Le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables renforce son engagement contre l’exercice illégal de la profession «Parce que lutter contre ce fléau, c’est protéger et accompagner les entrepreneurs et préserver l’économie», raison pour laquelle l’Ordre déploie une campagne de communication plutôt offensive.
«Dans le contexte actuel, certaines entreprises TPE/PME (très petites et moyennes entreprises) ou artisans fragilisés deviennent des cibles privilégiées de l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable », indique Marie Alvarez-Garzon, présidente de la Commission exercice illégal du Conseil supérieur, «nous assurons une lutte continue contre ce fléau pour protéger et accompagner les entreprises, mais aussi pour préserver la confiance dans notre métier et l’image de notre profession. Malgré tout, il sévit toujours, alimenté par l’ingéniosité féconde et la malhonnêteté protéiforme des ‘illégaux’.»
Une profession très règlementée
La profession d’expertise comptable est une profession règlementée, il suffit pour s’en convaincre d’une consultation de l’annuaire de l’Ordre sur le site www.experts-comptables.fr pour obtenir l’assurance de l’inscription de son expert-comptable au Tableau de l’Ordre, couvert par une assurance civile de responsabilité professionnelle, tenue par ailleurs, au respect des normes et de la déontologie.
Une nouvelle campagne de communication
La nouvelle campagne de communication, diffusée en septembre et octobre de cette année, en presse nationale, écrite et numérique, magazines et médias spécialisés, s’appuie ainsi sur deux affiches présentant un visage avenant mais des yeux masqués par un bandeau signalant le bon réflexe : consulter l’annuaire de l’Ordre ! Les affiches sont déclinées pour le support numérique en bannières web, publications pour les réseaux sociaux, kakémonos…
Afficher patte blanche
Aujourd’hui, en France, 21 000 experts-comptables et leurs 130 000 collaborateurs accompagnent 2 500 000 entreprises, principalement des PME et des TPE. En 2019, 197 nouveaux dossiers d’exercice illégal ont été ouverts, et 116 constitutions de partie civile (plaintes devant les juridictions pénales) ont été délivrées par le Conseil supérieur ces 2 dernières années. Ces activités illicites sont passibles de sanctions pénales lourdes comprenant une peine d’emprisonnement d’un an et 15 000€ d’amende.
Le rôle de l’expert-comptable
L’expert-comptable exerce une profession libérale. Il est titulaire du diplôme d’expertise comptable (bac+8) et est inscrit au Tableau de l’Ordre des experts-comptables. Il est lié à l’entreprise via une ‘lettre de mission’ pour réviser et apprécier les comptabilités des entreprises ; tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller, redresser et consolider ces comptabilités. Le professionnel est le garant de la régularité des documents comptables. Il s’assure que chaque acte ou fait juridique est correctement traduit dans les comptes de l’entreprise. Par ailleurs, l’expert-comptable respecte un code de déontologie, se soumet à des contrôles qualités et est détenteur d’une assurance responsabilité civile professionnelle. Ses compétences professionnelles sont régulièrement mises à jour lors d’heures de formation obligatoires et annuelles. Si un comptable est autorisé à faire la saisie des données pour l’entreprise celle-ci doit être transmise à l’expert-comptable pour établir le bilan et les autres analyses de son ressort.
Les risques encourus par l’entreprise
«La traque aux faux experts-comptables a permis une augmentation de 33% entre 2014 et 2015 du nombre de condamnations pour pratique illégale de la profession dans les 4 grandes régions économiques en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes.
L’image de la profession
Les agissements des illégaux nuisent à l’image de la profession et portent préjudice aux entreprises qui, abusées par les illégaux, confient leur comptabilité avec tous les risques, notamment commerciaux et fiscaux, sans aucune assurance professionnelle.
Des réseaux illégaux transrégionaux
Les réseaux d’illégaux étant souvent transrégionaux, un mouvement concerté des représentants de la profession s’est engagé associant les quatre grandes régions économiques : Provence-Alpes-Côte d’Azur, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes, dans la lutte contre les illégaux. «Notre profession doit être en première ligne dans ce combat car, au-delà du danger pour les entreprises et la société, ce fléau représente une concurrence déloyale vis-à-vis des cabinets», souligne Mohamed Laqhila président de l’Ordre régional Marseille-Paca.
Falsification des comptes et… des valeurs
«La menace à court-terme est une falsification de nos valeurs, de notre valeur ajoutée qui constituent la marque Expert-Comptable. Liée au financement du terrorisme et à des activités criminelles nationales et transnationales, la lutte contre les illégaux de notre profession est passée dans une autre dimension et ne peut réussir qu’à travers l’amplification de nos efforts ainsi qu’une répression sévère de ce délit», précise le président.
L’Ordre des experts comptables Marseille Provence-Alpes-Côte d’Azur
La profession en Provence-Alpes-Côte d’Azur compte 2175 cabinets d’expertise-comptable, 1986 experts-comptables et 472 stagiaires experts-comptables. Elle est réglementée par l’ordonnance n° 45-2138 du 19 Septembre 1945.
Interview de Nadia Esposito, expert-comptable chez Axiome associés à Avignon.
L’Ordre des experts-comptable vient de lancer une campagne sans précédent contre l’exercice illégal du métier d’expert-comptable. Celui-ci est-il de plus en plus prégnant ?
«L’exercice illégal de notre métier n’est pas plus visible ni plus croissant qu’auparavant, le sujet traité est un choix de l’Ordre qui veut ainsi communiquer davantage auprès des dirigeants. C’est un rappel qui insiste sur la réelle nécessité de faire la différence entre un professionnel inscrit au Tableau de l’Ordre des experts-comptables et des personnes qui se font passer pour des cabinets comptables alors qu’ils ne le sont pas. Les chiffres sont clairs, en 2019, 197 nouveaux dossiers d’exercice illégal ont été jugés et 116 dossier ont été portés en partie civile. Ça peut paraître peu mais, pour nous, il était important de faire reconnaître la carte de visite et la signature de l’expert-comptable car elles induisent le respect de normes, d’une déontologie et, surtout, que nous avons dûment contracté une assurance responsabilité civile professionnelle alors que les ‘illégaux’ ne sont pas assurés. Si ceux-ci se ‘trompent’ dans une déclaration fiscale ou sociale comme les bulletins de salaire, le chef d’entreprise reste totalement démuni car il ne pourra pas se retourner contre ces ‘faux’ professionnels. Le chef d’entreprise ‘trompé’ aura à assumer, seul, la totalité du coût du redressement inhérent.»
Comment cela se vérifie-t-il, comment ces informations viennent-elles à vous ?
«L’information provient souvent de prospects travaillant avec des ‘illégaux’. Ce sont des chefs d’entreprise ou dirigeants d’association, le plus souvent insatisfaits de la qualité du travail fourni, qui, venant nous consulter confessent : ‘Ma comptabilité est tenue par M. ou Mme X’ … ».
Face à ce témoignage comment réagissez-vous ?
«Nous alertons le chef d’entreprise sur les risques qu’il encourt en cas d’absence d’assurance de responsabilité civile et du danger de ne pouvoir se retourner contre la personne à qui il a confié la tâche de déclarer la TVA, de dresser un bilan comptable… Souvent c’est d’ailleurs le banquier qui alerte le client en soulignant : «C’est bien, vous m’avez montré votre bilan mais celui-ci ne ‘tient pas la route’… Je pense que vous devriez consulter un vrai professionnel, car ce que vous m’avez montré semble inexact, voire ‘bidouillé’. Le banquier est, en effet, le premier à demander des documents vérifiés et certifiés. Il relève tout de suite les incohérences.»
Que risque celui qui met en place ce système illégal ?
«Le chef d’entreprise risque en premier lieu de se voir remettre une mauvaise qualité de service, une non-reconnaissance, par le banquier, d’un projet à mener, un lourd questionnement, toujours du banquier, devant une signature inconnue parce que l’expert-comptable engage sa responsabilité avec sa signature !»
Quels sont, pour les entreprises, les bons réflexes à adopter pour éviter toute déconvenue ?
«Le bon réflexe, en 1er lieu, est de consulter l’annuaire de l’Ordre des experts-comptables pour s’assurer de l’inscription de son expert-comptable au Tableau de l’Ordre. Ainsi, l’on sait tout de suite si le cabinet est bien inscrit au tableau de l’Ordre.»
Pourquoi ce ‘marché’ illégal existe-t-il ?
«Il existe soit par méconnaissance, soit parce que l’illégal fait miroiter au client des honoraires très bas pour un ‘pseudo’ travail identique. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas du tout les mêmes obligations que les professionnels : accès à la documentation, obligation de contracter une RCP assurance responsabilité civile professionnelle, de formation. C’est un calcul à court-terme. Si le discours peut séduire, le client ne se rend absolument pas compte du risque qu’il endosse !»
L’exercice illégal du métier d’expert-comptable revêt quelles réalités ?
«C’est un peu comme la différence entre un auto-entrepreneur et un artisan inscrit à la Chambre des métiers ! C’est comparer ‘Jojo le bricoleur’ à un ébéniste –ou autres- de métier. L’illégal ne fait rien dans les règles de l’art, on reste dans l’à peu-près…».
Mais peut-être qu’une comptabilité ‘nébuleuse’ peut faire l’affaire de certains ?
«C’est possible, mais ils oublient –toujours- la prise de risque sans possibilité de se retourner contre le sous-traitant. Les experts-comptables collaborent à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous avons l’obligation de révélation à Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) lorsque nous observons, dans l’activité même de la personne, des pièces ‘bancales’. Notre métier, c’est traduire une activité économique : des achats, des ventes, des relations employeur-salariés, clients-fournisseurs. Au moment de traduire ces flux, parfois, on se retrouve face à des incohérences. Nous sommes alors soumis à cet effet de révélation auprès de Tracfin. Là, fini l’ordre de mission. On dit au client : ‘Nous ne pouvons pas travailler ensemble car ce que vous faites ne répond pas aux normes’. Ces obligations de révélation à Tracfin sont de plus en plus appuyées par le Gouvernement tout comme auprès des banques et des notaires. C’est souvent le chef d’entreprise ‘bidouilleur’ qui ira voir le comptable idoine. Ces prospects-là ne viendront pas chez nous puisqu’ils veulent passer sous les radars.»
Si on parlait déontologie, respect des normes ?
«Nous avons des obligations de formation, de révélation à Tracfin, de respect des normes comme, par exemple, un expert-comptable ne peut superviser qu’un nombre limité de personnes pour atteindre ses objectifs qualité alors que l’illégal pourra en encadrer autant qu’il voudra avec, bien sûr, beaucoup moins de contrôles des chiffres qui sortent … La déontologie, elle, est plus tournée en interne, elle consiste à ne pas se dénigrer les uns les autres, à ne pas se faire concurrence. La règlementation fiscale, comptable, sociale, dans notre métier, se modifie en permanence, particulièrement en ces temps de Covid-19 où les textes changent tous les jours avec, par exemple l’activité partielle de longue durée qui n’existait pas avant la pandémie -, des décrets, des ordonnances sortent pratiquement toutes les semaines… La législation change en permanence sur des sujets importants, toujours dans l’intérêt commun et collectif, des chiffres qui doivent traduire une situation réelle et non pas conduire à masquer des situations ou à induire des faits falsifiés comme faire croire qu’il n’y a pas de dettes, ou que le bénéfice est plus élevé. Lorsque nous apposons notre signature, nous attestons que la situation est sincère et véritable et qu’elle traduit bien la réalité du patrimoine et des opérations financières de l’entreprise ou de l’association.»