Oui, il y a un petit bout de Madagascar en Provence à Saint-Didier où je viens juste d’arriver. La porte s’ouvre sur l’odeur un brin épicée du raphia. Je retrouve le centre d’arrivage, de stockage et d’expédition de marchandises d’Ibeliv. Chapeaux, sacs et accessoires souvent doublés d’étoffe, passepoilés de cuir, sont toujours aussi soigneusement étiquetés et empilés par références et couleurs.
Liva Ramanadraibe, le fondateur et dirigeant d’Ibeliv ici avec la marraine de l’entreprise l’animatrice Véronika Loubry. Copyright Ibeliv
Je me remémore notre première rencontre. Liva Ramanadraibe aurait pu rester l’expert-comptable auquel la vie l’avait destiné mais le désenchantement l’avait déjà étreint moins d’un an de vie dans l’entreprise. Les quatre murs blancs d’un bureau anonyme, les 5 semaines réglementaires de vacances annuelles et sans doute l’ombre de ses collègues l’avaient définitivement convaincu que sa vie lui appartenait plus qu’aux autres.
Alors même qu’il n’avait plus rien.
Il décida de forger sa propre vie, même s’il lui fallait, pour cela, en taire tous les aléas et… sourire. La réussite réclame des sacrifices auxquels il consentit sans ciller : «Quand on n’a rien, on ne prend pas de risque, avait lâché Liva Ramanadraibe, et à Madagascar beaucoup de gens vivent avec très peu.»
En haut de l’escalier,
le chef d’entreprise descend à ma rencontre. C’est à l’étage que tout se décide. Deux importantes tables, dont l’une ponctuée de grands écrans Mac, proposent des espaces de travail. Évidemment le show-room dispense au regard de chacun les prototypes classés ‘secret-défense’. Tout le monde baigne dans l’atmosphère des créations du patron, d’une île lointaine et luxuriante dont les terres et confins marins n’ont pas été explorés. C’est peut-être mieux ainsi.
Une machine à coudre très ancienne,
magnifiquement ouvragée trône en bonne place sur la mezzanine. Elle s’apprête à partir à Mada, en container. «Une personne -que je remercie infiniment- m’a cédé à prix symbolique cette magnifique machine à coudre des années 1900 en parfait état de marche conçue pour coudre tous les tissus et formidablement bien le cuir. Regardez : l’arbre de la machine, articulé –d’un simple mouvement de rotation- permet au pied de coudre dans toutes les directions, empruntant même la marche arrière. Cette ingénieuse machine a été élaborée pour faciliter le travail et œuvrer sur la durée. A l’époque on pensait déjà à cela,» souligne Liva Ramanadraibe. Le lieu de travail est inspirant, empli de la réalisation de ses croquis, des détails qu’il a imaginés. Il a conservé son habitude de chiner. «J’aime ce qui est beau et tous ces objets qu’ils soient miens où venus d’autres horizons m’inspirent.»
Copyright Ibeliv
Au moment où le monde s’agite,
où le temps file, où la surconsommation d’objets plastique à bas prix inonde le monde, Liva Ramanadraibe n’en prend même pas le contrepied. Il reste lui-même : Ambassadeur de l’ile de son cœur, des femmes et des familles dont il veut assurer un avenir plus serein et fécond. Et, surtout, de donner l’opportunité à chacun de trouver sa place. L’élément le plus important de sa vie ? La famille, la première cellule vivante de la société complètement liée à l’esprit de solidarité. Je lui demande alors pourquoi les malgaches connaissent la solidarité quand nous connaissons l’isolement. Il me répond que c’est le confort qui a induit l’isolement.
Et pour faire société, il rencontre le monde
On dit des insulaires qu’ils sont de grands voyageurs. Une envie de toucher l’horizon pour découvrir le monde. Liva Ramanadraibe en fait partie qui a tissé des liens avec de nombreux partenaires sur toute la planète. Leur soumettant ses idées, ses dessins. «La plupart du temps ils me disent que mes projets sont impossibles à réaliser. Alors nous nous parlons, nous nous écoutons beaucoup, nous nous revoyons, nous nous reparlons, et puis un jour, l’un d’eux me montre des prototypes parfaitement exécutés et me dit qu’il n’aurait jamais pensé y arriver. L’objet est la preuve que chacun est allé jusqu’au bout de son idée, se confrontant à adapter et à inventer de nouvelles techniques pour y arriver. C’est là que résident toute la difficulté, la confiance que l’on y met et c’est aussi là que l’on réussit à transformer une idée en quelque chose de plausible.»
Avec Liva Ramanadraibe les silences sont plus importants
que les paroles. Sa présence profonde à l’instant est palpable. Sa conscience immédiate à ce qui se joue. Il est beaucoup dans le mouvement, marchant, montrant, expliquant, me faisant éprouver le confort du dernier fauteuil design sur lequel il travaille. La gageure ? Un fauteuil qui se discerne à peine dans la pièce, un peu comme en lévitation. L’idée ? S’asseoir sur un nuage, une assise presque immatérielle. J’essaie. Oui, je suis sidérée, ce fauteuil tient parfaitement sa promesse. Mais déjà il détaille, sur les cintres, le travail des femmes sur ces étoffes où coupes et broderies se mêlent là encore en un ballet aérien. La robe que je tiens en main a réclamé un mois de travail.
Il crayonne ses idées,
afin de les partager avec ses partenaires un peu partout sur la planète. Sa source d’inspiration ? Son île et juste après le monde entier, pour respirer le passé, le présent et l’avenir, humer le destin des hommes qui se transforme, capter un peu de cette conscience collective qui indique le bon chemin. Chaque personne dispense avec elle sa magie et celle de Liva Ramanadraibe lui a été transmise par sa maman, Tiana qui lui a confié de ‘Toujours écouter son cœur’. Mais il y a autre chose. Je crois que j’ai en face de moi un tigre entré dans la peau d’un sage.
Le Raphia -le terme désigne autant l’arbre que la fibre- de Madagascar. Copyright Ibeliv
Pour les 10 ans d’Ibeliv
«Pour les petits nous sommes grands et pour les grands nous sommes des petits», c’est sur cette phrase -commercialement énigmatique- que nous nous étions quittés. Aujourd’hui ? Ibeliv fête ses 10 ans, et pour cela lève un tout petit bout de voile sur son histoire, en images, avec les photos de son ami photographe, John Landers et ses propres mots, de percutantes légendes. «10 ans, cela veut aussi dire que nos bases sont solides et que l’offre commerciale peut commencer à se diversifier autour de l’art de vivre ‘lifestyle’ : chapeaux, sacs, mode, mobilier, tapis en raphia et cuir, parfum de maison… Ibeliv, c’est tout un univers.»
Le cœur de la réussite
d’Ibeliv est donc la recherche et développement ? «C’est vital, affirme Liva Ramanadraibe. C’est d’ailleurs sans doute ce qui a manqué aux grandes et redoutables enseignes qui ont pignon sur rue mais qui sont en réalité très fragiles –avec ces grandes vagues de fermeture- parce qu’elles n’ont pas su s’adapter à l’air du temps. Elles n’ont pas su répondre à la demande. Le vrai problème ? Le manque de cohérence qui surgit lorsque le choix n’est plus entre les mêmes mains. Le propre de l’entrepreneur est de savoir se mesurer aux ratios et à la concurrence. Mais ça n’est pas d’avancer à l’instant T qui compte, mais comment on avance et quel est notre potentiel. C’est là que l’on revient à l’essentiel : Conserver sa liberté, rester indépendant et continuer à grandir en autofinancement. La clé de la réussite d’Ibeliv est sûrement là.»
Etes-vous impacté par la conjoncture internationale et nationale,
l’attente des élections américaines, du nouveau gouvernement français ? » La situation est très complexe, pour tout le monde. Cependant Ibeliv, marque de luxe, travaille au plan mondial. Nos créations sont à la fois inventives et classiques, non marquées par le temps. Je crois aussi que les gens revoient leur mode de consommation. Le plus important pour s’inscrire dans le temps est de respecter les consommateurs. Et Ibeliv offre des produits qui ont du sens, utilisables toute l’année –le raphia est une fibre très solide et qui se patine joliment avec le temps. Des ouvrages bien réalisés qui perdureront dans le temps.»
Copyright Ibeliv
Pour marquer ce cheminement,
qui mène de l’idée à sa réalisation, et surtout à son impact sur la vie de 2 000 familles à Madagascar, un sobre ouvrage de 80 pages. Des photos réalisées in situ et juste l’essentiel des mots : La passion du beau ; L’envie d’esprit collectif ; Un travail de création et d’exécution finement réalisé ; La préservation d’une ile à la nature sacrée ; Le travail du raphia et la transmission d’un héritage ancestral enrichi de modernes savoirs. Et avant tout cela, une intention : «Faire du beau en faisant du bien.»
Il ne s’approprie pas l’aventure
Liva Ramanadraibe dit juste qu’il l’a initiée et que cet ouvrage pose un souhait, une idée, une réalité tangible dont il veut «qu’elle chemine et perdure longtemps, après lui, portée par les futures générations.» Le début de l’aventure est donc marqué par la publication du premier ouvrage d’Ibeliv, au titre éponyme.
Sur la couverture deux mains encerclées forment un cœur
au-dessus d’un ouvrage dont le tressage en raphia a commencé. Les photos de John Landers retracent l’invitation au voyage faite par Liva Ramanadraibe, durant l’hiver dernier, alors que la présentation de l’île à son ami s’est d’un seul coup transformée en shooting improvisé.
Copyright Ibeliv
Ibeliv c’est quoi ?
Ibeliv est une marque luxe d’accessoires de mode –chapeaux, sacs, accessoires, objets lifestyle- conçus par Liva Ramanadraibe. C’est une philosophie, aventure humaine et le goût du collectif. C’est montrer et diffuser dans le monde des accessoires de mode élégants, raffinés, transmissibles de génération en génération dans un état parfait parce qu’ils ont été conçus et réalisés avec une rigueur haute couture.
Derrière ? C’est bien plus
Ce sont des bâtiments pour une école et l’accès à l’éducation et à l’enseignement ; des partenariats avec un dispensaire de santé en collaboration avec le système de soins des Nations Unies –Manampy qui veut dire aider en malgache- et là tout de suite ? L’emploi de 2 000 femmes artisanes employées à Madagascar ; 700 distributeurs dans le monde ; Une croissance annuelle à deux chiffres depuis 2014 ; Plus de 600 000 accessoires Ibeliv portés dans le monde et, enfin, un site internet en français et anglais ibeliv.fr.
La matière première
L’exploitation du raphia –mot qui désigne autant l’arbre que la fibre- c’est aussi la préservation du palmier qui s’épanouit en zones de forêts humides difficilement accessibles. La matière première y est prélevée de façon traditionnelle -seulement 30% des jeunes pousses- tout en préservant l’arbre avant que la fibre ne soit longuement travaillée, séparée, ébouillantée, teintée, séchée puis mise en ballot. Les fruits du Raphia possèdent également de nombreuses vertus médicinales, connues et utilisées localement.
Précédent article sur ce même sujet ici