Site icon

Colonel Chaussinand : « la technique du contre-feu est une spécialité en Vaucluse »

Lieuteant-colonel Chaussinand. Crédit photo: Linda Mansouri

Partager cet article

Un été éprouvant pour les soldats du feu. Plus de 250 hectares ravagés dans le secteur de Beaumes-de-venise, deux décès dans le Var et 4000 hectares partis en fumée. Le Lieutenant-colonel Philippe Chaussinand, chef du groupement opération au sein du SDIS 84, a ouvert ses portes à L’Echo du mardi avant que les dramatiques incendies ne foudroient nos paysages provençaux. Objectif ? Expliquer, sensibiliser et mettre en lumière une mobilisation de tout instant.

Depuis le début de l’année, les pompiers du Vaucluse sont intervenus pour 549 feux de broussaille et 18 feux de forêt. Le Lieutenant-colonel Philippe Chaussinand, c’est l’homme clé des situations périlleuses. Il évalue le risque, élabore un plan d’action, échange avec la préfecture et les élus, supervise les hommes sur le terrain… Tel est le cas pour les pompiers envoyés en Grèce, sur l’île d’Eubée, où de nouveaux incendies ont sévit le 23 août. Plus de 50 000 hectares avaient déjà été ravagés par les flammes dans le nord de l’île.

La technique du ‘contre-feu’

Deux détachements séparés ont eu lieu en Grèce. Un 1er détachement de 4 personnes du SDIS 84 spécialisées dans l’intervention pour les feux tactiques a été déployé. « La technique du contre-feu ? On brûle tout une zone délimitée, de manière à ce que lorsque le feu se propage et atteint cette zone brûlée, il s’arrête automatiquement car plus aucune matière combustible n’existe. Ce sont des allumeurs, ils font un peu comme faisaient nos anciens en brûlant les mauvaises herbes. » Cette méthode est réalisée en toute sécurité, les zones brulées sont choisies stratégiquement et délimitées avec rigueur.

« C’est une spécialité vauclusienne mise en œuvre par des pompiers aguerris. En faisant cela, on économise de l’eau, nos hommes et nos moyens. Le contre-feu est préférable, plutôt que de lutter contre des flammes de 40m de haut avec de l’eau. La difficulté en Grèce, c’était justement de trouver de l’eau. » La technique de la lutte contre le feu naissant est tout autre. « A tout départ de feu, on envoie des hommes armés d’eau, au détriment d’autres zones où les incendies sont peut-être plus importants. » L’année dernière, la cellule ‘feux tactique’ a engagé une action déterminante pour éteindre les feux dans la commune de Faucon. L‘incendie avait parcouru plus de 130 hectares et nécessité 480 sapeurs-pompiers. La cellule ‘feux tactiques’ est opérationnelle depuis 2019 en Vaucluse. Elle compte 24 équipiers brûleurs, 2 cadres brûlages dirigés, et 1 cadre feu tactique, expert au Sdis et travaillant par ailleurs à l’ONF.

15 hommes envoyés en Grèce

Un second détachement a suivi, avec cette fois-ci 11 pompiers munis d’engins de feu de forêt. « Ils ont roulé jusqu’à Angone en Italie, puis ont pris le bateau pour arriver en Grèce. Parmi eux, des brûleurs et des pompiers engagés avec une colonne classique de feu de forêt. Ce sont des missions qui se décident au jour le jour. Au total, 5 engins ont été réquisitionnés, 3 engins incendie et deux véhicules de commande 4X4. Nous protégeons les personnes en priorité, les biens, puis ensuite l’environnement. Si un feu démarre dans un massif et que les engins manquent, les personnes sont protégées en premier lieu. Evidemment, si les forces sont conséquentes, tout est mis en œuvre pour sauver la totalité. »

Au total, 15 pompiers du SDIS 84 ont été réquisitionnés pour aider la Grèce. Photo: SDIS 84

« Les saisons estivales se prolongent »

« Un élément feu laisse place à une inondation. Les saisons ne sont pas marquées comme elles l’étaient auparavant. Le Rhône est passé en crue à 4m20 fin juin. lls inondent alors les allée de l’Oulle de manière à ce qu’il n’y ait pas de rupture de digue. Il y a quelques années, on mettait une chaine de commandement, et on renforçait cet effectif en été de 11 officiers supplémentaires. Depuis 3 ans, cela se poursuit jusqu’à fin octobre en raison des feux de forêt car la saison s’éternise. Auparavant, les inondations intervenaient en septembre et octobre. Aujourd’hui, on a des inondations jusqu’à fin mars. »

Lire aussi : Commandant Jalabert du SDIS 84 : « La Durance est un endroit clé d’intervention »

Incendie Beaumes-de-Venise. Photo : SDIS 84

« Il y a 3 ans, 45 degrés à Carpentras »

En Grèce, la semaine tournait aux alentours de 42 degrés, voir 45 degrés dans certaines zones. Des températures arides qui rappellent au colonel Chaussinand celles du Vaucluse. « Il y a 3 ans, il faisait 45 degrés à Carpentras. Sur trois journées de plus de 40 degrés, nous avions vécu des phénomènes d’inflammation rapide d’arbres. Je l’ai vu en direct sur un feu à proximité de Cavaillon. Un peuplier blanc s’est embrasé sous mes yeux alors qu’il avait les pieds dans l’eau. La chaleur était tellement intense que tout s’embrasait. En Grèce, la sècheresse, les températures élevées, plus le feu qui génère son propre vent ont rendu l’exercice extrêmement pénible. » Autant d’éléments qui nous poussent à y réfléchir à deux fois avant de jeter un quelconque mégot qui pourrait embraser la terre entière. « Un simple mégot qui part de la bande centrale de la route, termine son voyage dans la végétation, aidé par une bourrasque de vent. » Et le cataclysme se produit.

« Un des feux qui m’a le plus marqué ? Un incendie dans les Bouches-du-Rhône, notamment en raison de l’état de sècheresse et de l’inflammabilité des végétaux. Les plantes essentielles sont hautement inflammables, comme le ciste cotonneux. Le romarin, sous la chaleur, diffuse dans l’air une essence, la propagation est redoutablement rapide. »

Lieuteant-colonel Chaussinand (gauche) et commandant Jalabert (droite). Crédit photo: Linda Mansouri

Flotte aérienne conséquente

Le Coz, le Centre opérationnel de zone est supérieur au Codis (Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours) de chaque département. Le Coz affecte les moyens en fonction des besoins de la situation. « Pour les feux de forêts, nous avons l’appui d’une flotte d’avions bombardiers d’eau et de Canadairs. Nous avons un hélicoptère bombardier d’eau depuis 2 ans, une chance qu’il soit à Avignon. Cet hélicoptère est dédié à tout le sud de la France. »

« Nous avons une flotte aérienne conséquente, 12 canadairs et 5 Dash. » Le Dash (gros porteur blanc) est un bombardier d’eau de grande capacité, 10 tonnes d’eau contre 6 maximum pour un Canadair. Sa vitesse lui permet de couvrir l’ensemble de la zone sud-ouest : le Dash peut relier Nîmes-Bordeaux en une heure, contre deux pour le Canadair. Lors des opérations d’écopage, lorsque l’avion effectue un vol au ras de la surface de l’eau pour procéder au remplissage de ses soutes, il est strictement interdit de s’approcher des appareils sous peine d’une amende. C’est une opération délicate pour le pilote. « Le canadair prend son eau dans le Rhône. L’avion peut larguer de l’eau nature ou additionnée de ‘retardant’, un produit coloré (rouge) qui revêt la végétation d’une pellicule ignifuge. »

« Sur des périodes à risque (mistral, sècheresse), des hélicoptères font des rondes pour détecter des fumerolles. Ils éteignent les feux naissants, et sont complétés par l’envoi de pompiers au sol. C’est un travail complémentaire, on ne peut pas imaginer des pompiers seul avec leur lance. » Outre l’aérien, le SDIS possède près de 700 engins et véhicules, dont : 73 véhicules de secours à personne, 101 camions feux de forêt, 35 engins incendie urbain, 10 motopompes, 50 embarcations et 9 échelles pivotantes séquentielles.

Crédit photo: SDIS 84

Solidarité entre les départements

Des colonnes de renfort préventif regroupant des pompiers du Service départemental d’incendie et de secours de la Drôme et Sapeurs-Pompiers de l’Ardèche, sous le commandement des pompiers 84, ont effectué une mission de 4 jours dans l’Aude. Il y a quelques années, à la demande du Centre opérationnel de zone (Coz), des groupes de sapeurs-pompiers vauclusiens ont été envoyés dans l’Aude (62 pompiers – mission de 48 heures) et en Corse (25 pompiers – mission de 15 jours) pour lutter contre des feux de forêt. « Pour les renforts de proximité, on fait appel à la cellule la plus proche. Pour un feu qui prendrait en bordure de Durance, à côté du Luberon, on fera appel aux pompiers des Bouches-du-Rhône, sur la base d’une convention départementale. »

Le SDIS 84, une affaire d’équipe

Le SDIS 84 compte plus de 130 PATS (personnels administratifs, techniques et spécialisés). Ces personnels travaillent principalement dans les différents groupements et services du siège de l’établissement. « Nous sommes au total 2 000 au sein du SDIS 84. Il n’y a pas que les sapeurs-pompiers, il y a les employés en communication, en finance, en ressources humaines. Tout ce microcosme nous donne une force de frappe considérable. Impossible de travailler l’un sans l’autre. Un pompier seul avec sa lance mais sans back office ne sert à rien. Un exemple concret, si les engins ne sont pas révisés, si des mécaniciens n’interviennent pas, notre performance est largement impactée. »

Convention avec les entreprises

« Nous avons besoin des sapeurs-pompiers bénévoles. Il faut expliquer aux chefs d’entreprise que des partenariats peuvent être mis en place avec le SDIS 84 pour fixer les modalités et permettre aux salariés d’être réquisitionnés en cas de besoin sur le terrain », explique Audrey Rousset, cheffe de service communication. Le volontariat chez les sapeurs-pompiers constitue un enjeu majeur de notre société. Ils sont des acteurs indispensables dans la sécurité civile et démontrent leur impérieuse nécessité pour soulager les professionnels éreintés par les graves incendies. Afin de pouvoir fiabiliser la réponse opérationnelle, notamment pendant les heures ouvrables, le SDIS a la possibilité de conclure une convention avec les employeurs (article L.723-11 du Code de la sécurité intérieure). Elle précisera les modalités de la disponibilité opérationnelle et de la disponibilité pour la formation des sapeurs-pompiers volontaires en fonction des nécessités du fonctionnement de l’entreprise.

500 sapeurs-pompiers professionnels

Le SDIS 84 compte près de 500 sapeurs-pompiers professionnels. Les sapeurs-pompiers professionnels sont répartis dans les centres de secours principaux et les centres de secours du département, mais également dans certains groupements et services du siège de l’établissement. Ces centres sont appelés centres mixtes car ils sont composés de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Les 4 Centres de secours principaux (SPV) se situent à Avignon, Carpentras, Cavaillon et Orange. Les 9 centres de secours se trouvent à L’Isle-sur-la-Sorgue, Sorgues, Bollène, Monteux, Vaison-la-Romaine, Valréas, Apt, Cadenet et Pertuis. Ces SPV sont répartis dans les 3 types de centres, à savoir les centres de secours principaux (CSP), les centres de secours (CS) et les centres de première intervention (CPI).

Lieutenant Hélène Roux au sein de la plateforme d’appels. Chaque jour, plus de 600 appels sont traités. Photo: Linda Mansouri

376 000 appels reçus, plus de 40 000 interventions

Plusieurs SDIS ont fait le choix de ce type de plateforme 15, 18, 112, mais le SDIS 84 reste un précurseur car son CTAU – CODIS a été le premier à travailler avec un outil de gestion de l’alerte commun. Ainsi, des Assistants de régulation médicale (ARM) du SAMU réceptionnent les appels vers le 15, tandis que les sapeurs-pompiers répondent quant à eux aux appels vers le 18 et 112. Chaque opérateur interroge son interlocuteur afin d’obtenir le maximum de précisions pour déclencher les moyens adaptés à la situation. Les médecins régulateurs, sous l’autorité du SAMU , déterminent quant à eux le degré d’urgence et orientent les victimes vers les différents centres hospitaliers, en fonction des pathologies. En 2020, 376 000 appels ont été reçus pour plus de 40 000 interventions enregistrées.

Stop aux appels abusifs

Les appels malveillants ou les fausses alertes sont des fléaux auxquels sont confrontées toutes les plates-formes qui reçoivent des appels d’urgence. La sollicitation inutile est le cas où le requérant appelle les sapeurs-pompiers pour un motif qui ne le justifie pas. L’article 322-14 du Code pénal punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la personne qui communique ou divulgue une fausse information faisant croire à un sinistre et de nature à provoquer l’intervention inutile des secours. Le Code pénal réprime, également les appels malveillants. L’article 222-16 punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ces appels lorsqu’ils sont réitérés et destinés à nuire. Ainsi, une personne qui submerge le standard du CTA d’appels voués uniquement à en perturber le fonctionnement commet l’infraction.

Capitaine Christophe Arnaud. Photo: Linda Mansouri

Le SDIS 84 travaille en étroite collaboration avec la DDT (Direction départementale des territoires), l’ONF (Office national des forêts) et les comités communaux. « C’est assez historique, on a toujours très bien travaillé avec eux. Ils nous donnent l’alerte lors de leur patrouille dans les massifs, et pour certains commencent à éteindre des début d’incendie. Ce n’est pas toujours le cas dans d’autres départements. C’est un peu notre cocorico vauclusien. »

Lire aussi : Prolongation de l’interdiction d’accès aux massifs forestiers du Vaucluse

Quitter la version mobile