Albert Camus et de Maria Casarès par deux acteurs. Quelques jours avant que l’événement ait lieu, nous avons reçu un appel du secrétaire de Catherine Camus –la fille d’Albert Camus- nous expliquant que nous n’avions pas le droit de donner cette lecture parce que les droits exclusifs avaient été accordés à deux très grands acteurs qui avaient commencé cette lecture au Festival d’Avignon et allaient faire tourner le spectacle dans toute la France. Or, nous avions demandé leur accord aux Editions Gallimard qui nous l’avaient accordé. Dépités, alors qu’énormément de monde s’était inscrit pour cette lecture, et que nous apprêtions à annuler, on nous a fait comprendre que rien ne serait tenté contre nous si la lecture avait lieu. La raison de ce retournement ? Parce que nous nous démenions pour faire connaître les ouvrages. La lecture fut donnée dans un jardin bondé !.»
Quel est votre ouvrage préféré ?
«Russel Banks, auteur américain vivant, pour son ouvrage très impressionnant :‘Hamilton Stark’, un livre impressionnant pour sa qualité d’écriture soutenue, forte et saisissante, pour une construction en tiroirs, avec plusieurs niveaux de narration », se souvient Marc Gaucherand.
«Pour moi ce sera ‘Un roi sans divertissement’ de Jean Giono, sourit Isabelle Gaucherand, un texte que j’ai particulièrement étudié puisque j’en ai fait ma thèse, une parodie des pensées de Pascal. Le roman est enchâssé de citations de Pascal. Un livre compliqué, voire complexe, mettant au jour un sujet incroyable. De manière générale l’œuvre de Giono m’interpelle, c’est un très grand romancier. Et puis le Bleuet se situe au cœur même de la région où Giono a toujours vécu, ce qui est une immense chance.»
«Nous avons tout Giono, reprend Marc Gaucherand, nous organisons beaucoup de choses autour de ce grand auteur, avec l’association des amis de Jean Giono, sa maison à Manosque, c’est là encore, une dimension forte de la librairie. Pourquoi Le Bleuet ? Parce que c’est une plante aussi rare que merveilleuse! »
Les infos pratiques
Librairie le Bleuet, rue saint-Just, 04150 Banon 04 92 73 23 85 lebleuetbanon@orange.fr et www.lebleuet.fr