Dans son discours du 2 octobre 2020, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé vouloir rendre obligatoire l’instruction à l’école de 3 à 16 ans dès la rentrée 2021. Le projet de Loi devrait être présenté le 9 décembre.
«Cette annonce attaque directement un droit fondamental encadré par la Loi (art. L131-5 du code de l’éducation) et inscrit dans la déclaration des Droits de l’Homme (art. 26-3) : le droit pour les parents de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants,» remarque un couple qui a choisi, pour ses enfants, l’instruction en famille.
L’instruction en famille, une liberté séculaire
«L’instruction en famille est ainsi une liberté séculaire qui offre aux parents une alternative à l’école publique pour diverses raisons : respect du rythme des enfants, possibilités pédagogiques plus larges et mieux adaptées à chaque enfant (cours par correspondance, pédagogies alternatives, apprentissages libres et autonomes…), philosophie de vie, pallier des difficultés temporaires… » détaille cette même famille. Selon la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), la souffrance scolaire (harcèlement, racket, violence…) est la cause la plus fréquente du retrait d’enfants de l’Éducation nationale. «Une issue de secours donc. Sa suppression ferait de notre République une dictature basée sur un seul et unique modèle éducatif, censurant le pluralisme qui fait la richesse d’un pays et créant ainsi du sectarisme d’État.»
Amalgame
Le Président de la République, Emmanuel Macron, lors de son discours du 2 octobre 2020, évoque «un nombre croissant d’enfants non scolarisés ; des enfants confiés à des femmes en niqab dans des écoles aux murs presque sans fenêtres et suivant des cours et des prières ». Les termes de séparatisme, d’islamisme radical ne sont pas nommés, pourtant les références ‘niqab’, ‘prières’, ‘écoles aux murs presque sans fenêtres’, etc. sont bien là pour poser le sujet. «Le Président opère là un amalgame entre l’instruction en famille, juridiquement circonscrite, et une clandestinité où semble se développer les germes d’un extrémisme religieux à visée terroriste », soulignent Bruno et Linda.
«Le Président opère là un amalgame entre l’instruction en famille, juridiquement circonscrite, et une clandestinité où semble se développer les germes d’un extrémisme religieux à visée terroriste », soulignent Bruno et Linda.
Une affirmation hors sujet ?
En effet, poursuit le Président, «Chaque semaine, des recteurs et rectrices découvrent des enfants totalement hors système. Chaque mois des préfets ferment des ‘écoles’ – car elles ne sont pas même déclarées comme telles – illégales, souvent administrées par des extrémistes religieux. »
«L’État semble donc bien faire son travail, de police d’une part pour lutter contre la clandestinité islamiste, de contrôle d’autre part pour encadrer l’instruction en famille, ces deux actions n’étant pas liées l’une à l’autre… » S’étonne-t-on dans la sphère de l’instruction en famille.
Le maire et le directeur d’académie
Pour ceux qui choisissent l’instruction en famille le process reste le même : avant chaque rentrée scolaire, les parents de l’enfant déclarent au maire de leur commune et au directeur académique des services de l’Éducation nationale (Dasen) que l’instruction sera donnée dans la famille. Si le changement se fait en cours d’année, la famille a huit jours pour faire la déclaration. Le défaut de déclaration est passible d’une contravention de cinquième classe (art. R131-18 du code de l’Éducation).
Lorsque l’on déscolarise l’enfant
L’Académie assure un contrôle annuel au moins 3 mois après la déscolarisation de l’enfant, contrôle qui peut être inopiné. Ce processus a pour but de vérifier qu’une instruction est bel et bien dispensée à l’enfant afin de l’amener à maîtriser le socle commun des connaissances défini par le code de l’Éducation (art. L122-1-1) entre ses 3 et 16 ans (compétences, connaissances et progression de l’enfant). Des exercices peuvent être demandés à l’enfant pour vérifier ses acquisitions.
En cas de résultats jugés insuffisants
En cas de résultats jugés insuffisants, une deuxième rencontre est prévue dans un délai d’un mois ou plus afin d’observer une évolution des acquis de l’enfant. Si ceux-ci se révèlent insuffisants, le directeur académique pourra imposer aux parents d’inscrire l’enfant dans un établissement scolaire (public ou privé) dans les 15 jours qui suivent la notification. Tout manquement à cette injonction est passible d’une peine de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende (art. 227-17-1 du Code pénal).
Les chiffres de la déscolarisation
Le nombre d’enfants instruits en famille serait passé d’environ 36 000 en 2018-2019 à 50 000 en 2020 selon la DGESCO. Pourtant, cette augmentation s’explique essentiellement par l’obligation, depuis 2019, d’instruire les enfants dès l’âge de 3 ans (contre 6 ans auparavant). Par ailleurs, la reprise de l’école pour les enfants, avec le masque et la distanciation physique, les consignes de limitation de contact, même pour jouer, imposent aux enfants des conditions de vie inacceptables pour certains parents. Résultat ? Le nombre d’enfants scolarisés a ainsi chuté depuis la rentrée de septembre.
Les chiffres vauclusiens
Joint par courriel, Jean Patoz, directeur académique des services de l’Éducation nationale (Dasen), précise les chiffres pour le département de Vaucluse : 110 000 élèves sont âgés de 3 à 16 ans dont 425 sont scolarisés par le Cned (Centre national d’enseignement à distance) et 573 scolarisés en famille. À la question « Pourriez-vous me donner votre ressenti sur les inspections réalisées auprès des familles pour vérifier le socle des acquis des enfants ? », il répond : « La grande majorité des inspections de contrôle sont satisfaisantes».
Au niveau national
On constate un niveau d’enseignement de plus en plus bas, les professeurs des écoles se plaignant d’engager trop de temps à faire la discipline plutôt qu’à faire cours. « Quelques exemples : près de 20% des jeunes ne maîtrisent pas des fondamentaux de la langue française et pour près de 10%, la lecture est non maîtrisée, au point de s’apparenter à un handicap pour 5% des jeunes (https://www.education.gouv.fr/journee-defense-et-citoyennete-2018-plus-d-un-jeune-francais-sur-dix-en-difficulte-de-lecture-9998), rapportent Bruno et Linda. Seuls 9% des élèves testés par Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) sont encore capables de faire la différence entre un fait et une opinion ! (http://www.slate.fr/story/184872/classement-pisa-jeunes-15-ans-difference-fait-opinion).
L’école en souffrance ?
Dans les années 1990, les élèves français figuraient encore dans le groupe de tête des pays du monde en mathématiques. En 2016, le comparatif international TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) a attribué à la France, à partir de tests réalisés sur des élèves de CM1 et de Terminale S la dernière position en Europe, et de très loin (SOS-éducation).»
Une dangereuse simplification
Alors, est-ce que le Président de la République et le gouvernement préfèrent aller au plus simple ? l’école pour tous, de 3 à 16 ans, un même chemin qui centraliserait au même endroit, au même moment et dans les mêmes conditions tous ces citoyens en devenir ? «Même si beaucoup de familles ne se sentent pas concernées par l’instruction en famille et y voient un danger potentiel faute d’information, avance le couple, chacun pourrait un jour ou l’autre y avoir recours, par choix ou par contrainte. Il s’agit d’une liberté précieuse à défendre.»
Historique
«L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. »
Traduite en ces termes dans le Code de l’Éducation, l’obligation d’instruction décidée par Jules Ferry en 1882 a toujours respecté, en France, la liberté de choix des parents. Si l’instruction est obligatoire, l’école ne l’est pas.
On retrouve la même liberté dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » (article 26-3)
Si certains pays ont rendu l’école obligatoire, comme par exemple l’Allemagne depuis une loi du IIIe Reich du 6 juillet 1938 sur laquelle les Allemands ne sont pas revenus, cette liberté de choix n’avait pas été remise en cause en France jusqu’en 1998. A contrario, l’instruction à la maison est parfaitement intégrée dans les mœurs anglaises, comme le montre le film documentaire Être et devenir de Clara Bellar.
Depuis la loi du 18 décembre 1998, sous le gouvernement Jospin avec le ministre Claude Allègre, le fameux « dégraisseur de mammouth », comme ministre de l’Éducation nationale, les attaques contre cette liberté de choix se sont intensifiées.
En 1998 fut imposée la priorité à l’instruction à l’école et les contrôles des familles devinrent systématiques.
Puis, des mesures ont été introduites régulièrement pour renforcer les contrôles et imposer aux familles de suivre strictement le programme de l’Éducation nationale, ou dernièrement le « socle commun de connaissance et de culture » (cf. loi de 2019).
Deux Familles s’expriment.
Réponse de la famille de Louis et Claire et leurs enfants, Yves, Lucie, Jacinthe et Grégoire
‘Liberté et diversité’
«J’ai du mal à comprendre une telle décision (Ndlr : discours d’Emmanuel Macron du 2/10/20 pour l’abolition de l’instruction en famille dès septembre 2021) parce que je ne vois pas les problèmes induits, que ce soit à titre personnel ou dans mon entourage. Ce que j’admets ? Ce n’est pas un mode de fonctionnement adapté à toutes les familles ni à tout enfant. »
Les points-clefs
« Les deux points-clef ? La liberté et la diversité. Il est capital, dans une démocratie ou dans n’importe quelle société, de laisser faire ceux qui sont le mieux à même de faire. C’est le principe de subsidiarité (selon lequel une autorité centrale ne peut effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur) souvent mis à mal. De par nature, les parents sont –théoriquement- les mieux placés pour savoir ce qui est le mieux pour leurs enfants, l’école étant un outil très intéressant. Cependant, il peut paraître pertinent d’atteindre le même objectif différemment. »
L’objectif ?
«L’objectif ? Que l’enfant soit épanoui, heureux, autonome à l’âge adulte, capable de se mouvoir dans la société, de prendre sa place, ses responsabilités et être citoyen… Et obtenir des diplômes, même si ça n’est pas une fin en soi… La nature aime la diversité. La nature des enfants est diverse. L’école, telle qu’elle est conçue en France, est univoque et propose un cadre très rigide et beaucoup d’échecs scolaires n’en sont pas. Cela veut juste dire que l’école n’est pas forcément adaptée à tous. »
Chez nous
« Chez nous, les deux aînés de 8 ans et 5 ans sont allés à l’école avant 6 ans et après avoir suivi l’Instruction en famille. Notre 3e enfant, âgé de 3 ans bénéficie de l’Instruction en famille avec, en appui, des cours par correspondance de niveau maternelle. Nous ne faisons pas d’obstruction de principe à l’école. Cela relève de la possibilité, de la liberté, d’exercer ce choix, en fonction de l’enfant, de ce qui est bon pour lui, tout cela étant sous le contrôle légal de l’Académie. »
Lettre aux élus
Dans une lettre adressée aux députés et sénateurs de Vaucluse, la famille de Louis explique avoir suivi l’instruction en famille enfant, comme ses frères et sœurs, s’être appuyé sur des cours par correspondance puis avoir intégré le lycée avant l’université et la réussite à plusieurs concours. Dans cette missive, elle dénonce l’amalgame fait avec le radicalisme, des déscolarisations dangereuses et des situations scolaires et sociales calamiteuses, par ailleurs, détectables par des acteurs de la société.
Réponse de Linda, Bruno, Folco 5 ans et Prêle 2 ans et demi
‘La richesse d’un pays ne se résume pas à un seul et unique modèle éducatif’
Même combat pour cette famille qui s’insurge du prétexte de la radicalisation islamiste et de l’injuste amalgame pour supprimer l’instruction en famille. Eux aussi ont écrit aux 5 députés et 3 sénateurs de Vaucluse afin de faire entendre leur désarroi.
Ils précisent :
«Folco, 5 ans, a exprimé son malaise et son ennui à l’école publique dès la petite section. Nous nous sommes par ailleurs régulièrement trouvés en contradiction entre nos valeurs fondamentales et certaines pratiques de l’école : comme par exemple la diffusion systématique de dessins animés les jours de pluie, en remplacement de la récréation et au détriment du jeu si important pour le développement des enfants. Bien sûr, ce n’était qu’occasionnel, mais la démarche nous gêne profondément. De même que l’équipement des maternelles en tablettes numériques alors que les méfaits des écrans sont bien connus.»
Soulagement
«Nous pensions que notre encadrement familial pouvait contrer cela, mais le plus important surtout fut la remarque de notre fils au début du confinement en mars « ha, je peux enfin travailler tranquille ! ». Effectivement, ses progrès ont été remarquables et surtout nous n’avons pu que constater que les activités fragmentées de l’école ne lui convenaient pas et freinaient même son élan d’apprendre. Le jeu favori de notre fils en ce moment consiste à inventer ou reconstituer une ville avec divers jeu (circuit, lego, kapla…). Il s’inspire pour cela de ce qu’il observe et de ce que nous lui faisons découvrir en allant par exemple contacter le Grand Avignon pour qu’il puisse visiter le centre de maintenance où il est désormais bien connu. Ses jeux sont extrêmement bien pensés et construits avec une précision qui échapperait à bien des adultes. Il a besoin pour cela de temps, de réflexion, de respect et d’écoute.»
Apprendre de tout
«Lors de ces jeux il calcule, il écrit, il lit, il épluche les livres techniques que nous lui offrons… Ce travail lui prend une semaine avant d’atteindre son but et de recommencer une autre expérience. À l’école, les enfants jouent, puis rangent, puis lisent ou chantent, puis travaillent de façon dirigée, puis sortent en récréation. Cette fragmentation ne convient pas à notre enfant qui du coup se démotive et s’ennuie. Doit-on l’obliger à subir un rythme qui ne lui convient pas ? Par notre choix, longuement nourri de réflexion et de documentation, nous avons voulu aussi lui montrer que dans la vie il est (encore ?) possible de choisir les orientations qui nous conviennent plutôt que de subir une vie qui ne nous correspond pas comme c’est le cas pour tant de gens.»
Se donner les moyens
«Cela implique de s’en donner les moyens, cela implique aussi des règles et des frustrations. Nos enfants ne sont ni isolés dans une bulle surprotectrice, ni associables, ni sans limites. Ils sont respectés et aimés pour ce qu’ils sont et non pour leurs travaux scolaires. Nous les accompagnons dans leurs passions et souhaitons leur donner ce qu’il y a de plus précieux pour leur épanouissement : notre temps et notre amour. »
Droit à la diversité
«Nous tenons à préciser que notre démarche est tout sauf prosélytique : très loin de nous l’idée de faire de notre choix un mode d’instruction idéal car il ne peut convenir à tous. Nous reconnaissons aussi l’importance de l’école ; c’est pourquoi nous déplorons ses dysfonctionnements dont on observe les répercussions sur notre société.»
Une longue réflexion
«Nous nous sommes donc renseignés auprès d’autres établissements – privés ou hors contrat de type Montessori ou Steiner –, mais les contraintes religieuses, idéologiques, géographiques ou financières nous ont semblé trop lourdes. Aucune structure ne répondait véritablement à notre attente, ni au besoin réel de notre enfant, lequel a un grand désir d’apprendre qui restait inassouvi à l’école, mais aussi un besoin vital de calme, de rencontres, de découvertes variées et de beaucoup de jeux libres pour valoriser ses apprentissages. »
Le déconfinement
« Le confinement a révélé son épanouissement. Notre décision de l’instruire en famille a été le fruit d’une longue réflexion documentée (Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant ; Daniel Pennac, Chagrin d’école ; Charlotte Dien, Instruire en famille ; André Stern, … et je ne suis jamais allé à l’école et Jouer : faisons confiance à nos enfants ; Clara Bellar, Être et devenir (DVD)…). Aujourd’hui, l’instruction à la maison se fait dans la sérénité tout en promouvant des sorties et des rencontres avec de nombreuses personnes, adultes et enfants, conductrice de baladine, chef de gare, chauffeur de taxi, ouvrier, archiviste, petit pépé du quartier, bébé Grégoire, et tous les copains… »
En attendant
En attendant Folco joue et sait qu’on défend ses droits. Ce petit bonhomme passionné et intarissable sur le tram d’Avignon a l’âme d’un architecte-urbaniste-aménageur. Le nez rivé sur le plan de Marseille, il reconstitue une ville imaginaire traversée de trains, ponctuée de ponts, érigée de gare, de centre de maintenance et même d’un train spécialement dévolu aux personnes à mobilité réduite. Il rêve du train qui emprunte le tunnel sous la Manche, de trains-fusées propulsés à grande vitesse dans des tunnels, le transport du futur…
Et Prêle
Tandis que Prêle, petit bout de chou de 2 ans et demi, tout en discrétion et indépendance, entend un jour sa mère réfléchir tout haut se demandant comment elle pourrait bien confectionner un taboulé sans menthe. Ce à quoi la petite fille fait remarquer que dans ce petit coin de verdure, juste là, il y en a, de la menthe, s’empressant de la désigner et de la cueillir avant de la tendre à sa maman Linda. Cette petite fille, qui s’intéresse à la botanique, aux astres et aux animaux, ravit la famille un autre jour en désignant sans erreur le chant d’une mésange que personne n’avait remarqué.