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Le Châteauneuf-du-Pape nouveau est arrivé !

Crédit photo : Emmanuel Chandelier

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A l’issue de son 1er mandat, Claude Avril, maire de Châteauneuf-du-Pape, dresse le bilan de l’action municipale de son équipe. Parti de loin, il a fallu d’abord redresser les finances de la commune, régler plusieurs dossiers épineux comme celui de la brigade de gendarmerie et celui de la traversée du village par une multitude de camions, avant de procéder aux investissements que la nouvelle majorité avait souhaités. Le tout dans une période sévère de baisse des dotations de l’Etat et dans le cadre d’une réglementation de plus en plus immobilisante.

C’était le serpent de mer de la commune : ‘la déviation de Châteauneuf- du-Pape’. Aujourd’hui, pour ceux qui ont un peu de mémoire, c’est presque le symbole de la mandature actuelle. Ce projet de 16M€ prévoyait un tronçon de 2,8 kilomètres, ponctué par 2 ronds-points et 5 intersections, devant permettre de désengorger le cœur du village du trafic routier mais surtout de la noria de camions, dont beaucoup de carriers, qui empruntent les rues trop étroites de la cité de villégiature des papes d’Avignon. Soutenu par l’équipe municipale précédente, le tracé était pourtant très contesté. Il faisait notamment disparaître 7 ha, touchant une trentaine d’exploitations, de la plus vielle AOC (Appellation d’origine contrôlée) de France créée en 1923. De quoi susciter au mitan des années 2000, un avis défavorable du ministre de l’Agriculture malgré une déclaration d’utilité publique par le préfet de Vaucluse d’alors. Dans le même temps, la saisine du Tribunal administratif de Nîmes par les vignerons concernés ainsi que par le Syndicat intercommunal de défense de l’appellation a ensuite débouché sur l’annulation de la déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. Puis, en 2010, la confirmation de cette décision par la Cour administrative d’appel de Marseille a définitivement eu raison de ce dossier. Au grand soulagement d’ailleurs du Conseil départemental de Vaucluse tout heureux de voir enterré ce dossier finalement jugé officieusement « trop onéreux » par le président de l’époque.

■ Presque trop facile ?

Mars 2014, la liste de Claude Avril est élue au 1er tour avec 64,19% des suffrages exprimés. A peine un an plus tard, quelques panneaux de signalisation et un arrêté pris en conseil municipal mettent un terme, à moindre frais, au passage quotidien de centaines de camions dans le village ainsi qu’à près de 20 ans de palabres.

« Cela n’a pas été si simple, tempère le maire. Il a fallu passer en commission préfectorale puis prendre ensuite un arrêté conjoint avec le Département. Et même si plus de 90% des camions ne venaient pas de Châteauneuf-du-Pape, tout cela n’aurait pas pu se faire sans l’accord des villes d’Orange et de Sorgues qui ont su nous entendre. Aujourd’hui, c’est une véritable satisfaction car il ne reste plus que le trafic de desserte et nous avons surtout fait diminuer de moitié le taux de pollution. »

■ Très chère gendarmerie

L’autre grand chantier auquel s’est attelé en début de mandat cet avocat docteur en droit public et droit constitutionnel et ses colistiers a été de renégocier les conditions d’accueil de la brigade de gendarmerie hébergée dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif suite à son transfert depuis Courthézon en 2011. Une situation épinglée par la Chambre régionale des comptes qui, dans son rapport dévoilé en 2015 sur la gestion de la commune, avait mis en avant le poids financier sur la section de fonctionnement de la réalisation de cette gendarmerie. Qualifiant cette opération « d’onéreuse », la Chambre a constaté que la commune avait alors choisi « d’assumer seule le financement du projet sans en avoir préalablement mesuré la soutenabilité financière. »

« On nous explique à l’avance ce qu’on ne peut pas faire… »

Surtout, toujours selon le montage juridique constaté par la Chambre régionale, des clauses « irrégulières » faisaient peser sur la commune, pourtant locataire, les obligations d’un propriétaire. « L’opération ne présente finalement aucun avantage par rapport à un montage classique d’investissement réalisé par la commune. » In fine, pour un investissement d’un montant estimé à 3,72M€, la Ville aurait dû rembourser à terme 8,45M€ en 2039 à la banque partenaire de l’opération, dont 4,76M€ d’intérêts et 3,69 M€ de capital. « Nous avons mis bon ordre à cette situation, explique Claude Avril. Même si les faits étaient prescrits, le rapport de la Chambre régionale des comptes nous a grandement permis d’être en position de renégocier ces taux usuriers. Aujourd’hui, un nouvel emprunt nous permet de moins payer que les charges et les loyers que nous avions auparavant. » Cet emprunt se monte désormais à 200 000€ par an, avec une annuité fixe, contre un loyer de 250 000€ au préalable qui serait passé à 350 000€, voire bondir encore davantage en cas de départ de la brigade. De quoi réaliser un gain d’au moins 2,7M€ sur 30 ans pour la commune.

■ Assainissement des finances

En parallèle, la nouvelle équipe municipale s’est fixée pour objectif d’assainir les finances de la commune. Le tout en pleine période de baisse des dotations de l’Etat.

« Il y a 5 ans nous recevions plus de 228 000€ par an, aujourd’hui nous n’avons plus rien, insiste l’élu castel- papal. Dans un premier temps, cela a diminué de moitié pour atteindre zéro depuis 2018. L’Etat justifie ce chiffre parce que nous disposons de bases fiscales importantes. Il nous a alors fallu compenser les baisses de dotation tout en faisant un maximum d’économies. On a réalisé plus de 13% de baisse des dépenses publiques de fonctionnement en 5 ans. Le tout sans faire de nouvel emprunt, sauf celui de la gendarmerie, afin d’assainir nos comptes sans avoir recours à une hausse de la fiscalité locale. Le problème, c’est qu’avant notre arrivée il y avait 26 emprunts dans la commune, plus ceux de la CCPRO (Communauté de communes du pays réuni d’Orange). Aujourd’hui, il en reste une vingtaine mais auparavant ces emprunts, contractés au rythme de tous les 2 ans, servaient davantage à financer de la trésorerie de fonctionnement. Tout cela est fini maintenant, nous avons mis un terme à cette manière de faire en réduisant substantiellement les dépenses et tous les investissements que nous réalisons sont financés par ce que nous dégageons grâce à nos économies de fonctionnement. Les attributions de compensation de la CCPRO, nous ont aussi beaucoup aidés, elles ont quasi doublé avec 445 000€ contre environ 250 000€. »

■ Recréer des lieux de vie

Malgré le manque de moyens en début de mandat, ce juriste inscrit au barreau d’Avignon intervenant dans les domaines de l’urbanisme, de la construction et des litiges avec l’administration dépendant de la compétence du tribunal administratif, affiche ses ambitions de bâtisseur. « Au niveau des équipements et des lieux on avait 40 ans de retard. Il y a eu plein de belles choses qui ont été réalisées auparavant mais on peut dire que l’on s’est endormi sur nos lauriers à partir des années 1980. Alors dans un premier temps l’urgence a été de décongestionner le centre-ville afin que les gens arrêtent de ‘bouffer’ du pot d’échappement. Ce que nous avons ensuite voulu faire a été de recréer des lieux de vie où les gens se sentent bien et puissent se rassembler. C’est ce que nous avons fait avec la réhabilitation de l’îlot Establet et le réaménagement de la place Jean-Moulin. Maintenant Châteauneuf-du-Pape, ce sont 2 lieux de vie, avec la place de la fontaine déjà existante et la nouvelle place qui nous permet de disposer de 700 m2 d’espace public supplémentaires au centre d’un nouveau pôle d’attraction accueillant de nouveaux commerces. »

■ La matière et l’esprit

« En cas de réélection, notre objectif est de continuer la transformation du village pour que les gens se sentent bien, qu’ils aient envie de rester, de passer du temps, insiste le premier magistrat de cette commune dénombrant 2 200 habitants et 38 agents municipaux. Notre ambition est de faire de Châteauneuf- du-Pape une ville à la hauteur de la renommée de son appellation, de créer un mariage entre la matière et l’esprit en faisant de Châteauneuf un village des sens associant le goût, l’odorat, les jus nécessaires, les paysages… Un endroit où il fait bon vivre, manger et boire. »

Pour animer ce village où l’on consomme un vin d’exception, la municipalité a notamment fait le choix de la culture. Depuis 2015, elle accueille le festival ‘Off’ d’Avignon avec ‘Chato’Off les murs’. L’opération de délocalisation, une première pour le Off, est un véritable succès puisque 200 compagnies sont désormais candidates pour figurer parmi les 5 spectacles retenus pour se produire à Châteauneuf. La nouvelle municipalité a aussi lancé en 2018 les nocturnes littéraires. Des animations qui viennent compléter celles déjà existantes autour de la gastronomie et du vin comme la fête de la véraison, la Saint-Marc, le salon des vins du printemps de Châteauneuf-du- Pape…

« Faire de Châteauneuf-du-Pape une ville à la hauteur de la renommée de son appellation. »

« Il y a eu aussi la Maison Lançon, la maison de la culture, du livre et du tourisme, poursuit celui qui est aussi le président de l’office du tourisme intercommunal de la CCPRO. Grâce à 250 000€ d’investissement nous avons enfin créé un lieu digne de ce nom avec bibliothèque, espace de projection, cave, lieu d’exposition… Le tout accessible aux personnes à mobilité réduite. » Bien évidemment, Châteauneuf entend aussi capitaliser sur sa richesse patrimoniale avec son château, son cœur de village mais aussi sur son passé antique (voir encadré ‘Arausio’ : un désastre militaire pour Rome) ou bien encore la tour de l’Hers située à proximité de la halte fluviale ainsi que la véloroute de la Via Rhôna en cours d’achèvement dans le Vaucluse d’ici 2022 et qui permettra de cibler plus particulièrement les cyclotouristes.

■ L’intérêt de nouveaux investisseurs

« Il faut que nous continuions à accueillir le monde entier à Châteauneuf et notamment beaucoup d’Américains qui viennent pour cet art de vivre. Notre rôle, c’est donc de créer les conditions propices à ce qu’ils se promènent dans le village pour découvrir sa qualité de vie, sa restauration et ses événements culturels. Nous voyons d’ailleurs qu’il y a des investisseurs nouveaux dans le village, confirmant ainsi son attractivité, qui permettent d’attirer de la clientèle dans les commerces et les restaurants. »

■ Les projets à venir

Malgré la difficulté à se constituer des réserves de foncier en raison du prix de la vigne, la commune entend toutefois poursuivre ses projets. « Il y a encore beaucoup à faire en termes d’embellissement du village », continue ce maire qui a souhaité garder la compétence urbanisme pour rester maître de l’attribution des permis de construire sur le territoire de sa commune. La rénovation de la salle des fêtes constitue l’une des priorités dans l’avenir. L’équipement construit en 1978 accueille de nombreux événements dans un cadre qui commence à dater un peu. Ce coup de jeune à déjà commencé aux abords du site avec la création d’un parking, en contrebas de la salle, à la place de l’ancienne piscine. Il faudra cependant prévoir des travaux plus importants pour sa réhabilitation dans les années à venir.

Par ailleurs, la municipalité souhaite aménager un parking de 100 à 200 places près des arènes afin de désengorger le haut du village. Les arènes qui d’ailleurs ont fait l’objet d’un important nettoyage (voir encadré) et dont la commune envisage la transformation en théâtre de verdure. Au Nord de la commune, la SCV (Société des carrières vauclusiennes) devrait arrêter son activité en 2024. « Il faut déjà réfléchir à ce que nous pourrons faire de cette carrière de 25 ha. Des activités saisonnières et de loisirs ou bien des concerts car on peut faire du bruit puisqu’il n’y a personne. » L’autre dossier majeur d’un éventuel second mandat c’est l’avenir du château. Après avoir réalisé la mise en conformité de l’accessibilité du Cellier Pontifical la Ville souhaite désormais pouvoir travailler sur une valorisation du site classé Monuments historiques depuis 1892.

Pour cela, une étude historique a été réalisée par la Drac (Direction régionale des affaires culturelles)en partenariat avec le laboratoire de recherche d’histoire de l’université d’Avignon. « Il faudrait que l’on puisse enfin avancer sur ce dossier », peste le maire face à la lenteur des prises de décisions. Une jungle administrative et un amoncellement de ‘paperasse’ qui n’est pas sans conséquence sur la motivation de l’élu.

Entre les obstacles pour mener à bien sa tâche et le redressement de la capacité financière de la commune lui permettant d’envisager un second mandat avec davantage de moyens, Claude Avril a déjà annoncé qu’en cas de réélection cela serait son dernier mandat. « Il y a la volonté de passer à autre chose mais c’est surtout le fruit d’une certaine lassitude face aux contraintes administratives. »

■ Ne pas devenir un agent d’ambiance

« Nous n’avons plus la liberté d’agir, il n’y a plus que des servitudes administratives, regrette-t-il. Et quand elles ne sont pas dans l’action et dans les textes, elles sont dans l’esprit où on nous explique à l’avance ce qu’on ne peut pas faire… Tout est muselé, tout est paralysé… Parfois, on a envie d’envoyer tout valdinguer en leur disant qu’il n’y a plus qu’à nommer des agents de l’Etat à la place des maires car notre rôle se résume parfois à celui d’agent d’ambiance. Mais dans ce cas-là, à eux de tout assumer : les responsabilités et les pouvoirs car on ne peut pas enlever les pouvoirs d’attribution des maires en leur laissant uniquement les responsabilités. Les ABF (Architectes des bâtiments de France), c’est aussi l’une des autres raisons pour lesquelles on a parfois envie de jeter l’éponge. Il n’y a plus de marge de manœuvre. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, mais qu’on nous foute la paix en nous laissant un minimum de liberté pour imaginer notre village. Quand je pense que l’ABF doit donner son accord sur les essences de fleurs que l’on plante sur notre parking ! »

Ce qui l’incite cependant à continuer, ce sont les perspectives de nouvelles marges de manœuvre d’un éventuel prochain mandat. « La première année de notre mandat nous n’avons pas pu faire d’investissement en raison de la mauvaise santé financière de la commune. Aujourd’hui, nous arrivons à faire près de 500 000€ à 600 000€ d’investissement et à monter à 900 000€ en intégrant les subventions de l’intercommunalité ou du conseil départemental notamment. Nous aurons une pleine capacité d’investissement et une certaine marge manœuvre pour le prochain mandat. Mais dans tous les cas, une mairie ne met qu’un cadre, n’indique qu’une direction. Le contenu c’est ensuite à chacun de l’apporter. »

Dossier réalisé par Laurent Garcia

50% de pollution en moins

Depuis la mise en place de l’arrêté d’interdiction de passage des camions dans le village en juillet 2015, Airpaca, association de surveillance de la qualité de l’air, agréée par le ministère de l’Environnement, a constaté une baisse de 45% du taux de dioxyde d’azote lié à la pollution automobile. Seul désormais est autorisé le trafic de desserte nécessaire cependant à la logistique des nombreuses caves et domaines de la commune.

Arausio : un désastre militaire pour Rome

En l’an 105 avant Jésus-Christ, le 6 octobre se déroula la bataille d’Arausio entre Orange et Châteauneuf- du-Pape. Il s’agit de l’un des plus grands désastres militaires de l’Empire romain. En raison de la mésentente des généraux des deux armées romaines dirigées par le consul Mallius Maximus et le proconsul Servilius Caepio, une coalition de 200 000 barbares regroupant des Cimbres, des Teutons et des Tigurins anéantit plus de 80 000 légionnaires. Aujourd’hui, le massif du Lampourdier, où se situaient les deux camps militaires antiques, fait l’objet de fouilles où l’on découvre ossements et charniers entre Rhône et colline. « Nous avons l’une des plus grandes batailles de l’Empire romain, sa plus grande défaite, constate Claude Avril. C’est incroyable que cela ne soit pas plus mis en avant. Il faut absolument que nous valorisions ce site en travaillant, pourquoi pas, sur une historiographie de la bataille afin de la faire revivre. Et ce, d’autant plus que nous avons du foncier dans ce secteur. Cela nous permettrait également de rattacher Châteauneuf à l’époque romaine alors que l’on a toujours été associé à la période médiévale en faisant remonter notre naissance au IXe ou Xe siècle. »

Les Gardois sont-ils enfin prêts à payer ?

Si avec l’interdiction du transit des camions dans Châteauneuf-du- Pape, le village est plus tranquille, il reste encore un important trafic provenant du Gard de véhicules légers aux heures d’arrivée et de sortie de travail. « On nous parle du vieux serpent de mer de la LEO (ndlr : Liaison Est-Ouest d’Avignon dont seulement un tiers a été réalisé), mais l’autre liaison sur le Rhône entre le Gard et le bassin de vie d’Avignon, elle est à Roquemaure où il y a énormément de circulation des gens qui veulent éviter les encombrements de la cité des papes. Alors même si aujourd’hui il n’y a pas les financements, il a toujours été envisagé de prévoir un pont sur le Rhône entre Le Pontet et Sauveterre, qui pourrait résoudre beaucoup de problèmes. Dans la mesure où il est incontestable que le Gard vit avec le Vaucluse et que, en conséquence il manque plusieurs grandes voies de communication, il faut se poser la question de ce que le Gard ou l’Occitanie sont enfin prêts à payer. »

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