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Soroptimist d’Avignon, une psy et des gendarmes pour évoquer l’emprise

De G à D Shirley Vallalta, Nelly Maurin et Dominique Guéroult Thibault

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Une centaine de personnes était venue assister, hier, au débat sur l’emprise après la projection du film ‘L’amour et les forêts’ avec Virginie Efira et Melvin Poupaud qui évoquait ce drame au sein du couple et de la famille. Ça se passait au cinéma le Vox à Avignon, jeudi soir, à l’initiative de l’association Soroptimist Interntional d’Avignon. L’argent récolté ira au soutien de la Maison d’Agathe, créée par des Avignonnais, qui accueille à Pondichéry en Inde, des petites filles et adolescentes orphelines ou maltraitées.

Le clou de la soirée ? Il a eu lieu lorsque Dominique Guéroult Thibault, psychanalyste, l’adjudante Nelly Maurin et Shirley Vallalta, maréchal des logis chef, qui œuvrent à la Maison de la confiance et de la protection familiale– ont pris la parole pour expliquer les mécanismes de l’emprise. Le public a été très réceptif aux explications de chacune, au déroulé du cycle de la violence et aux interventions des gendarmes dans le cadre des violences intrafamiliales (Vif). On vous explique tout en détail.

Dominique Guéroult Thibault

Ce que dit la psy
«L’emprise est une relation comme une autre entre deux personnes consentantes…au début, prévient Dominique Guéroult-Thibault, psychanalyste à Pujaut, relation qui s’oriente vers la soumission totale avec la perte de son libre arbitre, pour l’une des personnes. En clair, l’emprise est l’influence ou la domination exercée sur une ou plusieurs personnes ayant pour résultat de s’emparer de son esprit ou de sa volonté. Au départ, entre deux personnes ? Il y a cette attirance commune.»

Mécanisme de l’attirance
«Notre vécu est stocké dans notre inconscient constitué de la somme de nos blessures, traumas, joies… emmagasinés depuis notre vie intra-utérine, prévient la psychanalyste. En conséquence, notre inconscient a établi des mécanismes de défense ou des comportements tels que le déni, l’oubli, l’évitement, le refoulement… L’inconscient ne connaît pas la notion de temps, ni la notion de bien ou de mal. Une blessure, un type de relation, un événement…L’inconscient propose un chemin, celui qu’il connaît déjà, qu’il soit ou non délétère.»

Au tout début, il y a l’enfant
«Et ses besoins fondamentaux de tout petit en relation avec sa mère et son père. Il a un besoin vital d’amour, de sécurité et de reconnaissance. Lorsqu’il y a souffrance à l’âge adulte, c’est l’enfant que nous avons été et qui est en nous, souffre. Surtout, nous dégageons tous une aura qui est l’émanation de notre inconscient. Nous sommes donc tous des émetteurs et des récepteurs. Et c’est cet inconscient qui nous dirige et dirige notre vie à plus de 80%. Conclusion ? Les inconscients se parlent.»

Voilà pour expliquer une partie de ce qui nous constitue
«Alors revenons à la relation qui est un échange entre deux personnes. Celle-ci évolue, rythmée de remises en question, de zones de doute, de compromis, chacun tirant un bénéfice de l’autre. Ces bénéfices sont pour le 1er matériel, et pour le second psychologique et narcissique. Cette relation évolue avec le temps, dans une adaptation de l’un à l’autre.»

La relation de pouvoir entraîne la soumission
«La relation finit par ne plus exister pour l’un, pour n’être plus qu’au profit du plaisir de l’autre. Elle est niée dans ce qu’elle est : choix, idées, orientations, relation amicales, familiales… L’autre décide de tout et œuvre à un véritable lavage de cerveau. On ne parle plus de compromis mais de compromissions. On peut alors évoquer le rôle de prédateur et de proie, de loup et de mouton.»

Prédateur et proie
«Le prédateur comme la proie ont un besoin incommensurable d’amour… Comme un puits sans fond, la relation veillant à essayer de réparer la faille narcissique. La proie a besoin de satisfaire l’attente du prince charmant validée par la phase séduction de la relation, tandis que le prédateur a besoin de satisfaire son amour possession par le contrôle. Les fantasmes de chaque protagoniste semblent être réalisés. Le Prince charmant voit sa femme totalement disponible à sa volonté.»

Phase de pouvoir
«Dans la phase de pouvoir, le prédateur va veiller à instaurer, graduellement, l’isolement relationnel familial et amical, notamment en se rendant infréquentable, en alternant dénigrement et valorisation. Il veille également à l’isolement économique, à continuer son lavage de cerveau qui induit la perte progressive d’identité de la proie.»

De G à D le Maréchal des logis chef Shirley Vallalta, l’adjudant Nelly Maurin de la gendarmerie de Vaucluse et Dominique GuéroultThibault, psychanalyste à Pujaut

Phase de violence psy
«Cette phase de violence psychologique tend vers l’intimidation, des menaces voilées, des gestes violents qui passent par le blâme, les brimades, le protagoniste nie les faits puis s’excuse. Il travaille à la perte de l’estime de soi de sa compagne ou de son compagnon : rabaisse, insulte, culpabilise, responsabilise, entame le cercle des injonctions contradictoires pour désorienter l’autre.»

Ce qui se joue
«La proie essaie de soigner sa blessure infantile. Elle pense avoir trouvé dans l’autre, durant la phase de séduction, l’être fantasmé qui, quelque part, lui fait miroiter un illusoire que le ‘Demain sera mieux’, est bien là. Même si elle vit des épisodes destructeurs à répétition, elle n’est pas prête à lâcher. Elle revit la relation infantile avec son environnement maternant. Le prédateur connaît la même blessure infantile et espère empêcher l’abandon-rejet en enfermant l’autre dans cette relation, la retenant prisonnière.»

Agir sur la proie
«Il est très difficile pour la personne sous emprise, de prendre conscience de son statut de victime. Ça ne pourra être effectif que lorsqu’elle prendra la parole et qu’elle s’entendra elle-même. Cette parole aura des répercussions dans sa famille –qui a possiblement exercé ou subi sa propre omerta- puis auprès de la société, afin d’être entendue à tous les niveaux de la Justice.»

De l’importance de la parole
«C’est à travers le NON et l’éloignement physique -il faut partir !-que la 1re étape est franchie, avec une remise en lien avec la famille et les amis. Le psychanalyste est là pour aider à ce NON psychologique. Mission ? Travailler l’écoute dont le but est que la proie arrive à une reconnaissance de son statut de victime. Puis viendront la baisse du niveau d’angoisse ; Le sortie du sentiment de culpabilité et de responsabilité ; Le retour de l’estime de soi. Il est également nécessaire de chercher le POURQUOI de cette soumission en revisitant les blessures d’enfance, ce qui amènera à libérer les émotions.»

ACCUEILLIR l’enfant en grandes blessures
«Il s’agira de libérer la personne de sa propre prison face à ses manques affectifs ; De l’amener à quitter les relations de POUVOIR pour les relations d’échanges et démontrer à l’inconscient qu’il y a d’autres chemins que celui des relations toxiques. C’est tout le travail du déconditionnement de l’inconscient. Le NON psychique est atteint : sortir de l’emprise et surtout de toute emprise future,» analyse et conseille la psychanalyste Dominique Guéroult Thibault.

De G à D le Maréchal es logis chef Shirley Vallalta et l’adjudant Nelly Maurin de la gendarmerie de Vaucluse

Les gendarmes
Quel est le rôle de la gendarmerie dans l’accueil des victimes de violence et qu’est-ce que la Maison de la confiance et de protection des familles ?
Demande Michèle Michelotte, responsable de la communication des Soroptimist International d’Avignon.
« Suite au Grenelle des violences faites aux femmes en 2019, la gendarmerie a renforcé son engagement dans les suivis et accompagnements des victimes de violences conjugales, relate l’adjudant Nelly Maurin. Les départements étant dépourvus de Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile, celles-ci ont donc créées. Elles ne concernent que les zones Gendarmerie. Celle du Vaucluse a été fondée en septembre 2020 et est devenue une Maison de Confiance et de Protection des Familles le 1er janvier 2021. Les Brigades de Prévention de la Délinquance Juvénile existantes – par exemple celle des Bouches-du-Rhône- ont été rebaptisées Maisons de Confiance et de Protection des Familles à la même date. »

A quelles demandes répond la création de cette Maison de la confiance et de la protection des familles ?
« Cette unité a vocation à traiter du foyer et de la sphère privée avec l’accompagnement et le recueil de la parole de la victime, la protection de la famille. Que ce soit dans le cadre des violences intrafamiliales ou lors des préventions. Les différentes missions sont les actions de prévention ; la protection des victimes avec accompagnement et suivi ; L’appui aux unités territoriales avec la prise d’audition des victimes particulièrement vulnérables/sensibles et également les auditions des mineurs grâce à une formation spécifique qui nous le permet : La coordination, car nous faisons le lien entre les divers partenaires et les victimes afin que celles-ci soient orientées et conseillées au mieux dans leurs démarches sociale, éducative, psy, financière … Nous sommes le point d’entrée de la victime. »

Cependant, notre unité n’a pas vocation à accueillir du public comme une unité territoriale classique.
En revanche, nous pouvons recevoir les partenaires et interlocuteurs -bailleurs sociaux, associations-… Pour le département du Vaucluse, il s’agit d’une démarche ‘d’aller vers’ le public, la population. C’est nous qui nous déplaçons vers les victimes soit à l’unité, ou pour les plaintes hors les murs, qui consiste à aller à la rencontre des victimes. Cela peut se passer à l’arrière boutique d’une boulangerie ou du coiffeur, en toute discrétion. »

A quelles situations êtes-vous confrontées ?
« Nous intervenons principalement dans le cadre des violences intrafamiliales (Vif) mais nous avons différents champs d’action détaille le Maréchal des logis chef Shirley Vallalta, tels que la discrimination, les addictions rentrant dans le champ pénal et les usages numériques à risque. En parallèle des violences intra-familiales, nous sommes sollicitées lorsque des mineurs sont victimes d’infractions de nature sexuelles, ou victime de harcèlement, cyber-harcèlement et également victimes ou co-victimes de violences intra-familiales. »

De G à droite le maréchal des logis chef Shirley Vallalta, l’adjudant Nelly Maurin, la psychanalyste Dominique Guéroult-Thibault
et la responsable de la communication du Soroptimist International Avignon, Michèle Michelotte

Quel est votre rôle ?
« Nous ne faisons pas de suivi à la Maison de Protection des Familles au sens propre, précise l’adjudant Nelly Maurin. Nous traitons uniquement la partie judiciaire. Toutefois, nous réorientons les victimes vers les différents partenaires notamment France victimes, l’Association de Médiation et d’Aide aux Victimes, via notre Intervenante Sociale en Gendarmerie qui, elle, fera le lien avec les structures comme Rheso, des centres d’information sur les droits des femmes et des familles, la Maison Départementale de l’Autonomie, en vue d’un accompagnement adapté pour chacune d’elles. »

Pourquoi est-il si important de former les gendarmes à la réception et à l’écoute des personnes qui viennent demander de l’aide ?
« Les Violences intrafamiliales sont un fléau de masse, témoigne le Maréchal des logis Shirley Vallalta. La sensibilisation au concept de l’emprise permet aux personnels de la gendarmerie de se mettre à la place des victimes et ainsi d’améliorer leur accueil. Nous leur offrons des clés pour faire face à cette problématique et ainsi aider à la libération de la parole. »

Le cycle de la violence
« Il y a tout d’abord un climat de tension, l’agression où peuvent s’inscrire toutes sortes de violences, puis la justification avec sa cohorte d’excuses, et, enfin, la séduction pour se faire pardonner et essayer de faire oublier à la victime ce qu’elle a vécu, développe le Maréchal des logis Shirley Vallalta. Une fois le cycle consommé, l’emprise s’installe peu à peu, en se reproduisant encore et encore jusqu’à ce que la personne essaie de s’en sortir. »

Le besoin de protection interviendrait 7 fois avant la prise de conscience
« Statistiquement, ce cycle se reproduira 7 fois – en l’espace de quelques jours, semaines, mois ou d’une vie- avant que la victime ne porte plainte », analyse l’adjudant Nelly Maurin. Nous proposons des formations aux gendarmes ainsi qu’aux agents hospitaliers et personnels de mairie, pourquoi ? Parce que parfois, c’est en allant payer la cantine, pour leurs enfants, que des mères de famille se confient car ces personnels -que nous appelons personnel ressource- sont les seules personnes à qui ces femmes peuvent parler. Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont en contact avec personne d’autre. Pourtant, il y a des victimes que l’on ne pourra pas aider, soit parce qu’elles ne veulent pas, soit parce qu’elles sont dans le déni. »


Une centaine de personnes était présente pour cette soirée Soroptimist donnée au profit de l’association avignonnaise Adaïkalam
pour soutenir la Maison d’Agathe, un orphelinat de 22 petites filles et adolescentes à Pondichéry, en Inde.


Est-ce que le prédateur est conscient ? demande une personne dans la salle

« Est-ce que le prédateur est conscient de ses actes ? Oui répond l’adjudant Nelly Maurin parce qu’il a choisi sa proie. Certain ssont si intelligent dans leur façon de procéder, que l’emprise est presque indécelable.  »

La société est faite pour les couples
« La société est faite pour les couples, ajoute la psychanalyste Dominique Guéroult Thibault. Le 1er bénéfice matériel de la victime est qu’elle vit en couple et qu’elle a fondé une famille. Le second bénéfice psychologique est de nourrir sa fragilité, sa quête d’amour inassouvi. La victime ne peut pas s’en aller parce que les deux bénéfices existent. Elle ne pourra partir que lorsqu’elle sera consciente de ce qui se joue. Elle ne pourra être aidée que par des professionnels de l’écoute. Il lui faudra accepter sa part de responsabilité psychique -même si c’est dur de dire cela- et se déconditionner pour se reconstruire. Elle deviendra ainsi ce qu’elle est réellement. Elle n’attirera plus les relations toxiques, mais des relations d’échanges, où elle sera parfaitement elle-même et en capacité de s’exprimer pleinement, de dire cela me convient ou cela ne me convient pas. »

Nelly et Shirley, pouvez-vous témoigner d’un cas ?
« En septembre 2020, un de nos partenaires –La maison des adolescents– a signalé une personne qui a fini par porter plainte, là, seulement en début d’année. Au départ, un adolescent était suivi dans cette structure qui demande également à rencontrer les parents. C’est là qu’il y a eu détection. Il s’agissait de la mère. Celle-ci a du faire son chemin, tout d’abord pour accepter ce qui avait été mis au jour, un problème intrafamilial. La personne a du être relogée avec ses enfants, dont certains en bas âge », passer le permis de conduire -car elle habitait en zone rurale- et se reconstruire. »

Enfance maltraitée et prédation

« Il est important de faire suivre les enfants car l’on s’est rendu compte que les prédateurs avaient, souvent, été des enfants maltraités, distingue la psychanalyste Dominique Guéroult Thibault. Ainsi, l’on stoppe la cascade générationnelle. Les enfants témoins de cette maltraitance sont tout aussi victimes de la maltraitance. Il subissent les scènes, devenant prisonniers du conflit de loyauté. Il faut là aussi, libérer la parole pour que les enfants ne se sentent pas responsables. »

Brigitte Nicolle, Présidente du Soroptimist International Avignon a présenté la soirée qui se clôturait par un pot de l’amitié


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