Arnaud de Lauzières, ancien cadre-dirigeant de Carrefour et son épouse Christine, sont à la tête de La halle des producteurs à Cavaillon. Parents de 6 enfants devenus presque grands, ils ont quitté Paris pour se lancer dans un commerce de proximité dévolu à 90% aux produits de terroir. Le magasin dont l’activité, boostée par le concept du pari local et du confinement, s’envole permettra dès janvier 2021, d’accueillir, un espace ‘dégustation’ où les clients pourront savourer, sur place, des menus concoctés à partir des produits proposés dans le magasin.
Le début
Arnaud de Lauzières fut cadre dirigeant chez Carrefour un peu partout en France et en Belgique. C’est en allant rendre visite à ses beaux-parents, installés à Rognonas, que germera tranquillement et durant des années, l’idée d’ouvrir un magasin à 90% dévolu aux produits locaux. Il s’autorisera à franchir le pas à 53 ans. Aidé par le Réseau Entreprendre Rhône-Durance le couple acquiert, en avril 2019, La halle des producteurs à Cavaillon. Après quelques sueurs froides et un travail de titan, Arnaud et Christine réalisent avec soulagement et fierté qu’ils ont transformé l’essai.
Parcours
Arnaud de Lauzières ce sont 28 ans de carrière dans l’industrie alimentaire. Précisément 12 ans chez Danone et 16 dans le groupe Carrefour. Il bâtit tout d’abord sa carrière en tant que commercial, directeur financier, directeur opérationnel, patron des hypermarchés de Belgique, puis participe aux concepts des ‘Magasins monde’, comme la création de Carrefour Bio. «Mon crédo était déjà, à l’époque, de travailler avec des fournisseurs locaux. Pourquoi ? Parce que les clients ont toujours beaucoup apprécié de retrouver les produits fabriqués chez eux, dans leurs magasins, ce qui signe à la fois une reconnaissance de leur travail et de l’intérêt que l’on porte à l’économie locale en devenant son ambassadeur. J’ai toujours martelé que les spécificités locales devaient être présentes dans le magasin. D’ailleurs ce fut ma 1re demande en tant que directeur régional auprès des directeurs de magasins en leur demandant de partir à la recherche de producteurs locaux.»
Un vieux projet devenu réalité
«Un jour, j’ai réfléchi à ma façon de travailler et d’être dans le groupe, je n’y trouvais plus le sens que je souhaitais, j’ai alors décidé de vivre mon projet. Lorsque je venais voir mes beaux-parents à Rognonas, j’évoquais l’idée d’un magasin de produits régionaux en alliant la vente de produits à la dégustation et à la restauration. Je me suis même offert une formation de 9 semaines chez Alain Ducasse pour appréhender la cuisine et pouvoir, demain, ouvrir un restaurant. Ce qui m’a surpris ? La richesse d’initiatives du terroir ! Près de 90% des produits de la Halle des producteurs sont locaux et proviennent du travail des artisans. Un exemple ? La soupe au pistou, des duos chocolat-fruits. Comment ai-je rencontré les producteurs ? Lors de salons comme Terroir en fête, Food in Sud, sur Internet, également en les recevant ici, au magasin, lorsqu’ils se présentent. Beaucoup de produits ont d’ailleurs été référencés suite à la recommandation des clients comme des nougats et des suce-miel (bâton de miel, sucettes) en provenance d’Allauch, sur les hauteurs de Marseille. Même chose pour les vins, les alcools. Un exemple ? Lorsque des clients sont venus acheter du Beaujolais nouveau je leur ai dit que je n’en vendais pas et leur ai proposé du vin primeur d’ici. Nous avons d’ailleurs embauché Matthieu, sommelier de formation, qui, parfois, part faire le tour des domaines pour repérer, goûter et sélectionner les prochains vins à mettre en rayon.»
Des produits frais et locaux, la plupart du temps
«Est-ce que je négocie les prix ? Non je regarde la qualité du produit, le goûte, me pose la question de son juste positionnement dans la gamme que je propose. Un exemple ? Des œufs frais bio gros calibre. Je les ai pris alors que je trouvais le prix tarifaire un peu élevé mais lorsque je les ai proposés à la vente, j’ai vu qu’ils partaient très bien. La difficulté ? Trouver des producteurs en capacité de vous fournir autant de palettes demandées par jour. L’autre point important dans ce métier ? La logistique. Je ne peux pas tous les matins faire le tour de tous les producteurs. Je vais pratiquement chercher tous les fruits et légumes, à 4 heures du matin, au Min (Marché d’intérêt national) de Cavaillon. » Le respect de la saisonnalité ? Oui bien sûr mais avec une nuance tout de même car Arnaud de Lauzières fait une remarque très intéressante : «Nous respectons toujours la saisonnalité et nos clients nous en savent gré. Ainsi lorsque nous sommes en pleine saison de légumes en France ceux-ci sont français. Cependant, hors saison nos clients, même s’ils nous ont félicités pour ce principe, n’en trouvant pas chez nous se précipitaient pour en acheter ailleurs. Alors on a assumé vendre des légumes ‘d’ailleurs’ et cela a aussi participé au doublement de notre chiffre d’affaires. Alors des produits frais et locaux ? C’est oui la plupart du temps et dès que les fruits et légumes de saison locaux sont là, mais il y a aussi le paradoxe de la demande à laquelle il nous faut aussi répondre.»
Pour la petite histoire
«J’ai racheté la Halle des producteurs qui avait été créée en 2017 par un père et son fils, en avril 2019, avec l’exigence de proposer une majorité de produits locaux.J’ai contacté le Réseau entreprendre pour rencontrer d’autres entrepreneurs. Je ne savais même pas qu’il pouvait prêter de l’argent à taux zéro. J’y suis allé aussi pour être entouré, et notamment par un parrain qui se révèlera être Hervé Barral. Son accompagnement, de 2 ans, est très précieux car il me permet de sortir de l’isolement du chef d’entreprise, de m’ouvrir à lui sur les difficultés rencontrées, m’apaise par ses encouragements et sa vision foncièrement optimiste. Il a été d’un immense soutien, particulièrement dans les premiers mois lors de la prise en main.»
Être présent
Les yeux d’Arnaud de Lauzières, installé dans son bureau, ne quittent pas les écrans des caméras. Est-ce qu’il y a des voitures sur le parking ? Y-a-t-il des clients dans le magasin ? Ce qui le bouscule ? Qu’un client attende à la caisse. « C’est mon expérience Carrefour où j’ai compris à quel point les gens ont horreur d’attendre à la caisse, ça m’est resté. Quand ça arrive ? Je passe un coup de fil à mes collaborateurs pour demander la prise en charge du client. Nous sommes un commerce de proximité et devons être irréprochables et très réactifs sur ce que l’on attend de nous. La semaine nous en recevons environ 130 et 250 le week-end dont près de 100 le dimanche matin. Le panier moyen ? Il est de 35€. La zone de chalandise ? Cavaillon, l’Isle-sur-la-Sorgue, Caumont-sur-Durance, Orgon, Plan d’Orgon, le nord de Cavaillon…»
Aujourd’hui ?
«Le coup de pouce ? Ça a été le confinement avec un afflux de clients fuyant la grande distribution. La clientèle, très fidèle, s’est développée. Elle recherche un rapport qualité-prix sur lequel on ne triche pas. En 2020 nous avons réalisé 1,4M€ soit +55% de chiffre d’affaires. Nous employons 5 salariés sur 400m2 de surface de vente et 200m2 de réserve. Nous travaillons avec 250 producteurs et fournisseurs et avons enregistré 4 000 références. Le plus gros du travail lorsque nous avons commencé ? Renseigner durant 3 mois la base de données produits avec les prix d’achat et les stocks, ce qui permet, en plus de savoir où l’on en est, de faciliter le travail de réapprovisionnement.»
Demain ?
«Le 1er changement sera le nom du magasin ‘La halle des producteurs’ car nous ne sommes pas un magasin tenu par des producteurs. Si nos clients locaux le savent pertinemment, les touristes s’en étonnent, alors nous nous appellerons très bientôt ‘La cagette des halles’. Pourquoi ? Parce que la cagette c’est ce que nous donnons à nos clients lorsqu’ils n’ont pas de sac, qu’elle est promesse de profusion et pas uniquement de fruits et légumes afin que les gens qui nous abordent pour la 1re fois ne nous prennent pas pour un magasin de primeurs. Pourquoi la notion de Halle ? Pour sa connotation de qualité. Est-ce que l’on peut encore développer le chiffre d’affaires de 1,4M€ ? Oui, en se référant au ratio du chiffre d’affaires au m2 par type de magasin. Également je fais très peu de publicité, de communication. Un exemple ? J’en fais un peu dans le journal du Luberon et aussi par SMS avec les clients fidèles. Nous n’avons pas encore exploré et utilisé tous nos potentiels. Mon ambition ? Ça n’est pas d’être épicier à Cavaillon. Le concept développé dans le magasin pilote (Ndlr : épicerie fine, vins, produits du terroir, produits frais, fruits et légumes et dégustation) fonctionne nous pourrions le dupliquer plusieurs fois ailleurs, mais jamais très loin d’un Min car au-delà de l’aspect physique du magasin, il y a toujours l’aspect approvisionnement et logistique.»
Configuration du magasin
«Nous allons changer le circuit du magasin afin que les clients empruntent tout d’abord le rayon épicerie, cave, fruits et légumes, le frais, la cosmétique. La nouveauté ? Un espace cuisine ! L’idée ? Proposer des menus thématiques payants aux clients, sous forme de planche, par exemple, en dressant et faisant réchauffer des produits du magasin. Les tables ? Peut-être des tonneaux que l’on installerait en terrasse –couverte selon la saison- dans l’esprit un peu récup-bio de la tonalité du magasin.»
Parole de parrain
Hervé Barral, membre fondateur du Réseau Entreprendre Rhône-Durance accompagne Arnaud et Christine de Lauzières dans leur cheminement entrepreneurial. Désormais à la retraite, il met son expertise de dirigeant du groupe national l’Univers de l’emballage –avec deux autres associés- et président-directeur-général de la société Jullian à Noves au service du réseau «Ayant moi-même réalisé de la croissance externe, j’ai pu accompagner Arnaud et son épouse dans le rachat de cette entreprise qui était complètement décalée par rapport au marché, inorganisée et à la comptabilité… d’un autre siècle. Compte-tenu de son expérience Arnaud a pris cette affaire à bras-le-corps car il avait en tête la feuille de route précise qu’il devait mener. Il a su développer une stratégie, en proposant des produits locaux, et remonter considérablement le niveau qualitatif de l’entreprise. La crise du Covid-19 est arrivée. Les restaurants ont été fermés. Les gens ont recommencé à cuisiner. Les circonstances ont été très favorables au développement de l’entreprise s’envolant en 2020 pour une augmentation du chiffre d’affaires considérable qui se poursuit en 2021 avec des résultats en très nette amélioration qui l’amènent à envisager de nouveaux investissements pour aller plus loin, avec la création de plusieurs autres magasins.»