L’Etat veut interdire toute consommation nouvelle de terre pour construire, d’ici 2050. L’artificialisation, réalisée majoritairement dans des petites communes de moins de 2000 habitants, va donc empêcher les français de vivre dans leur maison, sur un bout de terrain. Ce projet de ‘zéro artificialisation nette’ veut mettre un coup d’arrêt à l’exode urbain, en faisant flamber le prix du foncier. Il met le feu aux poudres au Sénat qui découvre une loi laissant les maires sans moyens, ni confiance, pour conjuguer développement et sobriété foncière. Jean-Baptiste Blanc sénateur LR du Vaucluse et rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits du logement et de l’urbanisme s’est emparé du sujet.
Parler du réel est devenu chose très difficile. Notre démocratie ne vit plus qu’avec des leçons de morales à quatre sous, des sujets montés en épingle par des groupes de pression, d’une vision aristocratique de la citoyenneté privant les gens de tout droit à la parole, forcement divergente – au sens d’Orwell – si elle ne s’inscrit pas dans le corset du discours technocratique qui a remplacé la pensée, et par conséquent, toute forme de débat.
Dernier exemple en date, voici la ‘zéro artificialisation nette’ des sols qui prétend densifier l’habitat, mieux utiliser les espaces réputés vacants et rendre au sol ses fonctions naturelles en les ‘renaturant’.
Qui pourrait donc bien s’opposer à une telle proposition, consistant à sauver la planète ?
Au départ, une excellente idée, comme on les aime en classe de sixième, où, après mûres délibérations, l’on convient que l’on est tous pour la paix (et contre la guerre).
Qui pourrait donc bien s’opposer à une telle proposition, consistant à sauver la planète ?
Mais à l’arrivée, cetteloi Zéro artificialisation nette (ZAN) enterre, à jamais, le rêve intime français, décrit en son temps par Voltaire : vivre dans sa maison, sur un lopin de terre à soi que l’on peut cultiver à son aise. C’est fini, et c’est prévu pour 2050.
Le ZAN sur-métropolise la France et punit la ruralité
Une partie des sénateurs sont vent debout contre les décrets d’application de cette loi, publiés le 29 avril dernier, comme l’explique Jean-Baptiste Blanc sénateur LR et rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits du logement et de l’urbanisme. « Après avoir fait une trentaine de déplacements dans notre pays, les élus sont en ébullition sur ce sujet. Que disent-ils ? Que le ZAN sur-métropolise la France, punit notre ruralité, que l’Etat abandonne tout le monde puisqu’il n’y a aucune ingénierie prévue pour atteindre les objectifs annoncés (…) Ils reprochent au gouvernement de revenir sur la loi alors que nous avions voté une territorialisation, demandé que l’on tienne compte, par exemple, de la trajectoire des élus qui sont dans la sobriété foncière et que l’on fasse tout simplement confiance aux élus au travers des schémas de cohérence territoriale d’urbanisme (…). Personne ne comprend pourquoi le gouvernement retranche tout cela à la loi ».
Comment tout ça a commencé ?
Avril 2021, la ministre du logement Wargon claironne fièrement dans les médias que l’habitat individuel n’a plus d’avenir en France, non sans créer la polémique : elle vit à Saint-Mandé dans une maison de 150 m2 estimée à 1,5 M€ (2,2 selon la moyenne de ‘Meilleurs Agents’), dans une ville très cossue qui ne respecte pas le quota de construction HLM. « Si la ministre a choisi Saint-Mandé et pas une autre ville, c’est qu’elle est venue y trouver un cadre de vie résidentiel, luxuriant, un urbanisme maîtrisé et une ville proche de Paris. Elle ne peut pas fustiger les villes qualifiées de « riches qui ne veulent pas de HLM” et en même temps, habiter un joli pavillon», lâchait le maire LR de Saint-Mandé. (Source : Le Figaro immobilier).
Voilà pour l’ambiance bobo « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ».
Une urgence pour les maires et les sénateurs
Le 29 juin 2022, le sénateur Blanc publie un rapport, suivi d’une conférence de presse alertant les maires. Ces élus pour qui « le choix de l’urbanisme est le plus important de leur mandat » devront faire fissa pour affronter cette « révolution à bas bruit ». Ils ont jusqu’au 22 octobre prochain pour faire des propositions au gouvernement : le 6 juillet, près de 1 250 contributions des maires étaient parvenues au Sénat pour expliquer ce qu’ils reprochent à ce texte qui « impose le modèle de construction de la ville sur la ville (…) C’est l’Etat profond qui a tout décidé de façon orthogonale, et ce sera Gilet jaune multiplié par deux au bout » prédisent Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et Jean-Baptiste Blanc qui sont unanimes à la conclusion de cette conférence de presse : c’est bien un « zéro pointé net, sans rature ni bavure » qu’il adressent au projet zéro artificialisation nette.
Retrouvez ici la vidéo de la table-ronde de la commission des affaires économiques du Sénat du 27 juillet dernier sur le sujet de la zéro artificialisation nette à laquelle a notamment participé le sénateur Vauclusien Jean-Baptiste Blanc.
Que peut-on reprocher à ce texte, en l’état du paysage constructif actuel ?
Pourquoi la loi parle d’artificialisation et non d’imperméabilisation des sols – une notion qui a le mérite d’opérer une distinction simple entre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas – comme on le fait par exemple en Allemagne ? Parce qu’il faut bien exagérer, sans en avoir l’air, un phénomène dont il faut connaître les limites. Détaillons tout ceci :
- Actuellement, ‘l’artificialisation’ des terres reste modeste à l’échelle nationale : les 36 millions de logements qu’occupent les Français se concentrent sur 4 % du territoire national.
- Alors même qu’il conviendrait d’inciter à la végétalisation des espaces urbanisés, la loi inclut les parcs et jardins parmi les surfaces artificialisées (eh oui !), ainsi que « toute opération d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale, afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport » : habitat, activité, commerces, équipement publics…
- En France, 200 kilomètres carrés seraient ainsi ‘artificialisés’, soit quatre fois plus que ne le justifierait la croissance officielle de la population. On parle donc de 150 kilomètres carrés en trop, à récupérer sur les friches industrielles, mais aussi sur les parcs et jardins publics ou même les potagers privés. Juste pour se rendre compte : 200 kilomètres carrés, c’est la surface détruite par les incendies de Gironde, en une semaine, au mois de juillet, en grande partie grâce aux écologistes qui s’opposent à la gestion des milieux naturels.
‘L’artificialisation’ est donc la rencontre d’une idéologie globalement anti Gilets jaunes et d’intérêts financiers qu’il ne faut pas être grand clerc pour désigner : les promoteurs d’une ‘smart city’ qui construit toujours plus haut des logements toujours moins grands. Et puis, il y a ces Français indécrottables, dont on ne sait que faire, en rupture avec le rêve banlieusard des ‘intellectuels’ des années 60, porté par l’emblématique architecte Roland Castro.
Rien de neuf, pourtant : au sortir de la seconde guerre mondiale une enquête de l’Institut national d’études démographiques (Ined) montrait que 72% plébiscitaient la maison isolée avec jardin. Les enquêtes, après les années 2000, aboutissent à des taux de préférence pour la maison individuelle dépassant les 80%.
Pourquoi donner aux gens ce qu’ils veulent en l’organisant ? Ce serait la Démocratie. Sortons un moment du fameux ‘cercle de la Raison’ qui sait, mieux que nous, ce qui est bon pour nous. Qu’adviendrait-il, si la totalité des ménages résidaient dans une maison construite sur une parcelle de 1 000 m2, soit à peu près la taille actuelle des habitations dans les zones péri-urbaines ? ‘L’artificialisation’ du territoire serait alors seulement de 10% du territoire, note le rapport Blanc.
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Quel sont les premières victimes de cette loi ?
Entre 2000 et 2018, les prix des logements anciens et neufs en France métropolitaine ont augmenté de 115 %. Durant cette période, le coût de la construction n’a progressé que de 50 %.
La hausse des prix des logements serait donc expliquée en grande partie par la hausse des prix des terrains, constatait Notaires de France, dans une étude d’avril 2020.
Jean-Baptiste Blanc évalue l’enjeu pour les années à venir. « Les Français sont très attachés au modèle de la maison individuelle avec terrain, qui reste souvent, à distance des centres villes, le seul mode de logement accessible aux classes moyennes modestes. Celles-ci risquent d’être les premières victimes de la limitation de l’accès au foncier qui en renchérira le coût dans les années à venir ».
Les collectivités doivent pourtant satisfaire la demande de logement des habitants qui ne veulent plus vivre dans des grandes villes – durablement endettées et mal gérées à cause du clientélisme électoral – de plus en plus violentes et plus chères (taxes foncières, stationnement, interdiction de circuler).
Entre 2009 et 2020, la moitié de l’artificialisation nouvelle des espaces naturels, agricoles et forestiers a eu lieu dans des communes de moins de 2 000 habitants, qui ne regroupent pas moins d’un quart de la population.
C’est cet exode urbain, vers ces communes paisibles, que le gouvernement veut arrêter à tout prix. « Il font tout pour que la richesse reste là où elle est », acquiesce Jean-Baptiste Blanc, soulignant un mouvement de fond. « Les gens ont découvert le télétravail lors des confinements et voient que l’exil urbain est possible avec le très haut débit numérique ».
Un défi impossible à relever
L’adjectif ‘nette’ dans l’objectif ‘zéro artificialisation nette’, fait référence à la possibilité de compenser l’artificialisation d’une surface par la renaturation d’une autre surface.
C’est un tour de passe-passe, et personne ne sait comment le réaliser. Encore moins nos petites communes qui n’ont pas les moyens financiers de faire face à l’incroyable flambée du foncier qui s’annonce. « La transformation d’un sol artificialisé en sol naturel est particulièrement difficile, surtout avec l’objectif de recréer un sol qui offre les mêmes services qu’un sol naturel ».
Le rapport Blanc explique aussi que, « selon France Stratégie, le coût de la renaturation d’un sol artificialisé, après dépollution, “ de-imperméabilisation” et construction d’un ‘technosol’ est de 95 à 390€ par mètre carré, coût auquel il faut ajouter celui de la déconstruction ».
Faisons le calcul pour un terrain de 1 000 m2 : 240 000€, en moyenne, auxquels il faudra ajouter le prix initial du terrain. Quel particulier pourra bien y construire une maison pour sa famille ? Les particuliers n’auront d’autre choix que de se positionner sur un parc immobilier à prix d’or, dans la moindre campagne poisseuse. Les libérations de terrain ne profiteront donc qu’aux grands opérateurs privés et aux collectivités qui en ont les moyens, sans possibilité de renaissance des espaces ruraux.
La feuille de route est prête : « dès les dix prochaines années, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale entre 2021 et 2031 devra être inférieure de moitié à celle observée lors des dix années précédentes ».
Contractualiser avec des moyens
L’opposition, représentée par les trois sénateurs de la commission, veulent remplacer l’élément de langage ‘zéro artificialisation’ par celui de ‘modération foncière’ : il serait alors possible de revoir l’objectif à l’aune de chaque territoire, en tenant compte de la demande sociale et des intérêts économiques locaux. Mais aussi de dégager des lignes budgétaires et fiscales adéquates – au moins un milliard – pour créer un guichet unique proposant un service d’ingénierie aux communes qui en ont le plus besoin, en instituant un comité d’observation pour suivre le sujet. Le gouvernement a pour l’heure annoncé un fonds de recyclage des friches de 650M€ en mai dernier. « Nous préparons pour début octobre un texte unifié pour LR afin d’obtenir plus de moyens, mais aussi de permettre la contractualisation des objectifs en laissant aux Régions les schémas, mais pas les règlements. Les élus sont de bonne foi. Ils constatent, comme tout le monde, les abus que l’on voit sur les littoraux, et même chez nous, sur certaines zones du Grand Avignon par exemple. Ils sont par conséquent d’accord avec l’idée de ‘renaturer’, mais pas de payer les pots cassés en s’alignant sur une vision technocratique du ‘tout environnemental’, une culture d’énarques qui a le monopole de l’intérêt général et sur l’idée qu’il y a Paris et le désert français se transformant en ville à l’américaine. Il y a donc un juste milieu à trouver en permettant le développement local et regardant ce qu’on peut faire en fonction de la pression foncière. Pour cela, il faudrait en réalité une refonte de la fiscalité qui récompense les élus vertueux. Le sujet est donc loin d’être épuisé pour aboutir à ses objectifs initiaux ».